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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4181/2024

ATA/369/2025 du 01.04.2025 ( AIDSO ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4181/2024-AIDSO ATA/369/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 1er avril 2025

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante

contre

HOSPICE GÉNÉRAL intimé



EN FAIT

A. a. A______ est au bénéfice des prestations de l’Hospice général (ci-après : hospice) depuis de nombreuses années. Pour la seule période allant du 1er février 2018 au 31 janvier 2025, elle a perçu des prestations d’aide financière pour un total de CHF 212'830.70.

b. Elle a signé, à de nombreuses reprises, le document « Mon engagement en demandant une aide financière à l’Hospice général » (ci-après : « Mon engagement »), confirmant avoir pris acte de la subsidiarité des prestations d’aide financière versées par l’hospice à toute autre ressource, de devoir, notamment, donner immédiatement et spontanément à l’hospice tout renseignement et toute pièce nécessaire à l’établissement de sa situation économique, devoir informer immédiatement et spontanément l’hospice de tout fait nouveau de nature à entraîner la modification du montant de ses prestations d’aide financière et devoir rembourser à l’hospice toute prestation exigible perçue indûment.

c. Elle ne s’est pas présentée au rendez-vous du 4 mars 2020 avec ce service, car elle se trouvait depuis le 29 janvier 2020 chez sa mère en Égypte.

d. Compte tenu de la pandémie, le rendez-vous suivant, du 20 mars 2020, s’est déroulé par téléphone.

e. Lors des entretiens téléphoniques des 29 avril 2020 et 16 juin 2020, l’assistante sociale a rassuré la bénéficiaire qui s’inquiétait que son absence de Suisse puisse engendrer la perte de son droit à l’aide sociale que tel n’était pas le cas, compte tenu du caractère exceptionnel de la situation liée à la pandémie. Elle a cependant attiré son attention sur la nécessité de revenir le plus rapidement possible à Genève.

f. A______ n’est revenue d’Égypte qu’en juin 2020.

g. Son suivi par l’hospice s’est poursuivi.

h. Il ressort d’un « contrôle terrain » effectué par le service des enquêtes et conformité (ci-après : SEC) de l’hospice que lors des passages des 16, 22 et 26 novembre 2021 à son domicile, elle n’avait pas répondu, qu’elle ne s’était pas présentée ni excusée à la convocation du 2 décembre 2021 que le SEC avait posée dans sa boîte aux lettres, ni à la nouvelle convocation du 15 décembre 2021.

i. Un nouveau rapport du SEC du 29 septembre 2022 a retenu que le 29 juin 2022, A______ avait expliqué au contrôleur qu’elle se rendait régulièrement dans son pays d’origine pour rendre visite à sa mère malade. Selon le passeport qu’elle avait présenté, elle avait séjourné en Égypte du 29 janvier au 15 juin 2020, du 15 août au 28 novembre 2020, du 10 août au 4 décembre 2021 et du 5 au 25 juin 2022. En outre, elle avait été absente lors des passages à son domicile les 20 juin, 26 août et 7 septembre 2022. Le 21 septembre 2022, le contrôleur l’avait rencontrée « à l’étage ». A______ avait aussi expliqué qu’elle était soutenue financièrement par sa fille et une amie aisée, l’aide s’élevant à environ CHF 1'000.- par mois.

j. Interpellée par son assistante sociale sur les éléments ressortant du rapport, l’intéressée a expliqué qu’elle s’était déplacée en Égypte pour s’occuper de sa mère. Lorsque l’assistante sociale lui avait dit que les bénéficiaires de l’hospice ne pouvaient pas s’absenter plus de quatre semaines par année, A______ avait été étonnée.

k. Le 14 février 2023, cette dernière a produit un certificat médical du professeur B______ du 1er février 2023 indiquant que la mère de la bénéficiaire souffrait depuis 2007 d’une maladie rhumatismale avec déficience visuelle et était alitée depuis 2020, avec un besoin d’assistance continue. A______ a précisé qu’elle s’était rendue, en toute urgence et de bonne foi, en Égypte pour s’occuper de sa mère, soulignant que son séjour était intervenu en pleine pandémie et que le marché du travail était alors en crise.

l. Par décision du 28 avril 2023, l’hospice a réclamé à A______ la restitution des prestations versées durant ses périodes d’absence non annoncées, à savoir du 1er mars au 30 juin 2020, du 1er septembre au 30 novembre 2020 et du 1er septembre au 30 novembre 2021. Le montant était de CHF 25'682.05.

m. Par décision sur réclamation du 15 novembre 2024, le montant réclamé a été ramené à CHF 15'145.55, compte tenu de la situation liée à la pandémie lors de la première période d’absence et de celle de quatre semaines par année, qui était tolérée.

B. a. Par acte déposé le 16 décembre 2024 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a déclaré recourir contre la décision précitée.

Elle n’avait pas eu l’intention de violer la loi. L’objectif de ses voyages en Égypte était de prendre soin de sa mère. Elle-même était incapable « de supporter psychologiquement le moindre fardeau ». Personne ne l’avait informée de la nécessité d’annoncer ses absences. Elle avait été victime de sa propre ignorance. Elle demandait que sa situation soit examinée avec bienveillance.

b. L’hospice a conclu au rejet du recours.

c. Dans sa réplique, la recourante a souligné sa reconnaissance envers l’aide que l’hospice lui avait apportée durant ces nombreuses années. Elle n’avait pas intentionnellement enfreint la loi. Il ne lui serait jamais venu à l’esprit de le faire, sachant qu’elle perdrait alors l’aide dont elle avait besoin pour payer son loyer et ses frais médicaux. Le seul motif de ses déplacements en Égypte était d’apporter de l’aide à sa mère, dont elle produisait des photographies, montrant celle-ci, courbée, se déplaçant avec un déambulateur.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             La recourante conteste avoir violé son devoir de renseigner l’hospice, se défendant de sa bonne foi.

2.1 Le 1er janvier 2025 sont entrés en vigueur la loi sur l’aide sociale et la lutte contre la précarité du 23 juin 2023 (LASLP - J 4 04) et son règlement d’application (RASLP - J 4 04.01), abrogeant la loi sur l’insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 (LIASI - J 4 04), et son règlement d’application (RIASI - J 4 04.01).

2.2 La LASLP s’applique dès son entrée en vigueur à toutes les personnes bénéficiant des prestations prévues par la LIASI (art. 81 al. 1 LASLP). Les art. 48 à 54 LASLP s’appliquent aux prestations d’aide financière versées en application de l’ancienne loi, dans la mesure où elles auraient donné lieu à restitution selon cette loi et si l’action en restitution n’est pas prescrite au moment de l’abrogation de ladite loi (art. 81 al. 2 LASLP).

2.3 La chambre administrative a retenu que les demandes déposées avant le 1er janvier 2025 étaient régies par l’ancien droit (ATA/137/2025 du 4 février 2025 consid. 3.1 et les arrêts cités) et qu’il en allait de même des demandes de remboursement rendues avant l’entrée en vigueur du nouveau droit (ATA/180/2025 du 18 février 2025 consid. 2.1). L’ancien droit s’applique donc en l’espèce.

2.4 La LIASI a pour but de prévenir l’exclusion sociale et d’aider les personnes qui en souffrent à se réinsérer dans un environnement social et professionnel (art. 1 al. 1). Elle vise à garantir à ceux qui se trouvent dans la détresse matérielle et morale des conditions d’existence conformes à la dignité humaine (art. 1 al. 2 phr. 2). Avec le règlement d’exécution de la LIASI du 25 juillet 2007 (RIASI - J 4 04.01), elle concrétise les art. 12 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 39 al. 1 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00 ; ATA/256/2020 du 3 mars 2020 consid. 4b).

2.5 Ses prestations sont fournies notamment sous forme de prestations financières (art. 2 let. b LIASI), qui sont subsidiaires à toute autre source de revenu (art. 9 al. 1 LIASI). Les prestations d’aide financière sont accordées aux personnes dont le revenu mensuel déterminant n’atteint pas le montant destiné à la couverture des besoins de base et dont la fortune ne dépasse pas les limites fixées par règlement du Conseil d’État (art. 21 al. 1 LIASI).

2.6 Selon l’art. 32 al. 1 LIASI, le demandeur doit fournir gratuitement tous les renseignements nécessaires pour établir son droit et fixer le montant des prestations d’aide financière. Le bénéficiaire doit immédiatement déclarer à l’hospice tout fait nouveau de nature à entraîner la modification du montant des prestations d’aide financière qui lui sont allouées ou leur suppression (art. 33 al. 1 LIASI).

Le document intitulé « Mon engagement » concrétise l’obligation de collaborer et de renseignement. Le bénéficiaire doit immédiatement déclarer à l’hospice tout fait nouveau de nature à entraîner la modification du montant des prestations d’aide financière qui lui sont allouées ou leur suppression (art. 33 al. 1 LIASI ; ATA/595/2024 du 14 mai 2024 consid. 3.3 ; ATA/1304/2021 du 30 novembre 2021 consid. 3a ; ATA/93/2020 du 28 janvier 2020 consid. 3a).

L’engagement écrit du bénéficiaire de l’aide sociale comprend l’obligation de signaler tout départ, absence de Genève ou voyage à l’étranger (ATA/1310/2023 du 5 décembre 2023 consid. 2.6 ; ATA/1090/2022 du 1er novembre 2022 consid. 3 ; ATA/437/2022 du 26 avril 2022 consid. 2d).

2.7 Toute prestation perçue indûment, soit touchée sans droit, peut faire l’objet d’une demande de remboursement (art. 36 al. 1 LIASI). Le remboursement peut être exigé du bénéficiaire d’aides financières s’il a agi par négligence ou fautivement, ou encore s’il n’est pas de bonne foi (art. 36 al. 2 et 3 LIASI).

De jurisprudence constante, toute prestation obtenue en violation de l’obligation de renseigner l’hospice est une prestation perçue indûment (ATA/225/2025 du 4 mars 2025 consid. 2.7 ; ATA/694/2024 du 10 juin 2024 consid. 2.5 ; ATA/375/2022 du 5 avril 2022 consid. 3h ; ATA/336/2020 du 7 avril 2020 consid. 6b).

2.8 Les bénéficiaires des prestations d’assistance sont tenus de se conformer au principe de la bonne foi dans leurs relations avec l’administration, notamment en ce qui concerne l’obligation de renseigner prévue par la loi, sous peine d’abus de droit. Si le bénéficiaire n’agit pas de bonne foi, son attitude doit être sanctionnée et les décisions qu’il a obtenues en sa faveur peuvent être révoquées en principe en tout temps (ATA/336/2020 précité consid. 6b ; ATA/1083/2016 du 20 décembre 2016 consid. 12b ; ATA/35/2005 du 25 janvier 2005 consid. 4).

Celui qui a encaissé des prestations pécuniaires obtenues en violation de son obligation de renseigner est tenu de les rembourser selon les modalités prévues par la LIASI qui concrétisent tant le principe général de la répétition de l’enrichissement illégitime que celui de la révocation, avec effet rétroactif, d’une décision administrative mal fondée, tout en tempérant l’obligation de rembourser en fonction de la faute et de la bonne ou mauvaise foi du bénéficiaire (ATA/93/2020 du 28 janvier 2020 consid. 3c et les références citées).

2.9 Conformément à l’art. 42 al. 1 LIASI, le bénéficiaire de bonne foi n’est tenu au remboursement, total ou partiel, que dans la mesure où il ne serait pas mis, de ce fait, dans une situation difficile. La condition de la bonne foi doit être réalisée dans la période où le bénéficiaire concerné a reçu les prestations indues dont la restitution est exigée (arrêt du Tribunal fédéral 8C_766/2007 du 17 avril 2008 consid. 4).

La bonne foi doit être niée quand l’enrichi pouvait, au moment du versement, s’attendre à son obligation de restituer parce qu’il savait ou devait savoir, en faisant preuve de l’attention requise, que la prestation était indue (art. 3 al. 2 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 - CC - RS 210 ; ATA/1054/2024 du 3 septembre 2024 consid. 4.2 et les références citées).

2.10 En l’espèce, la recourante ne peut être suivie lorsqu’elle soutient avoir, de bonne foi, cru qu’elle n’avait pas à informer l’hospice de ses absences de Suisse. D’une part, elle ne conteste pas avoir signé, à plusieurs reprises, le document « Mon engagement » par lequel elle s’était expressément engagée à signaler à l’hospice toute modification dans sa situation personnelle. Il est manifeste que le fait de s’absenter pendant plusieurs mois de Genève constitue une modification importante de la situation personnelle de la bénéficiaire. D’autre part, cette dernière en avait conscience puisqu’elle s’était inquiétée, lors de son entretien téléphonique le 29 avril 2020 avec son assistante sociale, que son absence de Suisse depuis trois mois pouvait conduire à la cessation de son droit aux prestations, point sur lequel son assistante sociale l’avait rassurée, compte tenu de la situation exceptionnelle liée à la pandémie, tout en attirant son attention sur la nécessité de revenir le plus rapidement possible à Genève.

Contrairement à ce que soutient la recourante, elle savait ainsi qu’il lui appartenait de signaler immédiatement à l’hospice ses séjours en Égypte. Or, bien qu’elle ait encore eu un entretien avec son assistante sociale le 11 août 2020, elle n’a pas non plus annoncé un nouveau départ en Égypte quelques jours plus tard pour une période de plus de trois mois (15 août au 28 novembre 2020) ni le séjour du 10 août au 4 décembre 2021.

Ce faisant, la recourante a gravement violé son devoir de signaler immédiatement toute modification dans sa situation personnelle et ne peut se prévaloir de sa bonne foi. L’hospice était ainsi fondé à lui demander la restitution des montants perçus indûment.

Dans sa décision sur réclamation, l’intimé a réduit ses prétentions, tenant compte du fait que lors de l’absence de quatre mois au début de l’année 2020, la situation liée à la pandémie était exceptionnelle et qu’une absence de quatre semaines chaque année était, dans sa pratique, tolérée. En limitant ainsi sa demande de restitution, l’autorité intimée a également respecté le principe de la proportionnalité.

Au vu de ce qui précède, le recours, mal fondé, sera rejeté.

3.             Vu la nature du litige, il n’est pas perçu d’émolument. La recourante succombant, elle ne peut se voir allouer d’indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 décembre 2024 par A______ contre la décision de l’Hospice général du 15 novembre 2024 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à l'Hospice général.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :