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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/20742/2021

CAPH/101/2024 du 02.12.2024 sur OTPH/1118/2024 ( SS ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/20742/2021 CAPH/101/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU LUNDI 2 DECEMBRE 2024

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ (ZH), recourant contre une ordonnance rendue par le Tribunal des prud'hommes le 3 juillet 2024, représenté par Me Suat AYAN, avocate, route du Mont-Carmel 2, 1762 Givisiez,

et

B______, domiciliée ______ [GE], intimée, représentée par Me Emma LOMBARDINI, avocate, Poncet Turrettini, rue de Hesse 8, case postale, 1211 Genève 4.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


EN FAIT

A.           Par ordonnance OTPH/1118/2024 du 3 juillet 2024, expédiée pour notification le même jour, le Tribunal des prud'hommes a rejeté les requêtes de A______ du 8 mai 2024 en production du ou des rapports en lien avec les problèmes affectant les locaux, la confrontation des témoins C______ et D______ ainsi que l'audition des témoins E______ et F______, y compris pour ce qui concerne ce dernier, par la voie d'une commission rogatoire internationale, voire par le biais de renseignements écrits et la suspension de la procédure jusqu'au retour du témoin en Suisse ou jusqu'à l'entrée en vigueur des dispositions du CPC sur la vidéoconférence (chiffre 1 du dispositif), confirmé l'ordonnance de preuve du 11 juillet 2023 pour le surplus (ch. 2) et informé les parties qu'elles seraient prochainement convoquées à une audience de plaidoiries finales (ch. 3).

B.            Par acte du 15 juillet 2024, A______ a formé recours contre cette ordonnance. Il a conclu à l'annulation de celle-ci, cela fait à ce que soient admises ses réquisitions de preuves en production du ou des rapports en lien avec les problèmes affectant les locaux de [la banque] B______, en confrontation des témoins C______ et D______, en audition du témoin F______ par convocation, commission rogatoire internationale, renseignements écrits ou "par suspension de la procédure jusqu'au retour du témoin en Suisse ou jusqu'à l'entrée en vigueur des dispositions du CPC sur la vidéoconférence", et en audition du témoin E______, sous suite de frais et dépens.

A titre préalable, il a requis la suspension du caractère exécutoire de la décision entreprise, ce qui a été accordé par arrêt de la Cour du 20 août 2024.

B______ a conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet, sous suite de frais.

Les parties ont respectivement répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions.

Par avis du 8 octobre 2024, elles ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Il résulte de la procédure de première instance les faits pertinents suivants:

a. Après s'être fait délivrer une autorisation de procéder, A______ a saisi le Tribunal d'une demande par laquelle il a conclu à ce que B______ soit condamnée à lui verser 160'000 fr. nets, 129'000 fr. bruts et 10'000 fr., avec suite d'intérêts moratoires, ainsi qu'à lui remettre un certificat de travail, sous suite de frais judiciaires et dépens. A titre préalable, il a requis la production par la précitée de divers rapports, dont celle "du ou des rapports délivrés par le ou les experts mandatés […] en lien avec les problèmes d'ondes électriques/magnétiques affectant les locaux où travaillait [son] équipe", de tous autres documents relatifs à la situation de sécurité et de salubrité du 1er étage du bâtiment sis no. ______ rue 1______ à Genève, ainsi que de divers autres documents.

Il a fondé ses première et troisième prétentions pécuniaires sur les art. 336 al. 1 let. a, c et d CO et 336a CO, respectivement 328 et 49 CO, et sa deuxième prétention sur une stipulation contractuelle relative à la rémunération variable.

B______ a conclu au déboutement de A______ des fins de ses conclusions préalables et de ses conclusions de fond.

Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

Elles ont formulé diverses réquisitions de preuves.

b. Par ordonnance du 11 juillet 2023, le Tribunal a admis notamment, et sans développer de motivation, l'audition des témoins F______ et C______ de même que D______ (en retenant que celle-ci s'exprimerait sur des faits pertinents et contestés), et réservé celle de E______, de même que la question de la production d'un rapport en lien avec les problèmes d'ondes électriques/magnétiques. Sur ce dernier point, il a considéré qu'il s'imposait de procéder dans un premier temps à l'administration de l'autre offre de preuve offerte à cet égard (témoignage).

Les deux témoins D______ et C______ ont été entendus successivement par le Tribunal.

Par courriel du 8 janvier 2024, F______ a signalé au Tribunal avoir reçu une convocation à comparaître à l'audience du 8 février 2024, ne plus habiter la Suisse depuis fin octobre 2020, et résider aux Emirats Arabes Unis; il a ajouté ce qui suit: "dans ce contexte, je ne pense pas pouvoir répondre à votre convocation et je vous prie vivement par avance de bien vouloir m'en excuser".

Le 6 mars 2024, F______ a été convoqué à nouveau (pour adresse B______) pour une audience fixée au 18 avril 2024.

Le procès-verbal de l'audience du Tribunal du 18 avril 2024 ne comporte aucune mention relative au témoin susmentionné; une "note du Tribunal" le conclut, libellée ainsi: "un délai au 8 mai 2024 est accordé au demandeur pour faire parvenir au greffe, avec copie à son adverse partie, sa détermination sur le maintien ou non de l'audition des témoins restants ainsi que le maintien ou non de ses conclusions en production de pièces qui sont réservées […]"-

Le 8 mai 2024, A______ a persisté à requérir l'audition de la témoin E______, ainsi que du témoin F______, cas échéant par voie de commission rogatoire voire renseignements écrits, et à titre subsidiaire a sollicité la suspension de la procédure jusqu'au "retour du témoin F______ en Suisse, ou à tout le moins jusqu'au 1er janvier 2025". Il a requis la confrontation des témoins D______ et C______, et maintenu sa réquisition de preuves portant sur les rapports en lien avec les problèmes affectant les locaux où son équipe travaillait.

B______ a conclu que la cause était en état d'être jugée.

A______ a répliqué, persistant dans ses conclusions sur administration de preuves.

c. Sur quoi, l'ordonnance attaquée a été rendue. Le Tribunal y a notamment retenu, par appréciation anticipée des preuves entre autres motifs, que la production des rapports ne se justifiait pas, au vu des témoignages recueillis sur la question des ondes électriques et magnétiques dans les locaux, pas plus que celle des témoins E______ et F______, et que la confrontation requise n'apporterait pas d'éléments utiles à la manifestation de la vérité.

EN DROIT

1.             1.1 Le recours est recevable contre les décisions et ordonnances d'instruction de première instance dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b
ch. 2 CPC).

Les ordonnances d'instruction se rapportent à la préparation et à la conduite des débats; elles statuent en particulier sur l'opportunité et les modalités de l'administration des preuves, ne déploient ni autorité ni force de chose jugée et peuvent en conséquence être modifiées ou complétées en tout temps. Il en va ainsi notamment lorsque le tribunal fixe des délais ou ordonne des échanges d'écritures (Jeandin, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 14
ad art. 319 CPC).

Quant aux "autres décisions", leur prononcé marque définitivement le cours des débats et déploie – dans cette seule mesure – autorité et force de chose jugée à l'encontre des parties ou des tiers concernés. Une telle qualification échoit par exemple aux décisions statuant sur une récusation, une suspension ou sur l'admission de faits et moyens de preuve nouveaux (Jeandin, op. cit., n. 15
ad art. 319 CPC).

La distinction entre "autres décisions" et "ordonnances d'instruction" – qui n'est pas toujours aisée – ne joue véritablement de rôle qu'en vue de calculer le délai de recours (Jeandin, op. cit., n. 16 ad art. 319 CPC). Le recours, écrit et motivé, est en effet introduit auprès de l'instance de recours dans les trente jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 321 al. 1 CPC), alors que le délai est de dix jours pour les ordonnances d'instruction (art. 321 al. 2 CPC).

1.2 En l'espèce, le recours a été formé dans le délai de dix jours, auprès de l'autorité compétente (art. 120 al. 1 let. a LOJ), par une partie qui y a intérêt
(art. 59 al. 2 let. a CPC) et en suivant la forme prévue par la loi (art. 130, 131 et 321 al. 1 CPC), de sorte qu'il est recevable à cet égard.

2.             Le recours n'étant pas prévu par la loi, reste à déterminer si l'ordonnance querellée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable au recourant au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC.

2.1 Constitue un "préjudice difficilement réparable" au sens de l'art. 319 let. b
ch. 2 CPC toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (
ACJC/416/2022 du 22 mars 2022 consid. 3.1; ACJC/1827/2018 du 13 décembre 2018 consid. 2.1.1; ACJC/580/2017 du 19 mai 2017 consid. 2.1 et les références citées).

En résumé, la notion de préjudice difficilement réparable doit être interprétée restrictivement puisque la personne touchée disposera le moment venu de la faculté de remettre en cause la décision ou ordonnance en même temps que la décision au fond: il incombe au recourant d'établir que sa situation procédurale serait rendue notablement plus difficile et péjorée si la décision querellée était mise en œuvre, étant souligné qu'une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais ne suffisent pas. On retiendra l'existence d'un préjudice difficilement réparable lorsque ledit préjudice ne pourra plus être réparé par un jugement au fond favorable au recourant, ce qui surviendra par exemple lorsque des secrets d'affaires sont révélés ou qu'il y a atteinte à des droits absolus à l'instar de la réputation, de la propriété et du droit à la sphère privée (Jeandin, op. cit.,
n. 22a ad art. 319). De même, le rejet d'une réquisition de preuve par le juge de première instance n'est en principe pas susceptible de générer un préjudice difficilement réparable, sauf dans des cas exceptionnels à l'instar du refus d'entendre un témoin mourant ou du risque que les pièces dont la production est requise soient finalement détruites (Jeandin, op. cit., n. 22b ad art. 319).

Si la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas remplie, le recours est irrecevable et la partie doit attaquer la décision incidente avec la décision finale sur le fond (ACJC/728/2022 du 31 mai 2022 consid. 2.1; CAPH/35/2018 du 19 mars 2018 consid. 2.1; CAPH/172/2017 du 3 novembre 2017 consid. 2.1; Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse [CPC], FF 2006 6841, p. 6984).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie ATF 141 III 80 consid. 1.2; 134 III 426 consid. 1.2; 133 III 629 consid. 2.3.1).

2.2 En l'espèce, le recourant affirme que la non administration de moyens de preuve aurait pour conséquence qu'ils ne pourraient plus être "réitérés que dans le cadre d'un éventuel appel contre la décision finale", ce qui péjorerait sa situation procédurale. En particulier, le témoignage F______ serait d'une telle importance qu'il ne pourrait être renoncé à le recueillir avant de statuer au fond. Quant à la production du rapport, elle s'imposerait en raison d'un risque de disparition de celui-ci.

Pareille motivation est indigente. En effet, le recourant admet lui-même, malgré une formulation peu claire, qu'il pourra faire valoir son argumentation relative à la non administration de l'audition du témoin qu'il considère comme capital, dans le cadre d'un appel éventuel dirigé contre le jugement au fond. C'est dire qu'il n'est pas à même d'établir les conditions du préjudice difficilement réparable sur ce point, étant rappelé que ni la prolongation de la procédure ni l'accroissement des frais ne sont des éléments pertinents. Peu importe que l'administration du moyen de preuve ait été admise par le Tribunal dans un premier temps, puisque les ordonnances de preuve peuvent être modifiées en tout temps (art. 154 CPC).

S'agissant de la production du ou des rapports, le recourant se limite à évoquer un risque de disparition de ceux-ci, sans apporter aucun indice concret en ce sens.

Enfin, il ne s'attache pas à motiver l'existence d'un supposé préjudice difficilement réparable en lien avec les autres points de l'ordonnance attaquée, de sorte qu'il n'y a pas à s'y attarder davantage.

Il s'ensuit que le recours n'est pas recevable.

3. Le recourant, qui succombe, supportera les frais de son recours (art. 106
al. 1 CPC), arrêtés à 400 fr. (art. 24, 68 RTFMC), compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève.

Il n'est pas alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes :

Déclare irrecevable le recours formé par A______ contre l'ordonnance OTPH/1118/2024, rendue par le Tribunal des prud'hommes le 3 juillet 2024.

Arrête les frais du recours à 400 fr., compensés avec l'avance opérée, et les met à la charge de A______.

Siégeant :

Madame Sylvie DROIN, présidente; Madame Nadia FAVRE, Monsieur Valery BRAGAR, juges assesseurs; Madame Fabia CURTI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.