Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/895/2024 du 19.11.2024 ( PC ) , PARTIELMNT ADMIS
En droit
rÉpublique et | canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
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A/4249/2023 ATAS/895/2024 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 19 novembre 2024 Chambre 2 |
En la cause
A______
| recourante |
contre
SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES | intimé |
A. a. Le 6 décembre 2022, à savoir à une époque où Madame A______ (ci-après : l'assurée, l'intéressée ou la recourante) bénéficiait de prestations complémentaires AVS/AI (ci-après : PC), PC fédérales (ci-après : PCF) et PC cantonales (ci-après : PCC), le service des prestations complémentaires (ci‑après : le SPC, le service ou l’intimé) a adressé à celle-ci une décision fixant, dès le 1er janvier 2023, le montant mensuel de sa PCF à CHF 1'633.- et celui de sa PCC à CHF 554.-, soit un total de CHF 2'187.- mensuellement, sur la base notamment d’une fortune, consistant uniquement en l’épargne, de CHF 947.95.
b. Par courrier du 9 octobre 2023, reçu le lendemain, l’assurée a informé le SPC qu’elle avait hérité le 11 septembre 2023 d’un montant de CHF 121'000.- de l’une de ses sœurs, décédée le 9 janvier 2023. Elle pensait donc ne plus entrer dans les critères d’attribution de PC, même si elle devait donner CHF 20'000.- à la filleule de sa sœur selon le désir de cette dernière. Était joint un avis de crédit établi le 11 septembre 2023 par sa banque montrant le créditement sur son compte de la somme de CHF 121'622.54, valeur au 11 septembre 2023.
c. Par décision du 12 octobre 2023, le SPC a, pour la période du 1er janvier au 31 octobre 2023, fixé rétroactivement le droit de l’assurée à des PC à CHF 294.- de PCF par mois, soit CHF 2'940.- pour ladite période. La différence avec les PC déjà versées durant ladite période (mensuellement CHF 1'005.- de PCF et CHF 554.- de PCC) pour une somme totale de CHF 15'590.- s’élevait à CHF 12'650.-, solde rétroactif à restituer au service. Le nouveau calcul des PC pour la période susmentionnée, tel que figurant dans le plan de calcul (partie intégrante de la décision), était effectué selon le droit en vigueur avant le 1er janvier 2021, considéré comme plus favorable à l’intéressée. À partir du 1er novembre 2023, les PCF étaient fixées à CHF 922.-. Sous « voies et moyens de droit » était mentionnée la possibilité pour l’intéressée de demander par écrit une remise, dans les 30 jours suivant l’entrée en force de la décision de restitution, si les conditions de la bonne foi et d’une situation difficile étaient réalisées.
d. Le 10 novembre 2023, l’assurée a formé opposition contre la décision précitée, au motif que les avoirs de sa sœur défunte avaient été bloqués sur le compte de celle-ci jusqu’en septembre 2023, ce qui entraînait la caducité de la décision de restitution pour la période du 1er janvier au 31 octobre 2023.
e. Par décision sur opposition rendue le 5 décembre 2023, le SPC a rejeté ladite opposition, la somme de CHF 12'650.- restant due. Selon le service, « la reprise des calculs au premier jour du mois de décès de [la sœur défunte était] correcte, étant constaté que les éléments retenus dans les plans de calcul [n’étaient] pas litigieux ».
B. a. Par acte du 21 décembre 2023 adressé au service puis transmis par ce dernier à la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre des assurances sociales ou la chambre de céans) comme objet de sa compétence, l’assurée a interjeté recours contre ladite décision sur opposition, contestant devoir restituer la somme de CHF 12'650.- mais admettant que la période objet du remboursement commençait le mois ayant suivi le décès. Elle concluait donc à une réduction, par rapport à CHF 12'650.-, de CHF 1'265.-, de sorte que le montant dû s’élevait à CHF 11'385.-.
b. Par réponse du 18 janvier 2024, l’intimé a conclu au rejet du recours.
c. Le 22 février 2024, soit à l’échéance du délai octroyé par la chambre des assurances sociales pour consulter les pièces du dossier et présenter ses remarques et pièces utiles, la recourante a sollicité une prolongation d’un mois du délai de réplique, faisant valoir être souvent absente en raison de la grave maladie d’une amie à l’étranger et ne pas avoir pu encore rencontrer sa conseillère juridique.
La recourante ne s’est toutefois pas manifestée dans le délai prolongé au 25 mars 2024 par la chambre de céans, ni dans l’ultime délai au 7 mai 2024 accordé par la lettre recommandée de celle-ci du 2 avril 2024, non réclamée à la poste.
1.
1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 6 octobre 2006 (LPC ‑ RS 831.30). Elle statue aussi, en application de l'art. 134 al. 3 let. a LOJ, sur les contestations prévues à l'art. 43 de la loi cantonale sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
1.2 Les dispositions de la LPGA s’appliquent aux prestations versées en vertu du chapitre 2 de la LPC, à moins que cette dernière ne déroge expressément à la LPGA (art. 1 al. 1 LPC).
Selon l’art. 1A al. 1 LPCC, en cas de silence de ladite loi, les PCC sont régies par : la LPC et ses dispositions d'exécution fédérales et cantonales (let. a) ; la LPGA et ses dispositions d'exécution (let. b).
1.3 Interjeté en temps utile, le recours est recevable (art. 60 al. 1 LPGA [loi applicable par renvoi de l'art. 1 LPC pour les PCF et l'art. 1A al. 1 let. b LPCC pour les PCC] ; art. 9 de la loi cantonale sur les prestations fédérales complémentaires à l'assurance‑vieillesse et survivants et à l'assurance‑invalidité du 14 octobre 1965 [LPFC - J 4 20] ; art. 43 et 43B let. c LPCC).
2. Il n’y a pas lieu de revenir sur l’application par l’intimé du droit antérieur au 1er janvier 2021, plus favorable pour la recourante dans le cadre du présent litige, puisqu’il n’est pas fait application du seuil de fortune pour le droit à des PC introduit par le nouvel art. 9a LPC, entré en vigueur le 1er janvier 2021.
3. Le litige porte sur la question de savoir si l'intimé est fondé à réclamer à la recourante la restitution la part des PCF et PCC versées non due pour la période du 1er janvier au 31 octobre 2023, plus précisément, selon les conclusions de recours de l’intéressée, si cette période inclut le mois de janvier 2023 ou commence seulement le mois suivant, la recourante admettant désormais devoir en restitution la somme de CHF 11'385.-.
4.
4.1 Au plan fédéral, en vertu de l’art. 9 al. 1 LPC – dans sa version en vigueur avant le 1er janvier 2021 comme les dispositions légales qui suivent –, le montant de la PC annuelle correspond à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants. À teneur de l’art. 11 al. 1 let. c, 1ère phr., LPC, les revenus déterminants comprennent un quinzième de la fortune nette, un dixième pour les bénéficiaires de rentes de vieillesse – comme la recourante –, dans la mesure où elle dépasse CHF 37'500.- pour les personnes seules.
Au plan cantonal, l’art. 5 LPCC dispose que le revenu déterminant est calculé conformément aux règles fixées dans la loi fédérale – la LPC – et ses dispositions d'exécution, moyennant les adaptations suivantes, notamment : en dérogation à l'art. 11 al. 1 let. c LPC, la part de la fortune nette prise en compte dans le calcul du revenu déterminant est de un huitième, respectivement de un cinquième pour les bénéficiaires de rentes de vieillesse, et ce après déduction : 1° des franchises prévues par cette disposition, 2° du montant des indemnités en capital obtenues à titre de dommages et intérêts en réparation d'un préjudice corporel, y compris l'indemnisation éventuelle du tort moral (let. c).
4.2 La fortune déterminante comprend le cas échéant la part d’héritage revenant à la personne assurée. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la part d'héritage d'un bénéficiaire des PC doit être prise en compte en principe dès l'ouverture de la succession qu'il acquiert de plein droit (art. 560 al. 1 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 [CC - RS 210]), c’est-à-dire au décès du de cujus (art. 537 al. 1 CC), et non seulement à partir du moment où le partage est réalisé. Des difficultés à obtenir la réalisation de cette part ne justifient pas en elles-mêmes l’abandon de cette règle. Une prise en compte de la part d’héritage ne peut cependant intervenir qu’à partir du moment où règne suffisamment de clarté sur la part successorale considérée ou, si celle-ci ne peut encore être déterminée avec suffisamment de précision, dès l’instant qu’au regard de toutes les éventualités factuelles et juridiques elle exclut de façon sûre le droit à des PC (arrêts du Tribunal fédéral 9C_447/2016 du 1er mars 2017 consid. 4.2.2 ; 9C_305/2012 du 6 août 2012 consid. 4.1.2 ; P 22/06 du janvier 2007 consid. 5 ; RCC 1992 p. 347 consid. 2c et 2d ; ATAS/767/2015 du 6 octobre 2015 consid. 9). Ceci vaut aussi pour une part à une succession non partagée, par laquelle il faut comprendre le droit de l’héritier au résultat de la liquidation en cas de dissolution de la communauté successorale (arrêts du Tribunal fédéral 9C_567/2016 du 3 janvier 2017 consid. 3.1 ; 9C_999/2009 du 7 juin 2010 consid. 1.1).
D’après le ch. 3443.04 des directives de l’office fédéral des assurances sociales (ci-après : OFAS) concernant les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI, valables dès le 1er avril 2011 (DPC), la part de la succession indivise qui revient à un héritier est prise en compte dès l’ouverture de la succession, pour autant que sa valeur puisse être évaluée avec suffisamment de précision.
À tout le moins si elle est déterminable, la part d’héritage doit être prise en compte rétroactivement à partir du début du mois qui suit celui au cours duquel (cf. art. 25 al. 2 let. c OPC-AVS/AI) la succession a été ouverte (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_305/2012 précité consid. 4.4.3 ; Ralph JÖHR/Patricia USINGER-EGGER, Ergänzungsleistungen zur AHV/IV, in Ulrich MEYER [éd.], Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht, vol. XIV, Soziale Sicherheit – Sécurité sociale, 3ème éd., 2016, n. 162 et note de bas de page 689 ; cf. aussi ATAS/68/2021 du 4 février 2021 consid. 5b ; ATAS/823/2020 du 5 octobre 2020 consid. 4b ; ATAS/318/2019 du 16 avril 2019 consid. 2c ; également arrêt du Tribunal fédéral 9C_447/2016 précité consid. 4.3).
4.3 Aux termes de l'art. 25 LPGA, les prestations indûment touchées doivent être restituées. La restitution ne peut être exigée lorsque l'intéressé était de bonne foi et qu'elle le mettrait dans une situation difficile (al. 1). Le droit de demander la restitution s’éteint trois ans après le moment où l’institution d’assurance a eu connaissance du fait, mais au plus tard cinq ans après le versement de la prestation. Si la créance naît d’un acte punissable pour lequel le droit pénal prévoit un délai de prescription plus long, celui-ci est déterminant (al. 2).
4.3.1 Conformément à l'art. 2 al. 1 let. a de l'ordonnance sur la partie générale du droit des assurances sociales du 11 septembre 2002 (OPGA - RS 830.11), sont soumis à l'obligation de restituer le bénéficiaire des prestations allouées indûment ou ses héritiers.
En vertu de l'art. 3 OPGA, l'étendue de l'obligation de restituer est fixée par une décision (al. 1). L'assureur est tenu d'indiquer la possibilité d'une remise dans la décision de restitution (al. 2).
4.3.2 L'obligation de restituer suppose que soient remplies les conditions d'une révision procédurale (art. 53 al. 1 LPGA) ou d'une reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA) de la décision – formelle ou non – par laquelle les prestations en cause ont été allouées (ATF 142 V 259 consid. 3.2 et les références ; 138 V 426 consid. 5.2.1 et les références ; 130 V 318 consid. 5.2 et les références).
À cet égard, la jurisprudence constante distingue la révision d'une décision entrée en force formelle (art. 53 al. 1 LPGA), à laquelle l'administration est tenue de procéder lorsque sont découverts des faits nouveaux ou de nouveaux moyens de preuve susceptibles de conduire à une appréciation juridique différente (ATF 129 V 200 consid. 1.1 ; 127 V 466 consid. 2c et les références), de la reconsidération d'une décision formellement passée en force de chose décidée sur laquelle une autorité judiciaire ne s'est pas prononcée quant au fond (art. 53 al. 2 LPGA), à laquelle l'administration peut procéder pour autant que la décision soit sans nul doute erronée et que sa rectification revête une importance notable. Ainsi, par le biais d'une reconsidération, on corrigera une application initiale erronée du droit (ATF 147 V 167 consid. 4.2 et la référence). L'obligation de restituer des PC indûment touchées et son étendue dans le temps n'est pas liée à une violation de l'obligation de renseigner (ATF 122 V 134 consid. 2e). Il s'agit simplement de rétablir l'ordre légal après la découverte du fait nouveau (arrêt du Tribunal fédéral 9C_398/2021 du 22 février 2022 consid. 5.1).
La non-prise en compte d'une succession non partagée dans le calcul des PC constitue sans aucun doute un motif de reconsidération selon l'art. 53 al. 2 LPGA et entraîne en principe, si la rectification de la décision initiale d’octroi de PC revêt une importance notable, l'obligation de restituer les prestations indûment perçues conformément à l’art. 25 al. 1, 1ère phr., LPGA (arrêt du Tribunal fédéral 9C_567/2016 précité consid. 3.2.1).
4.3.3 Le droit cantonal reprend les règles contenues dans les articles de loi et d'ordonnance fédérales susmentionnés afférents à l'obligation de restituer (cf. art. 24 al. 1 LPCC et 14 du règlement relatif aux prestations cantonales complémentaires à l'assurance-vieillesse et survivants et à l'assurance-invalidité du 25 juin 1999 [RPCC-AVS/AI - J 4 25.03]).
5. En l’espèce, par ses conclusions de recours qui admettent son obligation de restitution à partir du 1er février 2023, la recourante ne remet pas en cause le fait que sa part d’héritage, de l’ordre de CHF 121'000.-, était connue dès le décès de sa sœur le 9 janvier 2023.
C’est conformément à la jurisprudence précitée (arrêt du Tribunal fédéral 9C_305/2012 précité consid. 4.4.3) qu’elle se prévaut de l’art. 25 al. 2 let. c OPC‑AVS/AI et considère que son obligation de restitution commence non dès le 1er janvier 2023 mais à partir du 1er février 2023, de sorte qu’il doit être donné entièrement droit à ses conclusions de recours.
6. Le recours doit dès lors être admis et la décision sur opposition réformée en ce sens que le montant à restituer à l’intimé est réduit à CHF 11'385.- (CHF 12'650.‑ - CHF 1'265.- afférent à janvier 2023).
7. La recourante, qui obtient entièrement gain de cause, n'est pas représentée par un mandataire et n’a pas allégué des frais particulièrement importants pour défendre ses droits dans le cadre de la présente procédure de recours, de sorte qu'aucune indemnité ne lui sera accordée à titre de participation à d’éventuels frais et dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).
La procédure est gratuite (art. 89H al. 1 LPA et vu l'art. 61 let. fbis LPGA).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. L’admet.
3. Réforme la décision sur opposition rendue le 5 décembre 2023 en ce sens que le montant à restituer à l’intimé pour la période du 1er janvier au 31 octobre 2023 est réduit à CHF 11'385.-.
4. Dit que la procédure est gratuite.
5. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF ‑ RS 173.110). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Christine RAVIER |
| Le président
Blaise PAGAN |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le