Skip to main content

Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/131/2023

ATAS/205/2023 du 22.03.2023 ( PC ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/131/2023 ATAS/205/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 22 mars 2023

4ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié à GENÈVE, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Sarah BRAUNSCHMIDT SCHEIDEGGER

 

recourant

 

contre

SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES, sis route de Chêne 54, GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’intéressé ou le recourant) est marié et père de trois enfants. Il a bénéficié des prestations complémentaires familiales de 2014 à 2016.

b. Il a été mis au bénéfice d’une rente de l’assurance-invalidité par décision du 9 janvier 2019 avec effet rétroactif au 1er février 2014.

c. Le 24 juillet 2019, le service des prestations complémentaires (ci-après : le SPC ou l’intimé) a rendu des décisions de prestations complémentaires à l’AVS/AI pour les périodes du 1er février 2014 au 31 mai 2018 et du 1er juin 2018 au 31 juillet 2019. Il en résultait un droit de l’intéressé à un solde de CHF 416.- et pas de droit à venir aux prestations complémentaires.

d. L’intéressé a formé opposition à cette décision.

e. Suite à un nouveau calcul de ses prestations complémentaires familiales et de subsides de l’assurance maladie, le SPC lui a demandé, le 29 août 2019, la restitution de prestations versées en trop, à hauteur de CHF 80’933.-.

f. L’intéressé a formé opposition à cette décision le 27 septembre 2019, par le biais d’un conseil.

g. Après deux rappels du SPC l’invitant à motiver son opposition à la décision du 29 août 2019, l’intéressé a retiré cette dernière, le 18 décembre 2019.

h. Le 18 décembre 2019, l’intéressé a complété son opposition à la décision du 24 juillet 2019 relative aux prestations complémentaires à l’AVS/AI, contestant les indemnités, l’épargne et le gain potentiel pour son épouse retenus dans les calculs du SPC. Il faisait notamment valoir que cette dernière avait des problèmes de santé invalidants qui s’étaient aggravés et pour lesquelles elle allait déposer une demande de rente d’invalidité.

i. Le 15 janvier 2020, le SPC a informé l’intéressé que le contrôle de son compte relatif aux prestations complémentaires familiales présentait un solde de dette de CHF 80'933.- dont il lui demandait le remboursement.

j. Le 10 juillet 2020, l’intéressé a sollicité la remise de sa dette, faisant valoir qu’il était de bonne foi lorsqu’il avait reçu les prestations complémentaires familiales et que ce n’était qu’en raison de l’ouverture d’un droit à des prestations complémentaires à l’AVS/AI que cette dette existait. Il n’avait pas été statué à ce jour sur son droit à ces dernières, de sorte qu’il ne disposait pas d’une fortune lui permettant de rembourser la dette. Il demandait au SPC de cesser de lui envoyer les rappels de paiement qui était extrêmement stressant pour sa famille.

k. Par courrier du même jour adressé au service finance et comptabilité du SPC, l’intéressé a indiqué avoir reçu un premier rappel de paiement le 15 juin 2020 pour sa dette de CHF 80'933.-. Il avait droit à des prestations complémentaires à l’AVS/AI pour la période faisant l’objet de la demande de remboursement. Une procédure était actuellement en cours à ce sujet. Il ne serait en mesure de rembourser sa dette au SPC qu’une fois que son droit aux prestations complémentaires à l’AVS/AI serait fixé, puisqu’il en découlerait un rétroactif de prestations.

l. Le 16 juillet 2020, le service finance et comptabilité du SPC a adressé un deuxième rappel à l’intéressé lui accordant un délai au 15 août 2020 pour lui rembourser le montant de CHF 80'933.-.

m. Le 6 août 2020, la division des finances du SPC a indiqué à l’intéressé que sa créance était suspendue, le dossier de celui-ci étant en cours d’instruction auprès de son service juridique. L’intéressé était prié de l’informer lorsque la décision sur demande de remise serait entrée en force.

n. Le 31 mai 2021, le SPC a rendu une décision sur opposition à la décision de prestations complémentaires à l’AVS/AI du 24 juillet 2019, admettant partiellement l’opposition et reconnaissant qu’aucun gain potentiel ne pouvait être imputé à l’épouse de l’intéressé dès le 1er janvier 2020. Cette décision a été annulée par la chambre des assurances sociales, qui a renvoyé la cause au SPC pour nouvelle décision dans le sens des considérants (ATAS/807/2022 du 24 août 2022).

o. Le 25 octobre 2022, le SPC a rejeté la demande de remise de l’intéressé, au motif que cette dernière avait été formulée tardivement, soit le 10 juillet 2020 contre la décision du 29 août 2019, entrée en force au plus tard le 30 septembre 2019.

p. L’intéressé a formé opposition à cette décision le 25 novembre 2022, faisant valoir que le délai légal pour demander la remise était un délai d’ordre et non de péremption. Dans la mesure où son droit aux prestations complémentaires de l’AVS/AI n’avait pas été tranché, il proposait de suspendre la procédure relative à la demande de remise.

q. Le SPC a rendu une décision sur opposition sur le droit de l’intéressé aux prestations complémentaires à l’AVS/AI le 28 novembre 2022, contre laquelle l’intéressé a recouru auprès de la chambre de céans.

r. Par décision sur opposition du 14 décembre 2022, le SPC a constaté que la demande de remise avait été effectuée huit mois après l’entrée en force de la décision litigieuse et qu’aucun motif n’était avancé pour justifier un tel délai. La demande de remise était ainsi intervenue tardivement et l’opposition était rejetée.

B. a. Le 16 janvier 2023, l’intéressé a formé recours contre la décision précitée auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, faisant valoir que le délai légal pour demander la remise était un délai d’ordre et non de péremption. Il fallait en outre tenir compte du fait que la dette dont la remise était demandée résultait de l’ouverture du droit à des prestations complémentaires à l’AVS/AI. Or, le versement rétroactif de prestations complémentaires influençait clairement l’une des conditions de fond de la remise, à savoir le critère de la situation difficile. Dès lors, le montant du droit de fond influençait concrètement la demande de remise. Le SPC avait attendu le prononcé d’une décision sur le fond en 2022 pour statuer sur la demande de remise formée en 2020. Cela démontrait qu’il considérait également qu’il était prématuré de statuer sur la demande de remise au préalable. Le délai pris pour le dépôt de la demande de remise s’expliquait précisément par l’existence d’un droit à des prestations complémentaires pouvant influencer le paiement de la dette et la demande de remise. La décision de refuser d’entrer en matière sur la demande de remise heurtait le sentiment de justice et était contraire à la bonne foi. Le comportement du SPC qui n’avait pas statué sur la demande de remise avant 2022 démontrait que l’on ne pouvait reprocher au recourant d’avoir déposé sa demande de remise tardivement. Le recourant concluait principalement à l’admission de sa demande de remise et, subsidiairement, au renvoi de la cause au SPC pour qu’il soit entré en matière sur sa demande de remise et statué sur son bienfondé, avec suite de dépens.

b. Le 9 février 2023, l’intimé a conclu au rejet du recours. Il soulignait que la demande de restitution contenue dans la décision du 29 août 2019 était distincte de la décision qui avait fait l’objet d’un recours et qui avait conduit à l’arrêt du 24 août 2022. En effet, si l’intimé ne s’était pas prononcé sur la demande de remise au préalable, cela n’était pas en lien avec cette seconde procédure qui ne concernait par ailleurs pas le recourant, mais son épouse, mais cela était dû uniquement à une surcharge importante du service. Dès lors, il ne pouvait être tiré aucun argument du moment auquel la décision sur demande de remise avait été rendue.

Si le délai légal pour demander la remise constituait en principe un délai d’ordre, cela ne signifiait pas pour autant que la demande de remise pouvait être déposée en tout temps, pour des raisons de sécurité juridique. Le recourant n’invoquait aucun élément qui l’aurait empêché de déposer sa demande de remise dans le délai de trente jours.

De plus, l’intimé avait adressé au recourant un courrier le 15 janvier 2020 pour s’enquérir des modalités de remboursement de la dette. Un délai de trente jours pour ce faire avait été fixé. Aucune suite n’avait été donnée à ce courrier. Or, une demande de remise passé ce délai de trente jours semblait abusive, dans la mesure où le montant de la dette était connu et que le recourant ne pouvait ignorer le caractère exécutoire de celle-ci. Il avait pourtant décidé de ne pas intervenir durant plusieurs mois malgré le fait qu’il était assisté d’un conseil.

 

 

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 3 let. a de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l'art. 43 de la loi cantonale sur les prestations cantonales complémentaires du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25) concernant les prestations complémentaires familiales au sens de l’art. 36A LPCC en vigueur dès le 1er novembre 2012.

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Selon l’art. 1A al. 2 LPCC, les prestations complémentaires familiales sont régies par les dispositions figurant aux titres IIA et III de la LPCC, les dispositions de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI du 6 octobre 2006 (loi sur les prestations complémentaires; LPC - RS 831.30) auxquelles la LPCC renvoie expressément, les dispositions d'exécution de la loi fédérale désignées par règlement du Conseil d'État et la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830).

3.             Interjeté dans les forme et délai légaux, le recours est recevable (art. 60 al. 1 LPGA [loi applicable par renvoi de l'art. 1 LPC pour les PCF et l'art. 1A al. 1 let. b LPCC pour les PCC] ; art. 9 de la loi cantonale du 14 octobre 1965 sur les prestations fédérales complémentaires à l'assurance-vieillesse et survivants et à
l'assurance-invalidité [LPFC - J 4 20] ; art. 43 et 43B let. c LPCC ; art. 36 LaLAMal).

4.             Le litige porte sur le bien-fondé de la décision de l'intimé déclarant irrecevable, pour tardiveté, la demande de remise formée le 10 juillet 2020 par le recourant.

5.             À teneur de l’art. 25 al. 1 LPGA, les prestations indûment touchées doivent être restituées. La restitution ne peut être exigée lorsque l’intéressé était de bonne foi et qu’elle le mettrait dans une situation difficile.

L’art. 24 al. 1 LPCC reprend le contenu de cet alinéa.

La demande de remise ne peut être traitée sur le fond que si la décision de restitution est entrée en force. La remise et son étendue font ainsi l'objet d'une procédure distincte (arrêts du Tribunal fédéral des assurances P 63/06 du 14 mars 2007 consid. 3 et C 264/05 du 25 janvier 2006 consid. 2.1 ; ATAS/669/2020 du 18 août 2020 consid. 15).

En vertu de l'art. 4 de l’ordonnance sur la partie générale du droit des assurances sociales du 11 septembre 2002 (OPGA - RS 830.11), la restitution entière ou partielle des prestations allouées indûment, mais reçues de bonne foi, ne peut être exigée si l’intéressé se trouve dans une situation difficile (al. 1). Est déterminant, pour apprécier s’il y a une situation difficile, le moment où la décision de restitution est exécutoire (al. 2). La demande de remise doit être présentée par écrit. Elle doit être motivée, accompagnée des pièces nécessaires et déposée au plus tard trente jours à compter de l’entrée en force de la décision de restitution (al. 4). La remise fait l’objet d’une décision (al. 5).

Le texte de l’art. 4 al. 4 OPGA est repris par l’art. 15 al. 2 du règlement relatif aux prestations cantonales complémentaires à l'assurance-vieillesse et survivants et à l’assurance-invalidité du 25 juin 1999 (RPCC-AVS/AI - J 4 25.03).

Selon la jurisprudence, le délai des art. 4 al. 4 OPGA et 15 al. 2 RPCC-AVS/AI est un délai d'ordre et non de péremption (ATF 132 V 42 consid. 3 ;
ATF 110 V 25 ; ATAS/835/2020 du 6 octobre 2020 consid. 9). Le dépassement de ce délai est dès lors sans conséquence (par analogie, ATF 100 Ia 53 consid. 5 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_580/2018 du 7 novembre 2018 consid. 2 et 1C_501/2015 du 5 octobre 2015 consid. 2).

Selon la doctrine, il appartient à l’autorité d’apprécier, en application du principe de la proportionnalité (qui se traduit par l’interdiction du formalisme excessif), la conséquence de la violation d’un délai d’ordre. Suivant les cas, un délai doit être imparti à l’administré pour réparer cette violation (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, n. 1458 p. 490). I

Selon Boris RUBIN, il est difficile de déterminer le moment où il n'est plus possible de demander la remise de l'obligation de restituer, s’agissant d’un délai d’ordre. Dans le cas des demandes de remise, un tel délai se justifie notamment par le fait que les caisses peuvent accorder la remise d'office (Boris RUBIN, Commentaire de la loi sur l'assurance-chômage, Genève - Zurich - Bâle 2014, n. 38 ad. art. 95 n 38). Le délai prévu par l'art. 4 al. 4 OPGA avait le mérite de renforcer la sécurité du droit (Boris RUBIN, Assurance-chômage, Droit fédéral. Survol des mesures cantonales. Procédure, 2e éd., Genève - Zurich - Bâle 2006, p. 758).

Dans un arrêt du 15 décembre 2020 (ATAS/1211/2020), la chambre de céans a jugé que c’était à tort que l’intimé avait déclaré irrecevable pour tardiveté la demande de remise formée le 26 août 2019 par le recourant à la suite de la notification des décisions des 8 et 11 février 2019, quand bien même ce délai de trente jours à compter de l’entrée en force desdites décisions de restitution avait été dépassé d’environ cinq mois. Rien ne s’opposait à la recevabilité de la demande de remise et aucun éventuel abus de droit de la part de l’assuré en lien avec le dépassement dudit délai d’ordre ne ressort du dossier.

6.             En l’occurrence, le recourant a formé sa demande de remise le 10 juillet 2020, soit un peu moins de sept mois après avoir retiré son opposition à la décision de restitution, le 18 décembre 2019. Rien ne s’opposait à la recevabilité de sa demande de remise et son comportement n’apparaît pas constitutif d’un abus de droit. Il ressort en effet de ses courriers du 10 juillet 2020 qu’il pensait avoir droit à un rétroactif de prestations complémentaires AVS/AI qui lui permettrait de rembourser sa dette, ce qui explique qu’il n’a pas déposé tout de suite sa demande de remise.

Dans ces circonstances, l’intimé aurait dû déclarer la demande de remise recevable et statuer au fond.

7.             Vu ce qui précède, le recours sera partiellement admis, la décision querellée annulée et la cause renvoyée à l'intimé pour instruction et décision sur la demande de remise.

Le recourant obtenant partiellement gain de cause et étant assisté d’un conseil, il a droit à des dépens qui seront fixés à CHF 1'000.- et mis à la charge de l’intimé (art. 61 let. g LPGA).

La procédure est gratuite (art. 61 let. a LPGA).


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement.

3.        Annule la décision sur opposition du 14 décembre 2022.

4.        Renvoie la cause à l'intimé pour instruction et décision sur la demande de remise.

5.        Alloue au recourant une indemnité de dépens de CHF 1'000.- à la charge de l’intimé.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties par le greffe le