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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/14127/2022

AARP/110/2024 du 22.03.2024 sur JTDP/1026/2023 ( PENAL ) , REJETE

Descripteurs : USURE(DROIT PÉNAL)
Normes : CP.157; LEI.117
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/14127/2022 AARP/110/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 22 mars 2024

 

Entre

A______, domiciliée ______ [GE], comparant par Me Noudemali Romuald ZANNOU, avocat, rue de la Synagogue 41, 1204 Genève,

appelante,

 

contre le jugement JTDP/1026/2023 rendu le 15 août 2023 par le Tribunal de police,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A.           a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 15 août 2023 par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnue coupable d'usure (art. 157 ch. 1 du code pénal [CP]), d'infraction à l'art. 117 al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration (LEI), d'infraction à l'art. 87 al. 2 de la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants (LAVS) et d'infraction à l'art. 76 al. 2 de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle, vieillesse, survivants et invalidité (LPP), l'a condamnée à une peine pécuniaire de 150 jours-amende, à CHF 30.- l'unité, avec sursis et délai d'épreuve de trois ans, à une amende de CHF 900.- (peine privative de liberté de substitution de 30 jours), ainsi qu'aux frais de la procédure et a rejeté ses conclusions en indemnisation.

A______ entreprend intégralement ce jugement, concluant à son acquittement et à l'octroi d'une indemnité selon l'art. 429 CPP, frais de la procédure à la charge de l'État.

Le Ministère public (MP) conclut au rejet de l'appel.

b. Selon l'ordonnance pénale du 9 août 2022, il est reproché ce qui suit à A______ :

Entre le 30 août 2021 et le 13 juin 2022, elle a employé B______, ressortissante mongole démunie d'autorisation de séjour et de travail en Suisse, afin que celle-ci effectue diverses tâches ménagères et garde à Genève son fils C______, âgé de 6 ans, à raison d'environ cinq à six heures par jour, pour un salaire mensuel de l'ordre de CHF 500.-, versé de main à la main. A______, qui n'avait pas annoncé son employée aux assurances sociales ni n'avait établi de contrat de travail, savait que celle-ci était démunie d'autorisation de travail en Suisse et ne parlait pour ainsi dire pas le français. Elle avait ainsi profité de cette situation afin de faire travailler B______ pour un salaire-horaire en disproportion avec la prestation offerte, étant précisé que la rémunération horaire était de CHF  7.- pour la garde de C______ et de CHF 10.- pour les heures de ménage.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. Le 13 juin 2022, A______ a signalé à la police la disparition de son enfant C______, âgé de 6 ans, alors qu'il se trouvait sous la responsabilité de B______, qu'elle employait pour la garde de son fils, et a déposé plainte pour ces faits le lendemain.

b.a. B______ a expliqué travailler pour A______ depuis le 30 août 2021, après qu'un ami commun les avait mises en contact. Elle travaillait entre cinq et six heures par jour. Elle commençait vers 11h30 et s'occupait de préparer le repas de C______ ainsi que de faire le ménage puis le raccompagnait à l'école, avant de retourner le récupérer à 16h00 et s'en occupait ensuite jusqu'au retour de A______, entre 20h00 et 23h00. Il arrivait parfois qu'elle laisse l'enfant sous la surveillance de son frère et de sa sœur, en accord avec leur mère. Elle n'avait pas d'horaire fixe et était prévenue la veille pour le lendemain de son horaire de travail. Il lui arrivait de travailler également les week-ends sans percevoir de rétribution supplémentaire. Elle percevait un salaire mensuel approximatif de CHF 500.-, établi sur la base d'un décompte des heures effectuées et rémunérées à un tarif horaire de CHF 7.- pour la garde de l'enfant et de CHF 10.- pour le ménage, qui lui était payé en espèces. Aucun contrat écrit n'avait été établi et elle ne recevait pas de fiche de salaire, ni n'avait été déclarée aux assurances sociales. A______ ne lui avait pas demandé si elle était autorisée à travailler en Suisse, ni n'avait fait de photocopie de son passeport.

b.b. B______, qui ne parle pas français, ne détient pas de passeport valable, ne dispose pas des autorisations nécessaires pour résider et travailler en Suisse et fait l'objet d'une interdiction d'entrée sur le territoire valable du 11 mai 2021 au 10 mai 2024.

c.a. A______ a expliqué avoir rencontré B______ par l'amie d'une amie et l'employer depuis août ou septembre 2021, à raison de quatre jours par semaine pour s'occuper de son fils de 11h30 à 13h30 et de 16h00 à 19h00 ainsi que l'emmener chez le logopédiste un mercredi sur deux. Ces horaires pouvaient toutefois varier, à savoir que B______ pouvait terminer après 19h00 mais qu'il pouvait également arriver que celle-ci ne fasse que ramener son fils à la maison après la sortie de l'école à 16h00, selon l'heure de rentrée au domicile de son fils aîné âgé de 16 ans. Elle fixait les horaires la veille ou le jour-même en fonction de la disponibilité d'une autre nounou qu'elle employait. Elle avait initialement occupé B______ comme baby-sitter et celle-ci avait commencé à faire du ménage deux mois avant d'arrêter de travailler pour elle. Elle la rémunérait à un tarif horaire de CHF 7.- pour la garde de son fils, qui correspondait au salaire préconisé par [l'association] D______ et au tarif réclamé, et de CHF  20.- pour le ménage, le salaire lui étant versé en espèces. Les frais de garde étaient pris en charge par l'Hospice général. Aucun contrat de travail oral ou écrit n'avait été conclu. Elle n'avait pas demandé à B______ si elle avait un permis de séjour pour résider et travailler en Suisse mais lui avait demandé de lui présenter son passeport mongol, dont elle avait fait une photocopie. Elle a par la suite indiqué que son employée lui avait ultérieurement présenté son permis B. Elle ignorait avoir commis une infraction en employant une personne en séjour illégal en Suisse, pensant qu'un passeport donnait le droit d'y séjourner et d'y travailler. Elle n'avait pas déclaré B______ à l'Office cantonal des assurances sociales car il s'agissait d'une solution de "dépannage" provisoire et qu'elle avait entendu dire que cela n'était pas nécessaire pour un salaire inférieur à CHF 1'000.-. Elle a ajouté que le dernier salaire versé à B______, pour le mois de juillet 2022, s'élevait à CHF 100.- car cette dernière lui avait indiqué que "le reste était cadeau".

c.b. A______ a notamment produit les conditions générales de la D______ vaudoise prévoyant la rémunération des baby-sitter pour la garde d'un seul enfant à un tarif horaire de CHF 9.-.

C. a. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite, avec l'accord des parties.

b.a. Selon son mémoire d'appel, A______ persiste dans ses conclusions, chiffrant l’indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ces droits de procédures de première instance à CHF 5'810.40 et, pour la procédure d'appel, à CHF 3'658.40.

Elle employait principalement E______ pour garder son fils C______ et ce n'est que lorsque celle-ci n'était pas disponible qu'elle avait fait appel à B______. La première avait suivi la formation de la D______ genevoise et lui avait indiqué que le tarif horaire pratiqué était de CHF 7.-, montant que B______ avait également réclamé. Elle ignorait que l'Hospice général, qui avait pris en charge les frais de garde de C______ durant la période pénale, plafonnait le taux horaire pris en charge et n'avait donc aucun intérêt de rémunérer ses baby-sitters à un montant plus bas que pratiqué usuellement. Un baby-sitter était un prestataire de service à qui il appartenait, en tant qu'indépendant, de cotiser aux assurances sociales. Ainsi, si un tarif différent de celui de CHF 7.-/heure devait être retenu, elle devait se voir appliquer l'erreur sur l'illicéité, ayant fait confiance aux dires de personnes formées par la D______. Le nombre d'heures consacrées au ménage ne ressortait pas des éléments au dossier. B______ ayant indiqué être rémunérée aux alentours de CHF 500.- par mois, ces heures pouvaient être arrêtées au nombre de quatre, ce qui correspondait à ce qu'elle avait estimé. Selon le Contrat-type de travail de l'économie domestique (CTT-Edom), le tarif horaire pour une telle activité était de CHF 23.21 en 2021. Il ne pouvait ainsi être retenu que le tarif payé, bien qu'inférieur de 14,05%, était usurier.

Elle n'avait pas demandé à B______ de lui présenter son permis de séjour par négligence, n'ayant pas l'intention de faire garder son enfant par une personne démunie d'autorisation de séjour.

b.b. A______ produit notamment des décomptes des gardes effectuées par E______ durant les mois d'août, septembre, octobre et décembre 2021 ainsi qu'en janvier, février, mars, mai et juin 2022, à raison d'en moyenne 125 heures de garde par mois, soit les lundis, mardis, jeudi et vendredis de 11h30 à 13h30 et de 16h00 à 19h00 et les samedis de 10h00 à 18h00.

c. Le MP persiste dans ses conclusions.

D. A______ est née le ______ 1978, en République démocratique du Congo, pays dont elle est ressortissante. Elle est célibataire et mère de trois enfants, âgés de 7, 12 et 17 ans. Arrivée en Suisse en 2003, elle est au bénéfice d'un permis F. Elle exerce l'activité d'esthéticienne et réalise un salaire annuel net de CHF 31'644.-. Son loyer ainsi que son assurance maladie sont pris en charge par l'Hospice général. Elle a des dettes de l'ordre de CHF 80'000.-.

À teneur de l'extrait de son casier judiciaire suisse, A______ n'a pas d'antécédents.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

2. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 ch. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme (CEDH) et, sur le plan interne, par les art. 32 al. 1 de la Constitution fédérale (Cst.) et 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.1 ; ATF 127 I 28 consid. 2a).

En tant que règle sur le fardeau de la preuve, la présomption d'innocence signifie, au stade du jugement, que ce fardeau incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. La présomption d'innocence est violée lorsque le juge rend un verdict de culpabilité au seul motif que le prévenu n'a pas prouvé son innocence (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 40) ou encore lorsque le juge condamne le prévenu au seul motif que sa culpabilité est plus vraisemblable que son innocence. En revanche, l'absence de doute à l'issue de l'appréciation des preuves exclut la violation de la présomption d'innocence en tant que règle sur le fardeau de la preuve (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

3.  3.1.1.1. Se rend coupable d’usure au sens de l'art. 157 ch. 1 CP, celui qui a exploité la gêne, la dépendance, l'inexpérience ou la faiblesse de la capacité de jugement d'une personne en se faisant accorder ou promettre par elle, pour lui-même ou pour un tiers, en échange d'une prestation, des avantages pécuniaires en disproportion évidente avec celle-ci sur le plan économique.

L'infraction d'usure suppose d'abord que la victime se soit trouvée dans l'une des situations de faiblesse, énumérées de manière exhaustive à l'art. 157 CP. L'état de gêne, qui n'est pas forcément financière, s'entend de tout état de contrainte qui influe si fort sur la liberté de décision de la personne lésée qu'elle est prête à fournir une prestation disproportionnée. Il faut procéder à une analyse objective, en ce sens qu'on doit admettre qu'une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait été entravée dans sa liberté de décision. Le consentement de la victime n'exclut pas l'application de l'art. 157 CP. Il en est au contraire un élément (arrêt du Tribunal fédéral 6B_301/2020 du 28 avril 2020 consid. 1.1 et 1.1.1). En ce qui concerne la gêne économique, la victime doit se trouver dans l'impossibilité de repousser le contrat qui lui est proposé ou les conditions qui lui sont faites. Elle se trouve ainsi réduite à une telle extrémité, soit à la "merci" de l'usurier (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI [éds], Code pénal – Petit Commentaire, 2ème éd., Bâle 2017, n. 5 ad art. 157).

L'auteur doit ensuite exploiter la situation de faiblesse dans laquelle se trouve la victime, soit utiliser consciemment cette situation, en vue de l'obtention d'un avantage pécuniaire (arrêt du Tribunal fédéral 6B_395/2007 du 14 novembre 2007 consid. 4.1). Cet avantage patrimonial doit en outre avoir été fourni ou promis en échange d'une prestation. L'usure ne peut ainsi intervenir que dans le cadre d'un contrat onéreux (arrêt du Tribunal fédéral 6B_430/2020 du 26 août 2020 consid.  2.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_301/2020 du 28 avril 2020 consid. 1.1.5).

Il est encore nécessaire qu'il y ait une disproportion évidente entre l'avantage et la prestation échangée. Pour déterminer si une telle disproportion existe, il y a lieu de procéder à une évaluation objective, en recherchant la valeur patrimoniale effective de la prestation, calculée en tenant compte de toutes les circonstances (arrêt du Tribunal fédéral 6B_301/2020 du 28 avril 2020 consid. 1.1.4). La loi et la jurisprudence ne fournissent pas de limite précise pour déterminer à partir de quand le déséquilibre entre les prestations est usuraire. Les critères à prendre en considération, parmi lesquels celui des risques encourus, rendent difficile une évaluation en chiffres. Pour qu'elle puisse être considérée comme usuraire, la disproportion doit toutefois excéder sensiblement les limites de ce qui apparaît usuel et normal au regard de l'ensemble des circonstances ; elle doit s'imposer comme frappante aux yeux de tout client (ATF 92 IV 132 consid. 1). Dans la doctrine, une limite de l'ordre de 20% est évoquée pour les domaines réglementés ; pour les autres domaines, il y a usure, dans tous les cas, dès 35 % (arrêts du Tribunal fédéral 6B_875/2020 du 15 avril 2021 consid. 4.1 ; 6B_918/2018 du 24 avril 2019 consid. 2.4.3). La jurisprudence considère comme décisive la valeur patrimoniale effective, c'est-à-dire la valeur de la prestation calculée en tenant compte de toutes les circonstances (ATF 130 IV 106 consid. 7.2 ; 93 IV 85 consid. 2).

3.1.1.2. Sur le plan subjectif, l'infraction est intentionnelle, mais le dol éventuel suffit. Il faut donc que l'auteur connaisse, au moins sous cette forme, la situation de faiblesse dans laquelle se trouve l'autre partie ainsi que la disproportion entre les prestations, de même qu'il doit avoir conscience que la situation de faiblesse motive l'autre partie à accepter la disproportion évidente entre les prestations
(ATF 130 IV 106 consid. 7.2).

3.1.1.3. Selon le CTT-EDom, qui s'applique à Genève aux employés de maison affectés notamment à la prise en charge d'enfants (art. 1 al. 2), le salaire mensuel réglementé dans l'économie domestique pour les travailleurs sans qualifications particulières et sans expérience s'élevait à CHF 4'512.- pour l'année 2021 et CHF  4'537.65 pour l'année 2022, soit un salaire horaire de CHF 23.27.- (art. 10 al. 1 let. f).

3.1.2.1. L'art. 117 al. 1 LEI punit quiconque, intentionnellement, emploie un étranger qui n’est pas autorisé à exercer une activité lucrative en Suisse.

3.1.2.2. L'employeur est soumis à un devoir de diligence arrêté à l'art. 91 LEI (M. S. NGUYEN / C. AMARELLE [éds], Code annoté de droit des migrations vol. II, Loi sur les étrangers, Stämpfli 2017, n. 11 ad art. 117). Selon cet article, avant d'engager un étranger, l'employeur doit s'assurer qu'il est autorisé à exercer une activité lucrative en Suisse en examinant son titre de séjour ou en se renseignant auprès des autorités compétentes.

L'employeur ne peut s'exonérer de cette obligation de diligence en se réfugiant derrière une éventuelle tromperie de tiers. Il appartient à chaque employeur de procéder au contrôle. La simple omission de procéder à l'examen du titre de séjour ou de se renseigner auprès des autorités compétentes constitue déjà une violation du devoir de diligence (arrêt du Tribunal fédéral 2C_357/2009 du 16 novembre 2009 consid. 5.1 et 5.3).

3.1.3. L'art. 87 al. 2 LAVS punit celui qui, par des indications fausses ou incomplètes, ou de toute autre manière, aura éludé, en tout ou en partie, l’obligation de payer des cotisations.

L’art. 1a al. 2 let. c LAVS prévoit que les employés n'ont pas à être assurés dans les cas où l'employeur n’est pas tenu de payer des cotisations, à savoir lorsqu’ils exercent une activité lucrative en Suisse que pour une période relativement courte, n'excédant pas trois mois consécutifs par année civile (art. 2 du règlement
sur l’assurance-vieillesse et survivants (RAVS)).

3.1.4. L'art. 76 al. 2 aLPP, dans sa teneur en vigueur au moment des faits, plus favorable à l'appelante et applicable à titre de lex mitior (art. 2 CP), punit celui qui, par des indications fausses ou incomplètes, ou de toute autre manière, aura éludé l'obligation de payer des cotisations ou des contributions à une institution de prévoyance ou au fonds de garantie.

Selon l'art. 2 al. 1 LPP, sont soumis à l’assurance obligatoire les salariés qui ont plus de 17 ans et reçoivent d’un même employeur un salaire annuel supérieur à CHF 22'050.-. Si le salarié est occupé par un employeur pendant moins d’une année, est considéré comme salaire annuel celui qu’il obtiendrait s’il était occupé toute l’année (al. 2).

3.1.5. Selon l'art. 21 CP, quiconque ne sait ni ne peut savoir au moment d'agir que son comportement est illicite n'agit pas de manière coupable. Le juge atténue la peine si l'erreur était évitable.

L'erreur sur l'illicéité vise le cas où l'auteur agit en ayant connaissance de tous les éléments constitutifs de l'infraction, et donc avec intention, mais en croyant par erreur agir de façon licite. La réglementation relative à l'erreur sur l'illicéité repose sur l'idée que le justiciable doit faire tout son possible pour connaître la loi et que son ignorance ne le protège que dans des cas exceptionnels (ATF 129 IV 238
consid. 3.1). Pour exclure l'erreur de droit, il suffit que l'auteur ait eu le sentiment de faire quelque chose de contraire à ce qui se doit ou qu'il eût dû avoir ce sentiment (ATF 104 IV 217 consid. 2). Seul peut être mis au bénéfice de l'erreur sur l'illicéité celui qui a une raison suffisante de se croire en droit d'agir, soit à qui aucun reproche ne peut être adressé parce que son erreur provient de circonstances qui auraient pu induire en erreur toute personne consciencieuse (ATF 128 IV 201 consid. 2). L'erreur sera notamment considérée comme évitable lorsque l'auteur avait ou aurait dû avoir des doutes quant à l'illicéité de son comportement (ATF 121 IV 109 consid. 5) ou s'il a négligé de s'informer suffisamment alors qu'il savait qu'une réglementation juridique existait (ATF 120 IV 208 consid. 5b).

3.2.1. En l'espèce, les déclarations de B______ sont pour l’essentiel corroborées par celles de l'appelante. Cette dernière l'a engagée, sans établir de contrat de travail écrit, à fin août 2021 afin de garder son fils C______ pour un salaire horaire de CHF 7.-. Les parties s'accordent également sur les horaires pratiqués, variables, pour une durée moyenne de cinq heures par jour. L'appelante savait que B______ était étrangère et ne parlait pas français.

Elle argue qu'elle employait également une autre personne pour la garde de son fils et qu'elle faisait appel à B______ pour la dépanner et de manière provisoire. Les décomptes de frais de garde produits sont effectivement au nom d'une tierce personne et couvrent la quasi-totalité de la période pénale. Il appert toutefois que le 13 juin 2022, C______ a disparu quelques heures alors qu'il se trouvait sous la responsabilité de B______. Pourtant, selon le décompte des heures produit, E______ aurait été de garde ce jour-là. En outre, l'appelante a indiqué que B______ emmenait son fils un mercredi sur deux chez un spécialiste et a confirmé qu'elle l'employait depuis neuf mois. Ainsi, bien qu'elle ne remette pas en question le fait que la garde de C______ ait été assurée par deux personnes, la Cour ne saurait toutefois retenir que l'activité de B______ était limitée et temporaire. Âgée de plus de 18 ans, gardant l'enfant le midi et le soir et effectuant également des tâches ménagères, ce qui n'est pas contesté, B______ ne travaillait pas seulement comme baby-sitter en dépannage, mais bien comme nounou et était ainsi soumise au CTT-EDom.

Les parties sont en désaccord concernant le montant du salaire horaire reçu pour les heures de ménage effectuées. Ce point peut toutefois demeurer non tranché dans la mesure où la rémunération perçue durant la période pénale pour la garde de C______, non contestée, était inférieure de 70% au salaire minimum prévu par la convention collective applicable (CHF 23.27).

Les justifications de l'appelante concernant la fixation du taux horaire de CHF 7.- ne permettent pas de retenir que les conditions de l'erreur sur l'illicéité soient réalisées, puisque la supposée erreur n'était pas inévitable. Aucune personne consciencieuse ne se serait contentée de suivre les recommandations de la D______ vaudoise et l'avis d'une baby-sitter. Il lui appartenait de se renseigner auprès des autorités compétentes en la matière, ce d'autant que cette démarche ne présentait aucune difficulté et que l’existence d’un salaire horaire minimum à Genève (correspondant grosso-modo à celui prévu par le CTT-EDom) est notoire, ayant fait l’objet d’une votation populaire en 2020.

B______, qui séjournait et travaillait sur le territoire suisse de manière illégale, était par ailleurs en situation précaire, ce que l'appelante ne pouvait ignorer. En effet, elle ne saurait être suivie lorsqu'elle indique avoir photocopié le passeport de B______ puis avoir vu son permis B ultérieurement – ce qu'elle n'affirme d’ailleurs que dans un second temps – dans la mesure où la précitée n'était en possession d'aucun de ces documents. En outre, le fait que B______ a accepté le salaire proposé reflète bien la situation de détresse dans laquelle elle se trouvait.

L'appelante a dès lors engagé B______ pour un salaire usuraire en toute conscience, sachant que sa situation précaire la conduisait à accepter un tel contrat. À tout le moins a-t-elle agi par dol éventuel, ce qui suffit.

Elle s'est ainsi rendue coupable d'usure au sens de l'art 157 al. 1 CP.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

3.2.2. Il est établi que l'appelante a employé B______ qui n'était pas autorisée à exercer une activité lucrative en Suisse. Étant elle-même dans une situation similaire, et titulaire d'un permis F, il ne fait aucun doute qu'elle connaissait les obligations en matière d'autorisation de séjour et de travail en Suisse, notamment le fait qu'un passeport n'était pas suffisant, document qui n’était en outre pas en possession de B______. À tout le moins, il était de son devoir, en sa qualité d'employeuse, de se renseigner sur le droit de son employée de travailler en Suisse et il lui appartenait de vérifier que B______ était au bénéfice des autorisations idoines, ce qu'elle n'a pas fait.

Il découle de ce qui précède que l'appelante s'est sciemment rendue coupable d'infraction à l'art. 117 al. 1 LEI, de sorte que sa condamnation sera confirmée sur ce point.

3.2.3. Il est également établi et admis par l'appelante qu'elle a, durant la même période, omis de déclarer B______ à l'Office cantonal des assurances sociales de Genève et de s'acquitter de l'intégralité de ses cotisations sociales, soit celles afférentes à la différence entre le salaire effectivement versé et celui qui aurait dû l'être en vertu de la CTT-EDom. Au surplus, il lui appartenait, en sa qualité d'employeuse, de se renseigner sur ses obligations en matière d'assurances sociales si bien qu'elle ne peut pas se prévaloir d'une ignorance en la matière.

L'appelante s'est ainsi rendu coupable d'infractions aux art. 87 al. 2 LAVS et 76 al. 2 LPP. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

4. 4.1.1. L'infraction à l'art. 157 al. 1 CP est passible d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire et celle à l'art. 117 al. 1 LEI l'est d'une peine privative de liberté d'un an au plus ou d'une peine pécuniaire. À moins qu'il ne s'agisse d'un délit ou d'un crime frappé d'une peine plus lourde par le code pénal, l'infraction à l'art. 87 al. 2 LAVS est passable d’une peine pécuniaire de 180 jours-amende au plus et celle à l'art. 76 al. 2 LPP l'est de l'emprisonnement pour six mois au plus ou d'une amende de CHF 30'000.- au plus.

4.1.2. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution (objektive Tatkomponente). Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur (subjektive Tatkomponente). À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même (Täterkomponente), à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 142 IV 137 consid. 9.1 ; 141 IV 61 consid. 6.1.1). L'art. 47 CP confère un large pouvoir d'appréciation au juge (ATF 144 IV 313 consid. 1.2).

4.1.3. Selon l'art. 49 al. 1 CP, si, en raison d'un ou de plusieurs actes, l'auteur remplit les conditions de plusieurs peines de même genre, le juge le condamne à la peine de l'infraction la plus grave et l'augmente dans une juste proportion. Il doit, dans un premier temps, fixer la peine pour l'infraction abstraitement – d'après le cadre légal fixé pour chaque infraction à sanctionner – la plus grave, en tenant compte de tous les éléments pertinents, parmi lesquels les circonstances aggravantes ou atténuantes. Dans un second temps, il augmentera cette peine pour sanctionner chacune des autres infractions, en tenant là aussi compte de toutes les circonstances y relatives (ATF 144 IV 313 consid. 1.1.2).

4.2. En l'espèce, la faute de l'appelante est importante. Elle a notamment réalisé une infraction à l'art. 157 ch. 1 CP, qui protège un bien juridique élevé. Elle n'a pas hésité à faire travailler son employée, en situation irrégulière, en exploitant sa précarité d'existence, pour un salaire moindre et choquant, omettant au passage de s'acquitter des cotisations sociales, au mépris des lois en vigueur, qu'elle devait connaitre étant elle-même étrangère mais bien installée en Suisse. Elle a agi ainsi durant neuf mois, et aurait probablement continué à le faire sans l'incident lié à son fils, par appât d'un gain facile et de manière égoïste.

Sa situation personnelle, certes difficile, ne justifie en rien son comportement, d'autant plus qu'elle était aidée par l'Hospice général qui prenait en charge les frais de garde de son plus jeune enfant.

Sa collaboration ne saurait être qualifiée de bonne. Face à l'évidence, l'appelante a admis les faits reprochés mais a, jusqu'en appel, persisté à nier sa culpabilité. Il ne ressort pas du dossier qu'elle ait manifesté des regrets. Sa prise de conscience apparait dès lors nulle.

Elle n'a aucun antécédent judiciaire, ce qui constitue un élément neutre dans la fixation de la peine.

Le prononcé d'une peine pécuniaire, à juste titre, est acquis à l'appelante (art. 391 al. 2 CP).

Il y a concours d'infractions, la plus grave étant l'usure (art. 157 al. 1 CP). Compte tenu de l’ensemble des circonstances, la peine de base doit être arrêtée à 90 jours-amende. Elle sera augmentée dans une juste proportion de 30 jours-amende (peine hypothétique : 60 jours-amende) pour tenir compte du concours avec l'infraction à la LEI, et de 30 jours-amende (peine hypothétique : 60 jours-amende) pour celle à la LAVS.

La peine pécuniaire de 150 jours-amende prononcée par le premier juge sera donc confirmée.

Le montant du jour-amende, établi à CHF 30.- par le TP, le bénéfice du sursis (art.  42 al. 1 CP) et le délai d’épreuve fixé à trois ans, apparaissent adéquats ; ils seront donc confirmés (art. 391 al. 2 CPP).

Pour sanctionner l'infraction à la LPP, l'amende de CHF 900.- prononcée par le TP, adéquate, sera également confirmée.

L’appel est ainsi rejeté.

5. L'appelante, qui succombe entièrement, supportera les frais de la procédure envers l'État, y compris un émolument d'arrêt de CHF 1'500.- (art. 428 al. 1 CPP).

Il n'y a pas lieu de revoir la répartition des frais de première instance (art.  426 al. 1 CPP).

6. Vu l'issue de son appel, les conclusions en indemnisation de l'appelante seront rejetées (art. 429 al. 1 let. a CPP).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/1026/2023 rendu le 15 août 2023 par le Tribunal de police dans la procédure P/14127/2022.

Le rejette.

Condamne A______ aux frais de la procédure d'appel, en CHF 1'615.-, qui comprennent un émolument de CHF 1'500.-.

Rejette ses conclusions en indemnisation (art. 429 CPP).

Confirme le jugement entrepris, dont le dispositif est le suivant :

"Déclare A______ coupable d'usure (art. 157 ch. 1 CP), d'infraction à l'art. 117 al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration (LEI), d'infraction à l'art. 87 al. 2 de la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants (LAVS) et d'infraction à l'art. 76 al. 2 de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle, vieillesse, survivants et invalidité (LPP).

Condamne A______ à une peine pécuniaire de 150 jours-amende (art. 34 CP).

Fixe le montant du jour-amende à CHF 30.-.

Met A______ au bénéfice du sursis et fixe la durée du délai d'épreuve à 3 ans (art. 42 et 44 CP).

Avertit A______ que si elle devait commettre de nouvelles infractions durant le délai d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et la peine suspendue exécutée, cela sans préjudice d'une nouvelle peine (art. 44 al. 3 CP).

Condamne A______ à une amende de CHF 900.- (art. 106 CP).

Prononce une peine privative de liberté de substitution de 30 jours.

Dit que la peine privative de liberté de substitution sera mise à exécution si, de manière fautive, l'amende n'est pas payée.

Rejette les conclusions en indemnisation de A______ (art. 429 CPP).

Condamne A______ aux frais de la procédure, qui s'élèvent à CHF 1'041.-, y compris un émolument de jugement de CHF 300.- (art. 426 al. 1 CPP).

(…)

Condamne A______ à payer un émolument complémentaire de CHF 600.- à l'Etat de Genève."

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police, à l’Office fédéral des assurances sociales, au Secrétariat d'État aux migrations et à l'Office cantonal de la population et des migrations.

 

La greffière :

Lylia BERTSCHY

 

La présidente :

Gaëlle VAN HOVE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.

 


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

1'641.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

40.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

00.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

1'500.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

1'615.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

3'256.00