Skip to main content

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/10832/2022

ACPR/656/2022 du 26.09.2022 sur ONMMP/1868/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : SOUPÇON;CHOSE CONFIÉE;ACOMPTE;MAÎTRE DE L'OUVRAGE;CONTRAT D'ENTREPRISE
Normes : CPP.310

 

République et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10832/2022 ACPR/656/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 26 septembre 2022

 

Entre

A______ S.A., domiciliée ______[GE], comparant par Me  B______, avocat, ______,

recourante

 

contre la décision de non-entrée en matière rendue le 2 juin 2022 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - Case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé

 


EN FAIT :

A.           a. Par acte expédié le 14 juin 2022, A______ S.A. recourt contre la décision du 2 précédent, communiquée sous pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 12 mai 2022.

La recourante conclut à l'annulation de cette décision et à la poursuite de l'instruction par diverses investigations, qu'elle énumère.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'800.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a.             Dans sa plainte pénale, dirigée contre tous les administrateurs, anciens ou actuels, de l'entreprise générale C______ S.A. (aujourd'hui D______ S.A.), ainsi que contre l'architecte "responsable MPQ" employée par celle-ci, A______ S.A. se plaint, en bref, que son projet de construction d'appartements sur une parcelle qu'elle détient à E______ [GE] ait été interrompu, en 2021, nonobstant l'exécution de toutes ses obligations contractuelles de paiement, et que l'argent versé ait "disparu".

Des retards étaient apparus chez l'entreprise adjudicataire de travaux de gros œuvre, au point que C______ S.A. avait résilié son contrat avec celle-ci. Le sous-traitant avait objecté n'avoir pas été payé, puis avait agi en inscription provisoire d'une hypothèque légale [inscription qui sera autorisée en avril 2022]. Un fournisseur dudit sous-traitant avait aussi requis pareille mesure [à laquelle il renoncera en février 2022, après avoir été payé par C______ S.A.]. L'entreprise ayant pour succédé au sous-traitant avait réclamé un acompte de CHF 150'000.-, que A______ S.A. avait dû acquitter directement, au mois de février 2022, pour éviter l'inscription d'une nouvelle hypothèque légale.

Dans l'intervalle, par un avenant au contrat, C______ S.A. avait accepté un autre échéancier pour les paiements contractuels dus par le maître de l'ouvrage, et s'était aussi engagée à fournir à celui-ci tous les justificatifs de ses paiements en faveur des sous-traitants, mais n'en avait jamais rien fait.

Des constats d'huissier et des avis d'expert avaient montré une multitude de malfaçons en l'état du chantier. Au 11 octobre 2021, les travaux accomplis valaient quelque CHF 400'000.-, alors qu'à la même date, A______ S.A. avait versé près de CHF 1'650'000.- à C______ S.A. En dépit de ce "trop-perçu", celle-ci n'avait pas rémunéré ses sous-traitants, dont ceux susmentionnés.

Compte tenu d'un dernier paiement, en février 2022, A______ S.A. lui avait versé une somme totale de près de CHF 2 millions, qui avait "disparu".

Depuis lors, C______ S.A. avait licencié son personnel et changé de nom; elle croulerait sous les dettes; et le nouvel administrateur unique semblait résolu à ne pas poursuivre le chantier ni à régler les dettes envers les sous-traitants.

À raison de ces faits, les anciens administrateurs de C______ S.A. s'étaient rendus coupables d'abus de confiance, d'escroquerie, d'atteinte astucieuse aux intérêts pécuniaires d'autrui, de gestion déloyale et de gestion fautive.

b.             A______ S.A. a joint à sa plainte soixante et une pièces, parmi lesquelles le contrat d'entreprise générale, les quittances de ses paiements, les échanges de correspondance avec les divers intervenants, des rapports sur l'état du chantier.

b.a. Selon le contrat d'entreprise générale signé le 15 septembre 2020 (pièce n° 8), C______ S.A. s'engageait principalement à livrer à A______ S.A., clés en mains et à forfait, quinze logements, pour quelque CHF 5,5 millions. C______ S.A. conclurait en son propre nom tout contrat avec les sous-traitants, sur lesquels A______ S.A. ne jouirait d'aucun droit de proposition ni de codécision. Des acomptes, de montants variables, seraient dus par A______ S.A. en fonction de la progression du chantier et payables sur un compte ouvert par celle-ci à son nom. Ce compte ne pourrait être utilisé, "conformément aux engagements entre la banque et l'entreprise générale", que dans le cadre de la construction convenue, notamment pour les paiements des factures des sous-traitants et de l'entreprise générale (art. 4.4); ces paiements s'effectueraient "directement au crédit du compte miroir [de l'entreprise générale]" (art. 5.1).

b.b. Il ressort de l'un des rapports susmentionnés ("audit sommaire du 11 octobre 2021", pièce n° 39) que le contrat passé s'apparenterait à un contrat d'entreprise totale. L'échéancier des paiements dus par A______ S.A. assurait à C______ S.A., dès la fin du gros-œuvre, 75 % du montant total contractuellement dû, alors qu'un échelonnement articulé "par CFC" [Code des frais de construction, norme de structuration des coûts selon la catégorie des travaux, cf. www.crb.ch/fr/Normen-Standards/Baukostenplaene/BKP.html] eût ramené cette proportion à 30 % seulement pour la phase considérée. Le gros œuvre concrètement réalisé à la date de l'audit est estimé à moins de 10 % sur le chantier. L'établissement d'un nouvel échéancier était recommandé.

b.c. Le 29 septembre 2020, le sous-traitant s'était vu adjuger ces travaux d'une valeur de près de CHF 1,67 million (pièce n° 9) et, après la résiliation de son contrat, le 23 août 2021 (pièce n° 24), il a fixé à CHF 673'235.- le total des acomptes reçus de C______ S.A. (pièce n° 26).

b.d. Durant cette période, A______ S.A. a versé à C______ S.A. les quatre tranches prévues dans le contrat d'entreprise générale, soit près de CHF 1,5 million (pièces n°s 10, 11, 14, 22 et 48b). Le dernier acompte demandé par le sous-traitant chargé du gros œuvre, soit CHF 230'000.- (pièce n° 21), a été porté en diminution de la prochaine tranche qu'A______ S.A. devrait à C______ S.A. (cf. pièce n° 32).

c.              Sans autre investigation, le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière. L'argent versé à C______ S.A. n'était pas confié, au sens de l'art. 138 CP, dès lors qu'aucune instruction particulière sur sa destination n'avait été donnée lors du paiement de chacune des échéances convenues. Rien ne laissait soupçonner qu'à la conclusion du contrat, les administrateurs de C______ S.A. avaient l'intention de ne pas l'exécuter; autre était la question de savoir si cette exécution avait été correcte. Aucune astuce, au sens des art. 146 et 151 CP, ne pouvait être retenue. A______ S.A. n'expliquait pas en quoi elle aurait été victime de gestion déloyale (art. 158 CP), de gestion fautive (art. 165 CP) ou de "faux renseignements sur des entreprises commerciales (art. 152 CP)".

C.           a. À l'appui de son recours, A______ S.A. invoque une violation du principe in dubio pro duriore.

Le contrat d'entreprise générale prévoyait expressément que le prix de l'ouvrage devait être crédité sur un compte exclusivement destiné à cette fin, à réception d'une garantie écrite des corps de métier et sous-traitants selon laquelle que les acomptes convenus [leur] avaient été versés. Dans ce sens, l'argent avait bien été confié à C______ S.A. en vue d'une affectation ultérieure précise.

C______ S.A. n'avait jamais remis les preuves de ce qu'elle réglait aux sous-traitants, alors qu'elle continuait de recevoir les acomptes du maître de l'ouvrage selon le nouvel échéancier. Elle s'était adjoint pour administrateur celui qui n'était jusque-là que son "conseil", dans le but de préserver un lien de confiance et de pouvoir utiliser l'argent reçu à d'autres fins, le cas échéant à des fins d'enrichissement illégitime.

Sous l'angle de l'art. 152 CP, C______ S.A. n'avait pas évoqué ses problèmes financiers lors des discussions sur le rééchelonnement des échéances de paiement en sa faveur. Si tel avait été le cas, A______ S.A. eût payé directement les sous-traitants.

Tous ces éléments montraient aussi un soupçon suffisant de gestion déloyale et de gestion fautive. "Plus grave encore", C______ S.A. avait changé de raison sociale et se trouvait en main d'un liquidateur.

b. Le Ministère public déclare s'en tenir à sa décision. Le litige était civil. Les mis en cause n'avaient pas cherché à s'approprier illicitement des fonds. D______ n'avait pas été liquidée et semblait toujours active.

c. A______ S.A. réplique que D______ n'avait plus d'administrateur depuis juillet 2022. Lorsque D______ s'appelait encore C______, les administrateurs de l'époque l'avaient quittée dès les premières réquisitions d'hypothèque légale et avaient orchestré le changement de raison sociale pour ne plus avoir à payer ses créanciers.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 310 al. 2, 322 al. 2 et 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la partie plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             À titre liminaire, on chercherait en vain, y compris dans la plainte pénale, un grief précis d'une infraction qu'aurait commise l'architecte initialement visée, sauf à lui faire grief de n'avoir pas transmis tout le dossier et les plans en sa possession. Toutes les critiques de la recourante se concentrent, en réalité, sur les administrateurs de l'entreprise générale, comme le montrent les développements dans la partie en droit de l'acte de recours. Aussi cette architecte doit-elle être mise d'emblée hors de cause.

3.             La recourante estime que le Ministère public a pris sa décision en violation du principe in dubio pro duriore.

Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage in dubio pro duriore. Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et art. 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 al. 1 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et signifie qu'en principe un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies (ATF 146 IV 68 consid. 2.1). Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1.2).

4.             Faute de faillite de l'entreprise mise en cause, la prévention de gestion fautive (art. 165 CP) peut être écartée d'emblée, en l'état, quand bien même la recourante affirme que la société serait percluse de dettes et que le dernier administrateur en place cherchait à la liquider. La faillite est, en effet, une condition objective de punissabilité de l'infraction considérée (arrêt du Tribunal fédéral 6B_829/2019 du 21 octobre 2019 consid. 2.3.).

5.             Bien que le texte de la plainte pénale n'ait jamais comporté de référence, même implicite, à l'art. 152 CP, le Ministère public s'est prononcé sur cette infraction, que la recourante reprend à son compte dans son acte de recours.

Le comportement typique de l'infraction consiste à renseigner fallacieusement le public ou un cercle de personnes dont la recourante ne fait manifestement pas partie.

Le grief est infondé.

6.             La recourante s'estime victime d'abus de confiance, voire d'escroquerie et de gestion déloyale.

6.1.       Selon l'art. 138 ch. 1 al. 1 CP, commet un abus de confiance celui qui, pour se procurer ou procurer à un tiers un enrichissement illégitime, se sera approprié une chose mobilière appartenant à autrui et qui lui avait été confiée. S'agissant du transfert d'une somme d'argent, on peut concevoir deux hypothèses : soit les fonds sont confiés à l'auteur par celui qui les lui remet, soit les fonds sont confiés par celui en faveur duquel l'auteur les encaisse. Pour que l'on puisse parler d'une somme confiée, il faut cependant que l'auteur agisse comme auxiliaire du paiement ou de l'encaissement, en tant que représentant direct ou indirect, notamment comme employé d'une entreprise, organe d'une personne morale ou fiduciaire. Cette condition n'est pas remplie lorsque l'auteur reçoit l'argent pour lui-même, en contrepartie d'une prestation qu'il a fournie pour son propre compte, même s'il doit ensuite verser une somme équivalente sur la base d'un rapport juridique distinct. L'inexécution de l'obligation de reverser une somme ne suffit pas à elle seule pour constituer un abus de confiance (ATF 118 IV 239 consid. 2b, spéc. p. 241 s. et les références citées). Les contrats synallagmatiques ne font naître en principe que des prétentions à une contre-prestation, et non une obligation de conservation. Il n'y a ainsi pas de valeur confiée lorsqu'une partie à un contrat reçoit de l'argent pour son propre compte, en contre-partie d'une prestation qu'elle doit elle-même fournir (ATF 133 IV 21 consid. 7.2 p. 30 s, arrêt du Tribunal fédéral 6B_312/2009 du 17 juillet 2009). Une chose obtenue par l'auteur à la faveur d'une tromperie ne lui est en règle générale pas confiée. Il en va en revanche différemment lorsque cette tromperie a précisément eu pour but que la victime confie ce bien à l'auteur (ATF 133 IV 21 consid. 6.2 p. 29, 117 IV 429 consid. 3c p. 436).

6.2.       Celui qui promet une prestation sans avoir l'intention de l'exécuter agit astucieusement, au sens de l'art. 146 CP, parce qu'en promettant, il donne le change sur ses véritables intentions, ce que sa victime est dans l'impossibilité de vérifier (ATF 118 IV 359 consid. 2 p. 360 s.). Une tromperie sur la volonté affichée n'est cependant pas astucieuse dans tous les cas, mais seulement lorsque l'examen de la solvabilité n'est pas exigible ou est impossible et qu'il ne peut par conséquent être tiré aucune conclusion quant à la volonté de l'auteur de s'exécuter (ATF 125 IV 124 consid. 3a). La jurisprudence vise notamment les cas d'opérations courantes de faible valeur, pour lesquelles une vérification entraînerait des frais ou une perte de temps disproportionnée ou ne peut être exigée pour des raisons commerciales (arrêts du Tribunal fédéral 6B_501/2014 du 27 octobre 2014 consid. 2.1; 6B_783/2009 du 12 janvier 2010 consid. 3.1).

6.3.       L'art. 158 CP punit celui qui, en vertu de la loi, d'un mandat officiel ou d'un acte juridique, est tenu de gérer les intérêts pécuniaires d'autrui ou de veiller sur leur gestion et qui, en violation de ses devoirs, aura porté atteinte à ces intérêts ou aura permis qu'ils soient lésés (ch. 1 al. 1). Revêt la qualité de gérant celui à qui il incombe, de fait ou formellement, la responsabilité d'administrer un complexe patrimonial non négligeable dans l'intérêt d'autrui (ATF 142 IV 346 consid. 3.2 p. 350; 129 IV 124 consid. 3.1 p. 126). La qualité de gérant suppose un degré d'indépendance suffisant et un pouvoir de disposition autonome sur les biens administrés. Ce pouvoir peut aussi bien se manifester par la passation d'actes juridiques que par la défense, au plan interne, d'intérêts patrimoniaux, ou encore par des actes matériels, l'essentiel étant que le gérant se trouve au bénéfice d'un pouvoir de disposition autonome sur tout ou partie des intérêts pécuniaires d'autrui, sur les moyens de production ou le personnel d'une entreprise (ATF 142 IV 346 consid. 3.2 p. 350; 123 IV 17 consid. 3b p. 21).

6.4.       Selon la jurisprudence, l'entrepreneur général s'engage à l'égard du maître à réaliser la totalité d'un ouvrage ou d'une partie d'ouvrage en prenant la place des différents entrepreneurs partiels qui sont chargés de prestations spécifiques; l'entrepreneur total est chargé pour sa part, en plus des tâches de l'entrepreneur général, de l'établissement des études de projets et des plans (ATF 114 II 53 consid. 2a p. 54 s.). D'après la jurisprudence, si le propriétaire du bien-fonds considéré s'est entièrement acquitté de sa dette envers l'entrepreneur général, seul s'éteint le droit de celui-ci de requérir l'inscription d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs, le sous-traitant conservant la faculté de requérir cette garantie réelle tant que l'entrepreneur général ne l'a pas désintéressé (ATF 105 II 264 consid. 2 p. 267; 104 II 348 consid. III/3a; 95 II 87 consid. 3 p. 90). Au cas où l'entrepreneur général ne s'acquitte pas de son obligation de rémunérer le sous-traitant, le propriétaire risque d'être contraint de devoir payer une seconde fois la facture dudit sous-traitant dont les prestations étaient pourtant comprises dans le prix versé à l'entrepreneur général (ATF 111 III 8 consid. 3b p. 11; 104 II 348 consid. III/3a; 95 II 87 consid. 4 p. 90 à 92).

6.5.       À la lumière de ces principes, la recourante n'a pas chargé C______ S.A. de gérer tout ou partie de son patrimoine, mais de réaliser et de livrer des appartements en choisissant pour elle les sous-traitants de son choix. Un contrat tel que celui-ci, d'entreprise au sens des art. 363 ss. CO, ne s'assimile pas à un mandat de gestion de fortune, par exemple, qui confère typiquement à celui qui s'en charge la qualité de gérant au sens de l'art. 158 CP (cf. ATF 120 IV 190 consid. 2b p. 192).

La recourante s'en est remise de façon discrétionnaire à C______ S.A., n'ayant aucun droit de regard sur le choix des sous-traitants par celle-ci et s'étant uniquement engagée à lui payer des acomptes successifs sur un compte bancaire qu'elle ouvrirait à cette fin. À cet égard, le contrat prévoit expressément, en son art. 4.4, que ce compte ne pourra être utilisé, "conformément aux engagements entre la banque et l'entreprise générale", que dans le cadre de la construction convenue, pour les paiements des factures des sous-traitants. Par ailleurs, le contrat prévoit aussi expressément que ces paiements s'effectueraient "directement" sur un compte "miroir" de l'entreprise générale.

La clause stipulée à l'art. 4.4 exprime un engagement d'affectation, pris par l'entreprise générale envers la recourante.

Or, les allégués et pièces du dossier ne sont pas dénués d'indices selon lesquels les acomptes versés par celle-ci pourraient avoir connu une autre fin que le paiement des sous-traitants et avoir été détournés sous la forme de possibles abus de confiance (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_417/2019 du 13 septembre 2019 consid. 2.4.).

La première doléance (selon dossier) de l'un des sous-traitants remonte au mois de mai 2021. À cette époque, la recourante avait payé trois tranches d'acomptes à C______ S.A. Si l'on garde à l'esprit que, selon le rapport d'audit qu'elle produit, ces tranches n'étaient pas directement proportionnelles à la progression des travaux, pour être fondées sur une structuration qui diffère du CFC, et que le sous-traitant considéré réclamait à la date susmentionnée un acompte de CHF 230'000.- à l'entreprise générale, celle-ci paraît, ainsi, avoir eu à sa disposition des fonds fournis par la recourante – c'est-à-dire le financement destiné au chantier – pour un montant supérieur à celui qui lui était réclamé par ledit sous-traitant, même sous imputation des paiements déjà reçus par celui-ci.

C'est si vrai qu'à la date de la facture du sous-traitant, le 10 août 2021, la recourante, ayant payé un acompte supplémentaire dans l'intervalle, semble même avoir versé à C______ S.A. la quasi-totalité du montant des travaux adjugés à ce sous-traitant.

Il n'apparaît pas que d'autres travaux étaient simultanément en cours. Ainsi, l'avenant, postérieur d'un mois à la facture précitée, consacre une disposition spécifique aux CHF 230'000.- susmentionnés, mais se contente de réserver toute éventuelle demande d'autres sous-traitants.

Sous l'angle du soupçon suffisant d'abus de confiance, le cas échéant répétés, il est sans pertinence que la recourante eût honoré chacune des échéances dont elle-même était débitrice. Le contrat passé avec C______ S.A. ne paraît pas stipuler que la recourante dût préalablement avoir connaissance des factures mêmes des sous-traitants; cette condition sera introduite ultérieurement par l'avenant, et la recourante affirme qu'elle est restée lettre morte.

6.6.       On ne saurait cependant retenir que C______ S.A. a astucieusement trompé la recourante sur sa volonté d'exécuter ses obligations contractuelles. Preuve en soit que le chantier convenu a commencé et que C______ S.A. a substitué une autre entreprise au sous-traitant répudié. On ne voit pas quelle "astuce" révélerait l'arrivée, au conseil d'administration de C______ S.A., du tiers mandataire que celle-ci s'était choisie dans un premier temps : sur le plan externe, le rapport de représentation de l'entreprise générale ne s'est pas modifié au détriment de la recourante, et il ne la "confortait" donc dans aucune erreur; il n'était pas davantage destiné à susciter abusivement le paiement d'acomptes, qui restaient dus car contractuellement fixés.

Il en va de même du changement de raison sociale en D______ S.A., qui ne libérait pas pour autant celle-ci de ses obligations antérieures, ou du rééchelonnement des acomptes, rééchelonnement qui est issu d'une suggestion émise dans l'audit même demandé par la recourante. Aucun de ces faits n'a déterminé cette dernière à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires. Enfin, on ne voit pas au nom de quoi C______ S.A. eût dû spontanément la renseigner sur sa situation financière.

7.             En résumé, sans vérification des mouvements sur le compte approvisionné par la recourante et, surtout, sur le compte "miroir" de l'entreprise générale, il n'est pas possible, en l'état, de résumer le litige à une pure inexécution contractuelle, qui relèverait comme telle exclusivement du droit civil. Cette constatation scelle le sort du recours.

8.             La décision attaquée sera annulée, et la cause renvoyée au Ministère public pour qu'il procède conformément à l'art. 300 CPP, dans le sens des considérants.

9.             La recourante, qui a gain de cause, n'assumera pas de frais.

10.         Elle a conclu à une indemnité de dépens, qu'elle a chiffrée à CHF 4'308.- TTC, représentant six heures de rédaction et deux heures de confection du chargé de pièces. Dans la mesure où plainte et acte de recours se confondent largement, celui-ci reprenant celle-là, tout comme les chargés produits à l'appui de chacune de ces écritures, les durées revendiquées sont excessives. Ramenée équitablement à quatre heures d'activité, l'indemnité sera calculée au tarif demandé, soit CHF 400.-/h.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Admet le recours, annule la décision attaquée et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il reprenne la procédure préliminaire, au sens des considérants.

Laisse les frais à la charge de l'État.

Invite les Services financiers à restituer à la recourante les sûretés qu'elle a versées, en CHF 1'800.-.

Alloue à A______ S.A. une indemnité de CHF 1'600.- (plus TVA, 7,7 %), à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à la recourante (soit, pour elle, son conseil) et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

Voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).