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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/58/2022

ATAS/182/2023 du 20.03.2023 ( PC )

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/58/2022 ATAS/182/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 20 mars 2023

1ère Chambre

 

En la cause

HOIRIE de feu Monsieur A______, soit pour elle :

Monsieur B______, domicilié à LES AVANCHETS,

 

Madame C______, domiciliée à CAROUGE

 

Monsieur D______, domicilié à BIOGGIO

 

représentés par Monsieur D______

 

recourants

contre

SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES, sis route de Chêne 54, GENÈVE

intimé

 

 

EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : le bénéficiaire ou le recourant), né le ______ 1925 et décédé le 20 avril 2022, percevait des prestations complémentaires (ci-après : PC), versées par le service des prestations complémentaires (ci-après : le SPC ou l’intimé) en complément de sa rente AVS depuis l’année 1993.

b. Il était au bénéfice de réductions individuelles de primes d’assurance-maladie ainsi que des frais de maladie.

B. a. Par décision du 15 octobre 2021, le SPC a informé le bénéficiaire que le versement des prestations était interrompu dès le 31 décembre 2015, en raison de son départ de Genève.

b. Par décision du 22 octobre 2021, le SPC a requis du bénéficiaire le remboursement des réductions individuelles de primes d’assurance-maladie, indûment versées, pour les années 2016 ainsi que 2018 à 2021, soit CHF 14'274.- (2016 : CHF 6'084.-, 2018 : CHF 3'240.-, 2019 : CHF 3'240.-, 2020 : 1'320.-, et 2021 : 390.-), sur la base du décompte fourni par le service de l’assurance-maladie le 18 octobre 2021.

c. Le même jour, le SPC a également requis la restitution de frais de maladie et d’invalidité à hauteur de CHF 791.80, à la suite du recalcul des prestations dès le 1er janvier 2016.

d. Le 26 octobre 2021, le bénéficiaire a contesté cette décision. Depuis le décès de son épouse, il faisait quelques séjours au Tessin, chez son fils Monsieur D______ et sa belle-fille. Il y avait passé les fêtes de Noël 2015 et y avait détourné son courrier, comme à chaque période de vacances. En 2018, par souci d’économie et de praticité, il avait décidé de détourner tout son courrier à l’adresse de son fils au Tessin, celui-ci ayant procuration et gérant toutes ses affaires. L’Institution genevoise de maintien à domicile (ci-après : l’IMAD) avait manqué d’engagement à son égard, l’aide à domicile se présentant à des horaires irréguliers et exécutant le ménage si mal que sa fille devait compléter le travail. Depuis le Nouvel-an 2021, après une discussion familiale en lien avec une lettre de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : l’OCPM), il n’était plus retourné à Genève et avait pris la décision de rester dans sa famille au Tessin. La date officielle de son transfert de domicile avait été établie au 1er janvier 2021, étant précisé qu’il avait initialement demandé son transfert au 1er janvier 2022.

e. Par décision du 17 décembre 2021, le SPC a rejeté cette opposition, dans la mesure où il ressortait du rapport d’enquête de l’OCPM que le bénéficiaire avait quitté le canton de Genève de manière définitive au moins depuis le mois d’août 2019 et n’y vivait plus de manière régulière depuis 2009.

C. a. L’enquêteur de l’OCPM s’était rendu à plusieurs reprises dans l’appartement du bénéficiaire entre le 7 et le 20 septembre 2021, sans l’y trouver. Son petit-fils, Monsieur B______, avait confirmé être seul locataire avec sa compagne et que M. A______ était parti vivre au Tessin depuis 2018, ce que l’enquête de voisinage confirmait.

f. Du rapport d’entraide administrative interdépartementale du 23 septembre 2021, il ressort également que des ordres de réacheminement pour les périodes litigieuses suivantes ont été donnés :

-          11 décembre 2015 au 5 février 2016

-          12 mai au 7 octobre 2016

-          7 décembre 2016 au 10 février 2017

-          31 mai au 16 septembre 2017

-          27 décembre 2017 au 17 février 2018

-          6 au 27 avril 2018

-          6 juin au 26 octobre 2018

-          22 décembre 2018 au 31 août 2019

-          30 août 2019 au 29 août 2020

-          31 août 2020 au 30 août 2021.

Des interventions de l’IMAD ont également été facturées les 17 février, 30 mars, 13 avril, 4 octobre, 25 octobre 2016, 30 novembre, 9 et 21 décembre 2018.

Selon le formulaire d’annonce de changement d’adresse, M. B______ s’est domicilié à l’adresse du bénéficiaire le 24 février 2020.

D. a. Le 27 décembre 2021, le bénéficiaire a interjeté recours – transmis par le SPC à la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la CJCAS ou la chambre de céans) — contre cette décision, concluant à une remise.

Il avait vécu à Genève toute sa vie, où il avait acquitté ses impôts, et n’avait quitté le canton que le 1er janvier 2021 pour s’installer dans un autre canton, le Tessin. Il n’était donc effectivement plus dans l’appartement à Genève en septembre 2021. Son petit-fils n’avait pas répondu à l’enquêteur de l’OCPM qu’il était parti vivre au Tessin en 2018, mais qu’il y était en vacances chez son fils et sa belle-fille, ni affirmé être l’unique locataire. Au demeurant, lui-même y avait alors sa chambre, ses meubles, ainsi que ses affaires personnelles. Il avait en outre été hospitalisé aux Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) puis à l’hôpital des Trois-Chêne du 26 octobre au 15 novembre 2018. Il était erroné de dire qu’il ne vivait plus à Genève de façon régulière depuis 2009, puisqu’en 2010 il était au chevet de son épouse atteinte d’un cancer généralisé, dont elle était décédée le 7 décembre 2010.

Il n’avait jamais eu l’intention de tromper qui que ce soit et ignorait qu’il devait aviser le SPC de ses vacances auprès de son fils, dans un autre canton suisse.

b. Par réponse du 4 février 2022, l'intimé a conclu au rejet du recours, les éléments apportés par le recourant ne lui permettant pas de revoir sa position.

c. Le 23 mars 2022, M. D______, fils du bénéficiaire, a informé le Tribunal que son père n’était plus en capacité de s’exprimer sur la procédure, en raison de l’avancement de sa maladie. Il avait besoin, depuis longtemps d’une assistance accrue, mais son état s’était rapidement aggravé au début de l’année 2022, au point qu’il avait dû intégrer le département protégé d’une maison de retraite qui accueillait les personnes atteintes d’Alzheimer et de démence sénile au Tessin, son fils et sa belle-fille ne pouvant plus lui offrir l’assistance dont il avait besoin. Selon la caisse de compensation AVS Swissnem, il était reconnu grand invalide depuis le 1er juin 2021.

d. Par courrier du 30 mars 2022, M. D______ a indiqué à la chambre de céans qu’il avait requis de l’autorité de protection compétente l’ouverture d’une procédure de protection, avec l’éventuel prononcé d’une curatelle de portée générale.

e. Par courrier du 4 mai 2022, M. D______ a informé la chambre de céans du décès de son père, le 20 avril 2022.

f. La procédure a été suspendue par ordonnance du 12 mai 2022, en application de l’art. 78 LPA jusqu’à ce que la situation des successibles soit fixée.

g. Selon le certificat d’hérédité du 2 juin 2022, les héritiers de M. A______ sont M. D______, Madame C______ ainsi que M. B______.

h. Par courrier du 21 juillet 2022, l’hoirie a informé la chambre de céans qu’elle souhaitait reprendre la procédure et faisait opposition à la décision dont était recours. Le bénéficiaire s’était absenté de Genève depuis 2016 durant des périodes de trois à six mois par année, pour résider chez son fils au Tessin, n’étant plus en capacité de s’occuper de lui tout seul.

i. Par ordonnance du 17 août 2022, la procédure a été reprise, en application de l’art. 79 LPA.

j. Par courrier du 23 août 2022, le SPC a maintenu sa position, soulignant que l’hoirie avait confirmé les séjours du bénéficiaire au Tessin entre trois et six mois par année depuis 2016, ce qui constituait une interruption de résidence habituelle et en conséquence l’interruption du droit aux prestations complémentaires, au sens de l’art. 4 al. 3 LPC.

k. Par courrier du 6 septembre 2022, l’hoirie a persisté dans ses conclusions.

l. A l’audience du 16 janvier 2023, l’hoirie a indiqué que M. A______ avait un médecin traitant à Genève et un autre au Tessin depuis 2019 en raison de son besoin d’assistance et avait conservé son assurance-maladie à Genève jusqu’en 2021. Il avait pris l’habitude d’aller au Tessin en vacances chez son fils après le décès de son épouse en 2010. Sa famille à Genève gérait son quotidien lorsqu’il y était. En 2017-2018, M. D______ avait remarqué des imprécisions dans la déclaration d’impôts de son père, raison pour laquelle l’entier du courrier avait été réacheminé chez lui et une procuration délivrée. La famille avait remarqué à plusieurs reprises que l’IMAD déposait simplement les repas, sans s’occuper du ménage, de sorte que l’intervention avait été interrompue.

M. B______ a précisé qu’il dormait au salon avec son épouse à l’époque où le bénéficiaire n’allait qu’en vacances au Tessin, et n’avait repris le bail et acquitté le loyer qu’à partir de 2021. Auparavant, toutes les affaires personnelles du bénéficiaire s’y trouvaient.

La famille avait tout fait pour permettre au bénéficiaire de conserver le plus longtemps possible son univers, pour ne pas le perturber davantage.

M. D______ avait pris connaissance des documents du SPC mais n’avait pas pris garde au fait que toute absence de plus de trois mois devait être annoncée, dès lors que le bénéficiaire était déclaré à Genève et y vivait une période de l’année. Il ne s’était pas non plus renseigné s’agissant de la période maximale admise hors de Genève. Lors de ses séjours au Tessin, son père revenait parfois à une reprise à Genève, mais les coûts de réacheminement du courrier étant élevés, les périodes étaient calculées très précisément.

m. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30). Elle statue aussi, en application de l'art. 134 al. 3 let. a LOJ, sur les contestations prévues à l'art. 43 de la loi cantonale sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Le litige porte sur le bien-fondé de la demande de restitution de l’intimé des prestations perçues par le recourant pour les années 2016 à 2021.

3.             Dans la mesure où elle porte sur les prestations perçues à tort entre le 1er janvier 2016 et le 31 décembre 2021, soit sur une période partiellement antérieure à l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2021, des modifications des 22 mars, 20 décembre 2019 et 14 octobre 2020 de la LPC, la demande de restitution est soumise à l'ancien droit, en l'absence de dispositions transitoires prévoyant une application rétroactive du nouveau droit. Les dispositions légales seront donc citées ci-après dans leur teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2020.

3.1 Selon l'art. 2 LPC, la Confédération et les cantons accordent aux personnes qui remplissent les conditions fixées aux art. 4 à 6 des prestations complémentaires destinées à la couverture des besoins vitaux (al. 1). Les cantons peuvent allouer des prestations allant au-delà de celles qui sont prévues par la présente loi et fixer les conditions d'octroi de ces prestations (al. 2).

3.1.1 Selon l'art. 4 al. 1 let. c LPC, les personnes qui ont leur domicile et leur résidence habituelle (art. 13 LPGA) en Suisse ont droit à des prestations complémentaires dès lors qu'elles ont droit à une rente ou à une allocation pour impotent de l’assurance-invalidité (AI) ou perçoivent des indemnités journalières de l’AI sans interruption pendant six mois au moins. Les prestations complémentaires fédérales se composent de la prestation complémentaire annuelle et du remboursement des frais de maladie et d'invalidité (art. 3 al. 1 LPC).

Le droit aux prestations complémentaires suppose donc notamment que le bénéficiaire ait son domicile et sa résidence habituelle respectivement en Suisse et dans le canton de Genève. Lesdites prestations ne sont pas exportables. Les conditions de domicile et de résidence sont cumulatives (Michel VALTERIO, Commentaire de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI, 2015, n. 15 ad art. 4).

3.1.2 Selon l'art. 13 LPGA, le domicile d'une personne est déterminé selon les art. 23 à 26 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), et une personne est réputée avoir sa résidence habituelle au lieu où elle séjourne un certain temps même si la durée de ce séjour est d'emblée limitée. 

Le domicile de toute personne est au lieu où elle réside avec l'intention de s'y établir (art. 23 al. 1 CC). Toute personne conserve son domicile aussi longtemps qu’elle ne s’en est pas créé un nouveau (art. 24 al. 1 CC). La notion de domicile comporte deux éléments : l'un objectif, la résidence, soit un séjour d'une certaine durée dans un endroit donné et la création en ce lieu de rapports assez étroits ; l'autre, l'intention d'y résider, soit de se fixer pour une certaine durée au lieu de sa résidence, qui doit être reconnaissable pour les tiers et donc ressortir de circonstances extérieures et objectives. Cette intention implique la volonté manifestée de faire d'un lieu le centre de ses relations personnelles et professionnelles. Le domicile d'une personne se trouve ainsi au lieu avec lequel elle a les relations les plus étroites, compte tenu de l'ensemble des circonstances (ATF 136 II 405 consid. 4.3 et les références). Le lieu où les papiers d'identité ont été déposés ou celui figurant dans des documents administratifs, comme des attestations de la police des étrangers, des autorités fiscales ou des assurances sociales, constituent des indices, qui ne sauraient toutefois l'emporter sur le lieu où se focalise un maximum d'éléments concernant la vie personnelle, sociale et professionnelle de l'intéressé (ATF 125 III 100 consid. 3). Lorsqu'une personne séjourne en deux endroits différents, il faut tenir compte de l'ensemble de ses conditions de vie, le centre de son existence se trouvant à l'endroit, lieu ou pays, où se focalise un maximum d'éléments concernant sa vie personnelle, sociale et professionnelle, de sorte que l'intensité des liens avec ce centre l'emporte sur les liens existant avec d'autres endroits ou pays (ATF 125 III 100 consid. 3). En ce qui concerne les prestations complémentaires, la règle de l'art. 24 al. 1 CC, selon laquelle toute personne conserve son domicile aussi longtemps qu'elle ne s'en est pas créé un nouveau, s'applique (ATF 127 V 237 consid. 1). Le domicile est maintenu lorsque la personne concernée quitte momentanément (p. ex. en raison d'une maladie) le lieu dont elle a fait le centre de ses intérêts ; le domicile reste en ce lieu jusqu'à ce qu'un nouveau domicile soit, le cas échéant, créé à un autre endroit (ATF 99 V 106 consid. 2).

3.1.3 Selon l'art. 13 al. 2 LPGA, auquel renvoie l’art. 4 al. 1 LPC, une personne est réputée avoir sa résidence habituelle au lieu où elle séjourne un certain temps même si la durée du séjour est d'emblée limitée. Selon la jurisprudence, la notion de résidence doit être comprise dans un sens objectif, de sorte que la condition de la résidence effective en Suisse n'est en principe plus remplie à la suite d'un départ à l'étranger. Il n'y a cependant pas interruption de la résidence en Suisse lorsque le séjour à l'étranger, correspondant à ce qui est généralement habituel, est dû à des motifs tels qu'une visite, des vacances, une absence pour affaires, une cure ou une formation. De tels séjours ne peuvent en principe dépasser la durée d'une année (ATF 111 V 180 consid. 4 ; arrêts du Tribunal fédéral 9C_345/2010 du 16 février 2011 consid. 5.1 ; 9C_696/2009 du 15 mars 2010 consid. 3.3). Des motifs contraignants et imprévisibles, tels que la maladie ou un accident, peuvent justifier de prolonger au-delà d'une année la durée du séjour. Il en va de même lorsque des motifs contraignants existant dès le début exigent une résidence à l'étranger de durée supérieure à une année, par exemple pour des motifs d'assistance, de formation ou de traitement d'une maladie (ATF 111 V 180 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral 9C_696/2009 du 15 mars 2010 consid. 3.3 ; voir également arrêt du Tribunal fédéral des assurances H 71/89 du 14 mai 1990 consid. 2a, in RCC 1992 p. 36). Cela étant, dans la mesure où la durée admissible d'un séjour à l'étranger dépend en premier lieu de la nature et du but de celui-ci, la durée d'une année fixée par la jurisprudence ne doit pas être comprise comme un critère schématique et rigide (arrêts du Tribunal fédéral 9C_345/2010 précité ; 9C_696/2009 précité). Dans le même sens, le Tribunal fédéral a jugé trop schématique la durée de trois mois que prévoyait le ch. 2009 des directives de l'office fédéral des assurances sociales (ci-après : OFAS) concernant les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI (ci-après : DPC) dans leur version du 1er janvier 2002 (arrêt du Tribunal fédéral 9C 345/2010 du 16 février 2011 consid. 5.1 in fine). Le Tribunal fédéral a aussi jugé que des exceptions au principe de la résidence en Suisse ne peuvent entrer en considération que lorsque l'intéressé avait envisagé dès le début un départ temporaire et non pas définitif de Suisse (ATF 111 V 180 consid. 4c; Michel VALTERIO, op. cit., n. 27 i.f.
ad art. 4). Par ailleurs, selon la jurisprudence (rendue en matière de droit civil), la notion de résidence habituelle d'une personne physique correspond à l'endroit où la personne intéressée a le centre de ses relations personnelles et se déduit, non de sa volonté subjective, mais de circonstances de fait extérieurement reconnaissables attestant de sa présence dans un lieu donné (ATF 129 III 288 consid. 4.1 et les références).

3.1.4 Selon les DPC en vigueur dès le 1er avril 2011, lorsqu'une personne - également lors d'une période à cheval entre deux années civiles - séjourne à l'étranger plus de trois mois (92 jours) d'une traite sans raison majeure ou impérative, le versement de la prestation complémentaire est suspendu dès le mois suivant. Il reprend dès le mois au cours duquel l'intéressé revient en Suisse (DPC n° 2330.01). Lorsqu'au cours d'une même année civile, une personne séjourne plus de six mois (183 jours) à l'étranger, le droit à la prestation complémentaire tombe pour toute l'année civile en question. Le versement de la prestation complémentaire doit dès lors être supprimé pour le restant de l'année civile ; les prestations complémentaires déjà versées doivent être restituées. Lors de plusieurs séjours à l'étranger au cours de la même année civile, lesdits séjours sont additionnés au jour près. En cas de séjour à cheval entre deux années civiles, seuls les jours de l'année civile correspondante sont pris en compte. Les jours d'arrivée et de départ ne sont pas considérés comme jours de résidence à l'étranger (DPC n° 2330.02). Lors d'un séjour à l'étranger dicté par une raison majeure, la prestation complémentaire peut continuer à être versée pour une année au maximum. Si le séjour à l'étranger se prolonge au-delà de douze mois, le versement de la prestation complémentaire prend fin dès le mois civil suivant. La prestation complémentaire est à nouveau versée dès le mois civil à partir duquel la personne est de retour en Suisse (DPC n° 2340.01). Seuls des motifs d'ordre professionnel, ou la poursuite d'une formation professionnelle, peuvent être considérés comme relevant d'une raison majeure, mais pas un séjour pour cause de vacances ou de visites (DPC n° 2340.02). Il n’est toutefois pas exclu que d’autres motifs puissent entrer en considération, la question étant de savoir s’ils sont dictés par la force des choses, comme par exemple la nécessité de prolonger quelque peu une cure qui s’avère bénéfique pour l’intéressé (VALTERIO, op. cit. n. 30 ad. art. 4). En cas de séjour à l'étranger dicté par des raisons impératives, la prestation complémentaire continue d'être versée tant et aussi longtemps que l'intéressé garde le centre de tous ses intérêts personnels en Suisse (DPC n° 2340.03). Les raisons impératives ne peuvent être que des raisons inhérentes à la santé des personnes comprises dans le calcul PC (p. ex. impossibilité de transport suite à maladie ou accident) ou d'autres circonstances extraordinaires qui rendent impossible tout retour en Suisse (DPC n° 2340.04).

3.1.5 Comme le Tribunal fédéral l'a rappelé dans l'arrêt 9C_345/2010 précité (consid. 5.1 in fine, mentionnant l'ATF 126 V 64 consid. 3b p. 68), de telles directives ne lient pas le juge des assurances sociales, ces délais de trois ou douze mois ne doivent pas être appliqués de façon schématique et rigide.

3.2  

3.2.1 S’agissant des prestations complémentaires cantonales, ont droit à ces dernières les personnes : qui ont leur domicile et leur résidence habituelle sur le territoire de la République et canton de Genève et qui sont au bénéfice d'une rente de l'assurance-vieillesse et survivants, d'une rente de l'assurance-invalidité, d'une allocation pour impotent de l'assurance-invalidité ou reçoivent sans interruption pendant au moins 6 mois une indemnité journalière de
l'assurance-invalidité (art. 2 al. 1 let. a et b LPCC).

Selon l'art. 1 al. 1 du règlement relatif aux prestations cantonales complémentaires à l'assurance-vieillesse et survivants et à l'assurance-invalidité du 25 juin 1999 (RPCC-AVS/AI J 4 25.03), le bénéficiaire qui séjourne hors du canton plus de trois mois au total par année perd son droit aux prestations, à moins qu'il ne s'agisse d'une hospitalisation ou d'un placement dans un home ou dans un établissement médico-social pour personnes âgées ou invalides.

3.2.2 Dans un arrêt de principe du 12 décembre 2013 (ATAS/1235/2013), la chambre de céans a jugé que les notions de domicile et de résidence habituelle de l’art. 2 al. 1 LPCC devaient manifestement être interprétées de la même manière que celles de l’art. 13 LPGA et de l’art. 4 LPC en matière de prestations complémentaires fédérales, l’intention claire du législateur cantonal ayant été d’harmoniser les notions du droit cantonal avec celles du droit fédéral (consid. 5b). Dans ce même arrêt, la Cour de céans a jugé que
l’art. 1 al. 1 RPCC-AVS/AI était inapplicable, dans la mesure où il retenait une définition de la résidence plus restrictive que celle du droit fédéral (art. 4 LPC et 13 LPGA ; ATAS/2130/2013 consid. 5c).

3.2.3 Dans la mesure où – comme en l’espèce – il n’est pas question de séjours à l’étranger, mais dans un autre canton, il se justifie de suivre par analogie la pratique s’étant développée pour les PCF en lien avec des séjours à l’étranger, toutefois avec une plus grande souplesse dictée par la possibilité le cas échéant exercée qu’offre une telle proximité géographique de conserver des liens étroits dans le canton de Genève et, en particulier, d’y revenir régulièrement.

3.2.4 Il n’est par exemple pas concevable de supprimer le droit aux prestations complémentaires à un bénéficiaire qui passerait la plupart de ses week-ends et deux à trois semaines de vacances en dehors du canton, et qui, de la sorte, totaliserait facilement plus de 120 jours d’absence du canton par année (ATAS/16/2019 consid. 4h).

4.             Dans le domaine des assurances sociales notamment, la procédure est régie par le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d'office par le juge. Mais ce principe n'est pas absolu. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l'instruction de l'affaire. Celui-ci comprend en particulier l'obligation des parties d'apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d'elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l'absence de preuves (ATF 125 V 193 consid. 2 et les références).

Comme l'administration, le juge apprécie librement les preuves administrées, sans être lié par des règles formelles (art. 61 let. c LPGA). Il lui faut examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les pièces du dossier et autres preuves recueillies permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. Il lui est loisible, sur la base d'une appréciation anticipée des preuves déjà disponibles, de refuser l'administration d'une preuve supplémentaire au motif qu'il la tient pour impropre à modifier sa conviction (ATF 131 III 222 consid. 4.3 ; ATF 129 III 18 consid. 2.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_5/2011 du 24 mars 2011 consid. 3.1). 

Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 ; ATF 126 V 353 consid. 5b, ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

5.             En l'occurrence, le dossier ne contient pas d’éléments permettant, même au degré de la vraisemblance prépondérante, de considérer que le recourant avait transféré son domicile au Tessin avant l’année 2021. Au contraire, il ne fait pas de doute que l’intention du recourant, originaire de Vernier (GE) et ayant habité sa vie durant dans le canton de Genève, était de demeurer dans ce canton. Ainsi, il n’est pas contesté que le recourant était resté inscrit au registre des habitants et avait conservé son logement à Genève, dont il s’acquittait du loyer, pendant ses périodes d’absences du canton. De même, il y avait conservé son assurance-maladie et son médecin traitant, même s’il allait également consulter un autre médecin au Tessin durant ses séjours. Il y avait également été hospitalisé durant plusieurs semaines, à la fin de l’année 2018.

Encore faudrait-il néanmoins qu’il ait conservé également sa résidence effective dans le canton de Genève.

A cet égard, il ressort de l’enquête menée par l’OCPM, non remise en question sur ce point, qu’il a passé au Tessin une durée cumulée de deux-cent-sept jours au cours de l’année 2016, de cent-cinquante-trois jours en 2017 et de deux-cent-dix-neuf jours en 2018, selon les ordres de réacheminement de son courrier. Les ordres pour les années suivantes font état d’un réacheminement du courrier durant trois-cent-soixante-cinq jours par an à partir de l’année 2019.

Dans le cadre de la procédure, le recourant conteste avoir eu la volonté d’être absent de Genève. Atteint non seulement par le décès de son épouse à la fin de l’année 2010, mais en outre dans sa santé et dans son autonomie au quotidien, il avait besoin, de manière de plus en plus prononcée au fil des années, d’être soutenu par un/des tiers, soit de l’IMAD, ce qui ressort du dossier pour les années 2016 et 2018, soit de sa famille, selon les dires de ses enfants et de son petit-fils que rien ne permet de remettre en question. Dans ce cadre, il a expliqué – de même que l’hoirie - qu’à défaut d’un accompagnement satisfaisant de la part de l’IMAD, sa famille se relayait tant pour la tenue de son ménage, ses soins personnels que la gestion de son administratif. C’est manifestement dans cette optique de soutien à leur père et grand-père que les membres de la famille se sont partagés les périodes de l’année, amenant le recourant à se rendre par périodes au domicile de son fils et de sa belle-fille au Tessin et à rester, à d’autres, dans son appartement à Genève, où sa fille et son petit-fils venaient l’assister et où il avait conservé ses meubles et l’ensemble de ses effets personnels, aux fins de lui éviter d’être davantage perturbé et de repousser au maximum le moment de son placement dans un établissement spécialisé.

Le recourant était également très attaché à Genève et à son quartier, où il avait passé toute sa vie et y avait ses attaches. Il avait donc la volonté subjective de maintenir sa résidence habituelle à Genève et de ne se rendre au Tessin que de manière temporaire.

Or, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence précitée, l’art. 1 al. 1 RPCC qui prévoit une absence d’une durée maximum de trois mois n’est pas applicable. S’agissant des DPC qui prévoient une durée maximum admise à l’étranger de six mois, le Tribunal fédéral a retenu qu’une durée fixe ne devait pas être comprise comme un critère schématique et rigide. La durée admissible d’un séjour à l’étranger dépendait en premier lieu de la nature et du but de celui-ci, étant relevé que, selon le Tribunal fédéral, les séjours à l’étranger ne devraient en principe pas dépasser la durée d’une année (arrêt 9C_345/2010 précité, consid. 5.1).

En l’occurrence, il ressort des pièces produites que les séjours du recourant au Tessin pour les années 2016 à 2018 restent d’une durée en-deçà de la durée maximum d’une année admise dans la jurisprudence du Tribunal fédéral. Si elle excède certes la durée maximale de six mois prévue par les DPC pour 2016 et 2018, force est toutefois de rappeler que ces directives ne lient pas le juge des assurances sociales. Ainsi que l’a rappelé le Tribunal fédéral, l’admissibilité d’un séjour à l’étranger dépend surtout de la nature et du but du séjour à l’étranger.

Or, ses divers séjours sont directement à mettre en lien avec la maladie dégénérative dont il était atteint et sa perte progressive d’autonomie, nécessitant qu’il soit assisté au quotidien, en l’occurrence par sa famille, sauf à être placé dans un établissement, ce qui est corroboré notamment par la reconnaissance par la caisse de compensation Swissnem dans son statut de grand invalide dès le 1er juin 2021, ainsi que par son placement, en avril 2022, dans le département protégé d’un institut abritant les personnes atteintes de pathologies Alzheimer et de démence sénile.

Cette pathologie permet également d’expliquer les motifs pour lesquels le courrier du recourant a été réacheminé sur l’ensemble de l’année à partir du 22 décembre 2018, son fils ayant expliqué — sans être contredit — que le recourant n’était alors plus en mesure de gérer ses affaires administratives. Ces derniers réacheminements de courriers ne permettent donc pas de retenir à eux seuls que le recourant était absent du territoire genevois sur l’ensemble des années 2019 et 2020. Or, aux dires de l’hoirie – dont aucun élément ne permet de douter – le recourant continuait à vivre par périodes dans son appartement à Genève durant ces deux années — appartement dont il était le titulaire de bail et dont il payait le loyer — avec son petit-fils dès le mois de février 2020, ce dernier dormant au salon.

Pour le reste, il résulte des ordres de réacheminement du courrier que le recourant effectuait des séjours chez son fils au Tessin d’une durée d’un à cinq mois chacun. Or, selon la jurisprudence, il n’y a pas interruption de la résidence effective en Suisse lorsque le séjour à l’étranger correspond à ce qui est généralement habituel, et dû à des motifs tels qu’une visite, des vacances, une absence pour affaires, une cure ou une formation. C’est précisément le cas ici puisque les différents déplacements du recourant étaient motivés par des raisons liées à sa maladie et à sa perte d’autonomie, tant sur le plan personnel qu’administratif.

Il suit des éléments qui précèdent qu’il faut considérer que les circonstances très particulières du cas d’espèce amènent à retenir que le recourant a conservé sa résidence habituelle à Genève jusqu’à la fin de l’année 2020, au sens des art. 4 LPC et 2 al. 1 let. a LPCC.

Un tel constat est d’autant plus convaincant qu’à retenir la solution de l’intimé, le recourant n’aurait pu obtenir de prestations ni du canton de Genève, ni de celui du Tessin, puisqu’il passait plus de trois mois dans le canton de Genève, ce qui aboutirait à un résultat choquant.

Autre est la question de l’année 2021, pour laquelle le recourant, suivi par l’hoirie, admet avoir transféré son domicile au Tessin, ce qui entraine la fin des prestations versées par le canton de Genève, au sens des principes rappelés ci-dessus. Leur restitution est donc justifiée, étant pour le surplus relevé qu’il appartient à l’hoirie de s’adresser aux autorités tessinoises compétentes pour obtenir cas échéant lesdites prestations pour l’année 2021, respectivement l’année suivante jusqu’à la date du décès du bénéficiaire, si cette demande peut être effectuée avec effet rétroactif.

6.             Au vu des éléments qui précèdent, le recours est partiellement admis.

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis a contrario LPGA).

 

 

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable

Au fond :

2.        L’admet partiellement s’agissant des prestations versées pour les années 2016 à 2020.

3.        Le rejette s’agissant des prestations versées pour l’année 2021.

4.        Dit que la procédure est gratuite.

5.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Stefanie FELLER

 

La présidente

 

 

 

 

Fabienne MICHON RIEBEN

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le