Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1450/2024 du 10.12.2024 sur JTAPI/985/2024 ( LCR ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/1894/2024-LCR ATA/1450/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 10 décembre 2024 1ère section |
| ||
dans la cause
A______ recourant
contre
OFFICE CANTONAL DES VÉHICULES intimé
_________
Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 octobre 2024 (JTAPI/985/2024)
A. a. Par décision du 24 mai 2024, l’office cantonal des véhicules (ci-après : OCV) a retiré son permis de conduire à A______ pour une durée de quatre mois à la suite de la « conduite du véhicule avec pneus hors tolérance », le 27 février 2024 à 16h08, à la rue B______, en direction de l’avenue C______.
b. Le 3 juin 2024, A______ a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI).
c. Par lettre recommandée du 4 juin 2024, le TAPI a imparti à l’intéressé un délai échéant le 4 juillet 2024 pour procéder au paiement d’une avance de frais de CHF 500.-, sous peine d’irrecevabilité de son recours.
Cette lettre recommandée a été retournée par la Poste au TAPI avec la mention « non réclamé », A______ ayant disposé d’un délai échéant au 12 juin 2024 pour la retirer au guichet.
d. Par jugement du 10 juillet 2024, le TAPI a déclaré le recours irrecevable.
L’avance de frais n’avait pas été effectuée dans le délai imparti et rien ne permettait de retenir qu’il avait été victime d’un empêchement non fautif de s’acquitter en temps utile du montant réclamé.
e. Par courrier du 6 septembre 2024, A______ a demandé au TAPI de bien vouloir « lui pardonner » de ne pas avoir payé l’avance de frais et lui permettre de renouveler sa demande de recours afin qu’il puisse conserver son permis de conduire.
Le décès de sa grand-mère en Italie l’avait mis dans une situation financière désastreuse. Il avait dû emprunter de l’argent pour la levée du corps et la ramener au Kosovo pour l’enterrer. Sa propre situation financière était mauvaise. Il était père « de quatre enfants en bas-âge et un atteint de la maladie d’Alzheimer ». Il avait besoin de son véhicule pour le transporter dans les centres hospitaliers où il était traité. Sa femme était sans activité. Le service cantonal de chômage lui avait proposé une activité de livreur, ce qu’un retrait de son permis de conduire rendrait impossible. Cette situation expliquait son manquement au paiement de l’avance des frais de justice.
f. Par courrier du 10 septembre 2024, le TAPI a imparti au recourant un délai pour produire toutes les pièces utiles prouvant les difficultés financières énoncées dans sa requête auxquelles il avait dû faire face, notamment en lien avec le décès de sa grand-mère.
g. L’intéressé a précisé être toujours à la recherche d’un emploi. Il avait une promesse de travail en tant que chauffeur-livreur pour la société D______ SA dès le 16 juin 2024. Il avait dû emprunter CHF 3'500.- à son oncle pour l’enterrement de sa grand-mère. Il n’avait pas pu s’y rendre pour des raisons d’ordre politique en sa qualité de réfugié.
Il a notamment produit deux décomptes de l’assurance chômage.
h. Par jugement du 4 octobre 2024, le TAPI a rejeté la demande de restitution de délai.
Aucun des éléments avancés par l’intéressé ne constituait des empêchements au sens défini par la jurisprudence. D’une part, le décès de sa grand-mère, et le fait d’avoir dû emprunter de l’argent à son oncle pour payer des frais funéraires n’étaient ni documentés ni de nature à l’empêcher de payer une facture, étant souligné qu’il ne s’était pas absenté pour se rendre au Kosovo pour l’ensevelissement. D’autre part, le fait de ne pas avoir les moyens financiers pour s’acquitter d’une avance de frais ne constituait pas un empêchement au sens de la jurisprudence. En cas de ressources financières insuffisantes, le recourant aurait pu solliciter l’assistance juridique, comme le courrier du TAPI du 4 juin 2024 le précisait.
B. a. Par acte du 21 octobre 2024, A______ a interjeté recours contre ce jugement devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Il a conclu à ce que la chambre de céans ordonne à l’OCV d’annuler la décision de retrait de son permis de conduire.
Il était vrai que son véhicule était équipé de deux pneus lisses. Selon son garagiste, ils « arrivaient presque à 65% ». Il devait les remplacer d’urgence, ce qu’il avait fait. Il détaillait sa situation familiale. Il avait eu une promesse d’embauche au 1er novembre 2024, à condition d’avoir son permis de conduire. Sa situation financière était actuellement « dans l’abîme ». Il ne consommait ni drogue, ni alcool et n’avait aucun antécédent.
Ses revenus se composaient de CHF 1'669.- d’indemnités chômage, CHF 1'330.90 d’allocations pour enfants, CHF 197.55 de « retenues obligatoires AVS/AI », soit un total de CHF 2'802.35. Ses charges se montaient à CHF 1'360.- de loyer, CHF 85.- pour les services industriels de Genève et CHF 1'319.50 de primes d’assurance-maladie pour la famille, soit un total de CHF 2'764.50.
b. L’OCV a conclu au rejet du recours. Par ordonnance pénale définitive du 23 avril 2024, le service des contraventions avait reconnu A______ coupable de conduite d’un véhicule automobile avec des pneus « dans un état insuffisant ». Il n’était plus possible pour ce dernier de remettre ces faits en cause dans le cadre de la procédure administrative, étant précisé que l’infraction revêtait un caractère moyennement grave conformément à l’art. 16b de la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01) et la jurisprudence constante.
c. A______ n’ayant pas répliqué dans le délai imparti, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 ‑ LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation, ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents.
3. Le litige porte sur le rejet de la demande de restitution de délai pour le paiement de l’avance de frais par le TAPI.
3.1 Le recourant invoque implicitement une violation de l’art. 16 al. 3 LPA.
Selon ladite disposition, la restitution pour inobservation d’un délai imparti par l’autorité peut être accordée si le requérant a été empêché sans sa faute d’agir dans le délai fixé. La demande motivée doit être présentée dans les dix jours à compter de celui où l’empêchement a cessé.
Pour examiner si l’intéressé a été « empêché sans sa faute d’agir dans le délai fixé », la jurisprudence procède par analogie avec les cas susceptibles de constituer des cas de force majeure au sens de l’art. 16 al. 1 2e phr. LPA qui les réserve (ATA/553/2024 du 3 mai 2024 consid. 1.2 ; ATA/428/2022 du 26 avril 2022 consid. 4a).
Tombent sous cette notion les événements extraordinaires et imprévisibles qui surviennent en dehors de la sphère d’activité de l’intéressé et qui s’imposent à lui de l’extérieur de façon irrésistible (ATA/1175/2024 du 8 octobre 2024 consid. 4 ; ATA/642/2024 du 28 mai 2024 consid. 2.4). Les conditions pour admettre un empêchement de procéder à temps sont très strictes. Celui-ci peut résulter d’une impossibilité objective ou subjective. L’empêchement doit être de nature telle que le respect des délais aurait impliqué la prise de dispositions que l’on ne peut raisonnablement attendre de la part d’une personne avisée (ATA/567/2024 du 7 mai 2024 consid. 4.2 ; ATA/553/2024 précité consid. 1.2).
3.2 A été considéré comme un cas de force majeure donnant lieu à restitution de délai le fait qu’un détenu, qui disposait d’un délai de recours de trois jours, n’ait pu expédier son recours dans ce délai, du fait qu’il ne pouvait le poster lui-même et qu’en outre ce pli avait été soumis à la censure de l’autorité (ATA/515/2009 du 13 octobre 2009 consid. 6). Il en allait de même du recourant qui se voyait impartir, par pli recommandé, un délai de quinze jours pour s’acquitter d’une avance de frais alors que le délai de garde pour retirer le pli en question était de sept jours, de sorte qu’il ne restait qu’une semaine au justiciable pour s’exécuter (ATA/477/2009 du 20 septembre 2009 consid. 5).
En revanche, n’ont pas été considérés comme des cas de force majeure une panne du système informatique du mandataire du recourant l’ayant empêché de déposer un acte de recours dans le délai légal (ATA/222/2007 du 8 mai 2007 consid. 3b), le fait qu’un avocat ait transmis à son client la demande d’avance de frais par pli simple en prenant le risque que celui-ci ne reçoive pas ce courrier (ATA/596/2009 du 17 novembre 2009 consid. 6), pas plus que la maladie, celle-ci n’étant admise comme motif d’excuse que si elle empêche le recourant d’agir par lui-même ou de donner à un tiers les instructions nécessaires pour agir à sa place (ATA/50/2009 du 27 janvier 2009 consid. 3c). Même une incapacité de travail totale, qui perdurerait encore, n’exclut pas une simple activité administrative (arrêts du Tribunal fédéral 2C_300/2017 du 27 mars 2017 consid. 3.2.4 ; 2C_1212/2013 du 28 juillet 2014 consid. 6.3), tendant à confier à un mandataire externe la défense de ses intérêts dans une procédure en restitution du délai (arrêt du Tribunal fédéral 2F_33/2020 du 22 décembre 2020 consid. 4).
3.3 En l’espèce, le recourant invoque un cas de force majeure, en lien avec sa situation financière, gravement péjorée à la suite du décès de sa grand-mère.
Si la situation financière du recourant apparaît précaire, elle ne remplit pas les conditions strictes d’un cas de force majeure. En effet, comme l’a justement relevé le TAPI, ce dernier l’avait informé, par courrier du 4 juin 2024, des démarches à entreprendre « s’il ne disposait pas des ressources suffisantes ». Le courrier a été envoyé par pli recommandé. Le recourant ne conteste au demeurant pas l’avoir reçu. Il aurait en conséquence pu solliciter l’assistance juridique et être exonéré du paiement de ladite avance. Le fait que sa situation se soit péjorée en raison notamment d’un emprunt contracté au moment du décès de sa grand-mère est sans pertinence, compte tenu de ce qui précède.
En l’absence d’un cas de force majeure remplissant les conditions strictes de l’art. 16 al. 1 LPA, voulues aux fins de garantir notamment l’égalité de traitement entre les justiciables, c’est à bon droit que le TAPI a rejeté la requête en restitution du délai de paiement. Le recours sera rejeté.
4. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge du demandeur qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 21 octobre 2024 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 octobre 2024 ;
au fond :
le rejette ;
met un émolument de CHF 400.- à la charge de A______ ;
dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à A______, à l'office cantonal des véhicules ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.
Siégeant : Eleanor McGREGOR, présidente, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, juges.
Au nom de la chambre administrative :
le greffier-juriste :
F. SCHEFFRE
|
| la présidente siégeant :
E. McGREGOR |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le |
| la greffière : |