Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/999/2025 du 09.09.2025 ( FORMA ) , REJETE
En droit
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/3253/2024-FORMA ATA/999/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 9 septembre 2025 2è section |
| ||
dans la cause
A______ recourante
contre
UNIVERSITÉ DE GENÈVE intimée
A. a. A______ s’est immatriculée à la faculté de médecine humaine de l’Université de Genève pour l’année académique 2022-2023.
b. Elle été autorisée, à la suite de la session d’examens de mai 2023, à laquelle elle a été dûment excusée en raison de problèmes de santé, à représenter deux tentatives à l’issue de l’année académique suivante, pour autant qu’elle obtienne une note minimale de 3 en première tentative.
c. Lors de la session de mai 2024, elle a obtenu la note de 2.25, ce qui lui a été communiqué le 10 juin 2024, de sorte que son élimination du programme d’études de médecine a été prononcée par décision du 21 juin 2024.
d. Dans son opposition à cette décision, elle a fait valoir qu’elle souffrait d’un trouble d’hyperactivité de l’adulte avec déficit de l’attention (ci-après : TDAH) de type inattentif prédominant, présent depuis son enfance, qu’elle documentait par la production d’un certificat médical établi le 18 décembre 2023 par le Docteur B______, psychiatre-psychothérapeute. Elle produisait également un certificat médical de la Docteure C______ du 24 juin 2024, indiquant avoir suivi l’intéressée du 4 décembre 2023 au 14 mars 2024, précisant que celle-ci n’était plus sous traitement médicamenteux depuis le 21 mars 2024, ce qui pouvait avoir un impact sur ses tâches « scolaires » et pourrait justifier ses résultats d’examens.
L’étudiante exposait également avoir subi un choc à l’annonce du décès d’un proche quelques jours avant les examens de mai 2024.
e. Par décision du 3 septembre 2024, le doyen de la faculté de médecine a rejeté l’opposition. Il n’était pas insensible aux difficultés décrites par l’étudiante, mais par « équité » entre tous les étudiants, il était tenu d’appliquer le règlement d’études « à la lettre ».
B. a. Par acte expédié le 3 octobre 2024 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a recouru contre cette décision
Elle avait dû interrompre son suivi auprès de la Dre C______ le 21 mars 2024, car celle-ci annulait souvent leurs rendez-vous. Elle avait été très stressée et n’avait pu trouver un nouveau psychiatre, le Docteur D______, que le 5 juin 2024. Entretemps, ses symptômes étaient revenus. Elle avait renoncé à demander un allégement pour ses études, en raison de la politique restrictive de l’université qui n’accordait pas d’allégement aux étudiants en médecine, dès lors que c’était « un concours ». Ce n’était que depuis l’année universitaire 2024-2025 qu’un allégement était également accessible aux étudiantes en médecine.
Le 19 mai 2024, elle avait appris le décès de sa tante, âgée de 55 ans, des suites d’un lupus. Souffrant elle-même de cette maladie, l’annonce de ce décès avait constitué un choc émotionnel, dont elle n’avait pas immédiatement mesuré l’ampleur. Ce n’était qu’avec le suivi du Dr D______ qu’elle avait pris conscience de l’impact émotionnel de cet évènement et de son lien avec ses performances académiques. Depuis qu’elle était à nouveau suivie, son état de santé s’était considérablement amélioré.
Selon le certificat médical du Dr D______ du 16 septembre 2024, sa patiente avait évoqué, lors de leur entretien du 5 juin 2024, le décès de sa tante qui avait généré une importante détresse émotionnelle. L’absence de traitement depuis deux mois, combiné à cet état de fragilité mentale, avait accentué ses difficultés à se concentrer et à prendre des décisions éclairées et avait affecté sa capacité à évaluer les conséquences de ces événements sur sa vie quotidienne. Le certificat médical de la Dre C______ du 20 septembre 2024 fait également état du TDAH, diagnostiqué en décembre 2023. L’absence de suivi et de traitement médicamenteux après le 21 mars 2024 avait compromis les résultats « scolaires » de la patiente. L’Hôpital de la Tour a attesté suivre celle-ci depuis son enfance pour un lupus. Le Dr B______ a, dans son rapport du 18 décembre 2023, confirmé le diagnostiqué de TDAH, présent depuis l’enfance.
b. L’université a conclu au rejet du recours.
Les conditions permettant de retenir l’existence de circonstances exceptionnelles justifiant d’annuler la décision d’élimination n’étaient pas remplies. La recourante connaissait son TDAH bien avant les examens de mai 2024. Elle n’avait pas sollicité de mesures d’aménagement qui étaient à sa disposition durant l’année académique 2023-2024. Enfin, alors que le décès allégué de sa tante avait eu lieu le 19 mai 2024, la recourante n’avait fait état d’effets perturbateurs y relatifs que le 5 juillet 2024, dans son opposition, alors qu’elle consultait le Dr D______ depuis le 5 juin 2024.
c. Dans sa réplique, la recourante a relevé que la reconnaissance d’un besoin spécifique ne signifiait pas la capacité d’identifier tous les besoins connexes et d’agir de manière exhaustive. Même si elle avait su entreprendre la démarche pour obtenir un suivi psychiatrique en mars 2024, cela ne signifiait pas pour autant qu’elle pouvait gérer tous les aspects liés à son affection.
Il était coûteux et chronophage d’obtenir un certificat de décès en Angola, lieu du décès de sa tante. Le TDAH l’avait empêchée de s’engager dans les démarches nécessaires « à ce moment-là ». Elle produisait le message du délégué étudiant qui avait indiqué qu’il n’y avait pas d’aménagements possibles pour les étudiants de première année en médecine. La médication réintroduite le 5 juin 2024 avait mis du temps à produire ses effets, de sorte que ce n’était que le 5 juillet 2024 qu’elle avait pris la mesure de ses difficultés d’organisation et de gestion des priorités.
d. Sur ce, les parties ont été informés que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. La recourante ne conteste pas que la note de 2.5 justifie son élimination du programme d’études en médecine humanitaire. Elle conteste, en revanche, qu’elle ne remplit pas les conditions d’une situation exceptionnelle permettant de revenir sur la décision d’élimination.
2.1 À teneur de l'art. 58 al. 3 du statut de l'université, entré en vigueur le 24 juillet 2011 (ci-après : statut), l'étudiante qui échoue à un examen ou à une session d'examens auxquels elle ne peut plus se présenter en vertu du règlement d'études est éliminée (let. a). La décision d'élimination est prise par le doyen de l'unité principale d'enseignement et de recherche, lequel tient compte des situations exceptionnelles (art. 58 al. 4 du statut).
2.2 Selon la jurisprudence, l'admission d'une situation exceptionnelle au sens de cette disposition doit se faire avec restriction. Il en va de l'égalité de traitement entre tous les étudiants s'agissant du nombre de tentatives qu'ils sont autorisés à effectuer pour réussir leurs examens. N'est ainsi exceptionnelle que la situation particulièrement grave et difficile pour l'étudiant, tant d'un point de vue subjectif qu'objectif. Les effets perturbateurs doivent avoir été dûment prouvés par l'étudiant et être en lien de causalité avec l'événement. Les autorités facultaires disposent dans ce cadre d'un large pouvoir d'appréciation, dont l'autorité de recours ne censure que l'abus. La chambre de céans n'annule donc le prononcé attaqué que si l'autorité intimée s'est laissée guider par des motifs sans rapport avec l'examen ou d'une autre manière manifestement insoutenable (ATF 136 I 229 consid. 6.2 ; ATA/768/2024 du 25 juin 2024 consid. 3 ; ATA/185/2023 du 28 février 2023 consid. 4.1 ; ATA/128/2023 du 7 février 2023 consid. 2.2).
2.3 Ont été considérées comme des situations exceptionnelles le décès d'un proche s'il est établi qu'il a causé un effet perturbateur en lien de causalité avec l'échec de l'étudiant, de graves problèmes de santé ou encore l'éclatement d'une guerre civile avec de très graves répercussions sur la famille de l'étudiant. En revanche, des difficultés financières, économiques ou familiales ainsi que l'obligation d'exercer une activité lucrative en sus des études ne constituent pas des circonstances exceptionnelles, même si elles représentent une contrainte. Ces difficultés sont certes regrettables, mais font partie d'une réalité commune à de très nombreux étudiants (ATA/768/2024 précité consid. 3.6 ; ATA/185/2023 précité consid. 4.1 ; ATA/128/2023 précité consid. 2.2.1 ; ATA/250/2020 du 3 mars 2020 consid. 4b).
2.4 Les candidats qui ne se sentent pas aptes, pour des raisons de santé, à se présenter à un examen doivent l’annoncer avant le début de celui-ci. À défaut, l’étudiant accepte le risque de se présenter dans un état déficient qui ne peut justifier par la suite l’annulation des résultats obtenus. Un motif d'empêchement ne peut, en principe, être invoqué par le candidat qu'avant ou pendant l'examen (ATA/345/2020 du 7 avril 2020 consid. 7b ; ATA/250/2020 du 3 mars 2020 consid. 4c ; ATA/192/2020 du 18 février 2020).
Des exceptions au principe évoqué ci-dessus permettant de prendre en compte un certificat médical présenté après l'examen ne peuvent être admises que si cinq conditions sont cumulativement remplies : la maladie n'apparaît qu'au moment de l'examen, sans qu'il ait été constaté de symptômes auparavant, le candidat à l'examen acceptant, dans le cas contraire, un risque de se présenter dans un état déficient ne saurait justifier après coup l'annulation des résultats d'examens ; aucun symptôme n'est visible durant l'examen ; le candidat consulte un médecin immédiatement après l'examen ; le médecin constate immédiatement une maladie grave et soudaine qui, malgré l'absence de symptômes visibles, permet à l'évidence de conclure à l'existence d'un rapport de causalité avec l'échec à l'examen ; l'échec doit avoir une influence sur la réussite ou non de la session d'examens dans son ensemble (ATA/192/2020 du 18 février 2020 consid. 15c et les références citées).
2.5 L’art. 5 al. 3 Cst. oblige les organes de l’État et les particuliers à agir de manière conforme aux règles de la bonne foi. L’art. 9 Cst. confère à toute personne le droit d’être traitée par les organes de l’État sans arbitraire et conformément aux règles de la bonne foi (ATF 143 V 95 consid. 3.6.2 ; 137 II 182 consid. 3.6.2). Le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités, lorsqu’il a réglé sa conduite d’après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l’administration, lorsque l'autorité a agi dans le cadre et dans les limites de sa compétence et que la personne concernée n'était pas en mesure de se rendre compte immédiatement de l'inexactitude du renseignement fourni (ATF 146 I 105 consid. 5.1.1 ; 143 V 341 consid. 5.2.1).
2.6 En l’espèce, il convient, en premier lieu, de relever qu’aucune restriction du type que celle alléguée par la recourante ne s’opposait à ce qu’elle sollicite en cours d’études auprès du service santé des étudiants des aménagements en raison de son trouble de TDAH. Si, certes, le délégué des étudiants a mal informé la recourante à cet égard, elle n’était pas fondée à se fier à ce renseignement. En effet, seul le service santé des étudiants était habilité à statuer sur la question de savoir si la recourante pouvait bénéficier d’aménagements particuliers en raison de son état de santé. Il ne fait aucun doute que la recourante pouvait et devait se rendre compte que l’information partagée par le délégué précité n’engageait pas l’autorité compétente pour se prononcer à cet égard.
Par ailleurs, la recourante se savait atteinte dans sa santé lorsqu’elle s’est présentée aux examens de mai 2024. En effet, elle a indiqué avoir mis un terme à son suivi médical en mars 2024 et qu’ensuite ses symptômes étaient réapparus jusqu’au moment où elle avait trouvé un nouveau médecin, le 5 juin 2024. Dans ces circonstances, elle doit se laisser opposer le fait qu’elle s’est présentée aux examens en sachant son état de santé défaillant.
Certes, le décès d’un proche est susceptible d’avoir un effet perturbateur pouvant constituer une circonstance exceptionnelle au sens de l’art. 58 du statut. La recourante n’a cependant fourni aucune explication – hormis le fait que sa tante souffrait de la même maladie qu’elle – permettant de rendre vraisemblable une relation particulièrement proche avec sa tante, qui vivait en Angola, de sorte que le décès de celle-ci ait pu avoir un effet perturbateur en lien de causalité avec son échec. En outre, elle n’a fait état du décès de sa tante qu’après avoir reçu les résultats de ses examens, dans son opposition.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, même appréciés conjointement, l’autorité intimée n’a ni violé la loi ni abusé de son pouvoir d’appréciation en refusant d’admettre l’existence d’une situation exceptionnelle au sens de l’art. 58 du statut.
Mal fondé, le recours sera rejeté.
3. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge de la recourante, qui ne peut se voir allouer d’indemnité de procédure (art. 87 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 3 octobre 2024 par A______ contre la décision de l’Université de Genève du 3 septembre 2024 ;
au fond :
le rejette ;
met un émolument de CHF 400.- à la charge de A______ ;
dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;
- par la voie du recours en matière de droit public ;
- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, s'il porte sur le résultat d'examens ou d'autres évaluations des capacités, en matière de scolarité obligatoire, de formation ultérieure ou d'exercice d'une profession (art. 83 let. t LTF) ;
le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à l'Université de Genève.
Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.
Au nom de la chambre administrative :
| la greffière-juriste :
D. WERFFELI-BASTIANELLI
|
| la présidente siégeant :
F. KRAUSKOPF |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
| Genève, le
|
| la greffière :
|