Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/1116/2024 du 11.11.2024 ( ICCIFD ) , REJETE
En droit
Par ces motifs
république et | canton de genève | |||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 11 novembre 2024
|
dans la cause
Madame A______
contre
ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE
ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS
1. Pour l’année fiscale 2022, Madame A______ a été soumise au régime d’imposition à la source.
2. Par courrier du 28 novembre 2022, expédié à l’adresse de son employeur, (la Confédération suisse – DFAE), l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a remis à Mme A______ un document contenant des explications détaillées pour le dépôt d’une demande de ratification de l’impôt à la source (ci-après : DRIS) ou d’une demande de taxation ultérieure (ci-après : TOU) pour l’année 2022, soulignant en particulier que le délai pour les déposer était fixé au 31 mars 2023 et que celui-ci était « impératif ». Ce pli contenait un formulaire « DRIS/TOU » 2022, avec les instructions pour le remplir.
3. Le 5 mai 2023, la contribuable a déposé ledit formulaire. Elle y a coché la case « DRIS-Demande de rectification de l’impôt à la source », précisant vouloir obtenir une correction du barème et/ou du taux d’imposition appliqué par son employeur. Dans une lettre annexe, elle a notamment indiqué avoir manqué le délai au 31 mars 2023 en raison d’un « malheureux coucous de circonstances ».
4. Par courrier du 11 mai 2023, expédié également à l’adresse de l’employeur,
l'AFC-GE a accusé réception de cette demande.
5. Par décision du 12 février 2024, expédiée à l’adresse privée de la contribuable (en Allemagne), l'AFC-GE a déclaré irrecevable sa demande de rectification, motif pris de sa tardiveté.
6. Le 5 mars 2024, la contribuable a formé réclamation contre cette décision.
L'AFC-GE lui avait envoyé ses « courriers » à l’adresse de son employeur, et non à l’adresse de son domicile privé, de sorte qu’ils lui avaient été transmis
« que de manière lacunaire et le cas échéant avec du retard ».
Pour le surplus, elle a exposé des motifs pour lesquels sa taxation 2022 devait être examinée au fond.
7. Par décision du 28 mars 2024, l'AFC-GE a rejeté cette réclamation.
Pour déposer une demande de rectification, la loi fixait le délai au 31 mars de l’année qui suivait l’année de taxation et celui-ci ne pouvait pas être prolongé.
8. Par acte déposé le 8 mai 2024, la contribuable a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant implicitement à son annulation.
Depuis 2019, elle effectuait son travail depuis l’Allemagne et ne se rendait en Suisse qu’« occasionnellement » pour des réunions professionnelles.
Ses revenus réalisés en Suisse ayant dû être imposés en Allemagne, dès le 1er juillet 2022, la taxation querellée aboutissait à une double imposition.
Elle contestait la décision entreprise en raison du fait que durant la période de 2002 à 2023, l'AFC-GE ne lui avait pas adressé ses « courriers » à son domicile, mais à Berne, auprès du DFAE. Cette adressage erroné avait entrainé « selon les cas un retard ou une absence de transmission des écrits par [son] employeur, ce qui a[vait] un obstacle évident pour respecter les délais impartis pour la procédure de demande de rectification d’imposition à la source ». Cette erreur justifiait un traitement de sa demande au fond en dehors du délai légal.
9. Le 3 juillet 2024, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours au motif de la tardiveté de la demande de rectification du 5 mai 2023.
10. Invitée par le tribunal à le faire, la contribuable n’a pas déposé de réplique.
1. Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l'AFC-GE (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).
2. Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.
3. Contestant l’irrecevabilité de sa requête du 5 mai 2023, la recourante demande que sa taxation à la source pour l’année 2022 soit examinée au fond.
4. En matière de décision d’irrecevabilité, seule la question de l’irrecevabilité peut faire l’objet du recours et non pas la taxation en tant que telle. Dans un tel cas, l’autorité de recours doit d’abord examiner si les conditions formelles de la recevabilité (forme écrite, délai, motivation, moyen de preuve, etc.) sont ou non remplies et, si tel n’est pas le cas, elle doit rejeter le recours déposé devant elle sans examiner elle-même le détail de la taxation (cf. ATF 131 II 548 consid. 2.3 ;
123 II 552 consid. 4c ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_227/2021 du 16 avril 2021 consid. 2.2 ; 2C_930/2018 du 25 octobre 2018 consid. 3).
Ainsi, l’objet du présent litige se limite à la question de savoir si c’est à bon droit que l’AFC-GE a déclaré irrecevable la demande de rectification de la recourante du 5 mai 2023, en raison de sa tardiveté. Il en résulte que tous les griefs relatifs au bien-fondé de la taxation à la source concernée sont irrecevables.
5. En droit fédéral, l'impôt à la source est régi dans la LIFD et la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642), qui sont applicables en l'espèce dans leur teneur en vigueur en 2022 (cf. arrêts du Tribunal fédéral 9C_689/2022 du 12 avril 2023 consid. 4.1 ; 2C_60/2020 du 27 avril 2021 consid. 3 et 4).
Au niveau cantonal, c’est la nouvelle loi sur l’imposition à la source des personnes physiques et morales du 16 janvier 2020 (LISP - D 3 20), entrée en vigueur le 1er janvier 2021, et la LPFisc qui sont applicables.
6. Alors que l'impôt sur le revenu est perçu selon une procédure de taxation mixte, laquelle implique le dépôt d'une déclaration d'impôt par le contribuable, l'impôt à la source repose sur le principe de l'auto-taxation. Il est perçu par le débiteur de la prestation imposable (à savoir, lorsqu'il concerne le revenu du travail, l'employeur du contribuable), lequel a notamment l'obligation de retenir l'impôt dû, de le verser périodiquement à l'autorité fiscale compétente, d'établir à son intention les relevés y relatifs et de lui permettre de consulter tous les documents utiles au contrôle de la perception de l'impôt. Malgré cette substitution, le contribuable conserve certaines obligations de procédure, telle celle de donner des renseignements sur les éléments déterminants pour la perception de l'impôt à la source. Ainsi, l’impôt à la source se substitue à l'impôt fédéral direct et à l'impôt cantonal et communal perçus selon la procédure ordinaire. Aucune déduction ultérieure supplémentaire n’est accordée (cf. ATA/1151/2024 du 1er octobre 2024 consid. 2.9 et les références citées).
7. Aux termes de l’art. 137 LIFD, le contribuable peut, jusqu’au 31 mars de l’année fiscale qui suit l’échéance de la prestation, exiger que l’autorité de taxation rende une décision relative à l’existence et l’étendue de l’assujettissement, en particulier s’il conteste l’impôt à la source indiqué sur l’attestation (al. 1 let. a).
En droit cantonal également, selon l’art. 38E al. 1 LPFisc, le contribuable peut, jusqu’au 31 mars de l’année fiscale qui suit l’échéance de la prestation, exiger que l’autorité fiscale rende une décision relative à l’existence et l’étendue de l’assujettissement : a) s’il conteste l’impôt à la source indiqué sur l’attestation mentionnée à l’art. 38A al. 1 let. b LPFisc ou b) si l’employeur ne lui a pas remis l’attestation mentionnée à l’art. 38A al. 1 let. b LPFisc.
8. Il appartient au contribuable qui dispose des informations lui permettant d'intervenir auprès de l'autorité de demander à cette dernière, dans le délai précité, une décision sur l'étendue de son assujettissement. S'il omet de le faire, il ne peut pas se prévaloir de la voie de la révision au sens des art. 147 LIFD et 55 LPFisc (ATA/1151/2024 précité consid. 2.11).
La décision à requérir par le contribuable constitue une décision en constatation, qui vise à renseigner l'administré, de manière obligatoire pour l'autorité, sur une situation de droit ou une interprétation ou une application éventuelle du droit. Le mécanisme de l'imposition à la source étant fondé sur le régime de l'auto-taxation, l’art. 137 LIFD [équivalant à l’art. 38E al. 1 LPFisc] a pour objectif de faire surgir rapidement contestations éventuelles de sur le principe de l'assujettissement à l'impôt à la source (Andrea PEDROLI, in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd.], Commentaire romand, LIFD, 2e éd., 2017, p. 1749 n. 3 et 4).
9. La chambre administrative de la Cour de justice a récemment retenu (ATA/549/2024 du 30 avril 2024) que les travaux préparatoires relatifs à la révision du droit cantonal, notamment de l’art. 38F LPFisc, indiquaient clairement qu’il appartenait au contribuable de se manifester en demandant une rectification de l’impôt à la source ou le passage à une taxation ordinaire avant le 31 mars suivant l’année fiscale visée pour l’ensemble des éléments déterminants. En d’autres termes, passé le délai du 31 mars, le contribuable était forclos à remettre en cause les éléments de taxation. Elle en a fait de même dans un arrêt encore plus récent (ATA/1151/2024 précité), relevant que la solution inverse consistant à admettre que les contribuables taxés à la source pourraient contester leur taxation alors que celle-ci était entrée en force, créerait une inégalité de traitement avec les contribuables imposés de manière ordinaire, qui ne pouvaient contester leur bordereau de taxation après l’échéance du délai de réclamation (consid. 3).
10. Les délais fixés par la loi sont des dispositions impératives de droit public. Ils ne sont en principe pas susceptibles d'être prolongés, restitués ou suspendus, si ce n'est par le législateur lui-même. Ainsi, celui qui n'agit pas dans le délai prescrit est forclos (cf. ATA/286/2020 du 10 mars 2020).
Les règles relatives à ce type de délais nécessitent une stricte application, ceci pour des motifs d'égalité de traitement et d'intérêt public lié à une bonne administration de la justice et à la sécurité du droit. Ainsi, l'irrecevabilité qui sanctionne le non-respect d'un délai n'est en principe pas constitutive d'un formalisme excessif prohibé par l'art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) (cf. not. ATF 142 V 152 consid. 4.2).
11. Selon la jurisprudence, les conditions pour admettre un empêchement sont très strictes. La restitution du délai suppose que le contribuable n'a pas respecté le délai légal en raison d'un empêchement imprévisible, dont la survenance ne lui est pas imputable à faute (arrêt du Tribunal fédéral 2C_40/2018 du 8 février 2018 consid. 5.1 et 5.2 et les références citées). Celui-ci peut résulter d’une impossibilité objective ou subjective. Il doit être de nature telle que le respect des délais aurait exigé la prise de dispositions que l’on ne peut raisonnablement attendre de la part d’un homme d’affaires avisé (ATA/633/2022 du 14 juin 2022 consid. 2a et les références citées).
Les cas de force majeure, soit les événements extraordinaires et imprévisibles qui surviennent en dehors de la sphère d'activité de l'intéressé et qui s'imposent à lui de l'extérieur de façon irrésistible demeurent aussi réservés. Pour établir l'existence d'un cas de force majeure, le fardeau de la preuve incombe à l'assujetti (ATA/461/2018 du 8 mai 2018 ; ATA/328/2018 du 10 avril 2018).
En particulier, l’absence du pays ne constitue pas un événement extraordinaire et imprévisible lorsqu’elle est planifiée et le seul fait de se trouver à l'étranger ne permet pas de conclure à une impossibilité de communiquer avec la Suisse (ATA/199/2012 du 3 avril 2012 ; ATA/227/2007 du 8 mai 2007 et les références citées).
12. En l’espèce, dans sa demande du 5 mai 2023, la recourante s’est plainte de ce que son employeur aurait appliqué un faux barème, ou un taux inexact, et d'avoir fait l'objet de l’impôt à la source pour toute l’année 2022, alors qu’elle n’y aurait pas été soumise dès le 1er juillet de cette année, ce qui relève de toute évidence d'une question d'assujettissement à cet impôt. Or, à teneur tant de l'art. 137 al. 1 LIFD que de l'art. 38E LPFisc, pour régler une question de cette nature, tout contribuable soumis à l'impôt à la source se doit de solliciter une décision constatatoire tranchant la question de cet assujettissement avant le 31 mars de l'année suivant l'échéance de la prestation. N'ayant pas accompli cette démarche dans ce délai, la recourante est forclos.
C’est en vain qu’elle se prévaut d’une prétendue notification irrégulière des « courriers » que l'AFC-GE lui a adressés auprès de son employeur, à savoir ceux des 28 novembre 2022 et 11 mai 2023. L’on ne voit en effet pas en quoi cette notification l’aurait empêchée de déposer sa demande de rectification avant le 31 mars 2023. D’ailleurs, elle ne prétend pas qu’elle ne les aurait pas reçus mais allègue simplement, sans en apporter la moindre preuve, qu'elle les aurait reçus partiellement et tardivement, sans indiquer à quelle date exactement elle les aurait reçus. En tout état, pour connaitre ses obligations en matière d’impôt à la source et les règles de procédure relatives à une demande de rectification, il lui aurait suffi de consulter le site internet de l'AFC-GE (www.ge.ch./impôts), lequel lui était accessible également depuis l’Allemagne.
Pour le surplus, elle ne démontre pas, ni d’ailleurs n’allègue, l'existence d'un motif d’empêchement au sens de la jurisprudence précitée ou la survenance d'un cas de force majeure qui l’auraient concrètement empêchée d'agir en temps utile ou de désigner un tiers pour s'en charger à sa place. Ses absences de Suisse courant 2022 et 2023 ne sauraient être considérées comme un tel motif. L’on ne voit en effet pas en quoi elles l’auraient empêchée de mandater un tiers pour agir à sa place en temps utile.
Dans ces conditions, c’est à bon droit que l'AFC-GE a considéré que la demande de la recourante du 5 mai 2023 était tardive et refusé d'entrer en matière, étant précisé que cette requête ne peut pas être considérée comme une demande de révision car à teneur de la jurisprudence fédérale, la voie de la révision n’est pas ouverte pour remettre en question la portée d’un assujettissement à l’impôt à la source pour lequel aucune décision n’a été requise dans le délai légal imparti (ATA/1151/2024 précité et les arrêts cités).
13. Partant, le recours doit être rejeté.
14. Cela étant, comme l'AFC-GE l’a relevé dans sa réponse, la recourante peut, indépendamment de l’issue du présent litige, soumettre son cas à l'autorité compétente de son pays de résidence, comme l’autorise l’art. 26 de la Convention entre la Confédération suisse et la République fédérale d’Allemagne en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune du 11 août 1971 (RS 0.672.913.62).
15. En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable le recours interjeté le 8 mai 2024 Madame A______ contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 28 mars 2024 ;
2. le rejette ;
3. met à la charge de la recourante un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;
4. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Siégeant: Gwénaëlle GATTONI, présidente, Jean-Marie HAINAUT et Yuri KUDRYAVTSEV, juges assesseurs.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Gwénaëlle GATTONI
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.
Genève, le |
| Le greffier |