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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/18138/2023

ACJC/1364/2024 du 04.11.2024 ( SBL )

Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/18138/2023 ACJC/1364/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 4 NOVEMBRE 2024

 

Entre

A______ SICAV, sise c/o B______ SA, ______ [NE], recourante contre une ordonnance rendue par le Tribunal des baux et loyers le 10 octobre 2024, représentée par Me Pascal PETROZ, avocat, rue du Mont-Blanc 3, 1201 Genève,

et

Madame C______ et Monsieur D______, domiciliés ______ [GE], intimés, représentés l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6.

 


Vu, EN FAIT, la procédure C/18138/2023, pendante devant le Tribunal des baux et loyers, en contestation du loyer initial;

Que les locataires ont sollicité qu'un calcul de rendement soit effectué, un délai devant être imparti à la bailleresse pour produire les pièces nécessaires à cet effet;

Qu'à l'audience du Tribunal du 8 octobre 2024, les locataires ont persisté dans leurs conclusions; que le conseil de la bailleresse s'est opposé à la production des pièces requises, le loyer initial n'étant pas abusif;

Que le Tribunal a gardé la cause à juger sur ordonnance de preuve à l'issue de l'audience;

Vu l'ordonnance de preuves OTBL/169/2024 du 10 octobre 2024 rendue par le Tribunal, reçue par la bailleresse le 14 octobre suivant, impartissant à la précitée un délai au 15 novembre 2024 pour produire le calcul de rendement ainsi que pour déposer toutes les pièces requises, et fixant un délai aux locataires pour se déterminer sur le calcul de rendement;

Vu le recours formé le 24 octobre 2024 à la Cour de justice par la A______ SICAV contre cette décision, sollicitant son annulation; qu'elle a conclu au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision sur ordonnance de preuve dans le sens des considérants;

Vu la requête tendant à la suspension de l'effet exécutoire attaché à l'ordonnance querellée dont le recours est assorti, la bailleresse faisant en substance valoir subir un préjudice difficilement réparable si elle devait être contrainte de fournir immédiatement les pièces nécessaires à effectuer un calcul de rendement; qu'en effet, une fois les pièces produites, elle n'aurait plus aucun intérêt à faire valoir qu'elle n'avait pas l'obligation de les produire;

Que les locataires ne se sont pas déterminés sur la requête d'effet suspensif;

Que les parties ont été avisées par plis du 4 novembre 2024 de ce que la cause était gardée à juger sur effet suspensif;

Considérant, EN DROIT, que la décision querellée est une ordonnance d'instruction, soit une ordonnance de preuves (art. 124 CPC), susceptible du seul recours, recours dont la recevabilité est subordonnée à l'existence d'un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC), la cognition de la Cour étant limitée à l'appréciation manifestement inexacte des faits et à la violation de la loi (art. 321 al. 2 CPC);

Que le recours ne suspend pas la force de chose jugée et le caractère exécutoire de la décision entreprise, l'autorité de recours (soit la Cour de céans) pouvant suspendre le caractère exécutoire en ordonnant au besoin des mesures conservatoires ou le dépôt de sûretés (art. 325 CPC);

Que, saisie d'une demande de suspension de l'effet exécutoire, l'autorité de recours doit faire preuve de retenue et ne modifier la décision de première instance que dans des cas exceptionnels; qu'elle dispose cependant d'un large pouvoir d'appréciation permettant de tenir compte des circonstances concrètes du cas d'espèce (ATF 137 III 475 consid. 4. 1);

Que, selon les principes généraux, l'autorité procède à une pesée des intérêts en présence et doit se demander, en particulier, si la décision est de nature à provoquer une situation irréversible; qu'elle prend également en considération les chances de succès du recours (arrêts du Tribunal fédéral 4A_337/2014 du 14 juillet 2014 consid. 3.1; 4D_30/2010 du 25 mars 2010 consid. 2.3);

Que la notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF relatif aux recours dirigés contre des décisions préjudicielles ou incidentes, dès lors qu'elle ne vise pas seulement un inconvénient de nature juridique, mais toute incidence dommageable (y compris financière ou temporelle), pourvu qu'elle soit difficilement réparable. L'instance supérieure doit se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu
(cf. ATF 138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2, SJ 2012 I 73; Jeandin, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n. 22 ad art. 319 CPC; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2010, n. 2485);

Que cela suppose que la partie recourante soit exposée à un préjudice de nature juridique, qui ne puisse pas être ultérieurement réparé ou entièrement réparé par une décision finale qui lui serait favorable; un dommage économique ou de pur fait n'est pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 138 III 333 consid. 1.3.1; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2); qu'ainsi, une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci ne constitue pas un préjudice difficilement réparable (Spühler, Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 3ème éd., 2017, n. 7 ad art. 319 CPC; Hoffmann-Nowotny, ZPO-Rechtsmittel, Berufung und Beschwerde, 2013, n. 25 ad art. 319 CPC);

Que de même, le seul fait que la partie ne puisse se plaindre d'une administration des preuves contraire à la loi qu'à l'occasion d'un recours sur le fond n'est pas suffisant pour retenir que la décision attaquée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable (Spühler, op. cit., n. 8 ad art. 319 CPC; Colombini, Condensé de la jurisprudence fédérale et vaudoise relative à l'appel et au recours en matière civile, in JdT 2013 III p. 131 ss, p. 155); que la décision refusant ou admettant des moyens de preuve ne cause en effet pas de préjudice difficilement réparable, puisqu'il est normalement possible, en recourant contre la décision finale, d'obtenir l'administration de la preuve refusée à tort ou d'obtenir que la preuve administrée à tort soit écartée du dossier (arrêts du Tribunal fédéral 4A_248/2014 du 27 juin 2014, 4A_339/2013 du 8 octobre 2013 consid. 2 et 5A_315/2012 du 28 août 2012 consid. 1.2.1; Colombini, Code de procédure civile, Lausanne 2018, p. 1024);

Que dans un arrêt où l'obligation pour la bailleresse de produire les pièces nécessaires à un calcul du rendement net était en jeu, le Tribunal fédéral a considéré que si la bailleresse devait être contrainte de fournir immédiatement lesdites pièces, cela entraînerait pour elle un inconvénient qui ne pourrait pas être réparé à l'issue de la procédure d'appel, puisque, une fois qu'elle aurait produit ces pièces, les parties adverses en auraient pris connaissance et la bailleresse n'aurait alors plus aucun intérêt à faire valoir qu'elle n'avait pas l'obligation de les produire; que le Tribunal fédéral a alors admis que l'existence d'un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF était réalisée (arrêt du Tribunal fédéral 4A_400/2017 du 13 septembre 2018 consid. 1.1 non publié aux ATF 144 III 514);

Qu'en l'espèce, l'ordonnance entreprise ordonne à la bailleresse recourante de produire les documents nécessaires pour effectuer un calcul de rendement; que dans la jurisprudence rappelée ci-dessus, le Tribunal fédéral a considéré que la bailleresse subirait alors un inconvénient qui ne pourrait pas être réparé à l'issue de la procédure d'appel, même en cas de décision favorable, puisqu'elle n'aurait plus d'intérêt à contester qu'elle fût indûment obligée de produire les éléments de calcul litigieux;

Que l'existence d'un préjudice difficilement réparable doit dès lors être, prima facie et sans préjudice de l'examen au fond, retenu;

Que la requête d'effet suspensif sera en conséquence admise.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Présidente de la Chambre des baux et loyers :

Statuant sur la suspension de l'effet exécutoire :

Admet la requête formée par A______ SICAV tendant à la suspension de l'effet exécutoire attaché à l'ordonnance rendue le 10 octobre 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/18138/2023-20.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Victoria PALAZZETTI, greffière.

 

 

 

 







 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 






Indications des voies de recours
:

 

La présente décision, incidente et de nature provisionnelle (137 III 475 consid. 1) est susceptible d'un recours en matière civile, les griefs pouvant être invoqués étant toutefois limités (art. 98 LTF), respectivement d'un recours constitutionnel subsidiaire (art. 113 à 119 et 90 ss LTF). Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.