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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2194/2021

ATAS/1048/2023 du 22.12.2023 ( AVS ) , REJETE

Recours TF déposé le 22.02.2024, 9C_114/2024
En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2194/2021 ATAS/1048/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 22 décembre 2023

Chambre 3

 

En la cause

Monsieur A______
représenté par Me Mathias EUSEBIO, avocat

Monsieur B______
représenté par Me Adrien GUTOWSKI, avocat

 

 

 

 

recourants

contre

Caisse interprofessionnelle AVS de la Fédération des Entreprises Romandes - FER CIAB 106.5

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. La société C______ SÀRL (ci-après : la société), créée à D______, dans le canton du Jura, le 22 mai 2017, a été inscrite au registre du commerce du canton de Genève le 21 octobre 2019 suite au transfert de son siège. Elle a été affiliée en qualité d'employeur auprès de la Caisse interprofessionnelle AVS de la Fédération des Entreprises Romandes (FER CIAB 106.5 ; ci-après : la caisse) du 1er septembre 2017 au 10 décembre 2020.

b. Monsieur A______ (anciennement : E______) A______ en a été associé et gérant, avec signature individuelle, depuis sa création jusqu'au 14 décembre 2017, date à compter de laquelle il en a été associé sans droit de signature et ce, jusqu'au 10 décembre 2019. Dès cette date, le GROUPE F______ (sis en France), dont M. A______ était l'associé unique, a occupé cette fonction.

De son côté, Monsieur B______ a été gérant de la société, avec signature individuelle, du 14 décembre 2017 au 3 juin 2020, selon les publications dans la Feuille officielle suisse du commerce (FOSC).

c. Faute d’avoir payé les cotisations sociales dues selon décompte complémentaire 2017, décompte final 2018 et décomptes de mai à octobre 2019, la société s'est vu notifier des sommations. La caisse a ensuite entamé des poursuites.

d. Le 10 décembre 2020, le Tribunal de première instance du canton de Genève a prononcé la dissolution de la société et sa liquidation a été ordonnée selon les dispositions applicables à la faillite. Le 27 mai 2021, la procédure de faillite a été suspendue faute d'actifs et le 23 juin 2021, la société a été radiée.

B. a. Par deux décisions séparées du 16 février 2021, la caisse a réclamé à M. B______, respectivement à M. A______, à titre de réparation du dommage, la somme de CHF 82'067.25, correspondant aux cotisations AVS/AI/APG/AC et AF impayées pour les années 2017 à 2019, y compris les frais administratifs, intérêts moratoires, taxes de sommation et frais de poursuites.

En annexe figurait l'extrait de compte détaillé des montants dus.

b. Le 12 mars 2021, M. A______ s'est opposé à la décision le concernant.

c. Le 18 mars 2021, M. B______ a fait de même contre la décision le concernant.

d. Par décisions séparées du 26 mai 2021, la caisse a confirmé celles du 16 février 2021.

C. a. Par acte du 28 juin 2021, M. B______, par l'intermédiaire de son conseil, a saisi la Cour de céans d'un recours (enregistré sous le numéro de cause A/2194/2021), en concluant, sous suite de frais et dépens, à l’annulation de la demande en réparation formée à son encontre.

Il allègue qu'en 2017, alors âgé de 21 ans, il a été approché par M. A______ en vue d'une collaboration professionnelle : il s'est vu offrir une place de gérant au sein de plusieurs entreprises appartenant à celui-ci. Il a ainsi, à la demande de M. A______, exercé la fonction de gérant de la société du 14 décembre 2017 au 3 juin 2020, aux côtés de celui-ci, qui revêtait la qualité d'associé de la société jusqu'au 10 décembre 2019. M. A______ a ensuite cédé ses parts au GROUPE F______ qu'il détenait en France.

M. B______ affirme avoir été victime d'un stratagème mis en place par M. A______, lequel consistait en la création de plusieurs entreprises permettant d'effectuer certaines transactions entre elles, dont certaines font l'objet d'une enquête pénale portant la référence MP/1______/2019, instruite par le Ministère public du canton du Jura.

Il déclare avoir été un « homme de paille » ou plutôt un « pantin » au moment où M. A______ n'était plus domicilié en Suisse, et considère que le non-paiement des cotisations sociales est imputable à M. A______ et non à lui. Il affirme que, particulièrement jeune, lors de son inscription en qualité de gérant de la société, il n'a accepté ce mandat qu'en raison de la manipulation et de l'importante influence que M. A______ exerçait sur lui. Il dit avoir été financièrement dépendant de celui-ci, qui lui a fait miroiter des salaires ou commissions élevés, dont seule une infime partie lui a été versée, juste de quoi vivre. Manipulé par M. A______, il n'était pas conscient que, de par sa qualité de gérant, il pouvait être tenu pour responsable, à titre subsidiaire, des irrégularités commises par la société s’agissant du paiement des cotisations sociales.

Il allègue ne s'être toutefois pas accommodé de cette situation, puisqu'il s'entretenait régulièrement avec M. A______ afin de faire le point sur le fonctionnement de leurs affaires. Cependant, celui-ci ne l'a jamais informé des irrégularités commises dans le cadre de la gestion administrative de la société, lui affirmant au contraire que la situation était en règle, notamment s'agissant de la rémunération des employés et du paiement des cotisations sociales.

M. B______ estime n'avoir eu d'autre choix que de faire confiance à M. A______. Victime d’une manipulation et d'une pression psychologique extrême exercées par celui-ci, il n'était subjectivement pas en mesure de remettre en doute les dires de M. A______, d'autant plus que les accès à la comptabilité de la société lui étaient refusés. Ce n'est qu'à la suite de l'intervention de la caisse qu'il s'est rendu compte du non-paiement des cotisations et de leur montant. Il était alors trop tard pour régulariser la situation, vu la dissolution de la société, intervenue le 10 décembre 2020. M. B______ dit s'être entretenu à plusieurs reprises avec M. A______ qui lui aurait assuré et promis que les démarches nécessaires au paiement des cotisations sociales en souffrance seraient entreprises rapidement. De bonne foi et sous son emprise, il lui a encore fait confiance.

M. B______ ajoute n'avoir eu le courage d'expliquer, sous la plume de son conseil, la situation dans laquelle il se trouvait qu'au Ministère public en charge de l'instruction d'une affaire le visant ainsi que M. A______. Cette enquête pénale a révélé que Monsieur G______, employé de la banque UBS au moment où certains transferts (de fonds) entre les entreprises (de M. A______) ont été effectués par la banque, a pris la place de M. B______ et géré des structures encore actives par M. A______. M. G______, porte-parole de M. A______, faisait miroiter à M. B______ que l'intégralité des dettes serait prochainement et intégralement honorée.

M. B______ soutient qu’il a agi avec toute l'attention et la diligence requises par les circonstances et conteste avoir commis une faute.

Enfin, il a sollicité la suspension de la cause A/2194/2021 jusqu'à droit connu dans la procédure pénale MP/1______/2019 précitée, qui concerne des faits en lien avec sa fonction de gérant au sein du lot d'entreprises « C______ » créées par M. A______, afin d'éviter des décisions contradictoires et de déterminer l'étendue de sa responsabilité envers la caisse.

b. Invitée à se déterminer, dans sa réponse du 2 août 2021, la caisse a conclu au rejet du recours.

Elle relève que M. B______, en sa qualité d'organe formel de la société, était en mesure, vis-à-vis des tiers, d'engager valablement celle-ci et que, de ce fait, il doit répondre des conséquences de ses actes et de ses omissions, indépendamment du fait qu'il ait pu subir l'éventuelle influence d'un tiers.

Elle ajoute que même si M. A______ a indiqué à M. B______ que la situation était en règle, celui-ci ne pouvait ignorer que les décomptes de charges sociales n'étaient pas acquittés dans les délais. Sur les 26 décomptes de cotisations à payer notifiés à la société durant le mandat de gérant de M. B______, seuls deux n'ont pas fait l'objet d'au moins un rappel, et neuf procédures de poursuites ont été introduites à l'encontre de la société. L'ampleur du contentieux était telle qu'il était impossible que M. B______ n'en ait pas été informé. De plus, par courriel du 4 septembre 2019, Madame H______, employée de la société, en agissant sur ordre de son directeur, M. B______, et de l'associé principal, M. A______, indiquait faire opposition à toutes les poursuites en raison de l'incertitude quant au montant des cotisations sociales à payer. Ce fait tend à démontrer la légèreté avec laquelle la gestion du personnel et du règlement des cotisations sociales était assurée et qu'à ce moment déjà, M. B______ était informé des retards importants dans le paiement des décomptes de cotisations. M. B______ a du reste confirmé la teneur dudit courriel dans une correspondance du 6 septembre 2019 au Tribunal de première instance du canton du Jura, dans le cadre d'une procédure de mainlevée d'opposition.

La caisse ajoute que s’il devait s’avérer que M. B______ n’avait effectivement accès ni aux comptes bancaires ni à la comptabilité, cela constituerait une circonstance aggravante. Sa démission au printemps 2020 doit en tout cas être considérée comme tardive, le dommage ayant déjà été causé à ce moment. Elle rappelle par ailleurs qu'un homme de paille qui ne fait pas usage de ses droits de contrôle agit par négligence grave, que le fait d'être un profane en droit ne décharge pas l'organe de sa responsabilité, et que le relativement jeune âge de M. B______ au moment des faits n’est pas une excuse valable pour le disculper.

Enfin, la caisse s’est opposée à la suspension de la cause A/2194/2021 dans l'attente de l'issue de la procédure pénale, dont elle a fait remarquer qu’elle n’aurait pas de conséquences sur les conditions de la reconnaissance de la responsabilité dans le dommage qu'elle a subi en matière d'assurances sociales.

c. Dans sa réplique du 24 septembre 2021, M. B______ a persisté dans ses conclusions et sollicité par ailleurs la suspension de la cause jusqu'à ce qu'il puisse informer la Cour de céans du résultat de ses démarches en lien avec le dépôt d'une plainte pénale complémentaire à l'endroit de M. A______.

Il considère que l'issue de la procédure pénale MP/1______/2019 est capitale, nonobstant son statut de gérant de la société, car elle permettra très vraisemblablement d'établir les éléments dont il était réellement au courant et ceux auxquels il avait en réalité accès de la part de M. A______. Il argue que s’il est considéré comme lésé sur le plan pénal, cela pourrait avoir une incidence sur sa responsabilité vis-à-vis de la caisse.

D. a. Par acte du 30 juin 2021, M. A______, représenté par un avocat, a interjeté recours contre la décision sur opposition du 26 mai 2021 le concernant auprès de la Cour de céans (numéro de cause A/2229/2021), en concluant, sous suite de frais et dépens, à son annulation.

Le recourant soutient qu’à compter du moment où il a démissionné du poste de gérant le 8 décembre 2017, il n’a plus été qu'un simple associé de la société ayant pour fonction principale d'approuver le rapport annuel et de déterminer l'emploi du bénéfice et des pertes de la société. De par sa fonction, il n'avait ni devoir de surveillance, ni la possibilité d'assumer sous sa propre responsabilité la compétence durable de prendre des décisions qui dépassaient le cadre des affaires quotidiennes et qui avaient une influence sur le résultat de l'entreprise. Il conteste avoir exercé une influence sur la marche des affaires de la société et avoir pu disposer des cotisations impayées. C'était le gérant de l'époque, M. B______, qui était tenu d'exercer la haute direction de la société et de s'assurer du paiement régulier des cotisations.

Il en tire la conclusion que les prétentions de la caisse relatives aux cotisations en souffrance des années 2018 et 2019 sont infondées.

Pour ce qui concerne la période du 22 mai au 8 décembre 2017, durant laquelle il admet avoir été inscrit au registre du commerce en qualité de gérant avec signature individuelle, il conteste avoir empêché M. B______ d'avoir accès aux comptes bancaires et à la comptabilité de la société. Il allègue que leur collaboration s'est très mal terminée et qu'un litige en matière de droit du travail est en cours.

Il ajoute qu'il n'est pas établi que les cotisations non payées en 2017 étaient venues à échéance et auraient dû être versées entre le 22 mai et le 8 décembre 2017, et affirme que, durant ces six mois et demi d'activité, il n'a jamais remarqué un défaut de paiement des cotisations. Il reproche à la caisse de ne pas l’en avoir avisé. À cet égard, il constate que le solde des cotisations impayées pour l'exercice 2017 a été réclamé la première fois à la société dans un décompte complémentaire du 12 février 2019, plus d'une année après sa démission du poste de gérant.

Il fait valoir que, dans l'hypothèse où la caisse établit, par titre, qu'un défaut de paiement est intervenu avant le 8 décembre 2017, une telle violation ne peut être constitutive d'une faute grave, vu la courte période durant laquelle il a été gérant et compte tenu du fait que la plupart des cotisations ont été payées. Ainsi, il se prévaut tout au plus d'une négligence légère de son devoir de diligence, d'autant que la caisse a mis plusieurs années pour s'apercevoir du non-paiement des cotisations.

Il en infère que les prétentions de la caisse relatives aux cotisations de l'année 2017 sont également infondées.

Le recourant produit :

-          le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire des associés de la société du 8 décembre 2017 ; et

-          l'extrait de la FOSC n° 243 du 14 décembre 2017.

b. Invitée à se déterminer, la caisse, dans sa réponse du 2 août 2021, a conclu au rejet du recours.

Elle considère que M. A______, en tant qu'associé unique de la société jusqu'au 10 décembre 2019, puis en tant qu'associé unique du GROUPE F______, lui-même associé unique de la société, pouvait exercer une influence considérable sur la marche des affaires de la société.

Elle affirme que, malgré la démission de M. A______ du poste de gérant le 8 décembre 2017, celui-ci a continué, à tout le moins conjointement avec le gérant inscrit, à gérer la société et a ainsi agi en tant qu'organe de fait selon toute vraisemblance. Elle en veut pour preuve la signature apposée sur la déclaration annuelle des salaires 2018 qui lui a été remise le 25 janvier 2019, qui présente selon elle de troublantes similitudes avec la signature de M. A______ telle qu'elle figure sur la procuration signée et annexée au recours ou sur le bulletin d'adhésion à la caisse.

La caisse allègue qu'il lui a été indiqué oralement à plusieurs reprises que le règlement des décomptes de cotisations dépendait de la mise à disposition des fonds nécessaires, notamment de la part de M. A______. Dans son recours du 28 juin 2021 contre la décision sur opposition du 26 mai 2021, M. B______ mentionne par ailleurs avoir agi en tant qu’« homme de paille », sous l'influence de M. A______.

Elle fait valoir que M. A______ savait, au moment de sa démission le 8 décembre 2017, que les cotisations étaient impayées. À ce propos, elle constate que, même si la société a été inscrite au registre du commerce du canton du Jura le 22 mai 2017, M. A______ ne lui a fait parvenir le formulaire d'adhésion que le 28 août 2017. Des acomptes de cotisations lui ont été facturés pour la première fois le 10 octobre 2017, qui ont fait l'objet d'un rappel valant sommation le 20 novembre 2017. De même, aucun ordre de paiement pour le décompte de cotisations de novembre 2017, échu le lundi 11 décembre 2017, n'a été saisi et validé le vendredi 8 décembre 2017.

Elle ajoute qu’au jour de la démission de M. A______, des cotisations ont été facturées sur la base d'un revenu soumis à cotisations de CHF 13'863.30 et qu'aucun paiement ne lui était encore parvenu. Dans la mesure où le revenu propre de M. A______ pour l'année 2017 s'élevait à CHF 36'492.75, celui-ci aurait dû se rendre compte d'une insuffisance conséquente au niveau de la masse salariale annoncée à la caisse. En manquant de l'attention dont une personne raisonnable aurait fait preuve dans la même situation et dans les mêmes circonstances, M. A______ s'est rendu coupable d'une négligence grave, de sorte que sa responsabilité se trouve engagée. L’intimée rappelle que les employeurs sont tenus de l’informer lors de chaque variation sensible de la masse salariale en cours d'année.

En définitive, la caisse considère qu'un faisceau d'indices démontre que M. A______ a continué à influencer de manière notable la marche des affaires de la société au-delà de la date de sa démission. Compte tenu de son comportement négligeant, voire fautif, il doit répondre du dommage subi, solidairement avec M. B______.

La caisse sollicite la production de la liste nominative des signatures bancaires, ainsi que des accès aux services en lignes des institutions bancaires de la société pour les années 2017 à 2019, afin de déterminer qui, au sein de la société, était en mesure de disposer des fonds et de valider le paiement des décomptes de cotisations.

c. Dans sa réplique du 15 octobre 2021, M. A______ a persisté dans ses conclusions.

Il conteste avoir continué à exercer, à tout le moins conjointement avec M. B______, la gestion de la société. Il fait valoir que la similitude entre les diverses signatures figurant au dossier n'est pas déterminante, car M. B______ avait pour habitude d'imiter les signatures de plusieurs personnes, dont la sienne. Il en veut pour preuve la pièce n° 5 qu'il produit.

Il allègue que la gestion de la société était exercée exclusivement par M. B______, avec des méthodes qu’il qualifie de « pour le moins expéditives ».

À l'appui de sa position, il produit :

-          la procuration de M. B______ en sa faveur du 19 octobre 2018, qui démontrerait que seul M. B______ gérait la société, puisque ce dernier avait pris la précaution de signer cette procuration pour que M. A______ agisse à sa place dans une affaire bien précise en son absence (pièce 6) ;

-          le certificat de salaire d'une employée de la société du 1er mai 2019, qui a été établi par M. B______ lui-même (pièce 7) ;

-          les échanges de courriels de mars 2019 entre M. B______ et une future employée, démontrant que celui-ci avait la responsabilité d'engager du personnel et exerçait seul cette tâche en tant que gérant (pièce 8) ;

-          les courriels de M. B______ des 4 juillet, 16 septembre et 9 octobre 2019 à son assistante de direction au sujet du licenciement d'un employé, démontrant que celui-ci prenait seul la décision de licencier du personnel et exécutait lui-même ces décisions (pièce 9) ; et

-          le courriel de M. B______ du 29 septembre 2019 à son assistante de direction au sujet de la société C______ SÀRL (pièce 10) dont il était également le gérant à l'époque, duquel il ressortait que celui-ci était seul aux commandes de ces sociétés et qu'il n'agissait pas sous les ordres de M. A______ ou en accord avec lui. M. B______ s'exprimait à la première personne du singulier et de manière très directive. Il s'inquiétait par ailleurs de savoir ce qu'il encourait en termes de responsabilité en cas de mise en faillite de cette entreprise.

E. a. Par ordonnance du 25 octobre 2021, la Cour de céans a ordonné la jonction des causes A/2194/2021 et A/2229/2021 sous le numéro de procédure A/2194/2021.

b. Par déterminations spontanées du 12 novembre 2021, M. B______, tout en persistant dans ses conclusions et en réitérant sa demande de suspension de la procédure A/2194/2021, a sollicité la production de la liste des comptes appartenant à la société auprès de la banque UBS Switzerland SA sise à I______ (ci-après : UBS) et de la banque RAIFFEISEN sise à J______ (ci-après : RAIFFEISEN), ainsi que des personnes titulaires du droit de signature individuelle sur ces comptes.

Il précise que la première banque a cessé toute relation avec M. A______ et la société en octobre 2018 et que, par la suite, les transactions sont intervenues par le truchement de la seconde banque.

Il allègue que M. A______ agissait en tant qu'organe de fait de la société, car il était le seul à disposer des accès bancaires des comptes de la société. Celui-ci a ouvert le compte de la société (débitrice des cotisations impayées) et n'a mentionné que sa signature en tant que signature autorisée.

Il indique que, quand bien même les risques encourus l’étaient à son nom, c'est M. A______, seul, qui gérait effectivement la société, et qui lui a promis qu'il réglerait les dettes. Il souligne l'emprise qu'avait M. A______ sur lui (mise à disposition d'un appartement et d'un véhicule, garde des enfants de M. A______ et présence à leur anniversaire, promesse par celui-ci d'augmenter le maigre revenu irrégulier que percevait M. B______). Il explique s’être senti flatté de la confiance que M. A______ lui accordait.

M. B______ déclare avoir effectué de rares transactions depuis le compte de la société et « selon procuration distincte », ce qui démontre, selon lui, d'une part, que s'il avait eu accès aux comptes, il n'aurait pas eu besoin de ces procurations distinctes et, d'autre part, qu'il n'était pas réellement aux commandes de la société, puisqu'il avait besoin d'une procuration pour toute transaction ou paiement de facture. Comme M. A______ était le seul titulaire de la signature individuelle sur ce compte, lui seul pouvait lui donner procuration pour effectuer des transactions. M. A______ était le seul à pouvoir se connecter de manière autonome aux comptes RAIFFEISEN de la société, puisque le SMS de connexion arrivait sur son téléphone portable et chaque transaction devait être validée au moyen d'un code de confirmation unique, reçu également par SMS. M. A______ a par ailleurs admis lors de son audition du 27 mai 2019 par-devant le Ministère public jurassien avoir effectué toutes les démarches en termes d'obtention de crédit et de gestion d'entreprise.

M. B______ affirme s'être soucié du paiement des charges sociales, extraits de conversations WhatsApp à l'appui. Il explique qu'il devait, malgré sa qualité de gérant formel de la société, justifier toutes les factures auprès de M. A______, sans être libre de les régler lui-même, même celles les plus élémentaires à la bonne marche de la société. En effet, M. A______ avait la mainmise complète sur la gestion effective de la société. C’est lui qui prenait les décisions importantes. D’ailleurs, lors de leur audition par le Ministère public jurassien, Messieurs K______ et L______, employés d'UBS, ont confirmé n'avoir eu affaire qu'avec M. A______, les seuls contacts avec M.  B______ étaient en lien avec des questions de procédure de poursuites.

M. B______ ajoute qu'à chaque nouvelle embauche que M. A______ lui demandait de faire, il s'inquiétait et demandait systématiquement confirmation, vu les difficultés rencontrées par la société. Il assure n’être pas resté inactif, avoir tenté de régler les factures urgentes et d’éviter d’engendrer plus de charges sociales impayées, mais précise que s'il n'exécutait pas les ordres donnés, M. A______ refusait de lui verser son maigre salaire (d'environ CHF 3'100.-). M. A______ procédait à des paiements extrêmement importants pour le compte de l'entreprise M______, asséchant ainsi les finances de la société, sans que M. B______ ne puisse s'y opposer. M. A______ était le seul à pouvoir valider les paiements de la société.

En ce qui concerne la gestion effective de la société, M. B______ affirme que M. A______ donnait des directives pour tout. Entre le 16 novembre 2020 et le 7 avril 2021, M. B______ a relancé à de nombreuses reprises, s'agissant du paiement des charges sociales, M. G______, qui lui indiquait qu’il attendait des fonds de M. A______, en vain.

M. B______ en tire la conclusion que M. A______, après avoir démissionné de son poste de gérant, a continué à exercer une influence sur la marche des affaires de la société et à disposer des fonds qui auraient dû servir au paiement des cotisations.

M. B______ allègue par ailleurs que M. A______ utilisait très vraisemblablement les fonds de la société à des fins personnelles, telles que l'achat du golf de M______ (le montant de CHF 900'000.- a été décaissé de la société) fin mars 2018. Devenu gérant de la société dès le 14 décembre 2017, M. B______ a endossé sans le savoir les responsabilités, notamment pénales, en lien avec l'achat du golf, que M. A______ a voulu consciemment éviter.

Le recourant ajoute que, dans le cadre de l'enquête pénale pour escroquerie et blanchiment d'argent, des témoins qui seront entendus, pourront confirmer que lui-même n’avait aucun pouvoir de décision, nonobstant son statut de gérant formel.

M. B______ se rend compte qu'il aurait dû démissionner et quitter cet environnement délétère, ce qu'il n'a pu faire à l'époque, vu l'état d'emprise dans lequel il se trouvait. Âgé de 21 ans, il n'avait pas de connaissances particulières dans les domaines de la construction et des crédits bancaires. Il considérait M. A______ comme quelqu'un de rompu aux affaires. Il ne se rendait pas compte des responsabilités qui étaient les siennes et voyait en M. A______ un modèle de réussite et un mentor.

M. B______ rappelle que la caisse a adressé une sommation pour le décompte de cotisations d'octobre 2017. M. A______ savait dès lors que ce décompte n'était pas réglé et il lui incombait de veiller au paiement des charges sociales durant les mois pendant lesquels il était gérant de droit, mais également de fait.

Le recourant explique que la fin des rapports de travail a été causée par l'épuisement et la profonde dépression dont il a souffert en raison de l'emprise exercée par M. A______. Il a dû s'adresser à un psychologue, qu'il consulte encore plusieurs fois par mois et un traitement antidépresseur lui a été prescrit.

Il précise avoir effectué les tâches de gestion (personnel, déclarations de salaire, actions dans la faillite) selon les directives de M. A______. Il considère que le fait d’avoir donné des directives aux employés et d’avoir établi les certificats de salaire ne fait pas de lui le gérant effectif, puisqu'il agissait toujours conformément aux instructions de M. A______, sans avoir la marge de manœuvre d'un gérant.

Il conteste toute responsabilité solidaire, arguant que seul M. A______ pouvait effectivement éviter le dommage subi par la caisse.

M. B______ souligne que la pièce n°5 précitée démontre qu'il n'avait pas le pouvoir de signer lui-même. Il allègue que M. A______, rompu aux affaires, aurait découvert toute imitation de signature sans son autorisation. C'est M. A______ qui le sollicitait pour qu'il signe à sa place.

Il explique que la procuration sous pièce n° 6 avait pour but de se départir d'un contrat de vente de sauna au golf signé par M. A______, qui ne souhaitait pas régler le solde de la facture. M. B______ a signé cette procuration, à la demande de M. A______.

Il ajoute que le 23 septembre 2019, lorsque M. A______ lui a donné l'instruction de déposer l'avis de surendettement de la société C______ SÀRL, il s’est exécuté, quelque peu perdu dans cette procédure.

M. B______ produit en particulier :

-          le procès-verbal d'audition de MM. K______ et L______ du 15 avril 2019 devant le Ministère public du canton du Jura – référence MP/1______/2019 – (pièce 101) ; le procès-verbal de son audition du 27 mai 2019 (pièce 102) ainsi que celui de M. A______ du même jour (pièce 103) devant cette autorité ;

-          la déclaration de base pour relation bancaire auprès d'UBS pour la société signée par M. A______ le 23 août 2017 (pièce 104) ;

-          l'extrait de deux comptes de construction personnels UBS de M. A______ pour la période entre le 13 septembre 2017 et le 30 mars 2018, respectivement entre le 10 juillet 2017 et le 16 avril 2018 (pièce 105) ;

-          l'extrait du compte courant UBS de la société pour la période entre le 22 et le 31 janvier 2018 (pièce 106), ainsi que pour la période entre le 6 et le 22 juin 2018 (pièce 110) ;

-          l'extrait du compte personnel UBS de M. A______ pour la période entre le 30 mars et le 6 avril 2018 (pièce 108), ainsi que pour la période entre le 19 avril et le 1er mai 2018 (pièce 109) ;

-          une attestation du 4 janvier 2021 de la docteure N______, médecin généraliste en France, certifiant avoir vu M. B______ en consultation à trois reprises au printemps 2020, lequel présentait des signes de dépression sévère et prendrait un traitement antidépresseur prescrit par une consœur depuis quelques jours, ainsi qu'une attestation du 29 décembre 2020 de Madame O______, psychologue, attestant avoir reçu M. B______ en 20 séances individuelles depuis décembre 2019 (pièce 111) ;

-          des extraits de conversations WhatsApp, en particulier sur le groupe C______ ou P______, entre le 6 avril 2018 et le 7 avril 2021 (pièces 112, 113, 114a-114i, 115a-115g, 116, 117, et 122) ; et

-          un courrier de la banque RAIFFEISEN au Ministère public jurassien du 26 mars 2019 (pièce 120).

c. Par écritures du 24 novembre 2021, la caisse a persisté dans ses conclusions dans les deux causes.

Elle fait remarquer, au sujet de la pièce n°5, que si le document devait porter la signature de M. A______, c'est parce que M. B______ n'était pas en mesure d'engager (seul) la société.

La pièce n°112 semble mettre en évidence que la pratique de la signature pour autrui était à tout le moins tolérée par M. A______.

Par ailleurs, au sujet de la déclaration annuelle des salaires 2018 (produite le 2 août 2021), M. A______ n'a pas nié explicitement l'avoir signée, se contentant de mentionner « l'habitude » de M. B______ de recourir à cette pratique (l'imitation).

La caisse émet l’avis que le certificat de salaire du 1er mai 2019 (produit par M. A______ le 15 octobre 2021), même s'il est certifié par M. B______, peut avoir été établi par n'importe qui. Il suffit de renseigner un nom dans un formulaire électronique afin d'établir de tels documents, sans qu'aucune vérification ne soit effectuée sur l'identité de son auteur. Elle relève que les données figurant sur ce certificat de salaire ne semblent pas correspondre avec celles qui lui ont été communiquées dans la déclaration annuelle des salaires 2019 (que la caisse a annexée à ses observations du 24 novembre 2021 ; absence de concordance entre le revenu brut selon certificat de salaire et revenu soumis à AVS, absence de concordance entre les dates d'emploi selon le certificat et celles figurant sur l'annonce de salaire). Vu les doutes quant à l'exactitude des données figurant sur le certificat de salaire du 1er mai 2019, ce document doit être écarté.

Concernant la gestion de la société, la caisse fait remarquer que la procuration du 19 octobre 2018 émise par M. B______ en faveur de M. A______ (produite par ce dernier le 15 octobre 2021) se justifie par le fait que, comme M. A______ n'était pas inscrit au registre du commerce, il ne pouvait pas dûment engager la société. Cela ne signifie pas encore qu'il n'avait pas d'influence sur la formation de la volonté de la société.

La caisse constate que si les pièces nos 8 à 10 (produites par M. A______ le 15 octobre 2021) tendent à démontrer que M. B______ exerçait quelque influence sur la marche des affaires de la société, on ne peut sans autre en déduire, comme le fait M. A______, qu’il « était seul aux commandes ». Ces documents ont très bien pu être établis en concertation avec M. A______, selon les indications de ce dernier, ou du fait que la gestion du personnel était déléguée à M. B______.

L’intimée considère que les pièces nos 101, 104 et 110 (produites par M. B______ le 12 novembre 2021) tendent à démontrer que celui-ci n'avait pas accès aux comptes bancaires de la société et que seul M. A______ était en mesure de disposer de la trésorerie de la société et de décider du paiement ou non des cotisations sociales. Elle constate que M. A______ reste silencieux sur cette problématique.

Elle estime que les déterminations spontanées de M. B______ révèlent des indices crédibles quant à la participation active de M. A______ à la gestion de la société. Une relation de subordination de M. B______ à celui-ci paraît certes plausible. Quoi qu'il en soit, M. B______ agissait en tant que gérant formel et les conditions nécessaires à la reconnaissance de sa responsabilité en matière d'AVS sont remplies.

L’intimée conclut que la responsabilité solidaire des deux recourants peut être reconnue sans attendre l'issue de la procédure pénale.

d. Le 1er décembre 2021, Me Q______, conseil de M. A______, a fait savoir à la Cour de céans qu'il avait résilié le mandat de représentation.

e. Le 4 mars 2022, M. B______ a produit la copie d'une plainte pénale déposée le 6 janvier 2022 (et ses annexes) auprès du Ministère public jurassien à l'encontre de M. A______ pour escroquerie. Il a réitéré sa demande de suspension de la procédure.

f. Le 3 mars 2022, M. A______, sous la plume de son nouveau mandataire (Me R______), a également requis la suspension de la cause jusqu'à droit connu au pénal.

g. Le 26 avril 2022, M. B______ a versé au dossier la copie des considérants du jugement du 23 avril 2021 du Tribunal de première instance du canton du Jura dans des procédures pénales dirigées contre lui et M. A______ (référence TPI/00148/2019).

M. B______ indique que, d'après le juge pénal, il n'avait aucun pouvoir décisionnel.

F. a. Une audience de comparution personnelle des parties s'est tenue en date du 28 avril 2022.

Le conseil de M. B______ a déclaré que la procédure pénale avançait très lentement. Un premier volet avait été jugé en avril 2021, mais le gros volet concernant l'escroquerie et le blanchiment d'argent était toujours en cours.

Le représentant de la caisse a indiqué ne pas avoir accès à la procédure pénale et a maintenu qu'il ne se justifiait pas de suspendre la procédure devant la Cour de céans, puisqu’elle n’est pas liée par les conclusions du juge pénal.

Un délai a été imparti aux recourants pour qu'ils produisent leurs listes de témoins, ainsi que les procès-verbaux ou autres pièces du dossier pénal qu'ils jugeraient utiles à la présente procédure.

b. Par écriture du 30 septembre 2022, M. B______ a sollicité l'audition de :

-          M. G______, responsable du dossier de M. A______ auprès d'UBS, principale lésée dans le cadre de l'affaire pénale, car les crédits de construction octroyés pour des projets de ventes d'objets immobiliers ont été détournés pour financer le golf de M______ ;

-          Monsieur S______, employé de C______ SÀRL et de la société ;

-          Mme H______, employée des sociétés de M. A______ entre début 2017 et mi 2020 ; et

-          Monsieur T______, employé de C______ SÀRL et de la société entre 2017 et 2019.

En ce qui concerne le dossier pénal, M. B______ explique que le signalement effectué par UBS au bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (MROS) a déclenché l'ouverture de l'instruction pénale, qui a révélé en particulier que, malgré son statut de gérant, il était moins rétribué que M. A______, ce qui plaidait en faveur d'un rapport de force en faveur de ce dernier, seul à détenir la signature et le contrôle du compte bancaire en question. M. B______ allègue avoir été « embarqué » dans des démarches qu'il ne comprenait ni ne maîtrisait, à l'inverse de M. A______, qui était celui qui prenait les décisions et qui tenait les cordons de la bourse. Du reste, dans le cadre de son audition (dans le dossier pénal), M. A______ avait admis avoir géré dans les faits la société et avoir été le seul décisionnaire.

M. B______ répète que s'il lui est arrivé de donner des ordres aux employés de la société, c'était à l'initiative de M. A______, à qui il avait l'obligation de rendre compte.

M. B______ produit en particulier :

-          le signalement effectué par UBS le 21 novembre 2018 à l'attention du MROS (pièce 202) ; et

-          une ordonnance de classement partiel du 15 juin 2022 par laquelle le Ministère public jurassien a classé la procédure pénale ouverte à l'encontre de l'épouse de M. A______ (référence MP/1______/2019 ; pièce 213).

c. Par écriture du 14 octobre 2022, M. A______ a sollicité l'audition de :

-          M. G______, responsable au sein de l'UBS des dossiers concernant la société ;

-          Mme H______, amie de M. B______ ;

-          Messieurs U______ et V______, respectivement directeur et conseiller à la clientèle au sein de la banque RAIFFEISEN ;

-          Madame W______, comptable de la société ;

-          Monsieur X______, mandaté par la société en 2020 pour remettre de l'ordre dans le domaine administratif ;

-          Monsieur Y______, de la fiduciaire Z______ Sàrl ;

-          Monsieur AA______, de la fiduciaire AB______, ces deux fiduciaires s'étant occupées des comptes de la société entre 2017 et 2020 ; et

-          Madame AC______, personne de contact au sein du service de l'affiliation de la caisse.

M. A______ a requis par ailleurs la production par UBS et la RAIFFEISEN de la liste des comptes détenus entre janvier 2017 et décembre 2019 par la société et des personnes qui avaient accès à ces comptes, respectivement qui bénéficiaient de l'autorisation d'effectuer des paiements (droit de signature).

Il allègue que c'est M. B______ qui s'occupait, avec le service comptable, de l'établissement des comptes de la société (tels que les décomptes détaillés pour les chantiers de la société en 2017-2018 [bénéfices]), des fiches de salaire et décomptes AVS des employés et qui était en contact à ce sujet avec les fiduciaires, qui statuait sur les « demandes de congé » des employés, et qui donnait les instructions à la comptabilité de la société sur la manière dont il fallait présenter ses propres fiches de salaire et le montant net qu'il fallait mentionner.

Il en tire la conclusion que M. B______ n’était donc pas un « pantin » sous son emprise, sans aucun pouvoir décisionnel. Il rappelle que dès le 8 décembre 2017, la gestion de la société a été entièrement et exclusivement transmise à celui-ci, qui a été nommé nouveau gérant unique de la société, avec signature individuelle, changement qui a été inscrit au registre du commerce le 11 décembre 2017.

M. A______ produit :

-          l'échange de courriels entre M. B______ et la fiduciaire AB______ des 12, 19 et 23 mars 2020, et 8 juin 2020 ;

-          l'échange de courriels entre la comptabilité de la société / ou M. B______ et la fiduciaire Z______ Sàrl entre le 15 février et le 20 juin 2019 ;

-          l'échange de courriels entre la comptabilité de la société et M. B______ des 11 et 21 mars 2019 ;

-          l'extrait de compte personnel de M. B______ auprès de UBS pour la période de juillet 2017 à novembre 2018 ;

-          l'ordonnance d'extension et de précision des poursuites du 23 novembre 2020 établie par le Ministère public du canton du Jura (référence MP/1______/2019), qui mentionne notamment qu'une enquête pénale est dirigée contre M. A______ pour blanchiment d'argent, abus de confiance, éventuellement escroquerie par métier ou escroquerie, éventuellement gestion déloyale, faux dans les titres, éventuellement tentative de faux dans les titres, ainsi que contre M. B______ pour ces mêmes infractions, ou éventuellement complicité de blanchiment d'argent, d'abus de confiance, éventuellement d'escroquerie par métier ou d'escroquerie, éventuellement de gestion déloyale, en lien avec des crédits de construction pour des biens immobiliers ; et

-          la communication aux parties dudit Ministère public du 24 novembre 2020 par laquelle il entendait notamment procéder à la clôture prochaine de l'instruction par le prononcé d'une ordonnance de mise en accusation.

d. Le 4 avril 2023, Me R______ a informé la Cour de céans qu'il avait cessé d'occuper.

e. Par pli du 5 avril 2023, M. A______ a encore sollicité l'audition de :

-          Monsieur AD______, de la fiduciaire AE______ SA ;

-          Monsieur AF______ ;

-          Monsieur AG______, représentant de la caisse ;

-          Madame AH______, assistante de M. B______ chez « C______ » ; et

-          Monsieur AI______, de Swisslife.

M. A______ a également requis la production par M. B______ de l'ensemble des relevés de compte personnel et professionnel qu'il détenait dans les banques, notamment UBS et la Banque Cantonale du Jura (BCJ).

f. Par écriture du 6 avril 2023, M. B______ indique notamment que, dans le cadre des informations reçues par la Procureure du canton du Jura en retour de commissions rogatoires internationales requises auprès des autorités françaises, l'épouse de M. A______, Madame AJ______, a déclaré qu'il y avait un lien de subordination entre son époux et M. B______, qui devait rendre compte à son époux.

Selon lui, M. A______ plaçait des hommes de paille suffisamment naïfs et crédules à la tête des entreprises dont il était en réalité gérant.

M. B______ allègue avoir signé une procuration qui donnait tous les pouvoirs à M. A______ sur ses comptes personnels, ainsi que toute latitude pour négocier directement avec UBS (crédits, augmentations de plafond au nom de M. B______). Il dit avoir trouvé normal, à un moment donné, de soumettre sa situation personnelle et financière de manière absolue à M. A______, ce qui démontre l'emprise totale exercée sur lui par M. A______.

 

 

M. B______ produit :

-          un procès-verbal d'investigations du 28 novembre 2022 menées par la police judiciaire de Besançon en exécution de la commission rogatoire concernant M. A______ (pièce 301), ainsi que le procès-verbal du 15 décembre 2022 concernant M. B______ (pièce 302) ;

-          deux procès-verbaux d'audition en garde à vue des 13 et 14 décembre 2022 de l'épouse de M. A______ par la police judiciaire de Besançon en exécution de la commission rogatoire (pièces 303-305) ;

-          deux procès-verbaux d'audition en garde à vue des 13 et 14 décembre 2022 de M. A______ par la police judiciaire de Besançon en exécution de la commission rogatoire (pièces 306-307) ;

-          un procès-verbal d'audition du 31 janvier 2023 d'un témoin (ayant été salarié du golf de M______) par la police judiciaire de Strasbourg en exécution de la commission rogatoire (pièce 308) ; et

-          une procuration signée par M. B______ le 23 juin 2017 en faveur de M. A______ permettant notamment à ce dernier d'avoir accès aux comptes UBS de M. B______ (pièce 309).

G. a. Le 20 avril 2023, la Cour de céans a procédé à une audience d'enquêtes, pour laquelle la caisse était excusée, de même que M. A______, pour des raisons médicales.

-          M. T______ a déclaré connaître M. B______ depuis l'enfance. Ils étaient amis depuis lors. Au sein de l'entreprise « AK______ », il transportait des matériaux sur les chantiers et était également chargé de transporter la femme et les enfants de M. A______. M. B______ était le bras droit de M. A______ dans l'entreprise. Il servait en quelque sorte de courroie de transmission ; il leur transmettait les instructions données par M. A______, qui était le patron de l'entreprise.

À la question de savoir si, au fil du temps, les responsabilités avaient évolué, M. T______ a répondu par la négative. M. A______ avait toujours gardé la main. Celui-ci restait « dans l'ombre » comme il le disait lui-même, c'est-à-dire que peu de choses étaient à son nom (véhicules, par exemple), mais c'était lui qui prenait les décisions. M. T______ le voyait donner les ordres.

M. T______ savait que M. A______ était responsable des salaires puisque, lorsqu'il n'était pas content, par exemple lorsque les objectifs n'étaient pas remplis, il ne les payait pas. Le salaire lui était versé par virement bancaire du compte de l'entreprise.

En plus de transmettre les instructions de M. A______, M. B______ gérait la charge de travail, et l'organisation de celui-ci.

Ils savaient tous que des factures restaient impayées, puisque les fournisseurs refusaient de leur livrer le matériel, ce qui entraînait des retards, par conséquent la non-atteinte des objectifs et par conséquent encore le non-paiement des salaires. Ils avaient donc tous, y compris M. B______, cherché à convaincre M. A______ de payer les factures.

M. A______ se montrait très évasif, se contentant d'alléguer qu'il payerait plus tard ou inventant des histoires peu crédibles (par exemple : « il s'était pris la tête » avec tel fournisseur et entendait lui donner une leçon). Au début, M. T______ le prenait à la rigolade mais, s'il insistait, M. A______ s'énervait, finissant par dire que c'était lui qui décidait puisque c'était lui le patron. Cela dissuadait quelque part M. T______ d'insister, car ce dernier savait d'expérience que plus il le ferait, plus M. A______ prendrait le contre-pied et prendrait « en grippe » la personne concernée.

M. T______ avait parfois échangé avec M. B______ sur le problème du non-paiement des fournisseurs, lui demandant d'intervenir auprès de M. A______, mais cela se terminait de la même manière que précédemment décrite.

M. B______ n'avait jamais évoqué avec M. T______ une souffrance par rapport à la situation. M. B______ n'était pas quelqu'un qui s'ouvrait de ses sentiments en général. Ce n'était que par la suite, lorsqu'ils avaient quitté tous les deux l'entreprise qu'ils avaient échangé plus avant. Néanmoins, M. B______ était toujours resté discret, mais M. T______ avait cependant pu constater que celui-ci allait assez mal ; il avait même fait une petite dépression.

M. T______ a précisé qu'il ne s'était pas concerté avec M. B______ avant cette audience.

-          Entendue à son tour, Mme H______ a déclaré avoir travaillé dans toutes les sociétés C______ (il y en avait en effet plusieurs) de fin 2016 à fin 2019 à son souvenir, d'abord comme serveuse durant deux mois, puis secrétaire, puis assistante de MM. B______ et A______.

De ce qu'elle avait pu constater, M. A______ donnait des ordres à M. B______, qui les lui transmettait. Lorsque M. B______ était débordé, M. A______ s'adressait directement à elle.

À la question de savoir si la situation avait évolué entre 2016 et 2019 et si à un moment donné M. B______ avait pris « du poids » dans la prise de décision, elle a répondu par la négative. Les ordres venaient toujours de M. A______.

Pendant une année, M. A______ avait une secrétaire, AL______, qui s'occupait du paiement des frais courants. À son départ, c'était Mme H______ qui l'avait remplacée. Cette dernière était chargée de gérer les frais privés et professionnels qui arrivaient au courrier de M. A______. Celui-ci lui donnait de l'argent en espèces et l'envoyait payer les factures à la poste, parfois directement chez les entreprises ou les fournisseurs. Elle n'avait jamais eu accès aux comptes bancaires.

Mme H______ ignorait qui se chargeait du paiement des salaires, lequel n'était d'ailleurs pas très régulier. Elle ignorait comment ce salaire était décidé. Souvent il arrivait en retard ou carrément pas lorsque M. A______ estimait que les objectifs n'étaient pas remplis.

À la question de savoir en quoi consistait exactement la charge de travail, elle a répondu que c'était difficile à expliquer. En gros, tout et n'importe quoi. Ils étaient submergés de tâches attribuées par M. A______, qui n'avaient parfois aucun sens. Cela consistait surtout à faire des kilomètres en voiture pour convoyer son épouse, ses enfants, faire des courses, aller du golf au bureau en Suisse et inversement tous les jours, aller acheter du riz à Paris (anecdote rapportée par un collègue), mais aussi à répondre à de multiples courriers, principalement, des demandes de paiement, des créanciers qu'ils devaient faire patienter. Être en contact avec ces multiples créanciers l'avait inquiétée. Elle devait gérer les rappels. Parfois M. A______ lui affirmait avoir payé alors que tel n'était pas le cas. Si bien qu'à la fin, les créanciers ne lui faisaient plus confiance. Elle était là pour faire barrage entre eux et M. A______. Lui ne prenait pas les appels car « il [la] payait pour cela ». C'était M. A______ qui décidait quelles factures devaient être payées. À sa connaissance, M. B______ n'avait jamais pris de décision sur ce plan.

Elle avait connu M. B______ au travail. Elle ne le connaissait pas auparavant. À force d'être ensemble tout le temps, ils s'étaient mis finalement « en couple ». Il avait même vécu chez elle durant une période limitée.

-          Entendu à son tour, M. S______ a affirmé connaître M. B______, son ami, depuis 2014 environ.

Quant à M. A______, c'était une relation professionnelle. Le témoin avait travaillé pour lui de 2016 à 2018 comme employé, formellement, de l'une de ses sociétés, C______ Sàrl, mais en réalité, il avait collaboré pour toutes ses sociétés.

D'après ce qu'il avait constaté, c'était M. A______ qui dirigeait la société, qui décidait des paiements et qui donnait les ordres. M. S______ n'avait jamais reçu d'ordres de M. B______.

Son salaire lui était versé par virement bancaire, parfois en retard et très rarement en accord avec le montant formellement conclu dans le contrat. Il protestait donc auprès de M. A______. Il ne lui était pas venu à l'idée de demander à M. B______ d'intercéder pour lui, car ce n'était pas lui qui gérait cela. M. S______ ignorait qui avait accès aux comptes bancaires de la société à part M. A______.

M. S______ recevait les instructions de M. A______. C'était ainsi qu'il avait été amené à signer en son nom propre un crédit de construction concernant un immeuble devant être rénové puis loué pour une des sociétés. M. S______ ignorait si des montants avaient été décaissés sur ce crédit de construction, mais si tel avait été le cas, seul M. A______ avait pris la décision. De manière générale, il ignorait si les décaissements sur les crédits de construction avaient servi au matériel de construction.

À son avis, M. B______ n'avait pas le pouvoir de décider quelle facture devait être payée. Les artisans sur les chantiers avaient parfois demandé à M. B______ ou à M. S______ d'intervenir auprès de M. A______ pour lui rappeler les paiements en souffrance. Mais de toute façon, c'était lui qui décidait au final, de payer CHF 7'000.- sur une facture de CHF 10'000.- par exemple. Lorsque M. S______ avait quitté, il avait CHF 5'000.- de dettes sur une carte de crédit ouverte à son nom par M. A______ qu'il avait utilisée à la demande de celui-ci pour des achats de matériel pour la société et qui ne lui avaient pas été remboursées. M. S______ se sentait donc « moyen », car stressé par ces dettes. Celle du crédit de construction était encore à son nom et l'était restée jusqu'en juin (il était parti en avril 2018).

S'agissant de ce gros crédit, M. S______ a précisé que les négociations avaient été faites par M. A______ avec la banque hors sa présence. Il était juste ensuite venu signer les papiers préparés préalablement.

Il ne se souvenait pas s'il avait échangé avec M. B______ sur la situation, notamment financière.

-          M. G______, quant à lui, a déclaré qu'entre 2017 et 2019, il avait travaillé comme conseiller à la clientèle puis responsable d'agence auprès de UBS à AU______. Après une période de chômage, il avait monté une raison individuelle active dans le conseil administratif aux particuliers. Puis, il avait collaboré pour le GROUPE F______ comme responsable marketing et de la vente.

Il avait connu M. A______ en tant que client UBS, et M. B______ parce qu'il travaillait pour M. A______ sur les dossiers de celui-ci.

AM______ et en particulier C______ avaient conclu des crédits de construction avec UBS. C'était M. A______ qui négociait ces crédits. S'il était arrivé que certains de ses employés – il ne se souvenait plus si M. B______ en faisait partie – apportaient des documents, ils n'avaient fait que cela. C'était M. A______ qui prenait les décisions. C'était aussi lui qui à son souvenir signait les documents finaux.

Ne s'étant jamais occupé de C______ partie opérationnelle, il ignorait totalement qui gérait la société et décidait des paiements.

C'était le conseiller clientèle/entreprise de la banque qui gérait les comptes de la société et non lui. Il ne pourrait donc pas être catégorique sur qui avait les accès aux comptes, mais il lui paraissait logique que M. A______ les ait eus tout d'abord en tant que gérant, puis par la suite puisqu'il était resté dans la société. En tant que conseiller clientèle privée, M. G______ n'avait pas accès aux comptes de la société, mais c'était avec M. A______ qu'il avait eu les contacts pour les crédits.

De façon toute générale, lorsqu'une société, même une association, ouvrait un compte, il était usuel que le président, mais aussi le gérant, voire un secrétaire dispose de la signature. Il était inhabituel que le gérant n'ait pas accès aux comptes.

M. A______ lui avait indiqué qu'il agissait en tant qu'intermédiaire avec les propriétaires, en d'autres termes comme apporteur d'affaires, ce qui expliquait que les négociations des crédits de constructions se fassent avec lui et que le propriétaire n'intervienne que pour signer.

Pour procéder aux décaissements, il fallait un document (facture de travaux) signé de l'entreprise ayant effectué lesdits travaux et du propriétaire.

M. G______ n'avait jamais reçu d'instructions ou d'ordres de M. B______.

b. Le 21 avril 2023 s'est tenue une nouvelle audience d'enquêtes, en l’absence de la caisse, toujours excusée, ainsi que de M. A______, pour des motifs médicaux.

-          M. U______ a déclaré qu'entre 2019 et 2020, il était directeur de la banque Raiffeisen. Effectivement, la société était dans leur portefeuille. Il avait reçu un jour la visite de M. A______ – qu'il ne connaissait pas auparavant – qui avait demandé un entretien et sollicité l'ouverture d'un compte. Ce n'était pas M. U______ qui s'était chargé de l'ouverture proprement dite. Ils avaient pour cela une personne responsable qui se renseignait alors.

M. U______ avait peut-être croisé M. B______ mais il n'en était même pas sûr. En revanche, il avait vu son nom sur des documents. Il n'avait jamais vu M. B______ et M. A______ ensemble. Les contacts avec M. A______ se faisaient par visite sur place ou téléphone.

Ce n'était pas M. U______ qui gérait les comptes. La personne qui s'en occupait s'en était référée à lui une fois ou l'autre pour des dépassements de comptes à valider. Dans ce cas-là, il ne prenait pas contact avec la société et décidait de valider ou non après consultation de la personne en charge (M. V______) qui, lui, avait posé toutes les questions voulues au responsable de la société.

M. U______ n'avait jamais reçu d'instructions de M. B______ de quelque manière que ce soit. Il ignorait tout des relations de M. A______ avec ses employés. Il l'avait très peu vu et toujours seul.

-          Entendue à son tour, Mme AN______ (anciennement Mme W______) a indiqué avoir été engagée comme secrétaire-comptable de la société, pour laquelle elle a travaillé durant huit ou neuf mois.

Lorsqu'elle avait commencé son emploi, il n'y avait rien, même pas un logiciel de comptabilité. Il avait donc fallu en installer un, ce qui avait pris du temps. Elle avait également dû paramétrer le plan comptable avec un expert de AU______. Lorsqu'elle avait voulu saisir les écritures, cela s'était révélé extrêmement difficile, car on ne lui fournissait ni les documents adéquats, ni aucun justificatif ni aucune explication. Elle avait essayé de chercher les factures, de les classer et elle avait même « galéré » pour obtenir les extraits bancaires. Puis, quand elle les avait obtenus, personne n'était capable de lui expliquer à quoi correspondait tel ou tel montant.

Elle avait essayé de chercher de l'aide auprès de l'expert-comptable de AU______ dont elle ne se souvenait plus du nom. Ainsi, lorsqu'elle lui avait dit qu'une certaine écriture lui posait problème d'un point de vue éthique, celui-ci lui avait répondu : « si l'on vous dit que c'est comme cela, vous devez y croire et le faire ». Elle ne se souvenait plus de quoi il s'agissait cette fois-là exactement, mais il était arrivé qu'on lui demande d'inscrire comme investissement des machines qui n'existaient plus, par exemple.

Lorsqu'il lui fallait des renseignements ou des documents, elle demandait à M. B______ ou à M. A______. Elle ignorait ce que M. B______ faisait suite à ses demandes. Elle était tellement désespérée au vu des circonstances qu'elle réclamait à tous des documents qui lui manquaient.

M. A______ ne venait que très ponctuellement dans les locaux. Il avait certes un bureau mais n'était pas souvent là. Cependant, c'était lui qui commandait et qui tirait les ficelles. M. B______, lui, était présent. Elle avait bien vu qu'il essayait de faire de son mieux malgré son jeune âge. Il lui semblait être quelque peu sous l'emprise de M. A______. M. B______ était le plus présent des deux et courait en tous sens sur instruction de M. A______ qui lui disait de faire ceci ou cela. Mme AN______ avait eu le sentiment que c'était véritablement M. A______ qui avait le pouvoir de décision.

Ce dernier lui faisait d'ailleurs un peu peur, encore à ce jour. Elle avait souvenir d'une réunion à laquelle il avait convoqué tout le monde au café du golf pour faire un point de la situation. Il s'était montré impoli et, envers elle, relativement agressif, exigeant que telle tâche soit effectuée dans les quinze jours. Elle n'avait pu que lui répondre qu'on ne lui donnait pas les moyens de le faire. C'était du grand n'importe quoi : des paiements étaient effectués de compte à compte sans que personne ne sache à quoi cela correspondait.

S'agissant des cotisations sociales, Mme AN______ avait commencé à établir un récapitulatif. Plein de choses n'étaient pas payées. De toute façon, c'était M. A______, voire sa femme et eux seuls (peut-être également M. B______ mais elle ne s'en souvenait plus) qui débloquaient tel ou tel paiement.

Mme AN______ savait que les cotisations étaient partiellement impayées mais un peu comme tout. Elle avait relancé plusieurs fois M. A______ qui affirmait qu'il payerait. M. A______ savait donc que les cotisations n'étaient pas payées. Elle ignorait si M. B______ était au courant pour les cotisations sociales, mais il savait qu'il y avait beaucoup d'impayés. Elle n'avait pas l'impression que M. A______ avait d'autres priorités que de satisfaire au compte-gouttes les fournisseurs qui se montraient les plus pressants.

Elle ignorait qui validait les fiches de salaire établies par Mme AL______, en francs suisses et payés parfois en euros ; cela correspondait plus ou moins, mais elle ne se souvenait pas très bien. Le propre salaire de Mme AN______ était payé en retard et parfois en euros. Il était possible qu'elle s'en soit plainte auprès de M. B______ qui lui avait dit qu'il ferait le nécessaire.

c. Sur quoi, la Cour de céans a accordé un délai à la caisse et à M. A______ pour qu'ils se déterminent, s'ils le souhaitaient, sur les procès-verbaux d'enquêtes des 20 et 21 avril 2023. Elle a également imparti un délai à toutes les parties pour lui faire parvenir la liste des questions qu'elles souhaiteraient éventuellement voir posées à MM. V______, Y______, AA______ et AD______, ainsi qu'un délai à M. A______ pour qu'il motive les auditions supplémentaires qu'il demandait (MM. AF______, AG______, AI______, et Mme AH______) et lui adresse les questions qu'il souhaitait voir posées à ces personnes.

d. Dans une écriture du 20 mai 2023, M. A______ a conclu au rejet de toute « demande de condamnation » à son encontre et à la production des « documents d'ouverture du compte en banque » et « les droits de signatures sur ce compte ».

Il considère être injustement poursuivi, alors qu'il n'a jamais occupé les fonctions de dirigeant de droit de la société.

Il allègue n'avoir jamais personnellement engagé ou licencié du personnel, ni avoir disposé de la signature sur le compte bancaire de la société. Par contre, il admet avoir, en qualité de détenteur du capital de la société et celui d'autres entreprises, eu des contacts avec un certain nombre d'établissements bancaires, en vue de négocier des crédits susceptibles de promouvoir le développement des projets de toutes ces entreprises. Il n'a pas eu de contact direct avec les clients ou les fournisseurs. M. B______ réglait directement les factures. Le fait qu'il ait assumé les responsabilités dans d'autres entreprises et concouru à l'activité du golf de M______ pouvait conduire des tiers à confondre le rôle ou les responsabilités qu'il avait dans ces autres entreprises avec celles qu'occupait M. B______ au sein de la société.

Selon lui, les témoins entendus n'ont pas clairement défini le rôle qui était le sien en tant que responsable légal d'autres entités juridiques ou économiques et celui que l'on tente de lui imputer dans la gestion de la société.

M. A______ relève que trois des témoins sont des amis d'enfance de M. B______ qui se fréquentent quotidiennement. D'après lui, il existe une entente entre eux pour « aller dans le même sens ».

Il s’étonne que les questions qu'il a transmises – tardivement – à la Cour de céans n'aient pas été posées.

Il dit envisager de déposer une plainte pénale contre Mme H______ pour dénonciation calomnieuse. Elle et M. B______ sont, selon lui, coutumiers de faux en écritures et de signatures contrefaites.

Il émet l’avis que Mme W______ a modifié ses propos, à l'incitation de M. B______ « comme il a coutume de le faire ».

Il allègue que les propos de M. G______ par-devant la Cour de céans sont différents de ceux qu’il a tenus par-devant le procureur qui l'a entendu en 2019. M. G______ s'est occupé de la mise à jour de la comptabilité et de l'administration de la société à la suite du départ de M. B______, lequel avait accès aux comptes bancaires et gérait seul les paiements.

M. A______ reproche à M. B______ de sous-entendre qu'il « utiliserait des personnes en difficulté » pour son « usage personnel », alors que, depuis dix ans, il s'engage pour venir en aide aux plus démunis en Haïti, en Suisse et en France.

Il affirme avoir créé des entreprises ayant compté plus de 130 salariés en 2018. Son erreur a été de « miser » sur les mauvaises personnes aux postes de direction. Il a nommé M. B______ à la tête de la société, car celui-ci voulait absolument prendre sa revanche sur sa famille qui l'avait délaissé.

e. Le 25 mai 2023, M. B______ a transmis à la Cour de céans la liste des questions qu'il souhaitait voir posées à MM. V______, Y______, AA______ et AD______, ainsi qu'un échange de courriels entre M. V______ et M. B______ du 7 décembre 2018.

f. Par écriture du 26 mai 2023, M. A______ a expliqué les motifs pour lesquels il souhaitait que MM. AF______, AG______ et AI______, ainsi que Mme AH______ soient entendus. Il a également communiqué la liste des questions qu'il aimerait voir posées à MM. V______, Y______, AA______ et AD______.

M. A______ produit en particulier :

-          une attestation du 15 juin 2021 établie par M. G______ ;

-          la copie du jugement correctionnel du 26 avril 2021 par lequel la Cour d'appel de Rouen l'avait relaxé des fins de la poursuite pour vol ;

-          un courriel de M. G______ à M. AA______ du 16 avril 2021 ;

-          une attestation du 24 juillet 2020 émanant d'un expert-comptable dans laquelle il est indiqué que la société GOLF DE M______ SÀRL doit à M. A______ la somme de EUR 1'197'312.- au 31 décembre 2019 ;

-          un courriel de M. X______ à M. G______ du 23 juillet 2020 ;

-          un procès-verbal du Ministère public jurassien du 20 novembre 2019 relatif à l'audition de M. G______ en qualité de personne appelée à donner des renseignements dans la procédure portant la référence MP/1______/2019 ;

-          un courriel de M. B______ à une employée de la société du 1er octobre 2019 en lien avec le versement de salaires ;

-          un procès-verbal de réunion de la société du 28 juin 2019 relatif à un problème de permis de construire, signé notamment par M. B______ et M. A______, dans lequel il est mentionné notamment que le rôle du premier consiste dans l'administratif, la signature finale et la supervision, celui du second dans l'administratif, le bancaire et le financier ;

-          un courriel de M. V______ à M. B______ du 22 janvier 2019 à propos du paiement des salaires du mois de décembre (2018) ;

-          un courriel de M. B______ à M. V______ du 7 janvier 2019 au sujet de « paiement à faire » ; et

-          un courriel de M. V______ à M. A______ du 9 novembre 2018 concernant l'ouverture d'un compte bancaire pour la société.

g. Une audience de comparution personnelle s'est tenue le 8 juin 2023, pour laquelle la caisse était excusée, de même que le nouveau conseil de M. A______, Me Mathias EUSEBIO.

M. A______ a versé au dossier le procès-verbal de constat du 3 mai 2022 établi à sa demande par Me AO______ et Me AP______ (en France) concernant des conversations tenues avec M. B______ par SMS et sur WhatsApp.

M. B______ a déclaré ne pouvoir dire exactement quand il a eu connaissance du fait que les cotisations sociales n'étaient pas payées. L'épouse de M. A______ et la comptable avaient tenté d'établir un fichier Excel des factures non payées. Ce document se trouvait sur l'ordinateur de Mme AJ______. Il lui était transmis de temps en temps, par exemple lorsque M. A______ lui demandait plus ou moins de prioriser les paiements à effectuer.

Pour sa part, les priorités étaient les suivantes : les salaires nets avant tout. Il savait l'importance de payer les charges sociales et attirait l'attention de M. A______ sur ce point, mais ses priorités étaient toutes autres : pour lui, il s'agissait de favoriser le fonctionnement de la société en payant avant tout les fournisseurs les plus en retard et ceux qui stoppaient leurs prestations. M. B______ n'avait aucun pouvoir sur le paiement des factures.

M. A______ a expliqué que c'est lui qui a créé la société en 2017. S'il a renoncé à être gérant avec signature individuelle, c'est parce que, fin 2017, il était en négociations pour l'achat du golf avec les banques en France et qu'il a fallu qu'il soit fiscalement rattaché à la France.

Il ne s'occupait personnellement pas du tout de l'administratif et il ignorait totalement que les cotisations sociales n'étaient pas payées. Il ne l'a su que lorsqu'un commandement de payer a été notifié. Il a alors versé, en 2018, la somme de CHF 17'000.- pour solder la dette. Par la suite, il n'a pas suivi plus que cela la situation, car il était occupé par le golf et ne s'occupait pas du tout de la société. Il savait que cette dernière avait des dettes, mais c'était M. B______ qui avait la vue sur les comptes et la responsabilité de prioriser les paiements, propos que M. B______ a contestés alléguant qu’il n'avait accès aux comptes que lorsque M. A______ les lui ouvrait et que, pour les paiements, il lui fallait une validation SMS de M. A______ pour y procéder.

M. B______ a admis avoir eu conscience des responsabilités qu'impliquait la position de gérant avec signature individuelle de la société, mais il faisait confiance à M. A______, qui était toujours présent pour diriger, contrôler et lui assurait qu'il s'occupait de tout.

Effectivement, les dettes se sont accumulées durant une période conséquente. Ils continuaient à avancer tant bien que mal malgré tout, avec l'espoir que la situation s'améliore, vu les promesses de M. A______ de réinjecter de l'argent dans la société. Ils étaient dans une sorte d'engrenage. Les énormes problèmes de trésorerie de C______ étaient la conséquence des retraits d'argent effectués par M. A______ pour financer l'achat du golf. Il avait promis qu'un jour il reboucherait le trou. À la question de savoir si, concrètement, M. B______ avait des raisons de penser qu'il ne s'agissait que d'une passe difficile transitoire, celui-ci a répondu par l'affirmative, les promesses de M. A______, mais aussi le fait qu'il tentait de renégocier des crédits.

M. A______ s'est inscrit en faux contre ce qui venait d'être dit. Il n'avait pas puisé dans la caisse de C______. Il avait décaissé des factures sur des prêts de construction concernant des chantiers à venir bloqués pour des questions d'autorisation à hauteur d'environ CHF 900'000.-, somme qu'il avait totalement remboursée à UBS. Qui plus est, ce décaissement était intervenu fin 2017, début 2018. Alors que la facture de cotisations en cause était postérieure (2019).

M. A______ n'avait jamais établi de déclaration de salaire pour C______. Ainsi que les échanges qu'il produirait le montreraient, il s'était inquiété auprès de Mme H______ du non-paiement des cotisations. Elle lui avait indiqué que le nécessaire avait été fait. Il n'avait découvert l'ampleur de la situation qu'a posteriori, lorsqu'il avait chargé M. X______ et M. AA______ de procéder à un assainissement. C'était Mme H______ qui était en relation continue avec la caisse.

MM. B______ et V______ avaient librement accès aux comptes à la RAIFFEISEN et les échanges entre eux démontraient qu'ils décidaient des paiements. En revanche, il est vrai que le compte UBS était géré par M. A______. Pour ce dernier, les difficultés de trésorerie de la société s'expliquaient tout simplement par une mauvaise gestion des achats et des embauches. La société avait signé pour près de six millions de contrats.

M. B______ a affirmé que les autres sociétés C______ avaient également des cotisations en souffrance : CHF 39'000.- pour la Sàrl, environ CHF 7'000.- pour SOLAR OCAE. Dans ces deux cas, M. B______ a fait l'objet de décisions en réparation du dommage qu'il n'a pas contestées, car c'était M. A______ qui décidait encore de ce qu'il devait faire et qui lui a indiqué qu'il valait mieux payer.

M. A______ a confirmé avoir fait l'objet de décisions en réparation s'agissant de ces deux sociétés. Il en a contesté une, toujours en cours. L'autre, il l'a acceptée, car elle lui semblait justifiée. En effet, il était gérant et M. B______ ne l'avait été que quelques mois à sa demande, lorsqu'il s'était retiré pour acheter le golf. Il estime être responsable des cotisations dues pour la période durant laquelle il a été gérant effectif. En revanche, s'agissant de la société, M. B______ était le gérant effectif. Il lui avait laissé en partant une société qui était saine. Il estimait que dès le moment où M. B______ est devenu gérant, c'était à lui d'assumer.

Il dit ne pas savoir pourquoi il n'a pas donné la main à M. B______ sur le compte UBS lorsqu'il s'est retiré de la société. Le compte a été fermé en 2018. Il conteste que les choses aient mal tourné avec UBS, laquelle l'a d'ailleurs dédouané.

S'agissant de la banque RAIFFEISEN, M. A______ avait accès aux comptes de deux autres entreprises mais pas à celui de la société. C'était M. B______ qui avait accès à l'e-banking et lui seul. En revanche, la carte circulait parmi les employés, il l'avait également eue en main. M. V______ s'était adressé à lui le 9 novembre 2018 s'agissant de ces autres comptes.

Figurait au nombre des pièces qu'il avait produites, un courriel (recte: procès-verbal de réunion) du 28 juin 2019 dans lequel il se présentait comme responsable financier, bancaire et administratif de la société. Il a expliqué que tous les contrats financiers avaient été négociés « par mois » au début 2018 et que nombre de contrats de construction portaient sur des biens immobiliers lui appartenant.

En ce qui concernait les pièces produites par M. B______ (103, 212 et 307 page 9), M. A______ a maintenu qu'il ne gérait pas la société. Si cela avait été le cas, il l'aurait assumé, comme il l'avait fait pour une autre entreprise.

Les trois entreprises étaient dans les mêmes locaux et dans la même banque. M. A______ indiquait simplement à M. B______ quelles étaient les entrées. À lui de déterminer quelles étaient les factures urgentes à régler.

M. B______ a mentionné connaître effectivement l'association AQ______ évoquée par M. A______. Il s'agissait d'une association qui aidait les seniors à se réinsérer dans la vie professionnelle. À l'époque, lorsqu'il travaillait pour C______, il avait été en partenariat avec eux pour développer une activité (il s'agissait de téléphoner en leur nom pour faire des démarchages). M. A______ a soutenu pour sa part que M. B______ avait développé cette activité avec les employés de C______, ce qui démontrait à son sens qu'il était bel et bien aux commandes.

M. B______ a réagi en affirmant que M. A______ venait de le qualifier de salarié, ce que M. A______ a contesté.

M. B______ a indiqué que s'agissant de la déclaration des employés à la caisse, cela dépendait des périodes. Cela avait pu être Mmes AL______, H______, A______ ou lui-même. Lorsqu'il était gérant, il avait signé les déclarations. S'agissant des embauches, de la même manière, elles avaient pu être le fait de Mmes W______, H______, A______ ou lui-même. Pour les licenciements, il ne pouvait pas prendre seul la décision. Il lui fallait l'accord de M. A______ et parfois il lui avait donné l'ordre de licencier certaines personnes.

Sur quoi, la Cour de céans a accordé un délai à M. B______ pour lui faire parvenir, le cas échéant, les questions qu'il souhaiterait pouvoir poser par écrit aux témoins AF______, AG______, AI______ et AH______.

Elle a également imparti un délai à M. A______ pour produire, parmi les 12'000 pages de conversations téléphoniques auxquelles il était fait référence dans le procès-verbal du 3 mai 2022, les passages qu'il estimait topiques et pertinents à l'appui de sa position. Pour le reste, la clé USB contenant l'intégralité de la reproduction de ces conversations serait transmise au conseil de M. B______. Par ailleurs, M. A______ produirait également dans le même délai le courrier d'UBS auquel il était fait référence dans ce procès-verbal et toutes autres pièces utiles.

h. Par écriture du 14 juillet 2023, M. B______ a indiqué qu'il était inutile de poser des questions à MM. AF______ et AI______ en lien avec la question ici litigieuse du paiement des charges sociales, et a transmis les questions qu'il souhaitait voir posées à Mme AH______ et à M. AG______.

Pour le surplus, il a produit notamment :

-          des échanges de courriels entre lui et la banque RAIFFEISEN entre les 12 et 26 novembre 2021 (pièce 401) ; et

-          un courrier de cette banque du 26 novembre 2021 qui lui était adressé (pièce 402).

i. Par plis séparés du 7 août 2023, la Cour de céans a invité les témoins AA______, Y______, V______, AD______, AG______, et AH______ à répondre aux questions qui leur étaient posées par écrit, vu leur éloignement géographique.

j. Le même jour, la Cour de céans a invité les parties à lui communiquer les éventuelles questions qu'elles souhaitaient poser à M. X______.

k. Le 9 août 2023, M. B______ a fait savoir à la Cour de céans que le témoignage de M. X______ était inutile.

l. Par courrier du 9 août 2023, M. Y______ a indiqué que le mandat pour la société, conclu oralement, avait porté sur la période de septembre 2018 à juin 2019. Le contact (en vue du mandat) avait été établi par M. A______. Une nouvelle tâche avait été demandée par la direction de la société en juin 2019 visant à l'aider à préparer la fusion de la société avec une autre entreprise du groupe : C______ SÀRL. M. Y______ avait refusé et mis un terme à toute relation. Il a joint à cet égard un courriel du 21 juin 2019 qu'il avait adressé à M. A______, avec M. B______ en copie. M. A______ l'avait appelé au téléphone pour tenter de faire reconsidérer sa décision de renoncer au mandat.

Les contacts courants étaient Mmes AL______ et W______, qui avaient été successivement comptables de la société. M. B______ donnait les impulsions et répondait pour la direction. L'implication de M. A______ était moins opérationnelle. Il était toutefois régulièrement présent lors des séances de travail dans les locaux de la société à AR______.

Le mandat n'avait pas porté sur la rédaction des déclarations sociales, lesquelles avaient été, à sa connaissance, établies au sein de la société. Lors du bouclement des comptes 2018, M. Y______ avait constaté la difficulté pour Mme W______ d'identifier les montants versés assimilables à des salaires. Il lui avait alors transmis un fichier Excel devant lui permettre de définir les salaires bruts sur la base des montants versés et de pouvoir procéder aux annonces. Les salaires 2017 n'avaient été annoncés définitivement qu'en février 2019. Il avait aidé Mme W______ pour l'utilisation du fichier Excel, en particulier pour la période 2017.

M. Y______ n'avait aucun souvenir ni aucune trace des personnes qui avaient accès aux comptes bancaires de la société, et de celles qui décidaient du paiement des salaires / ou qui validaient leur paiement.

Au moment de son intervention, seul M. B______ était inscrit au registre du commerce. M. A______ était toutefois à son avis à la base des décisions. M. B______ était très impliqué et il existait une unité de vue apparente entre les deux.

Selon lui, M. B______ était au courant de la comptabilité de la société. Le mandat n'avait pas porté sur l'établissement de la comptabilité de la société. Il s'agissait d'aider au bouclement des comptes et à l'établissement des états financiers. Les éléments de détails étaient transmis par la comptable (Mme W______ en particulier), les éléments importants (s'agissant notamment des travaux en cours) étaient communiqués par M. B______. M. A______ avait donné quelques explications sur des mouvements financiers alors inexpliqués.

C'était M. B______ qui lui donnait des instructions, apparemment de lui-même. Sur quelques points (attributions de dépenses à des chantiers notamment), M. B______ se renseignait auprès de M. A______ qui était régulièrement informé. À la question de savoir si M. B______ lui avait donné l'impression de manquer de marge de manœuvre dans les instructions qu'il lui transmettait, M. Y______ a répondu par la négative. M. B______ travaillait toutefois en symbiose avec M. A______ et la communication entre les deux était apparemment totale. En ce qui concernait les décisions de gestion/stratégie dans la société, M. A______ prenait les décisions importantes. M. B______ apparaissait être totalement d'accord avec les décisions et la stratégie, le laissant penser qu'il avait été au minimum consulté.

S'agissant de la problématique du paiement des charges sociales, M. Y______ n'avait pas eu d'information à ce sujet. Lors des opérations de bouclement des comptes 2018, les décomptes venaient d'être établis. À mesure de l'avancement des travaux, il apparaissait que la société souffrait d'un manque de liquidités. La direction (MM. B______ et A______) était précisément à la recherche de financements, devant permettre le règlement des créanciers. À son souvenir, lors de la demande relative à l'assistance pour la fusion envisagée (juin 2019), les propos des personnes de la société indiquaient des retards pris dans le règlement des créanciers et des salaires. Ni M. B______ ni M. A______ ne semblaient conscients des responsabilités de l'administrateur. Son courriel du 21 juin 2019 visait à les rendre attentifs à cela, en particulier M. B______ qui figurait seul au registre du commerce et qui lui apparaissait comme ayant peu d'expérience. À la question de savoir si M. B______ tentait de faire en sorte que les charges soient réglées, M. Y______ a répondu ne pas avoir d'information tangible à ce sujet.

À la question de savoir s'il avait vu MM. B______ et A______ ensemble, M. Y______ a répondu par l'affirmative, en particulier lors des séances avec la direction, ces deux hommes étaient généralement présents, quelques fois M. A______ était absent, en déplacement à l'étranger. Selon son souvenir, M. A______ avait clairement un ascendant sur M. B______, mais l'entente entre les deux paraissait parfaite, laissant M. Y______ penser que M. B______ était au moins consulté pour les décisions importantes. Même s'il existait un lien hiérarchique (M. A______ supérieur de M. B______) et un ascendant lié à la différence d'âge, la direction apparaissait comme une équipe parlant « d'une même voix ».

m. Par lettre du 18 août 2023, Mme AH______ a indiqué que M. A______ l'avait recrutée en tant qu'assistante de direction au golf de M______, lui-même en était le directeur (juin 2018). M. B______, lors de la mutation (à la demande de M. A______) de la témoin chez AS______ à AR______ en janvier 2019, en tant que secrétaire de direction, était déjà en poste pour cette entreprise ainsi que pour la société.

À la question de savoir qui lui donnait des instructions dans le cadre de son travail, Mme AH______ a répondu que c'était M. B______, qui n'était qu'un intermédiaire. La personne qui était réellement aux commandes de la société était M. A______, qui était dominateur, imbu de sa personne, sûr de lui et de ses agissements. Il avait du pouvoir et/ou de l'ascendant sur les autres en tant que patron. M. B______ exécutait les directives données par celui-ci. M. B______ apparaissait comme étant sous l'emprise de M. A______. À son avis, M. B______ n'avait pas le pouvoir de décider quelles factures payer. M. A______ disposait de la carte bancaire de la société, et en cas de besoin, il fallait la lui demander. M. B______ avait tenté de convaincre M. A______ de payer les factures, en particulier celles de l'AVS.

n. Par lettre du 5 septembre 2023, M. AD______ a déclaré que, du fait de son statut d'associé dans la fiduciaire AE______ SA, il avait été le responsable des mandats de la société et de C______ Sàrl. Les premières prestations dataient de novembre 2016 et les dernières de mai 2019. C'était M. A______ qui l'avait approché et mandaté.

Il a joint les notes d'honoraires nos 6208, 6257, 6351 et 7381 concernant C______ Sàrl, en précisant que les prestations avaient été fournies sur la base des instructions du client et de ses collaborateurs, mais qu'il avait presque toujours été très difficile d'obtenir des informations concordantes, documentées et claires. La clôture des comptes 2017 n'avait jamais pu être finalisée. S'agissant de la société, M. AD______ avait donné divers conseils relatifs aux annonces de nouveaux collaborateurs, à l'établissement de comptes prévisionnels, à la mise en place de la comptabilité, et à la TVA. Ces prestations n'avaient jamais été facturées et la fin de la relation avec M. A______, respectivement M. B______ avait fait l'objet d'un montant pour solde de tout compte.

À la question de savoir qui avait accès aux comptes bancaires de la société, le témoin a répondu qu'il ne se souvenait pas avoir eu en sa possession les cartes de signatures bancaires.

Il ne pouvait pas dire qui gérait officiellement et/ou factuellement la société. La fiduciaire avait reçu des instructions et des informations tant de la part de M. A______ que de M. B______. Au quotidien, les collègues de M. AD______ avaient des contacts avec Mme AL______ et M. S______.

À la question de savoir si M. B______ était au courant de la comptabilité de la société, le témoin a répondu qu'il ne pouvait pas le confirmer pour ce qui concernait l'année 2016. Par contre, pour 2017, M. B______, en tant que gérant nommé en décembre 2017, était parfaitement au courant de la comptabilité. Les derniers projets de clôture 2017 lui avaient été adressés.

Selon les « timesheets », le premier contact avec M. B______ datait de septembre 2017. Depuis cette période, il était clair, pour le témoin, que M. B______ donnait des instructions à la fiduciaire, sans pouvoir répondre à la question de savoir si celui-ci les donnait de lui-même, et de qui il les recevait, le cas échéant. M. AD______ ne savait pas non plus qui décidait ou validait le paiement des salaires.

M. AD______ avait constaté des retards dans le paiement des assurances sociales. M. A______ avait été prévenu par e-mail et en entrevue, et celui-ci assurait qu'il allait faire le nécessaire, ce pour chaque souci. Le témoin n'était pas en mesure de répondre si M. B______ tentait de faire en sorte que les charges sociales soient réglées.

M. AD______ ne se souvenait pas d'avoir vu M. A______ et M. B______ ensemble. Il lui était difficile de décrire leur relation et de dire si l'un prenait l'ascendant sur l'autre. Il n'était pas en relation régulière avec eux.

o. Par courrier du 7 septembre 2023, M. AA______ a indiqué avoir eu le premier contact avec M. B______ (qu'il ne connaissait pas auparavant) à La Chaux-de-Fonds le 12 février 2020. Par la suite, il avait eu d'autres personnes de contact au sein de la société. Il avait appris l'existence de celle-ci par M. B______, qui l'avait approché et mandaté. Son interlocuteur privilégié pour effectuer la reconstitution de la comptabilité de la société était M. B______. Pour les éléments de trésorerie, celui-ci devait se référer à son chef. Le rôle de M. AA______ concrètement était d'essayer de boucler au mieux les comptes de la société.

M. AA______ avait rencontré M. A______ en automne 2020. Il n'avait aucune idée de la manière dont M. B______ informait M. A______ de ses activités. Il ignorait qui avait accès aux comptes bancaires de la société. Il avait l'impression que M. B______ devait faire valider ses paiements par quelqu'un d'autre. Pour le témoin, M. B______ était le comptable et M. A______ le chef de la société.

C'était M. B______ qui donnait toujours les instructions à M. AA______. Celui-ci s'occupait de l'administratif et M. A______ des finances. Il ignorait de qui M. B______ recevait les instructions. À la question de savoir si M. B______ avait donné l'impression à M. AA______ de manquer de marge de manœuvre dans les instructions qu'il lui transmettait, celui-ci a répondu par la négative, en ajoutant que M. B______ avait la capacité pour agir. Au niveau des questions liées aux autres sociétés du groupe, celui-ci avait du mal à obtenir les informations.

À la question de savoir qui prenait les décisions de gestion/stratégie dans la société, M. AA______ a répondu que selon lui ce n'était pas M. B______. Il ne savait pas qui décidait du paiement des salaires / qui validait leur paiement.

M. AA______ avait constaté des problèmes de paiement des charges sociales. M. B______ était informé de la situation. Lorsque celui-ci était venu le voir, le retard était déjà important. D'après M. AA______, le paiement des charges sociales n'était pas le principal souci de la société, ni de MM. B______ et A______.

M. AA______ ne se souvenait pas d'avoir reçu ces deux hommes ensemble. À la question de savoir s'il pouvait décrire la relation entre MM. B______ et A______, si l'un semblait prendre l'ascendant sur l'autre, M. AA______ a répondu qu'il n’en avait aucune idée. Lors de sa rencontre avec M. B______, ce dernier lui avait toutefois dit que M. A______ était le chef au sein de la société.

p. Par pli du 7 septembre 2023, M. AG______ a indiqué que différents services de la caisse étaient intervenus dans le traitement du dossier de la société, soit le service des affiliations/cotisations, le service des allocations familiales, et le service de la comptabilité/contentieux qui s'occupait du suivi des encaissements et des procédures de recouvrement. Le premier et le dernier services étaient en contact avec les représentants de la société dans le cadre de la gestion courante des cotisations sociales. Lui-même n'avait aucun interlocuteur. L'essentiel des échanges se faisait par écrit (e-mails, courriers). Plusieurs intervenants avaient agi pour le compte de la société : Mme AL______, M. B______, M. A______, et Mme H______. Des courriels provenant d'adresses génériques et ne présentant pas de signature ne lui permettaient pas d'identifier l'expéditeur.

Mme AL______ agissait en qualité de secrétaire/secrétaire-comptable. Manifestement, elle ne disposait d’aucun pouvoir de décision. Mme H______ signait sans titre ni qualificatif ou en qualité d'assistante de M. B______. À la lecture de son mail du 4 septembre 2019, il apparaissait qu'elle agissait sur injonction de son « directeur et de l'associé principal de la société ». Selon M. AG______, MM. A______ et B______ disposaient du pouvoir de décision. Le second semblait toutefois dépendre du premier pour la validation des paiements. Tous deux étaient relativement peu facilement joignables. L'essentiel des contacts entre les services de la caisse et la société passait par le secrétariat de cette dernière.

Deux sollicitations de rendez-vous avaient été adressées aux services de la caisse par l'intermédiaire de Mme H______. La première, en date du 4 septembre 2019, qui n'avait débouché sur aucun rendez-vous. Selon entretien téléphonique du même jour, entre Madame AT______ (du service des affiliations/ cotisations) et Mme H______, il avait été convenu que la détermination des masses salariales (objet du rendez-vous) serait réglée lors du contrôle d'employeur. La seconde demande de rendez-vous, en date du 14 septembre 2019, qui ne précisait pas qui de la société serait présent, avait pour but de déterminer les salaires soumis à cotisations. Le traitement des salaires et la tenue de la comptabilité étant de la responsabilité de la société, et la caisse ne disposant d'aucune information à ce sujet, le rendez-vous avait été refusé.

M. AG______ a transmis à l’appui de son courrier :

-          un courriel de Mme H______ à Mme AT______ du 4 septembre 2019 ;

-          un courrier de Mme H______ à la caisse du 14 septembre 2019 ; et

-          un courrier de la caisse à la société du 25 septembre 2019.

q. Par lettre du 7 septembre 2023, M. V______ a indiqué qu'il était conseiller à la clientèle individuelle axé sur le financement au sein de la banque RAIFFEISEN entre 2019 et 2020. Au début de la relation d'affaire entre la société et cette banque (effectuée et organisée par M. U______), celle-là ne faisait pas partie de son portefeuille. Il n'était toutefois pas impossible (sans qu'il ne s'en souvienne) que la société ait été transférée dans son portefeuille à la suite d'une réorganisation interne d'une masse de clients.

Lorsque la société prenait contact avec M. V______, c'était uniquement par l'intermédiaire de M. A______ ou de M. B______. Les décisions stratégiques étaient discutées avec M. U______, car la relation d'affaire avait été initiée par lui. En raison de sa fonction de directeur, M. U______ était moins facilement joignable que M. V______. Afin d'avoir un traitement rapide, la société, par l'intermédiaire de M. A______ ou de M. B______, prenait donc contact avec M. V______, qui ensuite faisait le lien avec M. U______.

La personne qui prenait contact le plus souvent avec M. V______ était M. B______. D'après ses souvenirs, ce dernier devait se référer à M. A______ s'agissant des décisions stratégiques. Selon M. V______, M. B______ s'occupait seul de la gestion courante. Parfois, M. A______ prenait également contact avec M. V______. Si l'objet portait sur des questions ou des décisions stratégiques, M. V______ transférait l'appel à M. U______ ou demandait à ce dernier de rappeler M. A______. M. U______ contactait M. A______ pour prendre les décisions importantes concernant la société.

Au début, les ordres de virement lui étaient remis principalement par M. B______ avant que la société ne dispose d'un accès e-banking. M. V______ ne se souvenait plus qui signait les ordres de paiement. Ensuite, la société effectuait elle-même les paiements via internet. De ce fait, il ne savait pas qui de M. A______ ou M. B______ saisissait les virements ou décidait de ce qui était payé. M. V______ ne se souvenait plus très bien comment les droits de signature avaient été mis en place.

M. V______ avait le sentiment qu'au quotidien, la société était gérée par M. B______, mais que les grandes décisions étaient prises par M. A______. Les instructions données par M. B______ étaient de type gestion courante. Le témoin a précisé qu'il était très difficile de répondre à la question de savoir si les instructions transmises provenaient de M. B______ personnellement ou s'il n'en était que le messager, mais que concernant la gestion courante, il avait le sentiment que cela provenait de M. B______ personnellement. M. V______ n'avait pas le souvenir d'avoir vu MM. A______ et B______ ensemble, et il lui était impossible de dire si l'un d'entre eux prenait l'ascendant sur l'autre. Selon le témoin, M. A______ était le patron (gestion stratégique) et M. B______ l'employé (gestion courante) au sein de la société.

H. a. Par écriture du 8 septembre 2023, M. A______, par l'intermédiaire de Me EUSEBIO, rappelle qu'il n'a plus de droit de signature concernant la société depuis le 11 décembre 2017, date à partir de laquelle M. B______ a été le seul à pouvoir engager la société.

Il produit :

-          la copie du contrat de base entre la banque RAIFFEISEN et la société signé par M. B______ le 15 novembre 2018 ;

-          le formulaire « Autodéclaration FATCA/EAR- personnes morales et sociétés de personnes » signé par M. B______ le 15 novembre 2018 ;

-          la copie de la plainte pénale du 31 juillet 2023 qu'il avait déposée à l'encontre de M. B______ à AU______ pour dénonciation calomnieuse ; et

-          la copie du procès-verbal de son audition du 4 août 2023 en lien avec cette plainte pénale.

b. Par écriture du 12 septembre 2023, M. B______ mentionne ne pas avoir reçu les près de 12'000 pages d'extraction de données téléphoniques. Il estime que ces documents ne sont pas nécessaires, dès lors que M. A______ ne les met pas en avant. Il considère que la plainte pénale du 31 juillet 2023 et le procès-verbal de l'audition de M. A______ du 4 août 2023 ne sont pas pertinents.

M. B______ joint :

-          le rapport de police du 18 août 2023 relatif à la plainte pénale du 31 juillet 2023 ; et

-          un courrier de la banque RAIFFEISEN du 16 août 2023 au Ministère public jurassien et ses annexes.

Il indique avoir possiblement signé des documents en lien avec cette banque sans que cela ne signifie pour autant qu'il disposait de l'accès effectif au compte bancaire. M. A______ était le détenteur du contrôle du compte, inscrit comme tel auprès de la banque, notion en cours de clarification auprès du Ministère public. La procuration générale signée en faveur de M. A______ sur ce compte bancaire l'a été formellement le même jour que l'ouverture du compte par M. B______. La procuration e-banking émise l'a été uniquement pour M. A______, à l'ouverture du compte également. La signature du titulaire de la carte de crédit (la seule émise pour le compte de la société) était celle de M. A______. Ainsi, au moment de l'émission de cette carte, seul M. A______ en était titulaire, ce qui avait été avalisé par la société, soit M. B______.

c. Dans ses déterminations du 12 octobre 2023, la caisse a persisté dans ses conclusions.

Elle expose que les témoignages attestent de la participation des deux recourants à la gestion de la société. Même s'ils agissaient à des niveaux différents, l'un s'occupant plutôt des aspects stratégiques, l'autre de la conduite opérationnelle de la société, les deux ont représenté celle-ci à l'extérieur, pris les décisions relevant des organes et assumé la gestion proprement dite. Elle en tire la conclusion qu'ils sont responsables pour le dommage qu'elle a subi.

d. Dans ses observations du 24 novembre 2023, M. A______ a également persisté dans ses conclusions.

Il ne conteste pas avoir été associé et gérant avec signature individuelle du 19 mai 2017, date de la constitution de la société, au 8 décembre 2017, date à compter de laquelle la gestion de celle-ci a été entièrement et exclusivement assumée par M. B______, nouveau gérant unique avec signature individuelle.

Il conteste par contre avoir été organe de fait de la société du 9 décembre 2017 jusqu'à la fin de l'année 2019. Sa seule fonction depuis cette date consistait à approuver le rapport annuel et à déterminer l'emploi du bénéfice et des pertes de la société, sans aucun devoir de surveillance. Seul M. B______, qui gérait la société au quotidien, était tenu d'exercer la direction de la société et de s'assurer qu'elle observe toutes les prescriptions légales, notamment le paiement des factures de la société et des cotisations. M. A______ n'avait aucun pouvoir à cet effet, ni les signatures requises. Pas même auprès de la banque RAIFFEISEN, ainsi que le montrait le contrat de base entre cette banque et la société signé par M. B______ le 15 novembre 2018. Il en infère qu'il ne pouvait pas assumer sous sa propre responsabilité le paiement des cotisations.

Selon lui, les témoignages révèlent que M. B______ n'était pas qu'un prête-nom. Il était au contraire très actif dans la société, puisqu'il la gérait. M. AD______ a été explicite à ce propos en déclarant que M. B______ « en tant que gérant nommé en décembre 2017, était parfaitement au courant de la comptabilité. Les derniers projets de clôture lui ont été adressés », que celui-ci n'a pas remis à M. A______, dit ce dernier, ni ceux de 2018 et 2019.

e. Dans son écriture du 24 novembre 2023, M. B______ a également persisté dans ses conclusions.

Il répète que s'il était gérant de la société, il n'en avait pas pour autant la gestion effective, encore moins la possibilité d'effectuer les paiements et de la quitter. Il a accepté d'être organe formel sans avoir disposé d'un libre choix compte tenu de l'emprise sous laquelle il était. Il n'était pas en état d'assumer les responsabilités d'un gérant tant M. A______ maintenait, d'une main de fer, la maîtrise effective de la société, des paiements (ainsi que les témoins l'ont indiqué), et donc du règlement des cotisations sociales. Tout au plus aurait-il pu se présenter au guichet, mais les cautèles psychologiques d'emprise totale de M. A______ sur lui l'en empêchaient.

Il estime que les documents qu'il a produits démontrent que c'est M. A______ qui était seul titulaire des comptes de la société auprès de UBS. Il ajoute que la seule raison du changement d'institut bancaire et partant de la titularité formelle des comptes résidait dans le signalement MROS effectué par UBS. M. A______ n'a pas eu l'intention ni la volonté de mettre M. B______ aux commandes des comptes UBS, en dépit du statut de gérant formel de celui-ci, avant que le signalement MROS ne soit réalisé. Ainsi, M. A______ ne lui a pas donné les pouvoirs nécessaires pour opérer les paiements.

Concernant les comptes bancaires auprès de la RAIFFEISEN, compte tenu des règles bancaires en vigueur et comme il s'agissait d'une nouvelle relation bancaire, seul lui pouvait être inscrit en qualité de gérant formel de la société auprès de cette banque, à moins de procéder à une modification au registre du commerce, ce qui aurait pris trop de temps. Puisque M. A______ s'est octroyé une procuration complète sur tous les comptes ouverts auprès de cette banque le même jour que l'ouverture des comptes, il faut en déduire que matériellement c'est M. A______ qui gardait tout le contrôle des comptes, d'autant qu'il était le détenteur du contrôle de la société.

M. B______ considère qu'il n'a pas commis une faute et qu'aucune négligence grave ne peut lui être imputée. Il rappelle avoir été concrètement dans l'impossibilité matérielle de procéder au moindre paiement sans l'aval de M. A______ et dans l'impossibilité psychique de le faire.

Il estime que si l'autorité pénale n'a pas rendu d'ordonnance de non-entrée en matière à la suite de la plainte pénale qu'il a déposée contre M. A______ pour escroquerie notamment, cela démontre que cette plainte n'est pas mal fondée. L'analyse pénale du comportement de M. B______ aurait permis (si la présente cause avait été suspendue) d'examiner la licéité de son omission du point de vue du dommage causé à la caisse.

f. Les autres faits seront repris – en tant que de besoin – dans la partie « en droit » du présent arrêt.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants, du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10).

Sa compétence ratione materiae pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Selon l’art. 52 al. 5 LAVS, en dérogation à l’art. 58 al. 1 LPGA, le tribunal des assurances du canton dans lequel l’employeur est domicilié est compétent pour traiter le recours. Cette disposition est également applicable lorsque la caisse recherche un organe de l’employeur en réparation du dommage, et ce quel que soit le domicile dudit organe (arrêt du Tribunal fédéral H.184/06 du 25 avril 2007 consid. 2.3).

1.3 La société ayant eu son siège dans le canton de Genève le 21 octobre 2019, date de son inscription au registre du commerce, jusqu'au 23 juin 2021, date de sa radiation, la chambre de céans est compétente ratione loci pour juger du cas d'espèce.

2.             À teneur de l'art. 1 al. 1 LAVS, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l’AVS réglée dans la première partie, à moins que la LAVS n'y déroge expressément.

3.             Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Dans la mesure où les recours (des 28 et 30 juin 2021) ont été interjetés postérieurement au 1er janvier 2021, ils sont soumis au nouveau droit (cf. art. 82a LPGA a contrario).

4.             La LPGA, entrée en vigueur le 1er janvier 2003, a entraîné la modification de nombreuses dispositions légales dans le domaine de l'AVS, notamment en ce qui concerne l’art. 52 LAVS. Désormais, la responsabilité de l’employeur y est réglée de manière plus détaillée qu’auparavant et les art. 81 et 82 du règlement sur l'assurance-vieillesse et survivants du 31 octobre 1947 (RAVS - RS 831.101) ont été abrogés.

Il faut toutefois préciser que le nouveau droit n'a fait que reprendre textuellement, à l'art. 52 al. 1 LAVS, le principe de la responsabilité de l'employeur figurant à l'art. 52 aLAVS, la seule différence portant sur la désignation de la caisse de compensation, désormais appelée assurance. Les principes dégagés par la jurisprudence sur les conditions de droit matériel de la responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 aLAVS (dans sa teneur jusqu'au 31 décembre 2002) restent par ailleurs valables sous l'empire des modifications introduites par la LPGA (ATF 129 V 11 consid. 3.5 et 3.6).

5.             Le délai de recours est de trente jours (art. 60 al. 1 LPGA; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjetés dans la forme (art. 61 let. b LPGA) et le délai prescrits par la loi, les recours sont recevables.

6.             Le litige porte sur la responsabilité des recourants pour le préjudice causé à l’intimée, par le défaut de paiement des cotisations sociales (AVS-AI-APG et AC ainsi qu’AF) entre 2017 et 2019, frais et intérêts moratoires compris.

7.             L'art. 14 al. 1 LAVS en corrélation avec les art. 34ss RAVS, prescrit l'obligation pour l'employeur de déduire sur chaque salaire la cotisation du salarié et de verser celle-ci à la caisse de compensation avec sa propre cotisation. Les employeurs doivent envoyer aux caisses, périodiquement, les pièces comptables concernant les salaires versés à leurs salariés, de manière à ce que les cotisations paritaires puissent être calculées et faire l'objet de décisions. L'obligation de payer les cotisations et de fournir les décomptes est, pour l'employeur, une tâche de droit public prescrite par la loi. À cet égard, le Tribunal fédéral a déclaré, à réitérées reprises, que la responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 LAVS est liée au statut de droit public. L'employeur qui ne s'acquitte pas de cette tâche commet une violation des prescriptions au sens de l'art. 52 LAVS, ce qui entraîne pour lui l'obligation de réparer entièrement le dommage ainsi occasionné (ATF 137 V 51 consid. 3.2 et les références).

8.              

8.1 Selon l’art. 52 LAVS (dans sa teneur en vigueur du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2019), l'employeur qui, intentionnellement ou par négligence grave, n'observe pas des prescriptions et cause ainsi un dommage à l'assurance, est tenu à réparation (al. 1). Si l'employeur est une personne morale, les membres de l'administration et toutes les personnes qui s'occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à titre subsidiaire du dommage. Lorsque plusieurs personnes sont responsables d'un même dommage, elles répondent solidairement de la totalité du dommage (al. 2). Le droit à réparation est prescrit deux ans après que la caisse de compensation compétente a eu connaissance du dommage et, dans tous les cas, cinq ans après la survenance du dommage. Ces délais peuvent être interrompus. L'employeur peut renoncer à invoquer la prescription. Si le droit pénal prévoit un délai de prescription plus long, celui-ci est applicable (al. 3). La caisse de compensation fait valoir sa créance en réparation du dommage par voie de décision (al. 4).

8.2 Le 1er janvier 2020 est entrée en vigueur la révision du droit de la prescription de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220), entraînant la modification de l’art. 52 al. 3 LAVS (RO 2018 5343 ; FF 2014 221). Cet alinéa prévoit désormais que l’action en réparation du dommage se prescrit conformément aux dispositions du code des obligations sur les actes illicites.

Selon l’art. 60 CO, dans sa teneur en vigueur à compter du 1er janvier 2020, l’action en dommages-intérêts ou en paiement d’une somme d’argent à titre de réparation morale se prescrit par trois ans à compter du jour où la partie lésée a eu connaissance du dommage ainsi que de la personne tenue à réparation et, dans tous les cas, par dix ans à compter du jour où le fait dommageable s’est produit ou a cessé (al. 1). Si le fait dommageable résulte d’un acte punissable de la personne tenue à réparation, elle se prescrit au plus tôt à l’échéance du délai de prescription de l’action pénale, nonobstant les alinéas précédents. Si la prescription de l’action pénale ne court plus parce qu’un jugement de première instance a été rendu, l’action civile se prescrit au plus tôt par trois ans à compter de la notification du jugement (al. 2).

8.3 Les délais prévus par l'art. 52 al. 3 LAVS doivent être qualifiés de délais de prescription et non plus de péremption, ils ne sont plus sauvegardés une fois pour toutes avec la décision relative aux dommages-intérêts. Le droit à la réparation du dommage au sens de l'art. 52 al. 1 LAVS peut donc aussi se prescrire durant la procédure d'opposition ou la procédure de recours qui s'ensuit (ATF 135 V 74 consid. 4.2.2 ; ATAS/79/2020 du30 janvier 2020 consid. 6).

Il appartient au responsable recherché de faire valoir la prescription par voie d’exception. Le juge ne peut pas la relever d’office (ATF 129 V 237 consid. 4 ; Franz WERRO/Vincent PERRITAZ in Commentaire romand Code des obligations I, 2021, n. 3 ad art. 60 CO).

8.4 En l'espèce, il n’est pas contesté que les actions en réparation du dommage sont intervenues en temps utile.

9.             Il convient d’examiner si les conditions de la responsabilité de l’art. 52 LAVS sont réalisées, à savoir si les recourants peuvent être considérés « employeurs » tenus de verser les cotisations à l’intimée, s’ils ont commis une faute ou une négligence grave et, enfin, s’il existe un lien de causalité adéquate entre leur comportement et le dommage causé à l’intimée.

10.         À teneur de l’art. 52 al. 2 LAVS, si l'employeur est une personne morale, les membres de l'administration et toutes les personnes qui s'occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à titre subsidiaire du dommage. Lorsque plusieurs personnes sont responsables d'un même dommage, elles répondent solidairement de la totalité du dommage.

10.1 S’agissant de la notion d’« employeur », la jurisprudence considère que, si l'employeur est une personne morale, la responsabilité peut s'étendre, à titre subsidiaire, aux organes qui ont agi en son nom, notamment quand la personne morale n’existe plus au moment où la responsabilité est engagée (ATF 123 V 12 consid. 5b ; 122 V 65 consid. 4a). Le caractère subsidiaire de la responsabilité des organes d'une personne morale signifie que la caisse de compensation ne peut agir contre ces derniers que si le débiteur des cotisations (la personne morale) est devenu insolvable (ATF 123 V 12 consid. 5b).

L’art. 52 LAVS ne permet ainsi pas de déclarer l'organe d'une personne morale directement débiteur de cotisations d'assurances sociales. En revanche, il le rend responsable du dommage qu'il a causé aux différentes assurances sociales fédérales, intentionnellement ou par négligence grave, en ne veillant pas au paiement des cotisations sociales contrairement à ses obligations (arrêt du Tribunal fédéral H.96/05 du 5 décembre 2005 consid. 4.1).

10.2 La notion d'organe selon l'art. 52 LAVS est en principe identique à celle qui se dégage de l'art. 754 al. 1 CO.

En matière de responsabilité des organes d'une société anonyme, l'art. 52 LAVS vise en première ligne les organes statutaires ou légaux de celle-ci, soit les administrateurs, l'organe de révision ou les liquidateurs (ATF 128 III 29 consid. 3a ; Thomas NUSSBAUMER, Les caisses de compensation en tant que parties à une procédure de réparation d'un dommage selon l'art. 52 LAVS, in RCC 1991 p. 403).

D'autres personnes possèdent toutefois la qualité d'organe de fait de la société. Il s'agit de celles qui participent de façon durable, concrète et décisive à la formation de la volonté sociale dans un vaste domaine dépassant les affaires courantes (ATF 128 III 29 consid. 3a et les références ; ATF 122 III 225 consid. 4b et les références). Dans cette éventualité, il faut cependant que la personne en question ait eu la possibilité de causer un dommage ou de l'empêcher, c'est-à-dire qu'elle ait effectivement exercé une influence sur la marche des affaires de la société (ATF 132 III 523 consid. 4.5 et les références ; cf. aussi ATF 146 III 37 consid. 5 et 6 et les références). C'est en principe le cas d'un directeur qui a généralement la qualité d'organe de fait en raison de l'étendue des compétences que cette fonction suppose. Il ne doit toutefois répondre que des actes ou des omissions qui relèvent de son domaine d'activité, ce qui dépend de l'étendue des droits et des obligations qui découlent des rapports internes, sinon il serait amené à réparer un dommage dont il ne pouvait empêcher la survenance faute de disposer des pouvoirs nécessaires (arrêt du Tribunal fédéral 9C_68/2020 du 29 décembre 2020 consid. 5.2.1 et la référence).

La qualité d'organe est donc réservée aux personnes exécutant leurs obligations au sein de la société ou à l'égard des tiers en vertu de leur propre pouvoir de décision. Le fait qu'une personne est inscrite au registre du commerce avec droit de signature n'est, à lui seul, pas déterminant. La préparation de décisions par un collaborateur technique, commercial ou juridique ne suffit pas à conférer la qualité d'organe au sens matériel. En d'autres termes, la responsabilité liée à la qualité d'organe présuppose que l'intéressé ait eu des compétences allant nettement au-delà d'un travail préparatoire et de création des bases de décisions, pour se concentrer sur la participation, comme telle, à la formation de la volonté de la société. La responsabilité pour la gestion ne vise ainsi que la direction supérieure de la société, au plus haut niveau de sa hiérarchie (ATF 117 II 572 ; arrêt du Tribunal fédéral H.128/04 du 14 février 2006 consid. 3).

Un organe de fait n'est appelé à assumer une responsabilité que pour les domaines dans lesquels il a effectivement déployé une activité. Contrairement à un organe au sens formel, il n'a donc pas un devoir de surveillance (cura in custodiendo) à l'endroit de l'activité des autres organes, de fait ou de droit, de la société (arrêt du Tribunal fédéral H.128/04 du 14 février 2006 consid. 3).

Les organes de fait sont les personnes qui s'occupent de la gestion ou de la liquidation de la société, à savoir celles qui prennent en fait les décisions normalement réservées aux organes ou qui pourvoient à la gestion, concourant ainsi à la formation de la volonté sociale d'une manière déterminante (ATF 132 III 523 consid. 4.5 ; ATF 114 V 213 consid. 3). Conformément à la jurisprudence en matière de responsabilité du droit de la société anonyme, dont les principes s'appliquent dans le cadre de l'art. 52 LAVS (ATF 114 V 213 consid. 3), revêt uniquement une position d'organe de fait la personne qui assume sous sa propre responsabilité la compétence durable – et non seulement isolée – de prendre des décisions qui dépassent le cadre des affaires quotidiennes et ont une influence sur le résultat de l'entreprise. Tel n'est pas le cas d'une personne qui se limite à préparer et/ou à exécuter de telles décisions (ATF 128 III 29 consid. 3c). En d'autres termes, la responsabilité pour la gestion ne concerne que la direction supérieure de la société, au plus haut niveau de sa hiérarchie (ATF 117 II 570 consid. 3). En revanche, l'accomplissement de l'ensemble des tâches administratives au sein de l'entreprise (facturation aux clients, exécution des paiements, préparation des bulletins de salaires – y compris établissement de décomptes pour les autorités de l'AVS et la SUVA –, gestion des livres de caisse et des relations bancaires, etc.) n'est pas assimilable à l'activité spécifique d'un organe (ATF 114 V 213 consid. 4). L'obligation de réparer le dommage au sens de l'art. 52 LAVS intervient en principe seulement si la personne intéressée avait un pouvoir de disposer des cotisations non payées et pouvait effectuer les paiements à la caisse de compensation (ATF 134 V 401 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_428/2013 du 16 octobre 2013 consid. 4.2).

La qualité d'organe de fait s'analyse en fonction du rôle que la personne concernée a effectivement joué au sein de la société. Aussi, il faut en particulier qu'elle ait eu la possibilité de causer un dommage ou de l'empêcher, en d'autres termes qu'elle ait exercé effectivement une influence sur la marche des affaires de la société (ATF 132 III 523 consid. 4.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_295/2017 du 6 juillet 2017 consid. 5.2).

Il incombe à la caisse, qui supporte les conséquences de l'échec de la preuve, d'alléguer les faits fondant la responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 LAVS et permettant d'établir qu'une personne occupait au sein d'une société la position d'un organe au sens matériel (ATF 114 V 213 consid. 5 in fine ; arrêt du Tribunal fédéral H.20/01 du 21 juin 2001 consid. 5).

10.3 Le Tribunal fédéral a ainsi reconnu la responsabilité non seulement des membres du conseil d'administration, mais également celle de l'organe de révision d'une société anonyme, du directeur d'une S.A. disposant du droit de signature individuelle, du gérant d'une Sàrl ainsi que du président, du directeur financier ou du gérant d'une association sportive (arrêts du Tribunal fédéral H.34/04 du 15 septembre 2004 consid. 5.3.1 et les références, in SVR 2005 AHV n° 7 p. 23 ; 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 4.3.1).

10.4 S’agissant plus particulièrement du cas d'une Sàrl, les gérants qui ont été formellement désignés en cette qualité, ainsi que les personnes qui exercent cette fonction en fait, sont soumis à des obligations de contrôle et de surveillance étendues, dont le non-respect peut engager leur responsabilité (art. 827 CO en corrélation avec l'art. 754 CO). Ils répondent selon les mêmes principes que les organes d'une société anonyme pour le dommage causé à une caisse de compensation ensuite du non-paiement de cotisations d'assurances sociales (ATF 126 V 237 consid. 4 ; arrêts du Tribunal fédéral H.252/01 du 14 mai 2002 consid. 3b et d, in VSI 2002 p. 176 ; 9C_344/2011 du 3 février 2012 consid. 3.2). Ils ont l'obligation de se faire renseigner périodiquement sur la marche des affaires, ce qui inclut notamment la surveillance du paiement des cotisations sociales paritaires ; ils sont tenus en corollaire de prendre les mesures appropriées lorsqu'ils ont connaissance ou auraient dû avoir connaissance d'irrégularités commises dans la gestion de la société (ATF 114 V 219 consid. 4a ; voir également arrêt du Tribunal fédéral 9C_152/2009 du 18 novembre 2009 consid. 6.1, in SVR 2010 AHV n° 4 p. 11).

Sont assimilées aux gérants les personnes qui assument de fait la fonction d'un gérant, soit en prenant des décisions réservées à un gérant, soit en assumant la direction effective de l'entreprise et en exerçant ainsi une influence déterminante sur la formation de la volonté de la société (organes matériels ou de fait ; ATF 119 II 255 consid. 4 ; ATF 117 II 570 consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral H.128/04 du 14 février 2006 consid. 3 ss). En font typiquement partie les personnes qui, de par la force de leur position (associé majoritaire par exemple), donnent au gérant formel des instructions sur la conduite des affaires de la société (arrêt du Tribunal fédéral H.297/99 du 29 mai 2000 consid. 4 in Pratique VSI 2000/5 p. 228).

Un associé non gérant peut être rendu responsable dans le cas où il ne prendrait aucune mesure après avoir pris connaissance d’insuffisances de la part de la direction (dans ce contexte : cf. jugement arrêt du Tribunal fédéral H.136/99 du 17 septembre 1999 non publié ; Pratique VSI 2000/5 p. 228 consid. 4, déjà cité).

11.         Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références ; cf. ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).

12.          

12.1 En l'espèce, M. B______ était inscrit au registre du commerce en tant que gérant de la société, au bénéfice d'une signature individuelle, du 14 décembre 2017 au 3 juin 2020. Il avait ainsi la qualité d'organe au sens de la loi.

12.2 Quant à M. A______, il a été l'organe formel de la société du 22 mai au 14 décembre 2017, puisqu'il ressort de l'extrait du registre du commerce qu'il a été gérant de la société au bénéfice d'une signature individuelle durant cette période.

Il reste à examiner si M. A______ peut être qualifié d'organe de fait au-delà du 14 décembre 2017.

M. A______ a été le fondateur de la société et est demeuré son principal associé jusqu'au 10 décembre 2019, puis dès cette date, il l'a été par l'intermédiaire du GROUPE F______, dont il était l'associé unique, entreprise sise en France et inscrite au registre du commerce en qualité d'associée de la société.

Plusieurs témoins ont confirmé un lien de subordination entre M. A______ et M. B______. Ainsi, M. T______, employé qui transportait notamment des matériaux sur les chantiers, a déclaré que le second transmettait aux employés les instructions données par le premier, qui était le patron. Ce témoin a vu M. A______ prendre des décisions et donner des ordres. La témoin H______, qui a travaillé notamment comme assistante de MM. A______ et B______, a indiqué que le premier donnait des ordres au second. La témoin AN______, secrétaire-comptable de la société, a mentionné que c'est M. A______ qui commandait et tirait les ficelles. Le témoin Y______, fiduciaire de la société de septembre 2018 à juin 2019, a, quant à lui, affirmé que si MM. A______ et B______ travaillaient en symbiose, c'est le premier qui prenait les décisions importantes avec lesquelles le second était d'accord. En date du 4 septembre 2019, Mme H______ a transmis un courriel à l'intimée au sujet des charges sociales sur ordre tant de son directeur que de l'associé principal de la société, soit M. A______.

Par ailleurs, les salaires étaient payés sur la base des indications que M. A______ donnait. D'après le témoin T______, celui-ci était responsable des salaires, car lorsqu'il estimait que les objectifs n'étaient pas atteints, il ne les versait pas. Le témoin S______, qui a travaillé pour toutes les sociétés C______, a, lui, indiqué qu'il protestait auprès de M. A______ lorsqu'il recevait son salaire en retard, ou si le montant perçu était inférieur à celui convenu contractuellement. Dans un échange de courriels du 7 décembre 2018, M. B______ indiquait à M. V______, conseiller à la clientèle chez la banque RAIFFEISEN, que selon discussion avec M. A______, il pouvait enregistrer les salaires du mois de novembre 2018, après quoi M. V______ a répondu que M. A______ devait signer les ordres de virement. De même, dans un courriel du 1er octobre 2019, M. B______ demandait à une collaboratrice d'C______ de procéder au virement de salaires, tout en l'invitant à contacter M. A______ pour les SMS, et en spécifiant qu'il ne fallait pas encore verser son salaire (celui de M. B______) ni celui de cette collaboratrice selon les indications de M. A______.

En outre, peu importe que M. B______ ait signé le 15 novembre 2018 le contrat de base entre la société et la banque RAIFFEISEN. M. A______ était, quoi qu'il en dise, chargé de la gestion financière de la société. La témoin H______ a déclaré à ce propos que c'est M. A______ qui lui donnait de l'argent en espèces pour qu'elle paie les factures à la poste ou directement aux entreprises et fournisseurs concernés. Le témoin S______ a mentionné que M. A______ décidait des paiements et donnait des instructions. À la demande de celui-ci, il avait signé en son nom propre (jusqu'en juin 2018) un crédit de construction, alors que les négociations avec la banque avaient été faites par M. A______. Ce dernier avait également ouvert une carte de crédit au nom dudit témoin pour des achats de matériel pour la société, à hauteur de CHF 5'000.-, montant qui n'a pas été remboursé audit témoin. Le témoin G______, conseiller à la clientèle puis responsable d'agence auprès de UBS à AU______, a confirmé que c'est M. A______ qui négociait les crédits de construction pour la société. Le témoin U______, directeur de la banque RAIFFEISEN entre 2019-2020, a déclaré que c'est M. A______ qui avait sollicité l'ouverture d'un compte. Le témoin AA______, fiduciaire de la société en 2020, a indiqué que c'est M. A______ qui s'occupait des finances et que pour les éléments de trésorerie, M. B______ devait se référer à celui-ci, le chef de la société. Quant au témoin V______, conseiller à la clientèle individuelle auprès de la RAIFFEISEN entre 2019 et 2020, il a affirmé que si M. B______ s'occupait de la gestion courante de la société, c'est en revanche M. A______ qui prenait les décisions stratégiques, importantes. Du reste, M. U______, avec qui ces décisions étaient discutées, contactait par téléphone M. A______.

Ce dernier a de surcroît confirmé au Ministère public jurassien en date du 27 mai 2019 que c'est lui qui a négocié les prêts avec UBS. Il ressort par ailleurs du procès-verbal de réunion de la société du 28 juin 2019 que M. A______ était chargé des tâches financières. Dans un courriel du 14 avril 2021, M. G______ répondait à M. AA______, au sujet de mouvements, que « (…) si ce n'est pas indiqué sur les relevés, la seule personne qui peut vous aider c'est Monsieur A______ ». Dans l'ordonnance de classement partiel du 15 juin 2022, il est relevé que l'épouse de M. A______ avait déclaré que pour l'achat des biens immobiliers, son époux s'occupait des montages financiers. Elle avait signé passablement de documents mais elle ignorait s'ils servaient à libérer dans le cadre du crédit de construction les montants qui avaient été versés à la société. Elle ignorait que les montants qui avaient été pris sur le compte de construction n'avaient pas été affectés aux travaux. Elle n'était jamais allée voir la construction, car son mari gérait les factures.

M. A______ choisissait de plus les créanciers qui devaient être désintéressés. Le témoin T______ a indiqué à ce sujet que M. A______ décidait ou non de payer tels ou tels fournisseurs. La témoin H______ a déclaré que M. A______ demandait aux employés de faire patienter des créanciers. Elle était personnellement inquiète d'être en contact avec de multiples créanciers. Le témoin S______ a affirmé que M. A______ décidait de payer CHF 7'000.- sur une facture de CHF 10'000.-. La témoin AN______ a, elle, mentionné que la priorité de M. A______ était de satisfaire au compte-gouttes les fournisseurs qui se montraient les plus pressants. Le témoin AD______, fiduciaire de la société entre novembre 2016 et mai 2019, a relevé avoir prévenu M. A______ par e-mail et oralement des retards dans le paiement des cotisations sociales, lequel lui assurait qu'il ferait le nécessaire.

C'est dire que M. A______ était conscient de l'impact que pouvaient avoir ces créances sur l'avenir de la société.

Qui plus est, M. A______ avait la signature individuelle sur les comptes de la société. En effet, UBS a mentionné à l'attention du MROS en date du 21 novembre 2018 que l'unique personne disposant d'une signature sur le compte de la société était M. A______. Il ressort également d'une annexe au courrier de la RAIFFEISEN du 16 août 2023 que les détenteurs du contrôle de la relation bancaire entre la société et cette banque étaient M. A______, du 15 novembre 2018 au 19 décembre 2019, puis, jusqu'au 12 août 2021, le GROUPE F______, dont l'actionnaire principal est, pour rappel, M. A______. Cette annexe indique aussi qu'une procuration générale était attribuée à M. A______ pour la période du 15 novembre 2018 au 12 août 2021. La dernière annexe audit courrier mentionne en outre que le titulaire de la carte de crédit de la société était M. A______.

Selon l'art. 2 let. f de l'ordonnance de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme dans le secteur financier du 3 juin 2015 (Ordonnance de la FINMA sur le blanchiment d’argent, OBA-FINMA - RS 955.033.0), le détenteur du contrôle est défini comme étant « les personnes physiques qui contrôlent une personne morale exerçant une activité opérationnelle ou une société de personnes, en détenant directement ou indirectement, seules ou de concert avec des tiers, une participation d’au moins 25% du capital ou des voix, ou d’une autre manière, et qui sont considérées comme les ayants droit économiques de ces sociétés exerçant une activité opérationnelle qu’elles contrôlent ou, à défaut, qui sont considérées comme le membre le plus haut placé de l’organe de direction ».

Au vu de ces éléments, M. A______, qui était impliqué dans la gestion de la société, avait bel et bien des pouvoirs de disposition sur les liquidités de la société, dont il était le propriétaire économique.

Force est de conclure que M. A______ avait indéniablement la qualité d'organe de fait de la société.

13.         Les recourants revêtant tous deux la qualité d’organe (formel/de fait), il convient maintenant de déterminer s’ils ont commis une faute qualifiée ou une négligence grave au sens de l’art. 52 al. 1 LAVS.

13.1 L'obligation légale de réparer le dommage ne doit être reconnue que dans les cas où le dommage est dû à une violation intentionnelle ou par négligence grave, par l'employeur, des prescriptions régissant l'assurance-vieillesse et survivants (RCC 1978 p. 259 ; RCC 1972 p. 687). Il faut donc un manquement d'une certaine gravité. Pour savoir si tel est le cas, il convient de tenir compte de toutes les circonstances du cas concret (ATF 121 V 243 consid. 4b).

La caisse de compensation qui constate qu'elle a subi un dommage par suite de la non-observation de prescriptions peut admettre que l'employeur a violé celles-ci intentionnellement ou du moins par négligence grave, dans la mesure où il n'existe pas d'indice faisant croire à la légitimité de son comportement ou à l'absence d'une faute (RCC 1983 p. 101).

13.2 Selon la jurisprudence constante, se rend coupable d'une négligence grave l'employeur qui manque de l'attention qu'un homme raisonnable aurait observée dans la même situation et dans les mêmes circonstances. La mesure de la diligence requise s'apprécie d'après le devoir de diligence que l'on peut et doit en général attendre, en matière de gestion, d'un employeur de la même catégorie que celle de l'intéressé. En présence d'une société anonyme, il y a en principe lieu de poser des exigences sévères en ce qui concerne l'attention qu'elle doit accorder au respect des prescriptions. Une différenciation semblable s'impose également lorsqu'il s'agit d'apprécier la responsabilité subsidiaire des organes de l'employeur (ATF 108 V 189). Les faits reprochés à une entreprise ne sont pas nécessairement imputables à chacun des organes de celle-ci. Il convient bien plutôt d'examiner si et dans quelle mesure ces faits peuvent être attribués à un organe déterminé, compte tenu de la situation juridique et de fait de ce dernier au sein de l'entreprise. Savoir si un organe a commis une faute dépend des responsabilités et des compétences qui lui ont été confiées par l'entreprise (ATF 108 V 199 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 4.3.2). La négligence grave mentionnée à l'art. 52 LAVS est admise très largement par la jurisprudence (ATF 132 III 523 consid. 4.6).

14.          

14.1 En l'espèce, M. B______, au bénéfice d'une maturité commerciale (cf. la plainte pénale du 6 janvier 2022 qu'il a déposée à l'endroit de M. A______ p. 9), ne pouvait manquer de comprendre qu'une inscription au registre du commerce constituait une démarche officielle, entraînant des conséquences juridiques. Il lui incombait ainsi en sa qualité d'organe formel de la société de décembre 2017 à juin 2020, de veiller personnellement à ce que les cotisations paritaires afférentes aux salaires versés fussent effectivement payées à l'intimée, nonobstant le mode de répartition interne des tâches entre lui et M. A______ (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_446/2014 du 2 septembre 2014 consid. 4.2). En conservant formellement un mandat de gestion qu'il indique n'avoir pas assumé dans les faits, M. B______ occupait une situation comparable à celle d'un homme de paille (ce qu'il reconnaît au demeurant), qui se déclare prêt à assumer ou à conserver un mandat d'administrateur d'une société anonyme ou d'associé gérant d'une Sàrl, tout en sachant qu'il ne pourra (ou ne voudra) pas le remplir consciencieusement, et viole, en cela, son obligation de diligence (ATF 122 III 195 consid. 3b). Le fait que M. B______ n'aurait pas exercé une influence déterminante sur l'activité de la société et qu'il ne disposait donc d'aucun pouvoir décisionnel au sein de la société, comme il le prétend, n'est pas déterminant puisqu'il suffit qu'il en ait eu la possibilité, conformément à sa position d'organe formel de la Sàrl (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_13/2023 du 22 novembre 2023 consid. 4.2).

Ainsi, M. B______ aurait dû prendre les mesures concrètes qui s'imposaient pour s'assurer du paiement effectif des cotisations sociales. Ne peut être considéré comme de telles mesures le fait de se fier aux promesses réitérées de règlements des dettes faites par M. A______, ou d'attirer l'attention de ce dernier sur les conséquences du non-paiement des cotisations paritaires (ATAS/548/2023 du 4 juillet 2023 consid. 16.1). M. B______ ne peut ainsi se libérer de sa responsabilité en se prévalant des appels réitérés lancés à l'intention de M. A______ pour qu'il se conforme à ses obligations. La surveillance sur les personnes chargées de la gestion de la société ne se résume pas à la formulation d'injonctions, tout en attendant une réaction éventuelle de leur part, mais implique, en cas de nécessité, l'intervention directe du gérant (cf. arrêt du Tribunal fédéral H.111/04 du 5 avril 2006 consid. 4.3). Le fait que M. B______ n'ait pas été en mesure d'exercer sa fonction parce qu'il n'en avait pas les compétences (jeune âge, méconnaissance du droit et des assurances sociales) n'est pas un motif d'exculpation (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_351/2008 du 30 septembre 2008 consid. 5.1).

Même s'il y a lieu de reconnaître la responsabilité de M. A______ en tant qu'organe de fait, pour les motifs exposés supra, cette circonstance ne libère par M. B______ de sa propre responsabilité. Si celui-ci se trouvait, en raison de l'attitude de celui-là, dans l'incapacité de remplir son mandat et de prendre les mesures qui s'imposaient, il aurait dû démissionner (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_713/2013, 9C_716/2013 du 30 mai 2014 consid. 4.2.3) immédiatement de ses fonctions, sans attendre jusqu'à juin 2020.

M. B______ n'a par ailleurs apporté aucune indication qui aurait pu rendre vraisemblable un empêchement d'effectuer des démarches dans ce sens (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_446/2014 du 2 septembre 2014 consid. 4.2), d'autant qu'il aurait pu à cette fin requérir au besoin l'assistance d'un tiers (cf. arrêt du Tribunal 9C_446/2014 du 2 septembre 2014 consid. 4.2).

De plus, le simple fait d'être sous l'influence d'une personne ayant une certaine aura ou position ne justifie pas à lui seul d'être libéré de toute responsabilité au sens de l'art. 52 LAVS (cf. ATAS/431/2018 du 22 mai 2018 consid. 13c). Si M. B______ allègue qu'il était sous l'emprise (psychologique) de M. A______, il n'est pas possible, au regard de l'exigence de la vraisemblance prépondérante, d'admettre qu’il a été contraint d'accepter le mandat de gérant, en l'absence de dépôt d'une plainte pénale, le cas échéant, pour contrainte (art. 181 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 [CP - RS 311.0]), étant relevé qu'il a déposé une plainte pénale pour escroquerie à l'encontre de M. A______ le 6 janvier 2022 seulement, près d'un an et demi après sa démission, et postérieurement à son recours du 28 juin 2021.

M. B______ ne pouvait pas non plus se borner à faire confiance à M. A______ qui était chargé de gérer les finances de la société et de régler les cotisations à l'intimée. Au contraire, un tel comportement constitue déjà en soi une négligence grave. La jurisprudence s'est toujours montrée constante, lorsqu'il s'est agi d'apprécier la responsabilité d'administrateurs qui alléguaient avoir été exclus de la gestion d'une société et qui s'étaient accommodés de ce fait sans autre forme de procès (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_722/2015 du 31 mai 2016 consid. 3.3 et la référence).

Pour être en mesure d'accomplir ses fonctions, et donc de veiller personnellement à ce que les cotisations paritaires fussent effectivement payées à l'intimée, M. B______ devait avoir accès aux comptes bancaires de la société. Il ne peut pas se dégager de sa responsabilité au motif qu'il ne disposait pas desdits accès, car cela revient à dire qu'il a accepté un mandat de gestion, tout en sachant qu'il était exclu du contrôle financier de la société. Or, les gérants, responsables de la haute direction en matière financière (art. 810 al. 2 ch. 3 CO), doivent examiner régulièrement la situation financière de la société, notamment sous l’angle des liquidités, afin de pouvoir prendre les dispositions nécessaires en temps utile (Cédric CHAPUIS, in Commentaire romand Code des obligations II, 2017, n. 24 ad art. 810 CO).

Le fait que M. B______ ait fait part de son inquiétude à M. A______ lors de chaque nouveau recrutement de personnel au regard des cotisations sociales ne constitue pas un motif d'exculpation suffisant. Si la jurisprudence condamne effectivement l'immobilisme, le fait d'entreprendre différentes démarches ne saurait en soi justifier l'exclusion de toute responsabilité (arrêt du Tribunal fédéral 9C_248/2009 du 27 novembre 2009 consid. 5.1.4). Encore faut-il que ces démarches puissent être considérées comme permettant objectivement d'atteindre le but de sauver la société dans un laps de temps déterminé (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_98/2019 consid. 4.2.2). Or, compte tenu de l'important retard accumulé par la société dans le versement des cotisations sociales, on ne saurait admettre qu'elle rencontrait des difficultés de trésorerie passagères. M. B______ ne pouvait déduire des seules déclarations de M. A______, selon lesquelles il attendait des entrées d'argent (celui-ci renégociait des crédits), que la situation économique de la société allait se stabiliser dans un laps de temps déterminé. La seule expectative que la société retrouve un équilibre financier ne suffit pas pour admettre qu'il existe une raison sérieuse et objective de penser qu'un arriéré de cotisations pourrait être comblé dans un délai raisonnable (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_430/2021 du 7 avril 2022 consid. 5.3.1).

En définitive, M. B______ a commis une négligence qui doit, sous l'angle de l'art. 52 LAVS, être qualifiée de grave.

14.2 Quant à M. A______, organe de fait de la société, l'on rappellera qu'il validait les ordres de paiement, notamment pour ce qui concernait les salaires, et s'occupait de l'aspect financier de la société. Disposant des accès aux comptes bancaires de la société, il pouvait donc procéder au versement des cotisations. Or, il a laissé en souffrance les créances de la caisse ici litigieuses, et a désintéressé notamment les créanciers les plus pressants de la société (en particulier les fournisseurs), au détriment des intérêts de la caisse.

Partant, M. A______ a également commis une négligence grave. Il ne saurait invoquer la courte durée du non-respect de son devoir de diligence puisque, comme on vient de le constater, il a agi comme un organe de fait de la société au-delà du 14 décembre 2017 et il est établi que son désintérêt pour les comptes de la société concerne les cotisations dues des années 2017 à 2019. Le fait qu'il a payé certaines cotisations ne saurait conduire à ne retenir qu'une négligence légère, d'autant moins que les arriérés de cotisations litigieux sont importants (CHF 82'067.25).

14.3 S'il existe, comme en l'espèce, une pluralité de responsables, la caisse de compensation jouit d'un concours d'actions et le rapport interne entre les coresponsables ne la concerne pas ; elle ne peut prétendre qu'une seule fois à la réparation du dommage, chacun des débiteurs répondant solidairement envers elle de l'intégralité du dommage. Il est donc loisible à la caisse de compensation de rechercher tous les débiteurs, quelques-uns ou un seul d'entre eux, à son choix (arrêt du Tribunal fédéral 9C_406/2022 du 23 février 2023 consid. 7.4 et les références).

15.          

15.1 La responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 LAVS suppose enfin un rapport de causalité (naturelle et) adéquate entre la violation intentionnelle ou par négligence grave des prescriptions et la survenance du dommage. La causalité est adéquate si, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s'est produit, la survenance de ce résultat paraissant de façon générale favorisée par une telle circonstance (ATF 129 V 177 consid. 3.2).

15.2 La causalité adéquate peut être exclue, c'est-à-dire interrompue, l'enchaînement des faits perdant alors sa portée juridique, lorsqu'une autre cause concomitante – la force majeure, la faute ou le fait d'un tiers, la faute ou le fait de la victime – constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l'on ne pouvait pas s'y attendre. L'imprévisibilité de l'acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate ; il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l'amener, en particulier le comportement de l'auteur (arrêt du Tribunal fédéral H.95/05 du 10 janvier 2007 consid. 4).

Le comportement d'un organe responsable peut, le cas échéant, libérer son coresponsable solidaire s'il fait apparaître comme inadéquate la relation de causalité entre le comportement de ce dernier et le dommage. La jurisprudence se montre stricte à cet égard. Elle précise qu'une limitation (et, a fortiori, une libération) de la responsabilité fondée sur la faute concurrente d'un tiers ne doit être admise qu'avec la plus grande retenue si l'on veut éviter que la protection du lésé que vise, d'après sa nature, la responsabilité solidaire de plusieurs débiteurs, ne soit rendue en grande partie illusoire (arrêt du Tribunal fédéral 9C_779/2020 du 7 mai 2021 consid. 3.2 et les références).

16.          

16.1 En l'occurrence, les recourants ont fait preuve d'une passivité qui est en relation de causalité naturelle et adéquate avec le dommage subi par l'intimée. Leur faute est la cause primaire de la perte des cotisations.

En particulier, l'état psychique de M. B______ n'est pas une circonstance si exceptionnelle et imprévisible qu'il relèguerait à l'arrière-plan les autres facteurs qui ont contribué à occasionner le dommage subi par l'intimée, en particulier la négligence de M. B______ et la violation de son devoir de surveillance. En effet, le retard accumulé dans le versement des cotisations (jusqu'en octobre 2019) précède la date à laquelle l'état de santé de M. B______ s'est dégradé. Il souffrait d'une dépression sévère au printemps 2020 et n’aurait pris un traitement antidépresseur que depuis fin décembre 2020-début janvier 2021 (rapport de la Dre N______ du 4 janvier 2021).

En outre, il ne ressort pas des pièces au dossier relatives aux procédures pénales dirigées contre les recourants portant la référence TPI/00148/2019, respectivement MP/1______/2019 que M. B______ a été trompé par des manœuvres fallacieuses à son endroit, telles la présentation de comptes falsifiés, visant à lui cacher le défaut de paiement à l'égard de la caisse de compensation et qui l'auraient empêché de respecter ses obligations (dans ce sens : arrêt du Tribunal fédéral 9C_839/2016 du 4 juillet 2017 consid. 5.2). M. B______ ne l'allègue pas non plus dans la plainte pénale qu'il a déposée contre M. A______ en date du 6 janvier 2022.

Par ailleurs, contrairement à ce que prétend M. A______, une caisse de compensation n'est pas tenue de rendre les organes de la société personnellement attentifs à un accroissement des cotisations en souffrance, dès lors que le devoir de diligence qui leur incombe en matière de décomptes et de paiement des cotisations fait l'objet d'une réglementation claire censée être connue (arrêt du Tribunal fédéral 9C_48/2010 du 9 juin 2010 consid. 4.2.1).

Ainsi, l'intimée, qui n'avait pas à avertir les recourants des arriérés de cotisations dus, et qui n'a pas négligé son obligation d'exiger le paiement des cotisations (d'abord contre la société, puis dans un second temps après la faillite de celle-ci, contre les recourants en leur adressant une décision en réparation de dommage), n'a pas commis une faute concomitante.

 

17.          

17.1 Enfin, le montant du dommage correspond à celui pour lequel la caisse de compensation subit une perte. Appartiennent à ce montant les cotisations paritaires (cotisations patronales et d’employés ou ouvriers) dues par l’employeur selon la LAVS, la loi fédérale sur l'assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI – RS 831.20 ; dont l'art. 66 LAI renvoie à l'art. 52 LAVS), la loi fédérale sur les allocations pour perte de gain du 25 septembre 1952 (LAPG - RS 834.1 ; dont l'art. 21 al. 2 renvoie à l'art. 52 LAVS), la loi fédérale sur les allocations familiales dans l'agriculture du 20 juin 1952 (LFA - RS 836.1 ; dont l'art. 25 al. 3 renvoie à l'art. 52 LAVS), la loi fédérale sur les allocations familiales et les aides financières allouées aux organisations familiales du 24 mars 2006 (LAFam – RS 836.2 ; dont l'art. 25 let. c renvoie à l'art. 52 LAVS), la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité du 25 juin 1982 (LACI - RS 837.0 ; dont l'art. 6 renvoie à la LAVS ; ATAS/386/2020 du 14 mai 2020 consid. 9b), ainsi que les cotisations dues en vertu de la loi instituant une assurance en cas de maternité et d'adoption du 21 avril 2005 (LAMat - J 5 07) dont l'art. 11A, entré en vigueur le 1er février 2023, renvoie à l'art. 52 LAVS.

Le dommage comprend également les intérêts moratoires dus en vertu de l'art. 26 al. 1 LPGA en lien avec l'art. 41bis RAVS, les contributions aux frais d'administration des caisses de compensation (art. 69 al. 1 LAVS), les frais de sommation (art. 34a al. 2 RAVS) et les frais de poursuite (ATF 121 III 382 consid. 3/bb ; Mélanie FRETZ, La responsabilité selon l'art. 52 LAVS : une comparaison avec les art. 78 LPGA et 52 LPP, REAS 2009 p. 240).

17.2 Selon la jurisprudence, les créances de cotisations restées impayées ne font plus l'objet d'un examen quant à leur étendue dans le cadre du procès en responsabilité au sens de l'art. 52 LAVS, pour autant qu'elles reposent sur une décision de cotisations arriérées qui n'a pas été attaquée et est dès lors entrée en force. La possibilité pour la société de recourir contre la décision (sur opposition) de cotisations arriérées garantit de manière suffisante que les organes de l'employeur devenu insolvable ne soient pas confrontés à des créances en réparation injustifiées. Sont réservés les cas dans lesquels la décision de cotisations arriérées a été signifiée à la personne morale après que l'organe recherché est sorti de la société ou qu'il ressort des circonstances des indices suffisants que les cotisations fixées par la décision de cotisations arriérées reposent sur une erreur manifeste (arrêt du Tribunal fédéral 9C_381/2018 du 6 décembre 2018 consid. 4.1 et les références).

17.3 En l'occurrence, les décomptes de cotisations litigieuses, qui ont été signifiés à la société à une époque où les recourants occupaient la fonction d'organe formel/de fait, n'ont pas été contestés par la société et sont donc entrés en force. Ils sont opposables aux recourants, même s'ils ne leur ont pas été notifiés personnellement à l'époque. Faute d'éléments permettant de conclure à une inexactitude manifeste des montants fixés, il n'appartient pas à la Cour de céans de revoir les décomptes.

Le montant du dommage (CHF 82'067.25) correspond au solde de cotisations sociales (AVS/AI/APG/AC et AF) impayées pour les années 2017 et 2018, ainsi qu'à celles dues pour les mois de mai à octobre 2019, aux contributions aux frais d'administration de l'intimée, aux frais de sommation, aux frais de poursuite et aux intérêts moratoires. Ce montant, tel qu'il résulte de l'extrait de compte au 16 février 2021, qui fait état des dettes de cotisations de la société et des paiements effectués à ce titre, n'est en soi pas discuté par les recourants.

18.         Au vu de ce qui précède, les recours sont rejetés.

19.         Les recourants, qui succombent, n'ont pas droit à des dépens (art. 61 let. g LPGA a contrario).

20.         Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario et 89H al. 1 LPA).

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare les recours recevables.

Au fond :

2.        Les rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon l’art. 85 LTF, s’agissant de contestations pécuniaires, le recours est irrecevable si la valeur litigieuse est inférieure à 30’000 francs (al. 1 let. a). Même lorsque la valeur litigieuse n’atteint pas le montant déterminant, le recours est recevable si la contestation soulève une question juridique de principe (al. 2). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Christine RAVIER

 

La présidente

 

 

 

 

Karine STECK

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le