Décisions | Chambre des baux et loyers
ACJC/1079/2025 du 14.08.2025 sur JTBL/221/2025 ( SBL ) , RENVOYE
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/21281/2024 ACJC/1079/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre des baux et loyers DU JEUDI 14 AOUT 2025 |
Entre
A______ SA, sise ______ (NW), appelante contre un jugement rendu par la 3e Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 27 janvier 2025, représentée par
Me Pierre BANNA, avocat, rue Verdaine 15, case postale 3015, 1211 Genève 3,
et
1) Madame B______, domiciliée ______ [GE], intimée, représentée par Me C______, avocat,
2) Madame D______, domiciliée ______ [GE], autre intimée.
A. Par jugement JTBL/221/2025 du 27 janvier 2025, le Tribunal des baux et loyers (ci-après : le Tribunal), statuant par voie de procédure sommaire, a déclaré irrecevable la requête en évacuation intentée le 12 septembre 2024 par A______ SA à l'encontre de B______ et D______ s'agissant de l'appartement n° 1______ de 3 pièces au 3ème étage de l'immeuble sis rue 2______ n° ______ à Genève (chiffre 1 du dispositif), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 2) et dit que la procédure était gratuite (ch. 3).
B. a. Par acte expédié le 11 mars 2025 à la Cour, A______ SA a formé "recours" contre le jugement précité, qu'elle avait reçu le 6 mars 2025, dont elle a requis l'annulation. Elle a conclu à ce que la Cour dise que le congé ordinaire donné le 31 mai 2023 pour le 31 janvier 2024 à B______ et D______ concernant l'appartement susmentionné est valable, condamne les précitées à évacuer immédiatement de leurs personnes, de tout bien et de tous tiers dont elles répondent ledit appartement et l'autorise à mandater un huissier judiciaire, lequel pourra, si nécessaire, dûment muni de l'attestation du caractère exécutoire du présent arrêt, le faire exécuter en mettant en œuvre, aux frais de B______ et de D______ un serrurier, ainsi qu'une entreprise de déménagement et requérir, le cas échéant, l'appui de la force publique.
b. Dans sa réponse, B______ a conclu, principalement, au déboutement de A______ SA et à la confirmation du jugement. Subsidiairement, elle a conclu à ce que lui soit octroyé un sursis humanitaire le plus long possible, mais d'une durée minimale de douze mois à compter de l'entrée en force du présent arrêt.
A titre préalable, elle a sollicité que soit ordonnée son audition ainsi que celle du propriétaire de l'appartement en personne.
c. D______ n'a pas répondu.
d. A______ SA et B______ ont répliqué et dupliqué, et la première s'est encore déterminée, persistant dans leurs conclusions respectives.
e. Les parties ont été informées le 23 mai 2025 de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :
a. Le 18 août 1975, la Société Immobilière E______ SA et F______ ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur l'appartement n° 1______ de 3 pièces au 3ème étage de l'immeuble sis rue 2______ n° ______, [code postal] Genève (ci-après : l'appartement), ainsi que la cave n° 3______ et le grenier n° 4______.
Le contrat a initialement été conclu pour une année, du 1er février 1976 au 31 janvier 1977.
b. Les actifs et passifs de la Société Immobilière E______ SA, y compris l'immeuble précité, ont ultérieurement été repris par A______ SA.
c. En dernier lieu, le loyer a été fixé à 644 fr. par mois, charges mensuelles de 100 fr. en sus, soit un montant total de 744 fr. par mois.
d. F______ est décédé le ______ 2005, laissant pour héritiers son épouse, B______, et leur fille, D______.
e. B______ a par la suite occupé seule l'appartement.
f. En date du 21 décembre 2021, à la suite d'une suspicion d'incendie, la police a procédé à l'ouverture de l'appartement de B______, en l'absence de cette dernière qui était injoignable. Un signalement a été fait au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (ci-après : le Tribunal de protection), dans le cadre duquel il a été mentionné que l'appartement était particulièrement sale, délabré et encombré, ce qui laissait penser que la locataire pouvait souffrir d'un syndrome de Diogène.
g. Par courrier recommandé du 14 juillet 2022, reçu le 22 juillet 2022 par B______, A______ SA lui a notifié une mise en demeure au sens de l'art. 257f al. 3 CO, lui enjoignant de confirmer qu'elle résidait bien dans l'appartement, en précisant si d'autres personnes y habitaient également, à défaut de quoi son contrat de bail serait susceptible d'être résilié.
h. Par ordonnance de mesures provisionnelles du 12 septembre 2022, le Tribunal de protection a nommé Me C______, avocat, aux fonctions de curateur de représentation et de gestion de B______, notamment dans ses rapports avec les tiers, en particulier s'agissant de toute problématique en lien avec son logement.
i. Le 1er février 2023, ayant échoué à entrer en contact avec B______, Me C______ a fait procéder à l'ouverture de l'appartement ainsi qu'au changement de ses serrures en présence d'un représentant de la bailleresse.
B______ ne s'y trouvait pas.
j. Par courriers recommandés du 31 mai 2023, A______ SA a notifié à B______ et Me C______, ainsi qu'à D______, un avis de résiliation du contrat de bail sur formule officielle pour sa prochaine échéance ordinaire du 31 janvier 2024. Il était indiqué qu'il s'agissait d'une résiliation ordinaire en application de l'art. 266a al. 1 CO.
k. D______ n'a pas contesté le congé qui lui a été notifié.
l. Par courrier du 28 juin 2023, faisant suite à une demande de Me C______, A______ SA a indiqué que le congé était notamment motivé par le fait que les tentatives pour s'assurer que B______ occupait personnellement l'appartement étaient restées vaines, ainsi que par le fait que de nombreux éléments permettaient d'inférer que l'appartement faisait l'objet d'une sous-location non autorisée.
m. Le 29 juin 2023, B______ a contesté le congé par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers.
n. Elle ne s'est pas présentée à l'audience de conciliation du 13 septembre 2023, seul son curateur s'y étant rendu. La cause a été rayée du rôle pour défaut par ordonnance du même jour (DCBL/5______/2023).
Le 13 octobre 2023, Me C______ a formé recours contre l'ordonnance précitée.
o. Le même jour, il a formé, au nom de B______, une requête en restitution du défaut lors de l'audience du 13 septembre 2023.
Par décision (JCBL/36/2023) du 9 novembre 2023, la Commission de conciliation en matière de baux et loyers a rejeté cette demande en restitution.
p. Par arrêt (ACJC/831/2024) du 25 juin 2024, la Chambre des baux et loyers a rejeté tant le recours formé contre la décision DCBL/5______/2023 du 13 septembre 2023 que l'appel formé contre la décision JCBL/36/2023 du 9 novembre 2023.
q. Par requête du 12 septembre 2024, A______ SA a introduit devant le Tribunal une action en évacuation avec demande d'exécution directe. Elle a conclu à ce que le Tribunal dise que le congé ordinaire donné le 31 mai 2023 pour le 31 janvier 2024 à B______ et D______ concernant l'appartement était valable, condamne les précitées à l'évacuer immédiatement et l'autorise à mandater un huissier judiciaire pour faire exécuter le jugement ainsi qu'à requérir, le cas échéant, l'appui de la force publique.
r. Lors de l'audience de débats du 27 janvier 2025, le curateur de B______ a expliqué que sa protégée était sourde, raison pour laquelle il avait été impossible pendant une longue période d'entrer en contact avec elle. Pour cette raison également, elle ne s'était pas présentée à l'audience de conciliation, de sorte que la résiliation était entrée en force. Il avait dû faire bloquer son compte bancaire pour obtenir une réaction de sa part et qu'elle vienne à son étude avec sa fille. Il a contesté toute sous-location, expliquant que sa protégée s'était rendue quelque temps chez sa fille pendant le COVID. Elle vivait dans cet appartement depuis plus de 50 ans et avait toujours payé son loyer sans retard. Elle avait même proposé une augmentation de loyer à laquelle aucune réponse n'avait été donnée. Elle rencontrait d'importants problèmes de santé et se déplaçait avec un déambulateur, ce qui l'empêchait désormais de se rendre chez sa fille.
Le curateur a plaidé que le congé avait été donné pour un faux motif, la sous-location étant contestée, de sorte qu'un jugement d'évacuation serait contraire à la bonne foi et constituerait un abus de droit. La requête devait également être rejetée compte tenu de la santé fragile et de l'âge de sa protégée, ainsi que de sa situation financière. Il a conclu au rejet de la requête, subsidiairement à une nouvelle convocation des parties et, plus subsidiairement, à l'octroi d'un sursis humanitaire le plus long possible mais d'au minimum 12 mois.
A______ SA a persisté dans sa requête, s'est opposée à une nouvelle convocation, a rappelé que le motif du congé ne pouvait plus être contesté à ce stade, et s'est opposée à l'octroi d'un sursis humanitaire, un délai ayant déjà été accordé, dès lors que la résiliation avait été effectuée pour le 31 janvier 2024.
A l'issue de l'audience, le Tribunal a gardé la cause à juger.
1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).
Les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêts du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1; 4A_72/2007 du 22 août 2007 consid. 2).
Pour calculer la valeur litigieuse dans les actions en expulsion initiées selon la procédure de l'art. 257 CPC, il faut distinguer les cas où seule est litigieuse l'expulsion en tant que telle, de ceux où la résiliation l'est également à titre de question préjudicielle. S'il ne s'agit que de la question de l'expulsion, l'intérêt économique des parties réside dans la valeur que représente l'usage des locaux pendant la période de prolongation résultant de la procédure sommaire, laquelle est estimée à six mois. Si en revanche la résiliation des rapports de bail est également contestée, la valeur litigieuse est égale au loyer pour la période minimale pendant laquelle le contrat subsiste si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle une nouvelle résiliation peut être signifiée; comme il faut prendre en considération la période de protection de trois ans prévue à l'art. 271a al. 1 let. e CO, la valeur litigieuse correspondra en principe au montant du loyer brut (charges et frais accessoires compris) pendant trois ans (ATF 144 III 346 consid. 1.2.1 et 1.2.2.3 - JdT 2019 II 235 pp. 236 et 239; arrêt du Tribunal fédéral 4A_376/2021 du 7 janvier 2022 consid. 1; Lachat, Procédure civile en matière de baux et loyers, 2019, pp. 69-70).
En l'espèce, la locataire contestant la résiliation du bail, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. au vu du montant du loyer. La voie de l'appel est dès lors ouverte.
1.2 L'appel, écrit et motivé, (art. 311 al. 1 et 321 al. 1 CPC) doit être formé dans un délai de dix jours si la décision a été rendue en procédure sommaire (art. 314 al. 1 et 321 al. 2 CPC), laquelle est applicable aux cas clairs (art. 248 let. b et 257 CPC).
Si un appel est interjeté en lieu et place d'un recours, ou vice-versa, la conversion est admise si les conditions de recevabilité de la voie de droit correcte sont réunies, si l'acte peut être converti dans son entier, si la conversion ne porte pas atteinte aux droits de la partie adverse et si l'erreur ne résulte pas d'un choix délibéré de la partie représentée par un avocat de ne pas suivre la voie de droit mentionnée au pied de la décision de première instance ou d'une erreur grossière (arrêts du Tribunal fédéral 4A_145/2021 du 27 octobre consid. 5.1; 5A_46/2020 du 17 novembre 2020 consid. 4.1).
En l'espèce, l'acte du 11 mars 2025 a été formé dans le délai utile et suivant la forme prescrite par la loi. Par ailleurs la conversion du recours en appel ne nuit pas aux intérêts des intimées.
L'appel est ainsi recevable.
1.3 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC), mais uniquement dans la limite des griefs suffisamment motivés qui sont formulés (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4).
1.4 La maxime des débats est applicable à la procédure de protection des cas clairs (art. 55 al. 1 et 255 a contrario CPC).
1.5 L'intimée sollicite son audition ainsi que celle du propriétaire de l'appartement devant la Cour.
1.5.1 A teneur de l'art. 316 al. 1 CPC, l'instance d'appel peut ordonner des débats ou statuer sur pièces.
Lorsque l'affaire est en état d'être tranchée sur la base du dossier constitué et qu'aucune mesure d'instruction supplémentaire n'est nécessaire, l'instance d'appel peut alors statuer sur pièces, l'affaire étant gardée à juger (Jeandin, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 3 ad art. 316 CPC).
1.5.2 En l'espèce, l'intimée n'explicite pas en quoi les auditions sollicitées seraient utiles à la résolution du litige.
La cause étant en état d'être jugée, il ne sera pas donné suite à cette requête.
2. Le Tribunal a considéré que l'état de fait ne pouvait pas être établi sans peine et que la situation juridique n'était pas claire, de sorte que la requête était irrecevable. Le congé extraordinaire pouvant être contesté en tout temps, l'intimée pouvait soulever le moyen tendant à faire constater l'inefficacité du congé dans le cadre de la procédure en évacuation. Or, l'intimée avait toujours contesté une quelconque sous-location et n'avait pas reconnu la validité du congé. Les allégations contestées de l'appelante tendant à dire qu'il y aurait eu une sous-location n'étaient dès lors pas suffisantes pour retenir une telle sous-location comme étant établie. Des investigations supplémentaires devaient être effectuées pour déterminer si l'intimée avait ou non sous-loué son appartement et, le cas échéant, si elle avait enfreint son devoir de diligence au sens de l'art. 257f al. 3 CO, ce qui supposait l'exécution de mesures probatoires qui n'avaient pas leur place en procédure sommaire.
L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir considéré à tort la résiliation du contrat de bail comme étant un congé extraordinaire. Le congé litigieux était un congé ordinaire, lequel n'avait pas été valablement contesté par l'intimée et ne pouvait plus l'être, de sorte que la requête en évacuation pouvait bénéficier de la procédure pour protection du cas clair.
2.1
2.1.1 La procédure de protection dans les cas clairs prévue par l'art. 257 CPC permet à la partie demanderesse d'obtenir rapidement une décision ayant l'autorité de la chose jugée et la force exécutoire, lorsque la situation de fait et de droit n'est pas équivoque (ATF 141 III 23 consid. 3.2 et la référence citée).
Aux termes de l'art. 257 al. 1 et 3 CPC, relatif à la procédure de protection dans les cas clairs, le tribunal admet l'application de la procédure sommaire lorsque les conditions suivantes sont remplies : (a) l'état de fait n'est pas litigieux ou est susceptible d'être immédiatement prouvé et (b) la situation juridique est claire (al. 1); le tribunal n'entre pas en matière sur la requête lorsque cette procédure ne peut pas être appliquée (al. 3).
Selon la jurisprudence, l'état de fait n'est pas litigieux lorsqu'il n'est pas contesté par le défendeur; il est susceptible d'être immédiatement prouvé lorsque les faits peuvent être établis sans retard et sans trop de frais. En règle générale, la preuve est rapportée par la production de titres, conformément à l'art. 254 al. 1 CPC. La preuve n'est pas facilitée : le demandeur doit ainsi apporter la preuve certaine des faits justifiant sa prévention; la simple vraisemblance ne suffit pas. Si le défendeur fait valoir des objections et exceptions motivées et concluantes, qui ne peuvent être écartées immédiatement et qui sont de nature à ébranler la conviction du juge, la procédure du cas clair est irrecevable (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 141 III 23 consid. 3.2; 138 III 620 consid. 5.1.1 et les arrêts cités).
La situation juridique est claire lorsque l'application de la norme au cas concret s'impose de façon évidente au regard du texte légal ou sur la base d'une doctrine et d'une jurisprudence éprouvées (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 138 III 123 consid. 2.1.2, 620 consid. 5.1.1, 728 consid. 3.3). En règle générale, la situation juridique n'est pas claire si l'application d'une norme nécessite l'exercice d'un certain pouvoir d'appréciation de la part du juge ou que celui-ci doit rendre une décision en équité, en tenant compte des circonstances concrètes de l'espèce (ATF 144 III 462 consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_377/2024 du 12 juillet 2024 consid. 3.1).
Si le juge parvient à la conclusion que ces conditions sont remplies, le demandeur obtient gain de cause par une décision ayant l'autorité de la chose jugée et la force exécutoire (ATF 138 III 620 consid. 5.1.1).
2.1.2 Lorsque le bail est d'une durée indéterminée chaque partie est en principe libre de résilier le contrat en respectant les délai et terme de congé. Le bail n'oblige les parties que jusqu'à l'expiration de la période convenue; au terme du contrat, la liberté contractuelle renaît. La résiliation ordinaire du bail ne suppose pas l'existence d'un motif de résiliation particulier (cf. art. 266a al. 1 CO; ATF 140 III 496; ATF 138 III 59; arrêts du Tribunal fédéral 4A_33/2019 du 5 septembre 2019; 4A_694/2016 du 4 mai 2017).
Le congé des baux d'habitation et de locaux commerciaux doit être donné par écrit (art. 266l al. 1 CO). Le bailleur doit donner le congé en utilisant une formule agréée par le canton et qui indique au locataire la manière dont il doit procéder s'il entend contester le congé ou demander la prolongation du bail (art. 266l al. 2 CO). Le congé qui ne satisfait pas aux conditions prévues aux art. 266l à 266n est nul (art. 266o CO).
2.1.3 La seule limite à la liberté contractuelle des parties découle des règles de la bonne foi : lorsque le bail porte sur une habitation ou un local commercial, le congé est annulable lorsqu'il contrevient aux règles de la bonne foi (art. 271 al. 1 et 271a CO) (arrêt du Tribunal fédéral 4A_33/2019 du 5 septembre 2019). La protection assurée par les art. 271 et 271a CO procède à la fois du principe de la bonne foi (art. 2 al. 1 CC) et de l'interdiction de l'abus de droit (art. 2 al. 2 CC). De manière générale, un congé est contraire aux règles de la bonne foi lorsqu'il ne répond à aucun intérêt objectif, sérieux et digne de protection et qu'il apparaît ainsi purement chicanier ou consacrant une disproportion crasse entre l'intérêt du locataire au maintien du contrat et celui du bailleur à y mettre fin (ATF 145 III 143 consid. 3.1; 142 III 91 consid. 3.2.1; arrêts du Tribunal fédéral 4A_236/2022 du 24 juin 2022 consid. 3.1; 4A_460/2020 du 23 février 2021 consid. 3.1).
Le but de la réglementation des articles 271 et 271a CO est uniquement de protéger le locataire contre des résiliations abusives. Un congé n'est pas contraire aux règles de la bonne foi du seul fait que la résiliation entraîne des conséquences pénibles pour le locataire, ou que l'intérêt du locataire au maintien du bail paraît plus important que celui du bailleur à ce que ce contrat prenne fin. Pour statuer sur la validité d'un congé, il ne faut examiner que l'intérêt qu'à le bailleur à récupérer son bien, et non pas procéder à une pesée entre l'intérêt du bailleur et celui du locataire à rester dans les locaux. Cette pesée des intérêts n'intervient que dans l'examen de la prolongation de bail (ATF 140 III 496; arrêts du Tribunal fédéral 4A_18/2016 du 26 août 2016 et les réf. citées).
2.1.4 La motivation de la résiliation ordinaire du bail ne doit être fournie que si l'autre partie la demande (art. 271 al. 2 CO). La motivation du congé n'est donc pas une condition de sa validité et elle n'a pas à être fournie dans le délai de 30 jours suivant la réception de celui-ci (ATF 148 III 215 consid. 3.1.3; arrêt du Tribunal fédéral 4A_431/2022 du 28 février 2023 consid. 5.3.3). Elle a essentiellement pour but de permettre au destinataire du congé de décider en toute connaissance de cause s'il entend requérir, ou non, l'annulation du congé ou la prolongation du bail, et de soupeser ses chances de succès (ACJC/951/2024 du 24 juillet 2024 consid. 2.1).
Le congé ordinaire peut se fonder sur des motifs qui pourraient justifier un congé extraordinaire, par exemple la violation de la diligence au sens de l'art. 257f al. 3 CO (arrêt du Tribunal fédéral 4A_351/2015 du 5 août 2015 consid. 3.2; ACJC/1434/2016; Lachat, op. cit. p. 867 et les réf. citées).
2.1.5 Le fardeau de la preuve d'une résiliation contraire à la bonne foi incombe au locataire (ATF 140 III 591 c. 1 et les réf. citées; arrêt du Tribunal fédéral 4A_550/2020 du 29 avril 2021 consid. 8.2). Le bailleur qui résilie et qui doit motiver le congé a toutefois le devoir de collaborer loyalement à la manifestation de la vérité en motivant, sur requête, la résiliation et, en cas de contestation, en fournissant tous les documents en sa possession nécessaires à la vérification du motif qu'il a invoqué (ATF 148 III 215 consid. 3.1.5; 142 III 568 consid. 2.1; 140 III 433 consid. 3.1.2; arrêts du Tribunal fédéral 4A_69/2021 du 21 septembre 2021 consid. 4.2 et 4A_17/2017 du 7 septembre 2017 consid. 2).
Le congé doit toutefois être contesté dans le délai de 30 jours prévu à l'art. 273 CO. Si cette démarche n'a pas été faite, le grief du congé contraire à la bonne foi ne peut plus être invoqué dans la procédure d'expulsion par la voie du cas clair (arrêts du Tribunal fédéral 4A_367/2022 du 10 novembre 2022 consid. 5.2.1; 4A_571/2020 du 23 mars 2021 consid. 4.2, n. p. aux ATF 147 III 218).
2.1.6 Aux termes de l'art. 257f al. 3 CO, lorsque le maintien du bail est devenu insupportable pour le bailleur ou les personnes habitant la maison parce que le locataire, nonobstant une protestation écrite du bailleur, persiste à enfreindre son devoir de diligence ou à manquer d'égards envers les voisins, le bailleur peut résilier le contrat avec effet immédiat; les baux d'habitation et de locaux commerciaux peuvent être résiliés moyennant un délai de congé minimum de trente jours pour la fin d'un mois.
Il appartient au bailleur de prouver la réalisation des conditions de l'art. 257f al. 3 CO (arrêt du Tribunal fédéral 4A_143/2023 du 10 octobre 2023 consid. 5.1.2). Lorsque les conditions de l'art. 257f al. 3 CO ne sont pas remplies, la résiliation anticipée est inefficace, sans conversion possible en une résiliation ordinaire (ATF 135 III 441 consid. 3.3; 121 III 156 consid. 1c/aa; arrêts du Tribunal fédéral 4A_47/2021 du 24 octobre 2022 consid. 1.2.3).
Les congés inefficaces, à l’instar des congés frappés de nullité, ne doivent pas nécessairement être attaqués dans le délai de trente jours de l’art. 273 al. 1 CO (ATF 121 III 156 consid. 1c). Ceci signifie que, si le locataire entend contester un congé fondé sur l’art. 257f CO au motif qu’il n’a, à son avis, pas enfreint ses devoirs envers le bailleur ou les voisins, il peut notamment soulever ce moyen au stade de sa défense dans l’action en évacuation des locaux que le bailleur lui intentera après l’expiration du délai de congé (ATF 122 III 92 consid. 2d;
121 III 156 consid. 1c/aa).
2.2 En l'espèce, le contrat de bail liant les parties a été résilié par l'appelante le 31 mai 2023 avec effet au 31 janvier 2024 – soit la prochaine échéance contractuelle – et moyennant la formule officielle, qui comprenait pour le surplus la précision selon laquelle le congé signifié était un congé ordinaire au sens de l'art. 266a al. 1 CO.
L'intimée n'a pas contesté que la résiliation qui lui avait été adressée consistait en un congé ordinaire. Elle n'a pas allégué que ladite résiliation serait nulle en vertu de l'art. 266o CO, étant précisé qu'elle a au contraire expressément admis en audience que celle-ci était "en vigueur". De bonne foi, l'intimée devait ainsi comprendre que la résiliation consistait en un congé ordinaire et non un congé extraordinaire fondé sur l'art. 257f al. 3 CO, étant précisé que l'avis de résiliation ne comprenait aucune mention de cette dernière disposition.
Le fait que l'appelante a, sur demande de l'intimée, justifié le congé qui lui avait été signifié par le fait qu'elle n'occuperait prétendument pas le logement personnellement, respectivement en raison d'une possible sous-location non autorisée, n'est pas propre à contredire ce qui précède. Il en va du même s'agissant du fait que l'intimée avait au préalable été avertie qu'elle s'exposait à une résiliation de bail pour ce motif. En effet, le seul fait que le motif indiqué à l'appui de la résiliation ordinaire ait pu justifier le prononcé d'un congé extraordinaire n'a pas pour conséquence de transformer le congé ordinaire en un congé extraordinaire, ni de contraindre l'appelante à agir par une telle voie, étant précisé que dans ce cas le délai de résiliation aurait été de trente jours et non de huit mois comme dans le cas d'espèce.
Au vu de ce qui précède, c'est à tort que les premiers juges ont retenu que le congé donné – pourtant qualifié à raison de congé ordinaire dans la partie "en fait" du jugement entrepris – consistait en un congé extraordinaire pouvant être contesté en tout temps.
Dès lors que le congé donné consistait en un congé ordinaire, il appartenait à l'intimée, si elle entendait requérir son annulation au motif qu'il contrevenait selon elle aux règles de la bonne foi, d'agir dans le délai légal de 30 jours. Or, si l'intimée a contesté judiciairement la résiliation notifiée par l'appelante dans le délai imparti pour ce faire, la procédure a pris fin en raison du fait qu'elle ne s'est pas présentée à l'audience de conciliation, de sorte qu'elle est désormais définitivement forclose à se prévaloir de l'annulation du congé. Il n'est par conséquent pas nécessaire de déterminer le caractère bienfondé ou non du motif invoqué par l'appelante à l'appui de la résiliation ordinaire du contrat de bail.
Dans la mesure où le congé litigieux n'est pas un congé extraordinaire, l'intimée n'était pas fondée à soulever en tout temps son inefficacité dans le cadre de la présente procédure. Il n'est dès lors pas nécessaire de procéder à des investigations complémentaires afin de statuer sur la validité du motif invoqué.
Partant, la situation juridique étant claire et l'état de fait pouvant être immédiatement établi, c'est à tort que le Tribunal a déclaré irrecevable la requête en évacuation formée par l'appelante. En conséquence, il y a lieu d'annuler le jugement attaqué et de condamner les intimées, qui ne sont plus au bénéfice d'aucun titre valable pour continuer d'occuper les lieux, à évacuer de leur personne et de leurs biens l'appartement en cause, de même que la cave (n° 3______) et le grenier (n° 4______) qui en dépendent.
3. 3.1 Le Tribunal des baux et loyers exerce les compétences que le CPC attribue au tribunal de l'exécution, pour les jugements ordonnant l'évacuation d'un locataire rendus par le Tribunal des baux et loyers et par la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice (art. 89 al. 2 LOJ).
3.2 La cause sera renvoyée au Tribunal des baux et loyers afin qu'il statue sur les conclusions en exécution prises par l'appelante de même que sur le sursis humanitaire sollicité par l'intimée.
4. Conformément à l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).
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La Chambre des baux et loyers :
A la forme :
Déclare recevable l'appel interjeté par A______ SA contre le jugement JTBL/221/2025 rendu le 27 janvier 2025 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/21281/2024.
Au fond :
Annule ce jugement et, statuant à nouveau :
Déclare recevable la requête en protection de cas clair formée le 12 septembre 2024 par A______ SA à l'encontre de B______ et D______.
Condamne B______ et D______ à évacuer de leurs personnes et de leurs biens l'appartement n° 1______ de 3 pièces au 3ème étage de l'immeuble sis rue 2______ n° ______ à Genève, ainsi que la cave n° 3______ et le grenier n° 4______ qui en dépendent.
Renvoie pour le surplus la cause au Tribunal des baux et loyers pour qu'il statue sur les mesures d'exécution sollicitées.
Dit que la procédure est gratuite.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Siégeant :
Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Pauline ERARD, Madame
Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Monsieur Jean-Philippe ANTHONIOZ, Monsieur Damien TOURNAIRE, juges assesseurs; Madame Victoria PALLUD, greffière.
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.