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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/6086/2020

ACPR/796/2022 du 11.11.2022 sur ONMMP/876/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;LÉSION CORPORELLE PAR NÉGLIGENCE;SOUPÇON
Normes : CPP.310; CP.125

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6086/2020 ACPR/796/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 11 novembre 2022

 

Entre

A______, domicilié ______[GE], comparant par Me Guillaume ETIER, avocat, REISER Avocats, route de Florissant 10, 1206 Genève,

recourant,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 15 mars 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 1er avril 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 15 mars 2022, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 3 avril 2020.

Le recourant conclut, sous suite de frais, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour l'ouverture d'une instruction.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. Le 29 mai 2015, A______ a été opéré à B______[Tunisie] par la Dresse C______ suite à un décollement de rétine à l'œil droit.

a.b. Le 26 octobre 2015, il a été opéré par la Dresse D______ à Genève. L'intervention portait sur l'ablation de l'huile de silicone suite à l'opération précédente, combinée à une opération de la cataracte de l'oeil droit.

A______ s'est plaint de vives douleurs subies pendant et après l'opération ainsi que de l'apparition d'un rond rouge et mouvant dans son champ de vision accompagné d'une déformation de l'image.

a.c. Le 10 novembre 2015, il a consulté le Dr E______ pour avis.

a.d. Le 12 novembre 2015, il a consulté le Dr F______ pour nouvel avis.

a.e. Le 5 décembre 2015, il a été opéré à B______[Tunisie] par la Dresse C______, à la suite d'un nouveau décollement de rétine à l'œil droit.

a.f. En juin 2016, il a consulté la Prof. G______ du Service d'ophtalmologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).

a.g. Le 20 mars 2017, il a été opéré par le Prof. H______ pour un remplacement de la lentille posée lors de l'opération de la cataracte par une lentille à fixation irinienne.

b.a. Par courrier du 22 juillet 2016, A______ a demandé à la Dresse D______ d'annoncer son cas auprès de son assurance responsabilité civile.

b.b. Par courrier du 10 août 2016 à K______ SA, il a détaillé ses griefs à l'encontre de la Dresse D______, soit d'avoir manqué à son devoir de diligence en oubliant une bulle de l'huile de silicone, dont l'ablation était l'objectif premier de l'intervention du 26 octobre 2015, omis de l'en informer, dissimulé les complications en lien avec la rupture de la capsule du cristallin survenue et commis une erreur dans la puissance de l'implant mis en place. En outre, il avait subi une récidive du décollement de rétine à peine cinq semaines après l'opération. Si la Dresse D______ n'avait pas dissimulé les erreurs et complications survenues lors de l'opération, celles-ci auraient peut-être pu être rattrapées à temps et il s'était ainsi retrouvé privé d'une chance de guérison, avec des conséquences irréversibles et impossibles à corriger avec des lunettes ou des lentilles. Depuis dix mois, son œil était toujours gonflé, rouge, lui faisait mal, lui donnait des migraines, l'empêchait de dormir et la vision de cet œil était pratiquement égale à zéro. En tant qu'avocat, il se trouvait fortement handicapé sur le plan professionnel et ne pouvait désormais travailler que pendant une à deux heures par jour, ce qui lui causait une très importante perte de gain. Il avait également subi une grave atteinte à sa "joie de vivre".

L'assurance responsabilité civile de la Dresse D______ a refusé d'entrer en matière.

b.c. Par courrier du 19 juillet 2017, A______ a saisi la Commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients (ci-après : la Commission), faisant valoir avoir perdu de manière irrémédiable l'usage fonctionnel de son œil droit à la suite des négligences de la Dresse D______.

b.d. Par décision du 5 décembre 2019, la Commission a retenu que la Dresse D______ avait violé son devoir d'information et son devoir de bonne tenue du dossier médical, en omettant d'annoncer la rupture de capsule à son patient et en ne mentionnant pas cette complication dans le dossier médical. Un avertissement était ainsi prononcé à son encontre. L'intervention de la cataracte combinée avec l'ablation d'huile de silicone n'était pas inhabituelle et aurait dû de toute manière intervenir à terme. La rupture de la capsule était une complication usuelle lors des interventions de la cataracte et ne signifiait pas ipso facto que l'ophtalmologue aurait commis une faute professionnelle. En l'occurrence, aucun élément du dossier ne permettait de retenir que la rupture serait survenue en raison d'un manquement professionnel. En outre, aucun lien ne pouvait être établi entre l'intervention du 26 octobre 2015 et la récidive du décollement de rétine ainsi qu'avec la luxation de l'implant.

b.e. Le 3 avril 2020, A______ a déposé plainte pénale pour lésions corporelles graves par négligence (art. 125 al. 2 CP), faux dans les titres (art. 251 CP) et/ou faux certificat médical (art. 318 ch. 1 CP) contre la Dresse D______. Il lui reproche d'avoir, lors de l'opération du 26 octobre 2015, rompu la capsule de son œil droit et placé intentionnellement, sans l'informer, un implant devenu inadéquat, provoquant la perte de la quasi-totalité de la vision de cet œil, avec comme effet des douleurs permanentes, des grandes pertes de gain et des contraintes majeures au quotidien ainsi que d'avoir effectué une opération supplémentaire non prévue (cataracte) sans l'informer du risque de complication accru, d'avoir oublié une bulle de silicone dans l'oeil et d'avoir dissimulé, jusqu'au 16 octobre 2017, la rupture de capsule causée durant l’opération. Il a également fait valoir que des documents produits par la praticienne, ne correspondaient pas à la réalité dès lors qu'ils ne mentionnaient pas la rupture de capsule et paraissaient avoir été modifiés, raison pour laquelle il avait mandaté l'Ecole J______ pour se prononcer sur leur authenticité.

À l'appui de sa plainte, A______ a produit différents documents et rapports médicaux, soit notamment :

- le compte rendu opératoire du 26 octobre 2015 établi par la Dresse D______ décrivant l'opération à l'œil droit, soit l'ablation de silicone combinée à une chirurgie de cataracte, avec la précision que la rétine était "parfaitement à plat en fin d'intervention";

- le rapport du Dr E______ du 10 novembre 2015, selon lequel l'examen du fond de l'œil droit a mis en évidence la présence de "micro-fragment de cortex (?)" et "d'une bulle de silicone petite supérieure, papille nette, 0.2, cicatrice laser/cryo inférieure". La rétine était "bien appliquée" et l'implant "en position satisfaisante";

- le certificat médical du Dr F______ du 14 novembre 2015, faisant état dans le fond d'œil de la présence "d'une bulle de silicone dans la partie supérieure, qui se déplace ainsi que "d'un petit débris devant la macula". Selon ce médecin, "comme le patient est extrêmement gêné, il serait utile de prendre l'avis d'un spécialiste de la rétine et de voir si l'ablation de ce reste de silicone et éventuellement de ce petit morceau placé devant la rétine est possible, et dans ce cas voir quels sont les risques par rapport à une situation qui, somme toute, n'est pas si mauvaise que ça, mais le patient est extrêmement gêné";

- l'attestation de la Dresse D______ du 18 novembre 2015, mentionnant que l'opération du 26 octobre 2015 était "sans complication, hormis une bulle de silicone résiduelle gênant le patient. Les suites postopératoires ont été simples. A l'examen ophtalmologique du 3 novembre 2015, l'acuité visuelle était de 3/10 OD avec une correction optique, la rétine était parfaitement appliquée". A______ se plaignait "principalement d'une déformation des images malgré une macula anatomiquement normale à l'OCT";

- le rapport médical de la Dresse C______ du 19 septembre 2016, selon lequel A______ s'était présenté le 27 mai 2015 pour une baisse de vision de l'œil droit en raison d'un décollement rétinien sur un œil myope fort, présentant une cataracte évolutive. L'opération a été effectuée le 29 mai 2015, à la suite de laquelle la vision de l'œil droit a remonté à 1/10 avec correction. Lors du réexamen du patient au début décembre 2015 suite à une baisse de la vision du même œil, elle avait constaté que "l'œil droit a été opéré de la cataracte avec ablation du silicone. En effet, présence d'un implant de chambre postérieure légèrement décentré, la capsule postérieure est rompue avec présence de petites masses cristalliniennes enchâssées dans le sac capsulaire, de fines bulles de silicone flottent dans la chambre antérieure. Au fond d'œil décollement rétinien supérieur effleurant la macula, une petite bulle de silicone de 2 mm de diamètre est située dans la cavité vitréenne avec un fin débris d'une masse cristallinienne en regard de la macula". L'œil droit a été réopéré le 5 décembre 2015. Lors des contrôles suivants, la vision de l'œil droit est de 1/20 non améliorable avec correction;

- le rapport de consultation de la Prof. G______ du 27 juillet 2016, laquelle a constaté une "anisométropie post-opératoire non corrigible avec des lunettes, ni pour impossibilité d'adaptation avec lentille de contact. Cela est à considérer d'une possible interférence de mesuration à cause du silicone encore présent au niveau intraoculaire";

- le courrier du Dr F______ du 12 septembre 2016 destiné au médecin-conseil de K______, indiquant que le fond d'oeil montrait une lésion périphérique qui avait l'air bien traitée, avec la présence d'un "reste de membrane dans la région maculaire avec un petit morceau flottant devant la macula". A______ présentait une importante baisse d'acuité visuelle à l'œil droit ainsi que des problèmes rétiniens pouvant peut-être nécessiter une intervention supplémentaire;

- le rapport de la Dresse D______ du 7 novembre 2016, selon lequel elle a constaté, lors de l'intervention de cataracte du 26 octobre 2015, "une rupture capsulaire postérieure, peut-être initiale à la chirurgie en raison de multiples touchs cristalliniens mais sans aucune issue de vitré, le patient ayant été vitrectomisé lors de sa précédente intervention. L'implant intraoculaire est placé dans le sulcus, le plan capsulaire antérieur étant intact, et il est stable. L'ablation du silicone est ensuite effectuée. En fin d'intervention, la pupille est ronde, l'implant stable et en place dans le sulcus, la rétine est à plat". Lors de l'examen du 12 novembre 2015 à l'Hôpital L______, le patient présentait une microbulle de silicone résiduelle dans la cavité vitréenne, non responsable de son acuité visuelle faible, ni des déformations d'images dont il souffrait (métamorphopsies) et pouvait être retiré lors d'une opération ultérieure;

- le mail de la Dresse C______ du 27 novembre 2016, laquelle a formellement contesté être à l'origine de la rupture de la capsule. Lors de l'opération du 29 mai 2015, A______ avait "bénéficié d'une chirurgie de son décollement rétinien (œil droit) sans incidents peroperatoires en particulier respect de l’intégrité capsulaire". A la suite de la vitrectomie, le patient a fait part d'une amélioration de l'acuité visuelle qui a remonté à 1/10 avec correction. Il n'avait ensuite été revu qu'après ablation de l'huile de silicone et chirurgie de la cataracte réalisée par la Dresse D______;

- le rapport médical du Prof. H______ du 24 janvier 2017, mentionnant la nécessité de remplacer la lentille luxée par une lentille à fixation irienne pour tenter d'améliorer les performances visuelles faibles de l'œil droit à 1/20 avec correction;

- le compte rendu opératoire du 20 mars 2017 établi par le Prof. H______, lequel a procédé à l'ablation de la lentille luxée au moyen d'une pince;

- les observations de la Dresse D______ du 16 octobre 2017, complétées le 11 décembre 2017, selon lesquelles les "touchs cristalliniens" étaient présents avant l'intervention du 26 octobre 2015 et étaient responsables de l'avancement de la cataracte. La bulle de silicone résiduelle qui avait déjà été constatée lors de la consultation du 3 novembre 2015, avait été portée à la connaissance de A______ et n'était en rien la cause d'une baisse d'acuité visuelle. La rupture capsulaire survenue durant l'intervention ne pouvait pas être responsable de la récidive du décollement de rétine. Le patient avait été informé de la chirurgie combinée de cataracte lors de l'entretien préopératoire. Elle s'interrogeait sur une perte d'acuité visuelle par sa faute, dès lors que A______ présentait une acuité visuelle de 1/10 avant l'opération et de 3/10 ensuite. Elle n'avait eu "aucune volonté de dissimulation ou de mensonge au sujet de cette rupture capsulaire", mais "cet événement n'étant pas responsable d'une baisse d'acuité visuelle, avec un implant stable en sulcus cela n'a pas été mentionné au patient". La perte de vision de A______ était "directement imputable à sa pathologie rétinienne et au décollement de rétine qu'il a subi, et non à cette rupture capsulaire qui, dans un œil vitrectomisé, n'a aucune conséquence puisqu'aucune traction n'est plus exercée par le vitré sur la rétine";

- la décision de la Commission du 5 décembre 2019 se référant à un rapport établi le 25 août 2017 par le Dr E______, dans lequel il a notamment précisé que suite aux interventions successives, les chances d'une amélioration significative de la vision de l'œil droit paraissaient faibles et recommandait au patient "de surveiller attentivement son œil gauche, qui est maintenant un œil unique";

- l'avis de I______, responsable de recherche auprès de l'Ecole J______, du 30 janvier 2020, relevant qu'il était nécessaire d'avoir les documents originaux pour pouvoir procéder à l'expertise demandée.

b.f. Par arrêt du 29 mai 2020, la Chambre administrative de la Cour de Justice a admis le recours de A______, annulé la décision de la Commission du 5 décembre 2019 et renvoyé la cause pour instruction complémentaire et nouvelle décision. Elle a notamment retenu que la Commission aurait dû éclaircir la situation quant au degré d'urgence, l'indication de la chirurgie combinée, la chronologie des faits, en particulier s'agissant de la date de la luxation de la lentille implantée, les dates auxquelles la Dresse D______ avait mentionné pour la première fois les complications survenues pendant l'opération, après les avoir tues, et l'existence de "touchs cristalliniens", qu'elle aurait constatés lors de la première consultation. Il aurait aussi fallu déterminer les éventuelles conséquences de cette chronologie sur les autres griefs de A______, notamment l'existence d'un éventuel lien de causalité avec la rupture de capsule, la récidive du décollement rétinien et sa situation actuelle.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public considère qu'au vu des éléments médicaux, les actes reprochés à la Dresse D______ n'avaient pas altéré à long terme et de manière significative la vision de A______, puisque l'acuité visuelle était remontée après l'opération, puis encore en novembre 2017. Sans l'intervention à la cataracte, la vision de l'œil droit aurait continué à se détériorer grandement. L'absence d'information sur l'opération d'ablation de l'huile de silicone, combinée avec une opération sur la cataracte – même si elle pouvait être problématique du point de vue du respect des règles de l'art –, n'avait pas non plus causé une aggravation des facultés visuelles de A______. Il en était de même s'agissant de l'absence d'information sur la rupture capsulaire. La plainte déposée était donc tardive. Les éléments constitutifs de faux dans les titres (art. 251 CP) et/ou de faux certificat médical (art. 318 al. 1 CP) n'étaient pas réalisés, en l'absence d'altération de documents et du fait qu'ils n'ont qu'une valeur de déclaration ou d'allégué, pour avoir été établis dans une procédure dans laquelle la Dresse D______ est partie.

D. a. Dans son recours, A______ reproche essentiellement au Ministère public d'avoir établi les faits de manière inexacte ou incomplète. Son absence de consentement éclairé n'avait pas été prise en compte, ni la sanction administrative contre de la Dresse D______. Il en était de même de la dissimulation de la rupture de capsule de l'œil droit, voire de la tentative de l'imputer à la Dresse C______, et du maintien pendant deux ans dans l'ignorance de cette complication, ce qui l'avait privé de ses chances de guérison et d'une possibilité de prise en charge rapide. Le Ministère public ne pouvait sans instruction déterminer la nature des lésions subies, exclure la responsabilité de la Dresse D______ en lien avec la perte de son acuité visuelle et écarter le rapport d'expertise de l'Ecole J______ du 30 janvier 2020.

b. Invité à se déterminer, le Ministère public persiste dans les termes de son ordonnance.

c. A______ a répliqué le 10 juin 2022. Il avait découvert dans le cadre de la procédure disciplinaire que la Dresse D______ avait retenu de nombreuses informations sur sa situation médicale, lesquelles lui avaient permis de comprendre qu'elle était la seule responsable de la perte de vision de son œil droit. Malgré ses sollicitations, le Ministère public n'avait donné aucune information sur l'état de la procédure. Une instruction aurait dû être ouverte, les faits étant graves et les preuves, notamment le dossier médical, suffisantes.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), pour concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant reproche au Procureur de n'être pas entré en matière sur sa plainte du 3 avril 2020.

2.1. Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Selon la jurisprudence, cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore" (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1456/2017 du 14 mai 2018 consid. 4.1 et les références citées). Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2 p. 91) et signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 p. 243; 138 IV 86 consid. 4.1.2 p. 91 et les références citées).

2.2.1. Aux termes de l'art. 125 CP, celui qui, par négligence, aura fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé sera, sur plainte, puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire (al. 1). Si la lésion est grave, le délinquant sera poursuivi d'office (al. 2).

2.2.2. Selon l'art. 12 al. 3 CP, il y a négligence si, par une imprévoyance coupable, l'auteur a agi sans se rendre compte ou sans tenir compte des conséquences de son acte. L'imprévoyance est coupable quand l'auteur n'a pas usé des précautions commandées par les circonstances et par sa situation personnelle.

2.2.3. L'art. 318 al. 1 CP punit les médecins, les dentistes, les vétérinaires et les sages-femmes qui auront intentionnellement dressé un certificat contraire à la vérité, alors que ce certificat était destiné à être produit à l'autorité ou à procurer un avantage illicite, ou qu'il était de nature à léser les intérêts légitimes et importants de tierces personnes.

Au-delà du certificat médical au sens propre du terme, sont également considérés comme tels, outre les certificats sanitaires de capacité de travail, les actes de naissance et les certificats de décès, ainsi que les certificats de vaccination ou les rapports médico-légaux relatifs notamment au taux d'alcoolémie ou à la vérification des conditions d'aptitude à la conduite. Les ordonnances sont également considérées comme des certificats médicaux. Le dossier clinique en tant que tel n'est en revanche pas considéré comme un certificat au sens de cette norme, mais bien comme un titre conformément à l'art. 251 CP (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111- 392 CP, Bâle 2017, n.5 ad art. 318).

2.2.4. Se rend coupable de faux dans les titres, celui qui, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d'autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, aura créé un titre faux, falsifié un titre, abusé de la signature ou de la marque à mains réelles d'autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constaté ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique, ou aura, pour tromper autrui, fait usage d'un tel titre (art.  251 ch. 1  CP).

Seuls les documents destinés et propres à prouver un fait ayant une portée juridique sont des titres. Le dossier médical pourrait avoir une crédibilité accrue, selon les prescriptions de la législation cantonale à son sujet (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2017, n. 6 et 67 ad art. 251). Le médecin a l’obligation de tenir un dossier dans les règles de l’art. Le dossier doit faire état des examens, des traitements et des réflexions du médecin, afin d’assurer la sécurité du patient et la transparence – notamment en cas de discussion concernant une erreur thérapeutique, de comprendre l’historique du traitement – (Académie Suisse des Sciences Médicales et la Fédération des médecins suisses, Base juridiques pour le quotidien du médecin, 2ème éd., Bâle 2013, n. 4.5.).

Sur le plan subjectif, le faux dans les titres est une infraction intentionnelle. L'intention doit porter sur tous les éléments constitutifs. Le dol éventuel suffit (ATF 141 IV 369 consid. 7.4). Ainsi, l'auteur doit être conscient que le document est un titre. Il doit savoir que le contenu ne correspond pas à la vérité. Enfin, il doit avoir voulu (faire) utiliser le titre en le faisant passer pour véridique, ce qui présuppose l'intention de tromper (ATF 135 IV 12 consid. 2.2). L'art. 251 CP exige de surcroît un dessein spécial, qui peut se présenter sous deux formes alternatives, soit le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d'autrui ou le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite (ATF 138 IV 130 consid. 3.2.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_736/2016 du 9 juin 2017 consid. 2.1). L'auteur doit vouloir utiliser le titre en le faisant passer pour véridique dans les relations juridiques, ce qui présuppose l'intention de tromper. L'avantage recherché, respectivement l'atteinte, doit précisément résulter de l'usage du titre faux, respectivement mensonger (ATF 141 IV 369 consid. 7.4; 138 IV 130 consid. 3.2.4; arrêt du Tribunal fédéral 6B_496/2017 du 24 janvier 2018 consid. 2.2). Celui qui veut obtenir une prétention légitime ou éviter un inconvénient injustifié au moyen d'un titre faux est également punissable (ATF 128 IV 265 consid. 2.2; arrêts du Tribunal fédéral 6B_891/2018 du 31 octobre 2018 consid. 3.5.1 ; 6B_116/2017 du 9 juin 2017 consid. 2.2.3). L'illicéité peut donc être déduite du seul fait que l'auteur recourt à un faux (arrêts du Tribunal fédéral 6B_441/2016 du 29 mars 2017 consid. 6.2 ; 6B_367/2007 du 10 octobre 2007 consid. 4.4 non publié in ATF 133 IV 303).

2.3. En l'espèce, il n'est pas contesté que le recourant souffre d'une perte d'acuité visuelle importante de l'œil droit. Seule est litigieuse la question de la qualification juridique de ces lésions corporelles en lien avec l'intervention du 26 octobre 2015. Le recourant fait valoir depuis lors une perte presque complète et irréversible de la vision de l'œil droit, l'œil gauche étant devenu un œil unique. Les éléments du dossier médical montrent que suite à l'opération pratiquée par la mise en cause, le recourant était gêné par un reste de membrane devant la macula et que sa faible acuité visuelle n'était pas corrigible avec des lunettes ou des lentilles. Il a dû subir ensuite deux autres opérations. La situation médicale est à l'évidence complexe et, en l'état du dossier – lequel ne comprend pas le complément d'instruction requis par la Chambre administrative –, il n'est pas possible de déterminer si la baisse d'acuité visuelle s'explique par une situation préexistante, notamment en raison du décollement de rétine ou la présence de "touchs cristalliniens", ou si elle est en lien avec les actes reprochés à la mise en cause, soit la rupture capsulaire communiquée tardivement, la pose de l'implant qui a ensuite dû être remplacé ou encore avec la récidive du décollement de rétine.

Dans ce contexte, le Ministère public ne peut pas être suivi lorsqu'il écarte d'emblée la qualification de lésions corporelles graves, lesquelles sont poursuivies d'office, au motif que les éventuels manquements de la mise en cause auraient seulement aggravé une situation ophtalmologique préexistante.

S'agissant du faux dans les certificats et/ou du faux dans les titres, le recourant met en doute l'authenticité du compte rendu opératoire de la mise en cause du 26 octobre 2015 et de son rapport du 7 novembre 2016, au vu des différences de contenu entre les copies d'un même document, des différences d'impression et de la présence ou l'absence de signature. Ces éléments qui font partie du dossier médical du recourant doivent être considérés comme des titres au sens de l’art. 251 CP.

En l'absence des documents litigieux originaux, il n'est pas possible d'affirmer que ceux-ci auraient été modifiés, ce que relève du reste l'expertise privée produite par le recourant. Ceci étant, il n'en subsiste pas moins des différences entre les copies desdits documents. Pour ce seul motif déjà, un doute doit être retenu quant à l'établissement de ces documents produits dans le cadre de la procédure administrative qu'il appartient au Ministère public de lever.

Les faits décrits par le recourant pouvant ainsi être constitutifs de lésions corporelles graves par négligence et de faux dans les titres, il existe une prévention pénale suffisante justifiant l'ouverture d'une instruction.

3.             Fondé, le recours doit être admis; partant, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP). Les sûretés versées par le recourant lui seront donc restituées.

5.             Le recourant ne sollicite pas d'indemnité, de sorte qu'il n'y a pas lieu de lui en allouer (art. 433 al. 1 et 2 CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance querellée et renvoie la cause au Ministère public pour l'ouverture d'une instruction.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer les sûretés (CHF 1'000.-) au recourant.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).