Décisions | Chambre des baux et loyers
ACJC/1136/2025 du 14.08.2025 sur JTBL/1027/2024 ( OBL ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/18999/2023 ACJC/1136/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre des baux et loyers DU JEUDI 14 AOUT 2025 |
Entre
Monsieur A______, domicilié ______ [GE], appelant d’un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 17 octobre 2024, représenté par Me Marie-Laure CHEVRE, avocate, rue Ferdinand-Hodler 23, case postale, 1211 Genève 3.
et
FONDATION B______, sise ______ [GE], intimée, représentée par le SECRETARIAT DES FONDATIONS IMMOBILIERES DE DROIT PUBLIC.
A. Par jugement JTBL/1027/2024 du 17 octobre 2024, expédié pour notification aux parties le 21 octobre 2024, le Tribunal des baux et loyers (ci-après : le Tribunal) a déclaré efficace le congé avec effet immédiat notifié le 14 août 2023 à A______ pour le 30 septembre 2023 concernant l'appartement de trois pièces situé au 2ème étage de l'immeuble sis avenue 1______ no. 2______, [code postal] C______ [GE] (ch. 1 du dispositif), condamné A______ à évacuer immédiatement de sa personne et de ses biens, ainsi que de tout tiers, l'appartement visé sous chiffre 1 et la cave qui en dépend (ch. 2), transmis la cause, à l'expiration du délai d'appel, au Tribunal, siégeant dans la composition prévue par l'art. 30 LaCC, pour statuer sur les mesures d'exécution sollicitées (ch. 3), dit que la procédure était gratuite (ch. 4) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).
B. a. Par acte déposé le 21 novembre 2024 au greffe de la Cour de justice, A______ a formé appel contre ce jugement, dont il a sollicité l'annulation des chiffres 1, 2, 3 et 5 de son dispositif et a conclu à l'inefficacité, respectivement la nullité de la résiliation extraordinaire du bail notifiée le 15 (recte :14) août 2023 pour le 30 septembre 2023 s'agissant de l'appartement de trois pièces au 2ème étage de l'immeuble sis avenue 1______ no. 2______.
b. Dans sa réponse du 7 janvier 2025, la FONDATION B______ a conclu à la confirmation du jugement entrepris.
c. A______ a répliqué le 10 février 2025 et la FONDATION B______ a dupliqué le 11 mars 2025, les parties persistant dans leurs conclusions respectives.
d. Les parties ont été avisées le 7 avril 2025 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.
e. Le 26 mai 2025, la FONDATION B______ a déposé une pièce complémentaire.
C. Les éléments suivants résultent de la procédure :
a. En date du 18 novembre 2004, la FONDATION B______, bailleresse, et A______, locataire, ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur la location d’un appartement de trois pièces situé au 2ème étage de l’immeuble sis avenue 1______ no. 2______, [code postal] C______, destiné à l’usage d’habitation.
Le contrat a été conclu pour une durée initiale d’un an, du 1er décembre 2004 au 31 décembre 2005, renouvelable ensuite tacitement d’année en année, sauf résiliation respectant un préavis d’un mois.
Le loyer a été fixé en dernier lieu à 426 fr. par mois, charges comprises.
L’immeuble est géré par la régie D______, devenue ensuite E______.
b. Dans la nuit du 5 au 6 juillet 2023, un incendie s’est déclaré dans les caves de l’immeuble sis avenue 1______ no. 3______, dont la bailleresse est également propriétaire, entraînant le décès de deux locataires dans la cage d’escalier de l’immeuble, dont un enfant.
c. La bailleresse a déposé plainte pénale le 7 juillet 2023 pour ces faits.
d. Sur la base des images de vidéosurveillance transmises par la bailleresse, A______ a été arrêté le 18 juillet 2023 et mis en détention provisoire le 20 juillet 2023 pour incendie intentionnel (art. 221 CP) et meurtre (art. 111 CP) pour une durée de trois mois (prolongeable).
e. Il ressort de l’ordonnance du Tribunal des mesures de contrainte du 20 juillet 2023, que le locataire est en particulier soupçonné d’avoir intentionnellement mis le feu à un tas de déchets encombrants déposés sur l’arrière de l’allée de l'immeuble sis avenue 1______ no. 3______, ayant provoqué un incendie atteignant plus d’un mètre de hauteur et des dégâts au mur. Il est également soupçonné d’avoir mis intentionnellement le feu aux caves n° 6______ et n° 7______, ayant provoqué un incendie les détruisant, ainsi qu’un important dégagement de fumée exposant les occupants du bâtiment à un risque concret d’atteintes corporelles et de décès. A cet égard, il est soupçonné d’avoir intentionnellement, ou à tout le moins par dol éventuel, causé le décès des deux locataires.
f. Par avis de résiliation du 14 août 2023, après avoir eu connaissance de l’ordonnance précitée en date du 9 août 2023, la bailleresse a résilié le bail du locataire de manière extraordinaire pour le 30 septembre 2023. Le motif invoqué était le suivant : « Résiliation conformément à l'art. 257f al. 4 CO vu l'ordonnance de mise en détention provisoire du 20 juillet 2023 et mise en prévention pour incendie criminel et meurtre s'agissant des évènements de la nuit du 5 au 6 juillet 2023 ».
g. Par requête déposée le 14 septembre 2023 par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, déclarée non conciliée lors de l'audience du 29 novembre 2023 et portée devant le Tribunal le 22 décembre 2023, le locataire a contesté le congé du 14 août 2023, concluant à son inefficacité.
A l'appui de sa requête, il a allégué que la présomption d'innocence devait s'appliquer dans le cas d'espèce et que la résiliation ne pouvait pas être prononcée sur la base d'un simple soupçon de culpabilité.
h. Par mémoire de réponse et demande reconventionnelle du 12 février 2024, la bailleresse a conclu, sur demande principale, au déboutement du locataire de toutes ses conclusions et à la validation du congé et, sur demande reconventionnelle, à l'évacuation du locataire avec exécution directe, la poursuite du contrat étant devenue insupportable.
i. Le locataire a conclu au rejet de la demande reconventionnelle par écriture du 29 avril 2024.
j. Il ressort de la procédure pénale les éléments suivants :
Sur les images de vidéosurveillance des immeubles sis no. 3______ et no. 2______ avenue 1______, ainsi que des couloirs reliant les caves des immeubles sis no. 5______ à no. 2______ avenue 1______, l'on voit A______ entrer et sortir à plusieurs reprises de son immeuble (i.e. l'allée 2______) le 5 juillet 2023, puis descendre, à 23h12, au sous-sol de l'allée 3______, en arrivant depuis la pièce dans laquelle le feu a pris, avant de déambuler dans les caves des différentes allées avec en permanence une cigarette allumée à la main. A 23h15, on le voit ressortir par là où il est arrivé, empruntant l'ouverture menant à la pièce où le feu a pris, puis, dès 23h22, le reflet des premières flammes est visible sur les images, avant que la fumée ne remplisse rapidement le couloir. Aucun autre individu n'est visible dans les caves avant l'incendie. Un intervalle de sept minutes s'est ainsi écoulé entre le moment où l'on voit A______ sortir du couloir des caves pour entrer dans le réduit qui a pris feu (et qui mène aux escaliers pour quitter les caves) et le moment où il rentre dans l'allée de son immeuble.
Par ailleurs, il ressort des constatations de la police technique et scientifique que les deux feux déclenchés ont pour seule cause possible une intervention humaine.
S'agissant des antécédents du locataire, celui-ci a été condamné par ordonnance pénale, en 2019, pour incendie par négligence par suite de l'incendie de son appartement sis avenue 1______ no. 2______, lequel avait été détruit. Il a également été accusé par son épouse en 2015 d'avoir bouté le feu à sa villa et a fait l'objet de plusieurs inscriptions au Journal de police pour des faits en lien avec des incendies (cf. ACPR/864/2023 du 7 novembre 2023).
Il a été placé en détention provisoire, une prévention pénale suffisante des chefs de meurtre et d'incendie ayant été retenue à son encontre.
k. Lors de l'audience du Tribunal 8 octobre 2024, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions, la cause ayant été gardée à juger à l'issue de l'audience.
D. Dans le jugement entrepris, le Tribunal a considéré que les actes ayant conduit au placement en détention de A______ étaient graves et avaient causé un préjudice important à la chose louée. Les soupçons portés à l’encontre du locataire justifiaient une résiliation en application de l’art. 257f al. 4 CO, même en l’absence d’un verdict de culpabilité. Les premiers juges ont, à cet égard, par analogie, fait référence aux principes applicables, en matière de résiliation immédiate des rapports de travail (art. 337 CO).
1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).
Dans une contestation portant sur la validité d'une résiliation de bail, la valeur litigieuse est égale au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste nécessairement si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle un nouveau congé peut être donné ou l'a effectivement été. Lorsque le bail bénéficie de la protection contre les congés des art. 271 ss CO, il convient, sauf exceptions, de prendre en considération la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 137 III 389 consid. 1.1; 136 III 196 consid. 1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).
1.2 En l'espèce, le loyer annuel de l'appartement, charges comprises, a été fixé en dernier lieu à 5'112 fr. (426 x 12). Ainsi, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte.
1.3 L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est dès lors recevable.
1.4. L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).
1.5. Dans la mesure où l'instance d'appel assure la continuation du procès de première instance, elle doit user du même type de procédure et des mêmes maximes que celles applicables devant la juridiction précédente (ATF 138 III 252 consid. 2.1; Jeandin, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 6 ad art. 316 CPC). En l'espèce, la procédure simplifiée s'applique (art. 243 al. 2 let. c CPC) s'agissant d'une procédure relative à la contestation du congé.
La maxime inquisitoire sociale régit la procédure (art. 247 al. 2 let. a CPC).
2. L’intimée a produit une pièce nouvelle le 26 mai 2025, soit après la clôture des débats.
2.1 Selon l’art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s’ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s’ils ne pouvaient être invoqués ou produits en première instance bien que la partie qui s’en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b).
A partir du début des délibérations, les parties ne peuvent plus introduire de nova, même si les conditions de l'art. 317 al. 1 CPC sont réunies. La phase des délibérations débute dès la clôture des débats, s'il y en a eu, respectivement dès que l'autorité d'appel communique aux parties que la cause a été gardée à juger (ATF 142 III 413 consid. 2.2.3 à 2.2.6; arrêt du Tribunal fédéral 5A_456/2016 du 28 octobre 2016 consid. 4.1.2).
2.2 En l’espèce, au vu des principes jurisprudentiels susvisés, la pièce nouvelle produite par l’intimée le 26 mai 2025 est irrecevable. Elle n’est en tout état pas déterminante pour l’issue du litige.
3. L'appelant fait grief au Tribunal d'avoir violé l’art. 257f al. 4 CO, ce pour deux motifs.
Il lui reproche en premier lieu d'avoir déclaré efficace la résiliation extraordinaire notifiée par l’intimée, en retenant ce qu’il qualifie de soupçons, par opposition à des faits établis. Selon lui, l’ordonnance de mise en détention provisoire du 20 juillet 2023, invoquée par l’intimée à l’appui du congé litigieux, ne serait pas suffisante pour justifier une résiliation immédiate des rapports de bail car elle ne reposerait pas sur des faits établis, l’enquête pénale étant en cours au moment du congé. Or, selon lui, l’existence de faits établis serait une condition nécessaire à l’application de l’art. 257f al. 4 CO, qui constituait une ultima ratio. Il soutient que cette voie de résiliation ne serait pas adéquate et que l’intimée aurait dû effectuer une résiliation de bail ordinaire, en application de l’art. 266a CO.
En second lieu, l’appelant reproche aux premiers juges d’avoir procédé à tort à un raisonnement par analogie avec les principes jurisprudentiels du droit du travail, pour en déduire que les soupçons portés à son égard justifiaient une résiliation extraordinaire selon l’art. 257f al. 4 CO. Selon lui, une telle résiliation extraordinaire d’un contrat de bail ne serait pas comparable avec l’art. 337 CO prévoyant le licenciement immédiat d’un employé. Il soutient que les justes motifs prévus à l’art. 337 al. 1 CO constitueraient une notion juridique indéterminée, alors que l’art. 257f al. 4 CO viserait un cas de figure déterminé, à savoir celui dans lequel le locataire cause volontairement un préjudice grave à la chose louée. En outre, il fait valoir que les rapports existants entre un bailleur et un locataire ne seraient pas comparables au rapport de confiance liant un employeur à son employé.
3.1 Le droit de résilier un contrat pour justes motifs n’est pas une règle de portée générale applicable à tous les contrats. Il s’agit d’un mécanisme spécifique, principalement reconnu dans certains types de contrats, tels que les contrats de bail ou de travail, dont des dispositions légales particulières régissent l’application. Cependant, il est admis que tout contrat de durée peut, en principe, être résilié pour justes motifs, même en l’absence d’une clause contractuelle ou d’une disposition légale spécifique à cet effet. Ce principe repose sur la protection de la personnalité, consacrée par l’art. 27 CC. Selon la jurisprudence, il serait contraire à cette protection d’interdire à une partie de résilier un contrat lorsque des circonstances rendent sa continuation objectivement intolérable
(ATF 128 III 428 consid. 3c). Toutefois, cette extension trouve ses limites dans les contrats de travail et de bail, où la loi interdit expressément de faciliter ou d’élargir ce droit, afin de protéger la partie économiquement plus faible (Venturi – Zen-Ruffinen, La résiliation pour justes motifs des contrats de durée, in SJ 2008 II 1 et ss).
La résiliation pour justes motifs n’est possible qu’en présence d’un motif grave, à la fois objectivement et subjectivement. La notion de juste motif doit être concrétisée par le juge dans chaque cas particulier, en tenant compte des circonstances de l’espèce et des intérêts en présence. Pour qu'une résiliation pour justes motifs soit valable, le motif invoqué doit présenter une gravité objective suffisante, le comportement reproché rendant la continuation du contrat insupportable pour la partie qui résilie. Concrètement, cela signifie qu’en vertu des règles de la bonne foi, on ne peut pas raisonnablement exiger de la partie concernée qu’elle continue d’exécuter le contrat jusqu’à son terme convenu. La gravité peut être absolue, lorsqu’un seul fait suffit à justifier la résiliation (soit un acte particulièrement grave) ou relative lorsque la répétition d’un comportement fautif ou le cumul de plusieurs violations, bien que chacune ne soit pas suffisante en soi, peut justifier une résiliation lorsque leur accumulation détruit la confiance. (Venturi – Zen-Ruffinen, op. cit., pp. 13-14).
Lorsqu’un comportement reproché porte atteinte aux droits ou à l’intégrité d’un tiers, la gravité du motif s’évalue au regard de l’impact que ce comportement a sur ce tiers. Ainsi, dans le cadre d’un contrat de bail, par exemple, un manque d’égards du locataire envers les voisins peut être jugé suffisamment grave si le maintien du contrat devient insupportable pour ces derniers (Venturi – Zen-Ruffinen, op. cit., pp. 17-18).
3.2 Concernant la possibilité de résilier un contrat pour justes motifs sur la base d’un soupçon, notamment en cas de soupçon d’infraction pénale ou de violation grave des obligations contractuelles, le Tribunal fédéral n'a pas encore tranché les controverses de la doctrine sur la licéité d'une telle résiliation. Dans les cas qui lui ont été soumis, il n'y avait pas de circonstances fondant un soupçon sérieux ou l'infraction soupçonnée n'était pas de nature à justifier un licenciement immédiat (arrêts du Tribunal fédéral 4C.109/2004 du 29 juin 2004; 4C.317/2005 du 3 janvier 2006). Dans certains cas toutefois, le Tribunal fédéral a envisagé la licéité d’une résiliation immédiate basée sur un soupçon sérieux de commission d’un délit grave, même si celui-ci s’avérait infondé par la suite. Dans ce cas, l'employeur devait supporter les conséquences financières d'une résiliation injustifiée (cf. notamment arrêts du Tribunal fédéral 4C.325/2000 du 7 février 2001; 4C.112/2002 du 8 octobre 2002; 4A_694/2015 du 4 mai 2016 et les références citées par Venturi – Zen-Ruffinen, op. cit., n. 425 et ss)
Selon la doctrine, un soupçon grave et sérieux peut justifier la résiliation d’un contrat pour justes motifs, dans la mesure où il détruit la confiance entre les parties et rend la poursuite du contrat intolérable. Cette situation se pose notamment en cas de soupçon de comportements graves, tels que des infractions pénales. Cependant, la résiliation doit rester une mesure de dernier recours (ultima ratio) et respecter le principe de proportionnalité (Venturi – Zen-Ruffinen, op.cit., n. 437 et 441).
3.3 Selon l'art. 257f al. 2 CO, le locataire est tenu d'avoir pour les personnes habitant la maison et les voisins les égards qui leur sont dus. S'il persiste à manquer d'égards envers les voisins, nonobstant une protestation écrite du bailleur, à tel point que le maintien du bail devient insupportable pour ce dernier ou les personnes habitant la maison, l'art. 257f al. 3 CO autorise le bailleur à résilier le contrat moyennant un délai de congé minimum de 30 jours pour la fin d'un mois. Les manques d'égards envers les voisins doivent revêtir un certain degré de gravité. La résiliation devant respecter les principes de proportionnalité et de subsidiarité, il faut, en outre, que le maintien du bail soit insupportable pour le bailleur ou pour les personnes habitant la maison. Cette question doit être résolue à la lumière de toutes les circonstances de l'espèce, antérieures à la résiliation du bail (ATF 136 III 65 consid. 2.5). Le congé donné pour une violation du devoir de diligence qui ne rend pas la poursuite du bail intolérable est un congé inefficace (arrêts du Tribunal fédéral 4C.273/2005 du 22 novembre 2005 consid. 2.1; 4C.118/2001 du 8 août 2001 consid. 1b/bb/bbb et l'auteur cité).
3.4 La résiliation "exceptionnellement extraordinaire" visée à l'art. 257f al. 4 CO (sans délai, sans protestation préalable, sans preuve que la poursuite du bail devient insupportable, effet immédiat) peut être signifiée par le bailleur s'il observe que le locataire - ou l'un de ses auxiliaires - provoque intentionnellement, ou par dol éventuel, un préjudice grave à la chose. Ainsi en est-il d'un acte volontaire d'incendie ou de sabotage des locaux loués à titre d'habitation ou commercial. La faute du locataire, ou celle d'une personne dont il répond, doit être intentionnelle. Elle sera le plus souvent, sinon toujours, la cause d'une infraction pénale. Ainsi en est-il également, par une interprétation extensive systématique de la règle par la doctrine, d'une atteinte délibérée aux droits de la personnalité de voisins ou à leurs biens. En toute hypothèse, il doit s'agir d'une violation qualifiée du contrat (ACJC/720/2020 du 29 mai 2020 consid. 3.1; Wessner, in Droit du bail à loyer et à ferme, Commentaire pratique, 2ème éd. 2017, n. 40 et 41 ad art. 257f CO et les auteurs cités).
3.5 A teneur de la jurisprudence du Tribunal fédéral rappelée plus haut, il convient de tenir compte de toutes les circonstances de l'espèce pour examiner l'efficacité de la résiliation extraordinaire notifiée en application de l'art. 257f al. 3 CO, soit après qu'une vaine mise en demeure a été notifiée au locataire. Ces conditions doivent a fortiori être prises en considération dans le cadre de la notification d'un congé extraordinaire immédiat de l’art. 257f al. 4 CO, qui met un terme au contrat sans que le locataire ait eu l'occasion de se mettre en conformité avec ce qui est attendu de lui.
3.6 En l'espèce, c'est à bon droit que le Tribunal a considéré que le congé notifié immédiatement à l'appelant était conforme à l'art. 257f al. 4 CO.
En effet, même s'il est exact qu'au moment de la résiliation l'appelant n'avait été reconnu coupable d'aucune infraction pénale, l'intimée disposait de suffisamment d'éléments pour fonder de forts soupçons à son égard. Ainsi, tout d'abord, elle disposait de vidéos de surveillance sur lesquelles n’apparaissait que l'appelant, à proximité du départ des incendies. Ce sont ces vidéos, qu'elle a remises à la police, qui ont conduit à l'arrestation de l'appelant et à sa mise en détention provisoire. Ce n'est qu'après avoir pris connaissance de l'ordonnance de mise en détention provisoire, laquelle mettait en exergue tous les éléments à charge de l'appelant, soupçonné d'incendie criminel et de meurtre intentionnel ou par dol éventuel, deux habitants étant décédés dans l'incendie, que l'intimée a résilié le bail. Il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir attendu l'issue de la procédure pénale, comme le soutient en vain l'appelant. Des soupçons graves et sérieux, en particulier s'agissant d'infractions aussi graves que celles reprochées à l'appelant, justifiant une mise en détention de trois mois d’entrée de cause, étaient suffisants pour justifier une résiliation immédiate. Il est par ailleurs incontestable que les faits reprochés à l'appelant sont propres à causer un préjudice grave à la chose louée et à détruire tout lien de confiance entre les parties.
Enfin, le juge civil ne saurait être lié par la procédure pénale, dont l’issue peut dépendre d'éléments non pertinents pour lui.
Au vu de ces considérations, les arguments que l'appelant fait valoir en lien avec la présomption d'innocence tombent à faux. Il n’y a lieu non plus de se prononcer plus avant sur l'application analogique des principes en matière de résiliation immédiate du contrat de travail (art. 337 CO), telle qu'opérée par le Tribunal.
Le jugement doit être confirmé.
4. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers, étant rappelé que l'art. 116 al. 1 CPC autorise les cantons à prévoir des dispenses de frais dans d'autres litiges que ceux visés à l'art. 114 CPC (ATF 139 III 182 consid. 2.6).
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La Chambre des baux et loyers :
A la forme :
Déclare recevable l'appel interjeté le 21 novembre 2024 par A______ contre le jugement JTBL/1027/2024 rendu le 17 octobre 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/18999/2023.
Au fond :
Confirme ce jugement.
Dit que la procédure est gratuite.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Siégeant :
Madame Nathalie RAPP, présidente; Madame Pauline ERARD et Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Monsieur Jean-Philippe ANTHONIOZ et Monsieur Jean-Philippe FERRERO, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière
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Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF fixée à 15’336 fr. (consid. 1.2)