Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/154/2025 du 11.02.2025 ( PRISON ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/3871/2024-PRISON ATA/154/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 11 février 2025 1ère section |
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dans la cause
A______ recourant
contre
PRISON DE CHAMP-DOLLON intimée
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A. a. A______ est incarcéré à la prison de Champ-Dollon depuis le 12 janvier 2024.
b. Le 15 novembre 2024, il a été sanctionné de trois jours de cellule forte pour violence physique exercée sur un détenu, trouble à l’ordre de l’établissement et refus d'obtempérer. La peine a été immédiatement exécutée.
c. Selon le rapport d'incident établi le même jour, à 22h10, A______ avait exprimé son mécontentement suite à l'arrivée d'un codétenu dans sa cellule et avait informé les agents de détention qu'il avait une note provenant "du médical" informant qu'il devait rester seul en cellule. Malgré leurs recherches, aucune note ne confirmait ses dires, de sorte qu'ils lui avaient indiqué qu'il devrait rester dans ces conditions cette nuit. À 22h13, A______ avait appelé les agents de détention pour les informer qu'il y avait eu une altercation et qu'il avait été menacé avec un couteau par le codétenu. Cependant, les deux individus étaient espacés chacun d'un côté de la cellule et aucune marque ou lésion n'était constatée. Ils avaient essayé de rétablir le calme dans la cellule. À 22h16, ils avaient entendu des bruits de lutte et des cris provenant de la cellule et avaient constaté, après ouverture du portillon, que les deux codétenus étaient en train de se battre violemment. Malgré les injonctions d'un des agents, ils avaient continué, de sorte qu'il avait décidé d'appuyer sur l'alarme et de faire usage du spray au poivre.
Il ressort de l'audition de A______ qu'il a reconnu s'être battu mais uniquement pour se défendre.
Il était retenu dans la décision que les détenus avaient refusé d'obtempérer et continué de se battre malgré les injonctions des gardiens et que l'usage du spray au poivre avait dû être utilisé afin de stopper la bagarre.
B. a. Par acte expédié le 19 novembre 2024 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative), A______ a recouru contre cette décision.
À 22h30 environ le 15 novembre 2024, les gardiens avaient fait entrer un détenu violent dans sa cellule qui avait tout d'abord donné un coup de pied dans le lit, ce qui avait clairement été vu par les gardiens. Il leur avait indiqué qu'il était convenu avec le chef d'étage qu'il devait être seul dans sa cellule. À leur départ, le codétenu lui avait indiqué qu'il allait lui « casser le plateau des repas sur la tête » et lui donner des coups de couteau. Il avait immédiatement rappelé le gardien pour l'avertir de ces menaces et au lieu de le sortir, vu le danger que le codétenu représentait, les gardiens avaient ri, n'avaient rien trouvé de mieux que de lui dire de patienter et qu'ils allaient voir ce qu'ils pouvaient faire. Le codétenu l'avait ensuite bloqué vers la fenêtre contre la table en lui ordonnant de ne pas bouger au risque de se faire « manger ». Il avait tenté de se dégager et avait réussi à le pousser contre le mur en se précipitant vers la porte pour appeler les gardiens. À ce moment-là, le codétenu lui avait sauté dessus et avait commencé à lui envoyer des coups de poing au visage. A______ avait réussi à l'attraper par la nuque pour éviter de recevoir trop de coups au visage et les gardiens les avaient aspergés de spray au poivre.
Le comportement du codétenu était inadmissible, il n'aurait pas dû être mis en cellule avec des personnes calmes comme lui. D'ailleurs, en une année de détention provisoire, il n'avait jamais eu de mauvais comportement. Les gardiens auraient dû immédiatement sortir le codétenu après l'avoir menacé de lui donner des coups de couteau. Il avait peur que cette histoire puisse se répéter et mal se finir vu le manque évident de prise de conscience du danger par les gardiens.
b. La direction de la prison a conclu au rejet du recours.
Malgré les recherches effectuées, il n'existait pas de note provenant du secteur médical indiquant que le recourant devrait rester seul en cellule. Lorsqu'il avait appelé les agents de détention depuis sa cellule et indiqué qu'une altercation venait d'avoir lieu entre lui et son codétenu, et que ce dernier l'avait menacé avec un couteau, les agents avaient tenté de rétablir le calme et constaté que les personnes détenues ne présentaient aucune lésion. Peu après, ils avaient entendu des bruits de lutte et des cris provenant de la cellule. Après avoir ouvert le portillon, ils avaient constaté que les personnes détenues étaient en train de ses battre violemment, et ils avaient continué, malgré plusieurs injonctions des agents leur demandant de se calmer. Il ressortait du rapport d'incident que le recourant avait reconnu s'être battu, mais uniquement pour se défendre. La version des faits du recourant différait donc sur certains points de celle contenue dans le rapport d'incident du 16 novembre 2024, et la question de savoir s'il était à l'origine ou non de l'altercation pouvait ainsi être laissée en suspens.
La sanction disciplinaire reposait sur une base légale et était justifiée par un intérêt public. Les mesures prises avaient été adéquates et nécessaires pour garantir le respect des buts poursuivis par le droit disciplinaire, et trois jours de placement en cellule forte était admissible au regard de la faute lourde que représentait un tel comportement.
c. Dans sa réplique du 10 janvier 2025, le recourant a indiqué qu'il n'avait pas eu d'autre choix que de maîtriser le codétenu par la nuque vu que celui-ci lui donnait des coups de poing. Le service médical et les photographies prises par le médecin de garde devraient attester des coups qu'il avait reçus alors que le codétenu n'avait pas de marques. Il faisait tout pour toujours respecter les règles et souhaitait simplement ne pas être jugé coupable de violence physique.
d. Sur quoi, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
e. L'autorité intimée a produit des images de vidéosurveillance, mais concernent la période postérieure aux faits, (à partir de 22h40) à l'extérieur de la cellule du recourant.
1. Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. Bien que la sanction ait été exécutée, le recourant conserve un intérêt actuel à l'examen de la légalité de celle-ci, dès lors qu'il pourrait en être tenu compte en cas de nouveau problème disciplinaire ou de demande de libération conditionnelle (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/679/2023 du 26 juin 2023 consid. 2 ; ATA/498/2022 du 11 mai 2022 consid. 2).
Le recours est donc recevable.
3. Le litige porte sur la conformité au droit de la sanction du 15 novembre 2024 de trois jours de cellule forte.
3.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).
Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu'elles ne sauraient être prononcées en l'absence d'une faute (ATA/1139/2024 du 30 septembre 2024 consid. 4.1 ; ATA/439/2024 du 27 mars 2024 consid. 3.2 ; ATA/412/2022 du 13 avril 2022 consid. 4a).
3.2 Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04), dont les dispositions doivent être respectées par les détenus (art. 42 RRIP). En toute circonstance, ceux-ci doivent observer une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). Il est interdit aux détenus, d’une façon générale, de troubler l’ordre et la tranquillité de l’établissement (art. 45 let. h RRIP).
Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP).
À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, les sanctions peuvent être a) la suppression de visite pour 15 jours au plus, b) la suppression des promenades collectives, c) la suppression des activités sportives, d) la suppression d’achat pour 15 jours au plus, e) suppression de l’usage des moyens audiovisuels pour 15 jours au plus, f) la privation de travail ou encore g) le placement en cellule forte pour 10 jours au plus.
3.3 Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101), se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – , de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATA/439/2024 précité consid. 3.6 ; ATA/679/2023 du 26 juin 2023 consid. 5.4 ; ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 6d et la référence citée).
En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation, le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limitant à l'excès ou l'abus de ce pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1139/2024 précité consid 4.4 ; ATA/439/2024 précité consid. 3.7 ; ATA/97/2020 du 28 janvier 2020 consid. 4f et les références citées).
3.4 De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés, sauf si des éléments permettent de s'en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 19 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaire du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/439/2024 précité consid. 3.8 ; ATA/284/2020 du 10 mars 2020 consid. 4f et les références citées).
3.5 Le recourant conteste en l'espèce l'établissement des faits ainsi que, implicitement et par voie de conséquence, le principe et la quotité de la sanction.
Il ressort du rapport d'incident qu'à l'arrivée des agents de détention dans leur cellule, les deux codétenus étaient en train de se battre violemment. Il a été retenu qu'ils avaient refusé d'obtempérer et continué de se battre malgré les injonctions des gardiens et qu'un spray au poivre avait dû être utilisé afin de stopper la bagarre. Lors de son audition, le recourant a d'ailleurs reconnu s'être battu, bien que seulement pour se défendre. Sa version dans présente procédure, selon laquelle il se serait contenté de maîtriser le codétenu à la nuque, ne peut être ainsi retenue.
Il résulte de ce qui précède que même dans l'hypothèse où il ne serait pas à l'origine de la bagarre l'ayant opposé à un autre détenu, le recourant ne s'est pas borné à tenter de se défendre mais a lui-même fait preuve de violence, et ce malgré les injonctions des gardiens leur demandant de se calmer. Il a ainsi commis des violences physiques sur un autre détenu et, plus généralement, troublé l'ordre de l'établissement, étant rappelé que le comportement de l’autre détenu ne fait pas l’objet du présent litige. Ces infractions aux art. 44 et 45 let. h RRIP, contestées par le recourant, sont dès lors établies.
La sanction de cellule forte est la sanction la plus sévère dans le catalogue des sanctions. Toutefois, sa durée de trois jours infligée in casu demeure dans la fourchette inférieure de la durée maximale autorisée et il a été tenu compte du fait que le recourant a continué à se battre malgré les injonctions des agents de détention. La sanction précitée est ainsi apte à atteindre le but d’intérêt public et est nécessaire compte tenu du fait que les bagarres entre détenus constituent une violation grave des règles de coexistence pacifique qui doivent prévaloir dans un établissement de détention.
Au vu de ce qui précède, il apparaît que la sanction ne viole pas la loi ni ne consacre un abus du pouvoir d’appréciation de l’autorité intimée.
Mal fondé, le recours sera ainsi rejeté.
4. Vu la nature du litige, il n’y a pas lieu à perception d’un émolument. Le recourant succombant, il ne peut se voir allouer une indemnité de procédure (art. 87 LPA).
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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 19 novembre 2024 par A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 15 novembre 2024 ;
au fond :
le rejette ;
dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;
dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à la prison de Champ‑Dollon.
Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Michèle PERNET, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière :
N. GANTENBEIN
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| la présidente siégeant :
F. PAYOT ZEN-RUFFINEN |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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