Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/424/2025 du 15.04.2025 ( FORMA ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/373/2025-FORMA ATA/424/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 15 avril 2025 1ère section |
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dans la cause
A______ recourante
représentée par Me Stéphane GROSSIN, avocat
contre
UNIVERSITÉ DE GENÈVE intimée
A. a. A______, née le ______ 1973, mère d’un enfant né le ______ 2010, s’est immatriculée pour l’année académique 2022-2023 au baccalauréat en relations internationales (ci-après : BARI) dispensé par le Global Studies Institut (ci-après : GSI) de l’Université de Genève.
b. Fin novembre 2022, l’étudiante a demandé à pouvoir reporter d’une année la poursuite de ses études pour des raisons personnelles, ce que l’université a accepté.
c. Elle a repris son cursus à la rentrée de septembre 2023 et a présenté six évaluations à la session d’examens en janvier/février 2024. Un seul résultat était suffisant, lui permettant de valider six crédits ECTS.
d. Le 23 avril 2024, l’étudiante a sollicité un congé pour le semestre en cours. Elle souhaitait recommencer son cursus l’année suivante, en refaisant les deux premiers semestres durant l’année académique 2024-2025. Sa demande était motivée par des difficultés d’ordre personnel, qu’elle rencontrait parallèlement depuis le début de ses études (charge familiale importante, retard d’exécution de travaux à son domicile, aménagement, problèmes administratifs ainsi que d’ordre relationnel dans son couple).
L’université a refusé, les demandes de congés devant être présentées avant le début du semestre concerné. Au surplus, les circonstances invoquées ne remplissaient pas les conditions d’un cas de force majeure.
e. Lors de la session d’examens de mai/juin 2024, l’étudiante a validé deux évaluations sur les sept examens passés, acquérant ainsi neuf crédits ECTS supplémentaires.
f. Lors de la session d’août/septembre 2024, elle a échoué aux quatre examens auxquels elle s’était inscrite.
g. Par décision du 13 septembre 2024 du GSI, A______ a été éliminée du BARI. Elle ne remplissait ni les conditions de réussite de la première partie de son cursus, ni celles du redoublement, n’ayant pas obtenu 30 crédits ECTS.
h. Dans son opposition à cette décision, elle n’a pas contesté les notes obtenues ni l’insuffisance des crédits. Elle a invoqué sa méconnaissance des dispositions régissant son cursus ainsi que des difficultés personnelles et familiales (obligations familiales, retard dans l’exécution de travaux à son domicile, problèmes de santé de son époux). Elle sollicitait une dérogation tendant à ce qu’il soit exceptionnellement revenu sur la décision d’élimination.
i. Par décision du 12 décembre 2024, l’université a rejeté l’opposition. Elle ne remplissait pas les conditions des circonstances exceptionnelles prévues par l’art. 58 du statut de l’Université du 22 juin 2011 (ci-après : statut).
B. a. Par acte expédié le 3 février 2025, A______ a recouru devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision sur opposition. Elle a conclu à son annulation et à ce qu’il soit ordonné à l’université de l’immatriculer à nouveau, de l’autoriser à redoubler « sa première partie » et à ce qu’il soit dérogé à la durée maximale des études de première partie en lui accordant un total de six semestres en lieu et place de quatre. Préalablement, elle devait être entendue.
Elle ne contestait pas ne pas avoir obtenu 30 crédits ECTS à l’issue de ses deux premiers semestres d’études.
Les circonstances exceptionnelles de son quotidien justifiaient toutefois l’annulation de son élimination.
Âgée de 51 ans et mère d’un adolescent de 14 ans, elle avait nourri le projet de travailler dans la lutte contre la corruption à l’échelle mondiale. À force de longs mois d’études et de sacrifices, elle avait passé avec succès deux examens d’admission lui permettant d’intégrer le BARI.
Elle avait ajourné sa rentrée universitaire à septembre 2023 afin de suivre l’évolution de travaux à son domicile, prévus d’octobre 2022 à la fin juillet 2023. En raison de retards ou de mauvaise exécution par les artisans, les travaux s’étaient poursuivis jusqu’à mi-octobre 2023 et étaient demeurés inachevés. Ces retards, voire malfaçons, l’avaient affectée, étant précisé qu’elle était l’interlocutrice principale des corps de métiers et que d’autres artisans avaient dû intervenir depuis octobre 2023 aux fins de combler le retard accumulé. L’aménagement dans la maison n’avait eu lieu qu’à la période de Noël 2023, en pleine préparation de la session d’examens de janvier 2024, ce qui l’avait encore plus déstabilisée.
Des charges familiales extrêmement lourdes, voire écrasantes, s’y étaient ajoutées puisqu’elle assumait seule l’éducation et la prise en charge de son fils mineur.
Ces circonstances avaient eu un impact considérable sur son bien-être et sur sa capacité de concentration. Elle avait été empêchée d’étudier convenablement et a fortiori de se présenter dans de bonnes conditions à la session d’examens de janvier/février 2024. Il ne faisait nul doute que l’effet perturbateur de ces événements avait un lien de causalité avec l’échec de quatre examens sur cinq lors de ladite session.
Elle avait sollicité l’octroi d’un congé afin de reprendre ses études en septembre 2024, une fois ces difficultés aplanies. Celui-ci avait été refusé. Elle avait alors constaté qu’elle n’avait pas été suffisamment informée, avant le début de ses études, de la possibilité de solliciter un congé, voire de rallonger la durée maximale de celles-ci.
En parallèle, la maladie de son époux lui avait causé anxiété et détresse. Il souffrait d’une multitude de symptômes tels que des quintes de toux nocturnes très importantes, une grande fatigue, des maux de dos et d’épaule ainsi que des difficultés à marcher. Durant les sept mois, neuf consultations médicales avaient été effectuées, sans possibilité d’obtenir un diagnostic clair ni un traitement. Son mari avait passé un scanner thoracique dont le compte rendu indiquait qu’il souffrait d’un « discret emphysème centrolobulaire ». L’absence de diagnostic ou de traitement et les souffrances de son mari avaient entraîné un effet violent et de vives répercussions sur son état psychique, celle-ci craignant une maladie incurable telle qu’un cancer. Cette situation avait ainsi eu de fortes répercussions sur sa capacité de concentration.
Ces circonstances s’étaient produites tout au long du semestre de printemps 2024 et avaient perturbé les sessions d’examens de juin et août 2024.
Les conditions de l’art. 58 du statut étaient donc remplies.
b. L’Université a conclu au rejet du recours.
c. Dans sa réplique, la recourante a persisté dans ses conclusions et renouvelé sa demande d’audition, indispensable pour lui permettre d’exprimer de vive voix les difficultés quotidiennes qu’elle avait éprouvées et les répercussions que cela avait entraîné sur la conduite de ses études.
d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10 ; art. 43 al. 2 de la loi sur l'université du 13 juin 2018 - LU - C 1 30 ; art. 36 du règlement relatif à la procédure d'opposition au sein de l'université du 16 mars 2009 - RIO-UNIGE).
2. Le litige porte sur l’élimination de la recourante du BARI.
3. La recourante conclut à la convocation d’une audience.
3.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes et d’obtenir qu’il y soit donné suite (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1). Ce droit n’empêche pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves et de procéder à leur appréciation anticipée s’il acquiert la certitude qu’elles ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1). En outre, il n’implique pas le droit d’être entendu oralement, ni celui d’obtenir l’audition de témoins (art. 41 LPA ; ATF 140 I 285 consid. 6.3.1).
3.2 En l’espèce, la recourante sollicite son audition pour mieux détailler les difficultés qu’elle a rencontrées. Elle a toutefois pu exposer son point de vue et ses arguments, y compris produire les pièces qu’elle jugeait utiles, dans son recours. Elle n’a pas souhaité répliquer dans le délai qui lui avait été imparti. Dans ces conditions, il ne sera pas donné suite à sa demande d’audition qui n’apparaît pas nécessaire étant rappelé qu’elle n’a pas de droit à être entendue oralement.
4. Le programme d’études du BARI se divise en deux parties (art. 10 al. 2 du règlement d’études du BARI du 18 septembre 2023 : ci-après : RE).
4.1 La première partie correspond aux deux premiers semestres et permet d’acquérir 60 crédits ECTS (art. 10 al. 3 RE). Elle peut s’étendre jusqu’à quatre semestres au maximum (art. 11 al. 2 RE). Une dérogation à la durée des études de la première partie peut être prononcée par la directrice qui apprécie les motifs invoqués (tels que maladie, maternité, service militaire, activité professionnelle importante, charges de famille lourdes, octroi d’équivalences) dans la demande écrite de l’étudiant-e. Ladite demande doit être présentée au plus tard un semestre avant la fin du délai concerné, sauf cas de force majeure (art. 11 al. 3 RE).
La première partie est réussie si l’étudiant-e obtient, conformément au plan d’études, une moyenne égale ou supérieure à 4.00 sur l’ensemble des évaluations de la première partie (60 crédits ECTS) et aucun « non » (art. 19 a. 1 RE).
L’étudiant-e qui ne remplit pas les conditions de réussite de la première partie après la session extraordinaire de sa première année d’études, peut redoubler pour autant qu’il ait acquis un minimum de 30 crédits ECTS (art. 20 al. 1 RE).
Subit un échec définitif en BARI et est éliminé du GSI, notamment, l’étudiant-e qui n’a pas obtenu au moins 30 crédits ECTS de la première partie au plus tard à l’issue de la session extraordinaire qui suit les deux premiers semestres d’études (art. 21 al. 1 let. a RE).
4.2 En l'espèce, à l’échéance de l’année 2023/2024, la recourante n’a pas obtenu 30 crédits ECTS, ce qu’elle ne conteste pas. Elle ne remplissait en conséquence ni les critères de réussite (art. 19 al. 1 RE), ni ceux de redoublement (art. 20 al. 1 RE). Le prononcé de son élimination est dès lors fondé conformément à l’art. 21 al. 1 let. a RE.
5. La recourante sollicite une dérogation fondée sur des circonstances exceptionnelles.
5.1 L'art. 58 al. 4 du statut prévoit la prise en compte des situations exceptionnelles lors d'une décision d'élimination.
L'admission d'une situation exceptionnelle doit se faire avec restriction. Il en va de l'égalité de traitement entre tous les étudiants s'agissant du nombre de tentatives qu'ils sont autorisés à effectuer pour réussir leurs examens.
5.1.1 N'est ainsi exceptionnelle que la situation particulièrement grave et difficile pour l'étudiant, ce tant d'un point de vue subjectif qu'objectif. Les effets perturbateurs doivent avoir été dûment prouvés par l'étudiant et être en lien de causalité avec l'événement. Les autorités facultaires disposent dans ce cadre d'un large pouvoir d'appréciation, dont l'autorité de recours ne censure que l'abus (ATF 136 I 229 consid. 6.2 ; 131 I 467 consid. 3.1 ; ATA/427/2022 du 26 avril 2022 consid. 3b ; ATA/281/2021 du 3 mars 2021 consid. 3b).
5.1.2 Ont ainsi été considérées comme des situations exceptionnelles le décès d'un proche s'il est établi qu'il a causé un effet perturbateur en lien de causalité avec l'échec de l'étudiant, de graves problèmes de santé ou encore l'éclatement d'une guerre civile avec de très graves répercussions sur la famille de l'étudiant. En revanche, des difficultés financières, économiques ou familiales ainsi que l'obligation d'exercer une activité lucrative en sus des études ne constituent pas des circonstances exceptionnelles, même si elles représentent une contrainte. Ces difficultés sont certes regrettables, mais font partie d'une réalité commune à de très nombreux étudiants (ATA/281/2021 précité ; ATA/459/2020 du 7 mai 2020 consid. 5b ; ATA/250/2020 du 3 mars 2020 consid. 4b et les références citées).
5.2 Les candidats qui ne se sentent pas aptes, pour des raisons de santé, à se présenter à un examen doivent l’annoncer avant le début de celui-ci. À défaut, l’étudiant accepte le risque de se présenter dans un état déficient qui ne peut justifier par la suite l’annulation des résultats obtenus. Un motif d'empêchement ne peut, en principe, être invoqué par le candidat qu'avant ou pendant l'examen (ATA/128/2023 du 7 février 2023 consid. 2.2.1 ; ATA/345/2020 du 7 avril 2020 consid. 7b).
5.3 En l'espèce, il convient d'examiner si des circonstances exceptionnelles au sens de l’art. 58 al. 4 du statut justifient d’autoriser la recourante à pouvoir réintégrer le BARI.
La recourante invoque plusieurs motifs. Au vu de la jurisprudence, les difficultés rencontrées dans l’exécution des différents travaux de sa maison et le temps consacré aux négociations avec les artisans ne peuvent pas être retenus comme des circonstances exceptionnelles au sens de l’art. 58 du statut.
L’éducation, par un seul parent, d’un adolescent et les difficultés familiales évoquées par la recourante ne sont pas des circonstances exceptionnelles, même si elles représentent une contrainte.
Enfin, l’état de santé de son époux, les préoccupations que son état peut engendrer chez ses proches et les contraintes de neuf rendez-vous médicaux dans un espace de sept mois n’ont pas non plus le caractère exceptionnel exigé par la disposition statutaire précitée.
La recourante a participé aux différentes sessions. Or, un candidat qui ne se sent pas apte, pour des raisons de santé, doit l’annoncer avant le début d’un examen. À défaut, il accepte le risque de se présenter dans un état déficient qui ne peut justifier par la suite l’annulation des résultats obtenus.
La gravité des difficultés évoquées, celles de leurs effets sur la recourante, ainsi que le lien avec les résultats de l’intéressée ne sont dès lors pas établis, même à les prendre en considération dans leur ensemble et à les cumuler.
La recourante se plaint d’avoir été mal informée. Toutefois, à teneur de la jurisprudence, il appartient aux étudiants d’organiser leurs études conformément au règlement d’études applicable, de prendre connaissance des règles gouvernant leurs études et d’organiser leur temps et leurs activités ou de prendre les dispositions qui s’imposent aux fins de se conformer à ces règles (ATA/1118/2024 du 24 septembre 2024 consid. 2.3 et les références citées).
L’autorité intimée a tenu compte de toutes ces difficultés et s’est fondée sur des éléments pertinents. Au bénéfice d’un large pouvoir d’appréciation, l’autorité intimée n’a pas abusé de celui-ci ni violé le droit en considérant que les conditions de l’art. 58 du statut n’étaient pas remplies.
Mal fondé, le recours sera rejeté.
6. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge de la recourante, qui n’indique pas être exonérée des taxes universitaires (art. 87 al. 1 LPA et 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Succombant, elle ne peut se voir allouer une indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).
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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 3 février 2025 par A______ contre la décision de l’Université de Genève du 12 décembre 2024 ;
au fond :
le rejette ;
met un émolument de CHF 400.- à la charge de A______ ;
dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;
- par la voie du recours en matière de droit public ;
- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, s'il porte sur le résultat d'examens ou d'autres évaluations des capacités, en matière de scolarité obligatoire, de formation ultérieure ou d'exercice d'une profession (art. 83 let. t LTF) ;
le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, av. du Tribunal-Fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à Me Stéphane GROSSIN, avocat de la recourante, ainsi qu'à l'Université de Genève.
Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Patrick CHENAUX, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière-juriste :
M. RODRIGUEZ ELLWANGER
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| la présidente siégeant :
F. PAYOT ZEN-RUFFINEN |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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