Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/707/2024 du 01.10.2024 ( RECUSE ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE PS/62/2024 ACPR/707/2024 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mardi 1er octobre 2024 |
Entre
A______, domicilié à l'Etude B______, ______, agissant en personne,
requérant,
et
C______, Procureur, p. a. MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
cité.
EN FAIT :
A. Par acte expédié le 23 juin 2024 au Ministère public, puis transmis à la Chambre de céans le 18 juillet 2024, A______ demande la récusation du Procureur C______ dans le cadre de la procédure P/1______/2023.
B. Les faits pertinents pour l'issue du litige sont les suivants :
a. Par plainte du 6 janvier 2023, complétée le 16 février suivant, A______ a dénoncé D______, E______, F______ et G______ en leur qualité d'administrateurs de l'Étude H______/I______, pour escroquerie, voire gestion déloyale, contrainte et violation de la loi sur la concurrence déloyale. Il a également déposé plainte, pour ce dernier chef, contre la société H______/J______ SA, ayant pour nouvelle raison sociale K______ SA et dont D______ et E______ sont administrateurs.
Il était en conflit avec les administrateurs de H______/I______ à la suite de son départ de l'Étude, où il avait travaillé en qualité de collaborateur jusqu'au 31 mai 2021, puis en tant qu'avocat indépendant dit "of counsel" jusqu'au 31 décembre 2021.
Les administrateurs de H______/I______ ne lui avaient pas transmis un certain nombre de ses dossiers personnels, y compris la facturation et les timesheets les concernant, notamment dans ses cas de nomination d'office, l'empêchant ainsi de solliciter ses indemnisations ; d'avoir adressé, sans l'en informer, certains états de frais à ses clients privés et aux autorités, puis d'avoir encaissé une partie de ses honoraires sans les lui reverser ; d'avoir utilisé sans son consentement son nom et son image, entre autres sur le site internet de l'Étude, après son départ ; et d'avoir rendu inutilisable son ordinateur portable en supprimant ses courriels à distance.
Une procédure était pendante devant les juridictions civiles pour faire valoir ses prétentions salariales impayées, notamment.
b. Le 7 février 2023, le Ministère public a informé les administrateurs de H______/I______ de la plainte déposée par A______ et les a invités à formuler leurs éventuelles observations.
c. Les administrateurs de H______/I______ ont pris position par courriers distincts des 30 et 31 mars 2023. Ils ont déclaré en substance que le litige revêtait un caractère exclusivement civil.
d. Par courrier du 13 octobre 2023, le Ministère public a informé D______, E______, G______ et F______ qu'il n'entendait pas entrer en matière sur la plainte pénale de A______.
e. Dans un courriel de 25 pages envoyé le 25 octobre 2023, A______ s'est spontanément déterminé.
Il a, en substance, persisté dans les termes de sa plainte pénale et de son complément.
f. Par courriel du 25 décembre 2023, A______ a demandé au Ministère public de lui fournir des explications sur son courrier du 13 octobre 2023 et son intention de rendre une ordonnance de non-entrée en matière, s'étonnant de ne pas en avoir reçu une copie ni aucun avis de prochaine clôture de l'instruction. Il s'agissait là d'une inégalité de traitement, laissant planer un soupçon de partialité en faveur des prévenus.
g. Faute de réaction, A______ a relancé le Ministère public, notamment par courriels des 24 janvier, 19 février, 3 avril, 13, 17 et 21 mai, 4, 9 et 17 juin 2024, en lui demandant de confirmer s'il entendait maintenir ou changer sa position, compte tenu de ses déterminations spontanées du 25 octobre 2023.
Il a successivement précisé au Procureur C______ qu'il se verrait contraint de soumettre une demande de récusation le concernant s'il ne lui répondait pas d'ici au 1er mars suivant (19 février 2024), qu'il se réservait le droit d'agir pour déni de justice (24 janvier et 13 mai 2024). Il lui a aussi rapporté de nouveaux faits, contrevenant, selon lui, à la loi sur la concurrence déloyale (3 avril 2024).
h. Par ordonnance du 10 juin 2024, le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur la plainte de A______.
Ce dernier a formé recours contre cette ordonnance.
C. a. Dans sa requête, A______ reproche au Procureur C______ de l'avoir ignoré pendant près de huit mois en ne répondant pas à ses courriers et tentatives d'appels. Il lui reproche également de ne pas lui avoir adressé une copie de son courrier du 13 octobre 2023 et de ne pas lui avoir dit s'il entendait maintenir ou changer sa position après lecture de ses déterminations du 25 octobre 2023. Il voit dans le comportement du magistrat un manque évident d'impartialité.
Il soutient par ailleurs que l'ordonnance de non-entrée en matière du 10 juin 2024 comporterait de nombreuses erreurs factuelles et juridiques.
b. La cause a été gardée à juger à réception, sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. 1.1. La Chambre pénale de recours de la Cour de justice (art. 59 al. 1 let. b CPP et 128 al. 2 let. a LOJ), siégeant dans la composition de trois juges (art. 127 LOJ), est l'autorité compétente pour statuer sur une requête de récusation visant un magistrat du Ministère public (art. 59 al. 1 let. b CPP).
1.2. En sa qualité de plaignant (art. 104 al. 1 let. b CPP), le requérant dispose de la qualité pour agir (art. 58 al. 1CPP).
2. 2.1. Conformément à l'art. 58 al. 1 CPP, la récusation doit être demandée sans délai, dès que la partie a connaissance du motif de récusation, c'est-à-dire dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation, sous peine de déchéance (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3). De jurisprudence constante, les réquisits temporels de l'art. 58 al. 1 CPP sont ainsi satisfaits lorsque la demande de récusation est déposée dans les six et sept jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation, tandis qu'ils ne le sont pas lorsqu'elle est formée trois mois, deux mois, deux à trois semaines ou vingt jours après que son auteur a pris connaissance du motif de récusation. Il incombe dès lors à la partie qui se prévaut d'un motif de récusation de rendre vraisemblable qu'elle a agi en temps utile, en particulier eu égard au moment de la découverte de ce motif (arrêt du Tribunal fédéral 7B_143/2024 du 3 juin 2024 consid. 4.1.1 et les arrêts cités).
Celui qui omet de se plaindre immédiatement de la prévention d'un magistrat et laisse la procédure se dérouler sans intervenir agit contrairement à la bonne foi et voit son droit se périmer (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_384/2017 du 10 janvier 2018 consid. 4.2 ; 6B_695/2014 du 22 décembre 2017 consid. 3.1). Il est en particulier contraire aux règles de la bonne foi de garder en réserve le moyen tiré d'une suspicion de prévention pour ne l'invoquer qu'en cas d'issue défavorable ou lorsque l'intéressé se serait rendu compte que l'instruction ne suivait pas le cours désiré (ATF 143 V 66 consid. 4.3 ; 139 III 120 consid. 3.2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_598/2022 du 1B_163/2022 du 27 février 2023 consid. 3.1 ; 30 décembre 2022 consid. 2 ; 1B_13/2021 du 1er juillet 2021 consid. 2).
Lorsqu'un requérant a renoncé à demander la récusation d'un magistrat après chacune des démarches par lesquelles il l'en avait successivement menacé, il est déchu du droit de s'en prévaloir. En d'autres termes, peu importe que le requérant prétende que la prévention du magistrat lui soit apparue "progressivement" : en effet, soit un acte ou une attitude dénote une apparence de partialité, et il convient que la partie qui s'en estime lésée agisse aussitôt ; soit l'écoulement du temps montre que cette apparence n'en était pas une ou que la partie s'en est accommodée. À défaut, la répétition durable de l'accusation de partialité pourrait apparaître comme un moyen de pression, larvé mais permanent, sur le magistrat pour l'amener, progressivement, à se conformer aux seules vues de la partie (arrêt du Tribunal fédéral 1B_163/2022 du 27 février 2023 consid. 3.1), alors qu'il est indépendant et n'est soumis qu'aux règles du droit (art. 4 al. 1 CPP). C'est d'autant plus vrai si le requérant ne reproche pas au magistrat visé des erreurs répétées de procédure, mais de la passivité ou de l'inaction (ACPR/509/2014 du 5 novembre 2014 consid. 4.1 et l'arrêt cité).
2.2. En l'espèce, la Chambre de céans constate d'emblée que la demande de récusation visant le Procureur C______ a été déposée plusieurs mois après que le requérant a eu connaissance de certains des motifs de récusation qu'il invoque. Le requérant avait en effet d'ores et déjà indiqué au magistrat qu'il le suspectait de prévention à son égard par courrier du 25 décembre 2023, dans la mesure où celui-ci ne l'avait pas informé de son intention de ne pas entrer en matière sur sa plainte. Il s'était ensuite plaint de l'inactivité du Ministère public par courrier du 19 février 2024, tout en le menaçant de solliciter sa récusation s'il persistait à ne pas répondre à ses différentes questions et doléances. Ces mêmes motifs ont été repris tels quels dans la demande de récusation du requérant, si bien qu'il ne peut qu'être constaté que ceux-ci ont été invoqués tardivement, faute pour l'intéressé d'avoir agi dans les délais prescrits par la jurisprudence, dès l'apparence de partialité ressentie comme telle.
Il apparaît en tout état que le requérant a adopté une attitude contradictoire en agitant la menace de la récusation au motif qu'il doutait de l'impartialité du Procureur C______, tout en continuant à écrire à ce magistrat pour exiger de lui qu'il exécute des actes de procédure (en l'occurrence rendre un avis de prochaine clôture de l'instruction, quand bien même celui-ci est irrelevant s'agissant d'une ordonnance de non-entrée en matière, cf. à ce propos l'art. 310 al. 1 CPP et not. l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_1456/2017 du 14 mai 2018 consid. 2.1, en relation avec l'art. 318 al. 1 a contrario CPP) et lui présenter des faits nouveaux. La démarche du requérant laisse ici bien plutôt entrevoir que, sous le couvert de ses menaces changeantes de récusation et d'action pour déni de justice, il a tenté de faire pression sur le Procureur C______ pour le contraindre à gérer l'instruction à sa manière, alors qu'il devait savoir, en tant qu'avocat, que le Ministère public n'a notamment pas à informer les parties avant de rendre une ordonnance de non-entrée en matière et n'a pas non plus à leur donner la possibilité d'exercer leur droit être entendu, lequel sera assuré, le cas échéant, dans le cadre de la procédure de recours (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_43/2013 du 11 avril 2013 consid. 2.1). Il est également manifeste que le requérant a attendu l'issue – défavorable – de la procédure pour faire valoir les moyens tirés de la récusation, ce qui, pris dans son ensemble, dénote sans nul doute un procédé contraire aux règles de la bonne foi.
La demande de récusation est donc irrecevable s'agissant des griefs avancés ici.
3. Le requérant soutient pour le surplus que la prévention du Procureur C______ résulterait des erreurs factuelles et juridiques contenues dans son ordonnance de non-entrée en matière du 10 juin 2024.
3.1. À teneur de l'art. 56 let. f CPP, toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est tenue de se récuser lorsque d'autres motifs que ceux évoqués aux lettres a à e de cette disposition, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à la rendre suspecte de prévention. Cette disposition correspond à la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 Cst. et 6 CEDH (ATF 143 IV 69 consid 3.2). Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat (ATF 149 I 14 consid. 5.3.2 ; 147 III 89 consid. 4.1 ; 144 I 159 consid. 4.3). Seules des circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération, les impressions purement subjectives des parties n'étant pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3 ; 142 III 732 consid. 4.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 7B_450/2024 du 1er juillet 2024 consid. 2.2.2).
Selon la jurisprudence, des décisions ou des actes de procédure qui se révèlent par la suite erronés ne fondent pas en soi une apparence objective de prévention ; seules des erreurs particulièrement lourdes ou répétées, constitutives de violations graves des devoirs de la personne en cause, peuvent fonder une suspicion de partialité, pour autant que les circonstances dénotent que cette dernière est prévenue ou justifient à tout le moins objectivement l'apparence de prévention. Il appartient en outre aux juridictions de recours normalement compétentes de constater et de redresser les erreurs éventuellement commises dans ce cadre. La procédure de récusation n'a donc pas pour objet de permettre aux parties de contester la manière dont est menée l'instruction et de remettre en cause les différentes décisions incidentes prises par la direction de la procédure (ATF 143 IV 69 consid. 3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 7B_450/2024 du 1er juillet 2024 consid. 2.2.3 ; 7B_677/2023 du 24 novembre 2023 consid. 3.2 ; 7B_189/2023 du 16 octobre 2023 consid. 2.2.1). Il en résulte aussi que l'autorité saisie d'une requête de récusation n'a pas à examiner les griefs soulevés au fond contre ces prononcés (arrêt du Tribunal fédéral 1B_163/2022 du 27 février 2023 consid. 3.3).
3.2. En l'espèce, le recourant n'explique pas en quoi les erreurs factuelles et juridiques relevées dans l'ordonnance de non-entrée en matière querellée, même avérées, fonderaient, une apparence de prévention du Procureur C______.
En toute hypothèse, la procédure de récusation n'a pas pour objet de permettre aux parties de contester la manière dont est menée l'instruction et de remettre en cause les différentes décisions prises par la direction de la procédure. Il appartient en l'occurrence aux juridictions de recours normalement compétentes de constater et de redresser les erreurs éventuellement commises dans ce cadre. Le recourant ne saurait dès lors contester le bien-fondé de l'ordonnance de non-entrée en matière au moyen de la présente demande de récusation, étant précisé qu'il l'a par ailleurs fait dans le cadre de son recours parallèle.
Partant, la demande de récusation est mal fondée s'agissant de ce second motif et doit par conséquent être rejetée.
4. Au vu de cette issue, il n'y avait pas à demander au cité de prendre position avant de statuer (arrêts du Tribunal fédéral 7B_1/2024 du 28 février 2024 consid. 5.2 ; 1B_196/2023 du 27 avril 2023 consid. 4 et les références).
5. En tant qu'il succombe, le requérant supportera les frais de la présence décision (art. 59 al. 4 CPP), fixés à CHF 1'500.-.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Déclare la demande de récusation partiellement irrecevable.
La rejette pour le surplus.
Met à la charge de A______ les frais de la procédure de récusation, arrêtés à CHF 1'500.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, à A______ et au Ministère public.
Siégeant :
Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.
La greffière : Olivia SOBRINO |
| Le président : Christian COQUOZ |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
PS/62/2024 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | |
- demande sur récusation (let. b) | CHF | 1'415.00 |
Total | CHF | 1'500.00 |