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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/10416/2023

AARP/27/2025 du 16.01.2025 sur JTDP/464/2024 ( PENAL ) , PARTIELMNT ADMIS

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10416/2023 AARP/27/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 16 janvier 2025

 

Entre

A______, actuellement détenu dans le cadre d'une autre cause à la Prison de B______, ______, comparant par Me C______, avocat,

appelant,

 

contre le jugement JTDP/464/2024 rendu le 22 avril 2024 par le Tribunal de police,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a.a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 22 avril 2024, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnu coupable de rupture de ban et d'infraction à l'art. 119 al. 1 de la Loi fédérale sur les étrangers et l'intégration (LEI) et condamné à une peine privative de liberté de sept mois, sous déduction de deux jours de détention avant jugement, frais de procédure à sa charge.

a.b. A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant, principalement, à son acquittement, subsidiairement à une exemption de peine et, encore plus subsidiairement, au prononcé d'une peine pécuniaire.

a.c. Le Ministère public (MP) conclut au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris.

b. Selon l'ordonnance pénale du 15 mai 2023, il est reproché à A______ de s'être trouvé sur le territoire de la Ville de Genève le 13 mai 2023 à 22h15, alors qu'il faisait l'objet d'une mesure d'interdiction de quitter la commune de D______ [GE], décision valable du 24 janvier 2022 au 23 janvier 2025, dûment notifiée le 24 janvier 2022, ainsi que d'une mesure d'expulsion du territoire suisse pour une durée de cinq ans prononcée le 17 octobre 2019 par le TP.

B. Les faits suivants, encore pertinents au stade de l'appel, ressortent de la procédure :

a.a. Par jugement JTDP/1460/2019 du 17 octobre 2019, le TP a prononcé l'expulsion de A______ comme décrit supra (cf. A.b.), son délai de départ ayant été fixé au 29 octobre 2020 (cf. données système d'information central sur la migration [SYMIC]).

a.b. Le 2 novembre 2020, l'Office cantonal de la population et des migrations (OCPM) a formulé une demande d'inscription de l'expulsion au système de recherches informatisées de police (RIPOL) indiquant que l'exécution de l'expulsion n'était pas matériellement réalisable, dès lors que A______ était parti sans rendre sa carte d'annonce et était présumé disparu.

b. Par décision du 24 janvier 2022, A______ a été interdit de quitter le territoire de la commune de D______ du 24 janvier 2022 au 23 janvier 2025 en application de l'art. 74 al. 1 let. a (trouble et menace pour la sécurité et l'ordre publics) et let. b LEI. Il n'a pas contesté cette décision qui est entrée en force.

c. Le 13 mai 2023, à 22h15, la Centrale d'engagement, de coordination et d'alarme (CECAL) a demandé l'intervention d'une patrouille de police au boulevard 1______ no. ______, [code postal] Genève à la suite d'une altercation entre E______ et A______. Les deux hommes ont été interpellés sur place par la police.

d.a. Entendu par la police A______ a d'abord refusé de répondre aux questions. Il a ultérieurement expliqué s'être rendu dans la soirée du 13 mai 2023 à une pharmacie à F______ pour s'acheter des médicaments, mais que le magasin était fermé. Sur le chemin du retour, il avait croisé son ami, E______, lequel était rentré chez lui à la suite d'un différend avec deux tiers qui lui réclamaient CHF 100.-. Lui-même s'était rendu chez son ami et avait frappé à la porte. Ce dernier avait ouvert et lui avait asséné un coup sur la tête, ce qui l'avait fait fuir à l'étage supérieur et demander aux voisins d'appeler la police. Il connaissait l'existence des décisions citées dans l'ordonnance pénale (cf. supra A.b.). Il n'avait pas quitté le territoire car il bénéficiait d'un certificat médical pour une durée d'une année en raison de troubles psychiatriques et suivait un traitement, ce qui l'empêchait de partir.

d.b. Devant le MP, il a admis les faits reprochés et requis le prononcé d'une peine pécuniaire, dont il pouvait s'acquitter en demandant de l'aide à la mosquée.

d.c. Lors des débats de première instance, il a indiqué ne pas avoir eu connaissance des décisions précitées, dans la mesure où il s'était trouvé en prison lors de leur notification.

e. Entendu par la police, E______ expliqué, en substance, avoir assené un coup à la tête de A______ car celui-ci avait essayé de s'introduire de force chez lui en prétextant qu'il lui devait CHF 50.-.

C. a. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite (avec l'accord des parties (art. 406 al. 2 du Code de procédure pénale [CPP]).

b.a. Selon son mémoire d'appel, A______ persiste dans ses conclusions.

Il s'était rendu sur le territoire de la Ville de Genève pour aller à la pharmacie. Il avait lui-même sollicité l'aide de la police. Dès lors, l'élément subjectif des deux infractions faisait défaut, faute de volonté délictuelle. Si par impossible, il fallait retenir l'inverse, les conséquences de son comportement étaient nulles, de sorte qu'il devait bénéficier d'une exemption de peine. Si une peine était tout de même prononcée, elle devait être de nature pécuniaire, sauf à risquer d'aggraver son état de santé mentale et anéantir tous ses espoirs de reconversion professionnelle.

b.b. L'appelant produit deux attestations médicales établies les 18 et 19 avril 2024 par un infirmier indépendant et un médecin, dont il ressort qu'il souffre de troubles psychiatriques importants (trouble de la personnalité sévère avec des traits borderline et dyssociaux caractérisé par un déficit de l'interaction sociale et de la communication ainsi que d'un répertoire restreint des centres d'intérêts et une dépendance à l'alcool) avec des épisodes d'angoisse et de dépression accompagnés d'idées suicidaires et de passages à l'acte auto-agressifs. Les deux professionnels s'accordaient à dire qu'il était important pour la santé du patient qu'il ne soit pas assigné à un périmètre déterminé et qu'il maintienne des contacts sociaux, sauf à risquer d'engendrer des conséquences irréversibles sur ses troubles.

D. a. A______ est né le ______ 1980 en Algérie, pays dont il est originaire. Sans formation, il a travaillé sporadiquement dans son pays d'origine.

Il a quitté l'Algérie pour la Suisse en 2000. Il est célibataire, sans enfant et sans domicile fixe. Il n'a pas de revenu.

Il affirme, sous la plume de son conseil, avoir découvert une passion pour la boulangerie lors de ses séjours en détention et souhaiter persister dans cette voie si des opportunités professionnelles s'offraient à lui à sa libération.

b. Selon l'extrait de son casier judiciaire suisse, A______ a été condamné à 20 reprises entre 2009 et 2024, soit :

- le 2 mars 2009, par la Cour d'assises de Genève, à une peine privative de liberté de six ans pour viol commis avec cruauté ;

- le 20 septembre 2011, par le TP, à une peine privative de liberté de cinq mois ainsi qu'à une amende pour dommages à la propriété, vol simple et contravention à la Loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes (LStup) ;

- le 23 décembre 2011, par le MP, à une peine privative de liberté de quatre mois ainsi qu'à une amende pour dommages à la propriété, vol simple, séjour illégal et contravention à la LStup ;

- les 6 novembre 2013, 13 décembre 2013, 9 février 2016 et 19 février 2016, par le MP à des peines privatives de liberté allant de 26 à 60 jours pour non-respect de l'art. 119 al. 1 de la Loi fédérale sur les étrangers (LEtr) ;

- le 15 juin 2016, par le TP, à une peine privative de liberté de cinq mois pour tentative de vol simple, vol simple, dommages à la propriété, violation de l'art. 119 al. 1 LEtr ;

- le 24 novembre 2017, par la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR), à une peine privative de liberté de 90 jours pour tentative de vol simple, vol simple, dommages à la propriété, son expulsion ayant été ordonnée pour une durée de cinq ans ;

- le 8 mars 2018, par le TP, à une peine privative de liberté de deux ans, peine complémentaire à celle fixée par la CPAR le 24 novembre 2017, pour tentative de meurtre et violation de l'art. 119 al. 1 LEtr, son expulsion ayant été ordonnée pour une durée de sept ans ;

- le 15 mai 2018, par le MP, à une peine privative de liberté de 180 jours (peine complémentaire aux deux jugement précités), pour tentative de violence ou menace contre les autorités ou les fonctionnaires et violence ou menace contre les autorités ou les fonctionnaires ;

- le 17 octobre 2019, par le TP, à une peine privative de liberté de huit mois et à une amende pour vol simple, dommages à la propriété, rupture de ban et contravention à la LStup, son expulsion ayant été ordonnée pour une durée de cinq ans ;

- le 9 septembre 2020, par le TP, à une peine privative de liberté de quatre mois pour tentative de vol simple et rupture de ban ;

- les 22 décembre 2020 et 14 mai 2021, par le TP et le MP, à une peine privative de liberté de quatre mois et 180 jours pour rupture de ban ;

- le 20 septembre 2021, par le MP, à une peine privative de liberté de 30 jours pour dommages à la propriété ;

- le 13 mai 2022, par le MP, à une peine pécuniaire de 180 jours-amende, à CHF 10.- l'unité, pour rupture de ban et violation de l'art. 119 al. 1 LEI ;

- le 3 mai 2023, par le MP, à une peine privative de liberté de 180 jours pour rupture de ban le 28 février 2023 et du 2 au 13 mars 2023, violation de l'art. 119 al. 1 LEI les 28 février et 13 mars 2023 et contravention à la LStup ;

- le 4 juillet 2023, par le MP, à une privative de liberté de 180 jours pour rupture de ban du 16 mai au 4 juillet 2023 ;

- le 28 août 2023, par la CPAR, à une peine privative de liberté de huit mois (peine complémentaire à celle prononcée par le MP le 3 mai 2023), à une peine pécuniaire de 15 jours-amende à CHF 10.- et à une amende pour voie de fait, injure, rupture de ban du 26 janvier au 7 février 2022 et du 14 au 30 mai 2022, dommages à la propriété du 7 février 2022, violation de l'art. 119 al. 1 LEI les 30 mai et 7 février 2022 et contravention à la Loi fédérale sur la protection contre le tabagisme passif, le condamné ayant été astreint à un traitement ambulatoire (art. 63 du Code pénal [CP]) et son expulsion ayant été ordonnée pour une durée de dix ans.

E. Me C______, défenseur d'office de A______, dépose un état de frais pour la procédure d'appel, facturant, sous des libellés divers, 15 heures et dix minutes d'activité de collaborateur, dont six heures et 40 minutes pour l'examen du dossier et huit heures pour la rédaction d'un mémoire d'appel de dix pages, dont quatre pages consacrées à celle de garde, aux conclusions et à la reproduction du dispositif de la décision querellée. Il a été indemnisé pour 5.5 heures d'activité en première instance.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 CPP).

La Chambre n'examine que les points attaqués du jugement de première instance (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP), sans être liée par les motifs invoqués par les parties ni par leurs conclusions,

2. 2.1. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 ch. 2 CEDH et, sur le plan interne, par les art. 32 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst.) et 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.1). En tant que règle sur le fardeau de la preuve, la présomption d'innocence signifie, au stade du jugement, que ce fardeau incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu (arrêts du Tribunal fédéral 6B_519/2018 du 29 août 2018 consid. 3.1 ; 6B_377/2018 du 22 août 2018 consid. 1.1).

Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 138 V 74 consid. 7 ; ATF 127 I 38 consid. 2a ; ATF 124 IV 86 consid. 2a).

2.2. Quiconque enfreint une assignation à un lieu de résidence ou une interdiction de pénétrer dans une région déterminée (art. 74 LEI) est passible d'une peine de droit (art. 119 al. 1 LEI).

Quiconque contrevient à une décision d’expulsion du territoire de la Confédération ou d'un canton prononcée par une autorité compétente est passible d'une peine de droit (art. 291 al. 1 CP).

Sur le plan subjectif, l'infraction de rupture de ban est intentionnelle, le dol éventuel étant toutefois suffisant. Il faut non seulement que l'auteur entre ou reste en Suisse volontairement, mais encore qu'il sache qu'il est expulsé ou accepte cette éventualité (arrêt du Tribunal fédéral 6B_624/2021 du 23 mars 2022 consid. 1.1).

2.3. Il est établi et non contesté que l'appelant se trouvait sur le territoire de la Ville de Genève, soit en Suisse, le 13 mai 2023, à 22h15, alors qu'il faisait l'objet d'une mesure d'expulsion et d'une interdiction de quitter le sol de la commune de D______.

Tant lors de sa seconde audition à la police que devant le MP, il a reconnu les faits, en particulier qu'il avait connaissance des décisions en cause, de sorte que ses soudaines dénégations lors des débats de première instance ne convainquent pas, d'autant moins qu'il a été condamné pour des faits de nature identique dix jours avant son interpellation et ne pouvait pas ignorer la teneur desdites décisions.

En quittant la zone à laquelle il était assigné et en demeurant sur le territoire suisse, il a, partant non seulement réalisé les éléments constitutifs objectifs de l'infraction à l'art. 119 al. 1 LEI, mais aussi, a fortiori, ceux de la rupture de ban (art. 291 al. 1 CP).

Dans la mesure où il connaissait l'existence de l'interdiction et de l'expulsion, l'appelant a, a minima, envisagé et accepté de les outrepasser en sortant du périmètre autorisé pour rester en Suisse.

Le dossier ne permet aucunement d'établir qu'il existait une urgence médicale justifiant qu'il se rende dans une pharmacie hors dudit périmètre, encore moins à une heure où les magasins sont généralement fermés (22h15). Même à l'envisager, il ne saurait s'en prévaloir pour justifier le non-respect de son assignation dans la mesure où il ne s'est pas limité à cette course et s'est rendu chez E______, où il a été interpellé par la police à la suite d'une altercation physique avec ce dernier.

Vu ce qui précède, les faits décrits dans l'ordonnance pénale du 15 mai 2023 sont établis et constitutifs d'une violation de l'art. 119 al. 1 LEI et de l'art. 291 al. 1 CP.

2.4. L'appel doit être rejeté sur ce point et le jugement entrepris confirmé.

3. 3.1. Les infractions de rupture de ban (art. 291 al. 1 CP) et de non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée (art. 119 al. 1 LEI) sont passibles une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.

3.2. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution. Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur. À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même, à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 141 IV 61 consid. 6.1.1 ; 136 IV 55 consid. 5 ; 134 IV 17 consid. 2.1).

Bien que la récidive ne constitue plus un motif d'aggravation obligatoire de la peine (art. 67 aCP), les antécédents continuent de jouer un rôle très important dans la fixation de celle-ci (M. NIGGLI / H. WIPRÄCHTIGER [éds], Basler Kommentar Strafrecht I : Art. 1-110 StGB, Jugendstrafgesetz, 4ème éd., Bâle 2019, n. 130 ad art. 47 CP ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1202/2014 du 14 avril 2016 consid. 3.5). En général, la culpabilité de l'auteur est amplifiée du fait qu'il n'a pas tenu compte de l'avertissement constitué par la précédente condamnation, et sa rechute témoigne d'une énergie criminelle accrue (R. ROTH / L. MOREILLON [éds], Code pénal I : art. 1-100 CP, Bâle 2009, n. 55 ad art. 47 CP). Une série d'infractions semblables pèse plus lourd que des actes de nature différente. En outre, les condamnations passées perdent de leur importance avec l'écoulement du temps. Les antécédents judiciaires ne sauraient toutefois conduire à une augmentation massive de la peine, parce que cela reviendrait à condamner une deuxième fois pour des actes déjà jugés (ATF 120 IV 136 consid. 3b).

Lors de la fixation de la peine, le juge doit tenir compte du fait que certains délinquants sont plus durement touchés par l'exécution d'une peine privative de liberté. La vulnérabilité face à la peine ne doit cependant être retenue comme circonstance atténuante que si elle rend la sanction considérablement plus dure que pour la moyenne des autres condamnés, par exemple en présence de maladies graves, de psychoses claustophobiques ou de surdimutité (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1463/2019 du 20 février 2020 consid. 2.2.1).

3.3. Le juge peut prononcer une peine privative de liberté à la place d'une peine pécuniaire a si une peine privative de liberté paraît justifiée pour détourner l’auteur d’autres crimes ou délits (let. a) ou s'il y a lieu de craindre qu’une peine pécuniaire ne puisse pas être exécutée (let. b) (art. 41 CP).

La peine pécuniaire constitue la sanction principale dans le domaine de la petite et moyenne criminalité, les peines privatives de liberté ne devant être prononcées que lorsque l'État ne peut garantir d'une autre manière la sécurité publique (ATF
144 IV 313 consid. 1.1.1).

3.4.1. À la lumière de la jurisprudence sur la Directive sur le retour (Directive 2008/115/CE relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier), quiconque rend coupable de rupture de ban (art. 291 CP), ne peut être condamné à une peine privative de liberté que si toutes les mesures raisonnables ont été entreprises en vue de l'éloignement ou si celui-ci a échoué en raison du comportement de l'intéressé (arrêt du Tribunal 6B_66/2024 du 5 juin 2024 destiné à publication consid. 1.6.3).

3.4.2. La Directive sur le retour ne s'applique pas si le ressortissant d'un état tiers a commis, outre une infraction de rupture de ban, un ou plusieurs autres délits en dehors du droit pénal sur les étrangers, pour autant que, pris individuellement, ces délits justifient une peine privative de liberté (arrêt du Tribunal fédéral 6B_66/2024 op. cit. consid. 1.6.1 à 1.6.5). Il en va de même si le non-respect d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée, prononcée en raison du comportement de l'intéressé troublant ou menaçant la sécurité et l'ordre publics (art. 119 al. 1 cum art. 74 al. 1 let. a LEI) est commis en concours avec un séjour illégal (ATF
143 IV 264 consid. 2.6.2 ; 6B_1398/2020 du 10 mars 2021 consid. 1.7).

3.5. L'art. 49 al. 2 CP prévoit que si le juge doit prononcer une condamnation pour une infraction que l'auteur a commise avant d'avoir été condamné pour une autre infraction, il fixe la peine complémentaire de sorte que l'auteur ne soit pas puni plus sévèrement que si les diverses infractions avaient fait l'objet d'un seul jugement.

Pour fixer la peine complémentaire, le juge doit estimer la peine globale de l'auteur, comme s'il devait apprécier en même temps l'ensemble des faits. Il ne peut toutefois pas revoir la peine de base, à savoir celle du premier jugement, même s'il estime que les premiers faits justifiaient une peine plus sévère ou moins sévère. Dans le cas contraire, il enfreindrait l'autorité de chose jugée de la première décision (ATF 137 IV 57 consid. 4.3.1).

Pour calculer la peine complémentaire, le second tribunal doit exposer en chiffres la peine de chaque fait nouveau en appliquant les principes généraux du droit pénal. Ensuite, il doit appliquer le principe d'aggravation en prenant en compte la peine de base et celle des nouveaux faits. Pour cela, le juge doit déterminer la peine (abstraite) de l'infraction la plus grave afin de l'aggraver. Si la peine de base contient l'infraction la plus grave, il faut alors l'augmenter au regard des faits nouveaux. Pour obtenir la peine complémentaire, le juge doit ainsi déduire la peine de base de la peine globale (ATF 142 IV 265 consid. 2.4.3).

Face à plusieurs condamnations antérieures, il faut rattacher chacune des infractions anciennes à la condamnation qui suit la commission de l'acte délictueux ; en effet, un jugement pénal doit en principe sanctionner tous les actes répréhensibles commis avant son prononcé. Le rattachement des actes anciens à la condamnation qui les suit permet de former des groupes d'infractions (ATF 116 IV 14 consid. 2c ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_144/2019 du 17 mai 2019 consid. 4.3.1).

En cas de pluralité de condamnations entrées en force, et pour autant que les peines prononcées et les peines envisagées soient de même genre, il convient de considérer tout d'abord le premier groupe d'infractions composé de la première condamnation entrée en force et des infractions antérieures à juger pour fixer une première peine complémentaire (jugement du Tribunal pénal fédéral du 23 avril 2021 et rectification du 17 juin 2022 consid. 9.2.2.3 ; N. GRAA, Les implications pratiques de la récente jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de concours [art. 49 CP], in SJ 2020 II p. 51 ss, p. 62).

3.6.1. La faute de l'appelant est importante. Il a outrepassé deux décisions dont il connaissait pourtant parfaitement la teneur, étant précisé qu'il avait déjà été condamné pour les mêmes faits à plusieurs reprises, dont dix jours avant les faits de la présente cause pour la plus récente décision. Son comportement témoigne ainsi d'un mépris caractérisé pour l'ordre juridique suisse et les décisions qui en émanent.

Ses mobiles sont égoïstes. Il a agi par convenance personnelle.

Sa collaboration a été contrastée et sa prise de conscience est inexistante. Il a admis tous les faits durant l'instruction, avant de se rétracter par-devant la première juge. Il n'évoque aucun regret et ne présente pas d'excuse.

Sa situation personnelle, en particulier son état de santé et la précarité dans laquelle il vit, explique en partie ses agissements, mais ne les justifie aucunement.

Il y a concours d'infractions passibles d'une même peine, motif d'aggravation (art. 49 al. 1 CP).

Il a de (très) nombreux antécédents récents et spécifiques.

Aucun élément ne permet de douter de sa pleine et entière responsabilité, laquelle est présumée.

3.6.2. Vu ce qui précède, en particulier, le nombre d'antécédents spécifiques, les faits, n'apparaissent pas, quant à la faute de l'appelant (commission de deux infractions) et aux conséquences de ses agissements (mobilisation d'agents publics), d'une gravité significativement moindre que le cas typique du comportement réprimé, de sorte qu'il ne peut pas prétendre à une exemption de peine (ATF 138 IV 13 consid. 9).

3.6.3. En l'espèce, l'interdiction de quitter le territoire assigné a été prononcée en application de l'art. 74 al. 1 let. a et let. b LEI, soit en partie pour des motifs de protection de la sécurité et de l'ordre publics (let. a), de sorte que la Directive précitée ne trouve pas application et qu'une peine privative de liberté peut être prononcée.

Vu ses (très) nombreux antécédents, l'appelant n'a manifestement pas su tirer de leçon de ses précédentes condamnations. L'exécution de plusieurs peines privatives de liberté n'a pas eu l'effet escompté puisqu'il persiste à récidiver. Ce constat commande à lui seul le prononcé d'une peine privative de liberté, pour des motifs de prévention spéciale et non d'une peine pécuniaire comme le requiert la défense. À cela s'ajoute, bien qu'il ne s'agisse pas là d'une condition cumulative, qu'au vu de sa situation personnelle difficile, il y a de fortes raisons de croire qu'il ne sera pas en mesure de s'acquitter d'une peine pécuniaire, étant observé que ses perspectives de reconversion professionnelle ne sont ni étayées ni concrètes. Partant, seule une peine privative de liberté est envisageable.

Contrairement à l'avis de la défense, il ne ressort pas des deux attestations médicales produites en appel, lesquelles ont été rédigées en lien avec la mesure d'assignation à un territoire déterminé, qu'une privation de liberté pourrait aggraver ses troubles psychiatriques. Le risque évoqué par les professionnels de la santé résulte plutôt d'une absence de contacts humains et d'un isolement social, de sorte que l'on ne saurait en inférer que cela fasse obstacle au prononcé d'une peine privative de liberté.

3.6.4. Les deux délits à sanctionner dans la présente cause ont été commis avant les condamnations du 4 juillet ainsi que du 28 août 2023 – étant souligné que la peine prononcée dans le cadre de cette dernière décision était complémentaire à celle fixée le 5 mai 2023 par le MP, raison pour laquelle il sera également tenu compte des infractions réprimées à teneur de cette ordonnance – et sont passibles du même genre de peine. Il y a donc concours rétrospectif (art. 49 al. 2 CP).

Si tous les faits avaient fait l'objet d'un unique jugement, une peine privative de liberté de douze mois aurait été prononcée pour sanctionner les différentes infractions de rupture de ban, dite infraction devant être considérée comme la plus grave compte tenu de ses répétitions en 2022 et 2023 ainsi que des antécédents spécifiques. Cette peine aurait été aggravée de six mois pour réprimer l'infraction de non-respect d'une assignation à un lieu de résidence, commise à cinq reprises (peine hypothétique : dix mois) et de trois mois pour sanctionner les dommages à la propriété (peine hypothétique : six mois). En définitive, une peine d'ensemble de 21 mois aurait été prononcée, dont à déduire les six mois prononcés le 3 mai 2023 respectivement le 4 juillet 2023, et les huit mois prononcés le 28 août 2023 entrés en force.

Partant, la peine complémentaire à prononcer in casu est d'un mois (21 moins 20).

La durée de la détention avant jugement sera imputée sur la peine (art. 51 CP).

Vu ce qui précède, le pronostic de l'appelant est défavorable et la peine sera ferme, les conditions de l'art. 42 al. 1 CP n'étant pas réalisées.

L'appel est partiellement admis sur ce point et la décision sera réformée.

4. 4.1. L'appelant succombe en grande partie (culpabilité, exemption de peine et genre de peine). Il obtient néanmoins gain de cause sur la quotité de la peine complémentaire, point qu'il n'a pas plaidé au-delà de l'acquittement. Il se justifie, dès lors, de mettre à sa charge 80% des frais de la procédure d'appel, y compris un émolument d'arrêt de CHF 1'200.-, le solde demeurant à charge de l'État (art. 428 al. 1 CPP a contrario).

4.2. Vu le verdict de culpabilité, la répartition des frais de la procédure préliminaire et de première instance sera confirmée (art. 426 al. 1 cum 428 al. 3 CPP).

5. 5.1. Selon l'art. 135 al. 1 CPP, le défenseur d'office est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès.

Selon l'art. 16 al. 1 du Règlement sur l'assistance juridique et l'indemnisation des conseils juridiques et défenseurs d'office en matière civile, administrative et pénale (RAJ), l'indemnité due à l'avocat et au défenseur d'office en matière pénale est calculée selon le tarif horaire suivant, débours de l'étude inclus, collaborateur CHF 150.- (let. b).

Conformément à l'art. 16 al. 2 RAJ, seules les heures nécessaires sont retenues. Elles sont appréciées en fonction notamment de la nature, de l'importance et des difficultés de la cause, de la valeur litigieuse, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu.

On exige de l'avocat qu'il soit expéditif et efficace dans son travail et qu'il concentre son attention sur les points essentiels. Des démarches superflues ou excessives n'ont pas à être indemnisées (M. VALTICOS / C. M. REISER / B. CHAPPUIS / F. BOHNET (éds), Commentaire romand, Loi sur les avocats : commentaire de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats (Loi sur les avocats, LLCA), 2ème éd. Bâle 2022, n. 257 ad art. 12). Dans le cadre des mandats d'office, l'État n'indemnise ainsi que les démarches nécessaires à la bonne conduite de la procédure pour la partie qui jouit d'une défense d'office ou de l'assistance judiciaire. Il ne saurait être question d'indemniser toutes les démarches souhaitables ou envisageables. Le mandataire d'office doit en effet gérer son mandat conformément au principe d'économie de procédure (décision de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral BB.2013.22 du 31 octobre 2013 consid. 5.2.3). Par voie de conséquence, le temps consacré à la rédaction d'écritures inutiles ou reprenant une argumentation déjà développée, fût-ce devant une autorité précédente, ne saurait donner lieu à indemnisation ou à indemnisation supplémentaire (AARP/295/2015 du 12 juillet 2015 consid. 8.2.2.3, 8.2.2.6, 8.3.1.1 et 8.3.2.1).

5.2. En l'occurrence, les "frais forfaitaires" seront retranchés de l'état de frais dans la mesure où le tarif horaire tient compte des débours ou frais généraux de l'étude. Le temps consacré à l'analyse du dossier et à la rédaction du mémoire d'appel sera ramené à cinq heures, volume amplement suffisant vu la faible complexité du dossier et compte tenu de ce que les mêmes arguments ont déjà été plaidés par-devant le TP.

La rémunération sera arrêtée à CHF 1'264.80, correspondant à 6.5 heures d'activité au tarif de CHF 150.-/heure (CHF 975.-) plus la majoration forfaitaire de 20% (CHF 195.-) et l'équivalent de la TVA au taux de 8.1% (CHF 94.80).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/464/2024 rendu le 22 avril 2024 par le Tribunal de police dans la procédure P/10416/2023.

L'admet partiellement.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Déclare A______ coupable de rupture de ban (art. 291 al. 1 CP) et d'infraction à l'article 119 al. 1 de la Loi fédérale sur les étrangers et l'intégration (LEI).

Condamne A______ à une peine privative de liberté d'un mois, sous déduction de deux jours de détention avant jugement (art. 40 et 51 CP).

Dit que cette peine est complémentaire à celles prononcées les 4 juillet 2023 et 28 août 2023 par le Ministère public (MP) et la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR).

Prend acte de ce que la première juge a fixé les frais de la procédure préliminaire et de première instance à CHF 1'281.-, y compris un émolument complémentaire de jugement de CHF 600.-, et les met à la charge de A______.

Arrête les frais de la procédure d'appel à CHF 1'355.-, y compris un émolument d'arrêt de CHF 1'200.-, et les met à hauteur de 80% à charge de A______, le solde demeurant à la charge de l'État.

Prend acte de ce que la première juge a arrêté à CHF 1'151.25 l'indemnité due à MC______, défenseur d'office de A______, pour la procédure préliminaire et de première instance (art. 135 al. 1 CPP).

Arrête à CHF 1'264.80, TVA comprise, le montant des frais et honoraires de Me C______, défenseur d'office de A______, pour la procédure d'appel (art. 135 al. 1 CPP).


 

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police, à l'Office cantonal de la population et des migrations (OCPM) et au Secrétariat d'État aux migrations (SEM).

 

La greffière :

Lylia BERTSCHY

 

Le président :

Pierre BUNGENER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

1'281.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

80.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

00.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

1'200.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

1'355.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

2'636.00