Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1200/2024 du 15.10.2024 ( MARPU ) , REJETE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/1087/2024-MARPU ATA/1200/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 15 octobre 2024 |
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dans la cause
A______ Sàrl recourante
représentée par Me Claudio FEDELE, avocat
contre
VILLE DE GENÈVE
et
A______ intimées
représentée par Me Pascal RYTZ, avocat
_________
A. a. A______ Sàrl (ci-après : A______), sise à C______, a pour but statutaire : « exploitation d'une entreprise de carrelages, maçonnerie, pierres et marbre, revêtements divers, travaux d'entretien, de réparations d'immeubles et commerces s'y rapportant ».
b. B______ (ci-après : B______), sise à D______ (VD), a pour but statutaire : « travaux spéciaux, soit assainissement du béton, revêtements résine, sols coulés, Terrazzo, injections, étanchements, armatures adhésives, revêtement de mortier, mortier projeté, forage du béton et autres travaux spécialisés, produits et procédés chimiques dans le domaine de la construction ».
c. E______ SA (ci-après : E______), sise à F______(VD), a pour but statutaire : « fabrication de chapes flottantes, sols industriels, béton cellulaire, isolations acoustiques, phoniques, thermiques et étanches de constructions etc. ».
B______ et E______ font partie du groupe de G______ SA, sise à H______ (BE).
d. I______ SA (ci-après : I______), sise à J______ (VD), a pour but statutaire : « importation, exportation, commerce, pose et transformation de tous matériaux de construction, notamment de marbre et de granit ».
B. a. Le 17 novembre 2023, la Ville de Genève (ci-après : la ville) a publié, dans le cadre de l’extension et de la transformation du Muséum d’histoire naturelle, un appel d’offres public concernant les travaux de chapes et de revêtements de sol minéral. La procédure était ouverte et soumise aux accords internationaux. Elle visait des travaux estimés à CHF 818'000.-, à réaliser dans un délai de quatre mois dès la signature du contrat. Les offres devaient être transmises avant le 17 janvier 2024 à 11h00. L’adjudicataire serait le concurrent ayant déposé l’offre économiquement la plus avantageuse selon les critères d’adjudication, et ayant obtenu le nombre de points maximum.
Le point II.8 des conditions générales de l’offre admettait la sous-traitance, à condition qu’elle soit annoncée et représente moins de 50% de la valeur du marché. Cette obligation était rappelée à la page 9 du document d’appel d’offres, au début de la rubrique « SOUS-TRAITANCE », à remplir par les soumissionnaires.
Aucun recours n’a été déposé contre l’appel d’offres.
b. A______ a transmis son offre à la ville le 12 janvier 2024, d’un prix net de CHF 1'084'840.60. Une sous-traitance pour un montant de CHF 727'325.- était prévue, représentant « 70% des travaux ».
B______, I______ et E______ ont aussi rendu une offre en temps utile, pour des montants respectifs de CHF 917'497.07, CHF 1'418'737.37 et CHF 952'029.10. Leurs offres ne prévoyaient aucune sous-traitance.
Deux autres offres ont été transmises à la ville mais exclues d’emblée, la première ne comportant pas les attestations requises et la seconde ayant été déposée hors délai.
c. Lors de l’examen de l’offre de A______, la ville a estimé qu’elle comportait une part de sous-traitance représentant 67% du marché, et ne l’a en conséquence pas examinée.
Parmi les trois autres soumissionnaires, B______ a obtenu le plus de points, soit : la note de 5 pour le critère du prix, correspondant à 150 points ; la note de 4 pour le critère des références, correspondant à 160 points ; et la note de 4.75 pour le critère de l’organisation, correspondant à 142.5 points.
d. Par décision du 4 mars 2024, la ville a adjugé le marché à B______, ce dont elle a aussi avisé I______ et E______ par décisions de non-adjudication. Elle n’a par contre rien notifié à A______.
e. Le 14 mars 2024, cette dernière a contacté la ville pour connaître l’état de la procédure. Celle-ci lui a communiqué le tableau d’évaluation des offres et le procès‑verbal de leur ouverture, s’engageant à revenir à elle au sujet de l’évaluation de son offre.
f. Par décision du 19 mars 2024, la ville a écarté l’offre de A______ au motif que la sous-traitance d’environ 70% des travaux prévue, dépassant la limite maximale fixée à 50%, n’était pas conforme au cahier des charges. Le marché avait été attribué à B______ pour le prix de CHF 917'497.07.
C. a. Par acte du 2 avril 2024, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant à son annulation et, principalement, à l’attribution du marché au prix de son offre, subsidiairement, au renvoi de la cause à la ville pour nouvelle décision et, plus subsidiairement, au constat du caractère illicite de la décision. A______ a préalablement requis l’octroi de l’effet suspensif ainsi que la production des offres de B______, E______ et I______, et du rapport d’adjudication, caviardé dans la mesure nécessaire.
Elle avait indiqué dans son offre une sous-traitance à une société spécialisée en travaux de chapes à hauteur d’environ 70% de manière involontaire, mais transparente. Bénéficiant d’excellentes références et ayant déjà obtenu des marchés publics, cette inadvertance grossière aurait dû surprendre la ville. Elle aurait pu s’en expliquer si elle avait été interpellée à ce sujet. N’ayant pas pu s’exprimer avant son exclusion, son droit d’être entendue avait été violé.
B______, qui avait remporté le marché, n’était, contrairement à E______, pas spécialisée dans le domaine très spécifique des travaux de chapes, lesquels représentaient environ 70% du marché. Elle devrait forcément sous-traiter ceux-ci à hauteur de plus de 50%, le cas échéant de manière informelle à des entreprises appartenant au même groupe qu’elle. Elle ne remplissait dès lors très probablement pas le cahier des charges. Il en allait de même de I______, qui était spécialisée en marbrerie. Afin d’analyser la validité de l’adjudication, il était nécessaire que la ville produise les offres des soumissionnaires ayant été notées.
B______ et E______, non concurrentes et ayant des buts complémentaires, faisaient partie du même groupe. En répondant toutes deux à l’appel d’offres, elles avaient augmenté leurs chances de succès en violation du principe de saine concurrence.
b. Par décision du 30 avril 2024, la chambre administrative a refusé l’octroi de l’effet suspensif au recours.
c. La ville a conclu à son rejet.
Ni la loi ni la jurisprudence ne conféraient à A______ le droit de s’exprimer durant la phase d’évaluation de l’offre, une obligation d’entendre le soumissionnaire n’étant prévue à ce stade que pour le cas d’une offre anormalement basse. Son audition n’aurait de toute manière amené aucun élément susceptible de modifier la décision compte tenu des principes de l’égalité de traitement et de l’intangibilité de l’offre, interdisant la modification de celle-ci après l’échéance du délai fixé pour son dépôt, sous réserve d’erreurs évidentes. Quoi qu’il en fût, une violation du droit d’être entendu devait être considérée comme réparée, dans la mesure où A______ avait pu s’exprimer librement devant la chambre administrative, disposant du même pouvoir d’examen que la ville.
Les autres soumissionnaires n’avaient mentionné aucune sous-traitance, tout en produisant des références concernant l’exécution de chapes similaires. L’analyse de A______ ne se fondait pas sur son expérience pratique avec ses concurrentes, mais seulement sur les inscriptions du registre du commerce. Or, la ville avait constaté que l’adjudicataire, tout comme les autres soumissionnaires moins bien notés, notamment au vu de leurs références, détenaient les compétences pour exécuter la totalité des travaux sans faire appel à des sous-traitants.
La ville avait examiné la question de la sous-traitance dans l’offre de A______, de 67%, soit clairement au-dessus de la limite autorisée. Cette dernière pouvait dès lors légitimement être évincée.
Ses griefs sur le fond étaient irrecevables. À les suivre, toutes les offres auraient dû être écartées. Le marché pouvait de toute manière être attribué à B______, laquelle avait exclu sans ambiguïté devoir faire appel à des sous-traitants, et pu se prévaloir de deux références récentes ainsi que disposer des personnes compétentes pour l’exécution des travaux. Dans l’hypothèse où elle requerrait l’autorisation d’en sous-traiter une partie, elle continuerait à être tenue à une limite de 50%, dont le dépassement conduirait à la révocation de l’adjudication.
Quant à I______ et E______, elles avaient également indiqué ne sous-traiter aucuns travaux et mentionné des références.
La ville avait su que B______ et E______ appartenaient au même groupe avant d’évaluer leur offre. Cela n’était toutefois pas contraire au droit des marchés publics. Les deux sociétés constituaient des personnes juridiques distinctes et avaient présenté des offres différentes, dont les signataires n’étaient pas les mêmes personnes.
Même si l’offre de A______ n’avait pas été exclue, le nombre de points qu’elle aurait obtenu l’aurait classée en deuxième position, de sorte qu’elle n’aurait pas remporté le marché public.
d. B______ a conclu au rejet du recours.
A______ ne remplissait pas les conditions de l’appel d’offres, ce qu’elle ne contestait pas. N’ayant aucune chance de se voir attribuer le marché, elle n’avait pas qualité pour recourir. Son exclusion était pour le surplus inévitable.
En se prévalant de l’appartenance de soumissionnaires au même groupe, A______ cherchait à les exclure de l’appel d’offres sur la base d’un critère superflu. Elle tentait de créer des liens entre personnes morales, pourtant indépendantes et disposant d’une organisation et d’un personnel distincts.
B______ était spécialisée dans les travaux d’exécution de chapes. Le nombre et la qualité de ses références à cet égard avaient amené la ville à lui adjuger les travaux.
e. La cause a été gardée à juger le 24 mai 2024.
1. Le présent litige porte à la fois sur l’exclusion de la recourante du marché et son adjudication à B______.
1.1 Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 15 al. 1bis let. d et e et al. 2 de l’accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 - AIMP - L 6 05 ; art. 3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 - L-AIMP - L 6 05.0 ; art. 55 let. c et e et 56 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 - RMP - L 6 05.01).
1.2 À teneur de l’art. 60 al. 1 let. a et b LPA, les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée, sont titulaires de la qualité pour recourir. Les let. a et b de cette disposition doivent se lire en parallèle : ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s’il était partie à la procédure de première instance (ATA/599/2021 du 8 juin 2021 consid. 8a).
La qualité pour recourir dans le domaine des marchés publics, qui ne contient pas de règles spécifiques en la matière (ATF 141 II 14 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_585/2021 du 29 novembre 2022 consid. 1.3.2), se définit en fonction des critères de l'art. 60 al. 1 let. a et b LPA, applicable par renvoi de l'art. 3 al. 4 L‑AIMP (ATA/761/2020 du 18 août 2020 consid. 2).
Dans le cadre d'un recours contre une décision d'adjudication, le soumissionnaire évincé dispose d'un intérêt juridique lorsqu'il avait, avant la conclusion du contrat, des chances réelles de se voir attribuer le marché en cas d'admission de son recours. Tel est notamment le cas pour le soumissionnaire qui, classé en deuxième position, aurait eu des chances sérieuses de se voir attribuer le marché, ainsi que pour le soumissionnaire, devancé de peu par le deuxième, quand il n'apparaît pas clairement qu'en cas d'admission du recours, le classement serait resté le même. Le candidat classé quatrième qui conclut à l'annulation de la procédure ou à l'adjudication en sa faveur, mais qui critique uniquement l'aptitude ou le classement du premier candidat n'a pas la qualité pour recourir, sauf dans le cas où la différence entre la première et la quatrième place est en termes absolus et relatifs minime (ATF 141 II 14 consid. 4.1 et 4.6).
Il y a lieu d'admettre qu'un soumissionnaire évincé a aussi un intérêt actuel au recours lorsque le contrat est déjà conclu avec l'adjudicataire, voire exécuté, car il doit pouvoir obtenir une constatation d'illicéité de la décision pour agir en dommages-intérêts (ATF 137 II 313 consid. 1.2.2).
1.3 En l’espèce, la décision d’exclusion de la recourante du marché public la touche directement dans ses droits et elle a un intérêt digne de protection à son annulation et sa modification. Elle conserverait cet intérêt quand bien même le contrat avec la société intimée aurait déjà été conclu et serait en cours d’exécution, pouvant dans un tel cas prétendre à un constat d’illicéité. Elle a donc qualité pour agir contre son exclusion du marché public et, en tant qu’il vise cette décision, son recours est recevable.
Sa qualité pour agir contre l’adjudication des travaux devra quant à elle être examinée à la lumière du sort du litige sur cette question.
2. La recourante considère qu’en ne lui donnant pas l’occasion de s’exprimer avant son exclusion, la ville a violé son droit d’être entendue. Elle requiert également la production des offres de la société intimée et des deux autres soumissionnaires notées, ainsi que du rapport d’adjudication.
2.1 Le droit d’être entendu, garanti par les art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 6 par. 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), qui n’a pas de portée différente dans ce contexte, est une garantie de nature formelle dont la violation entraîne, lorsque sa réparation par l’autorité de recours n’est pas possible, l’annulation de la décision attaquée sans égard aux chances de succès du recours sur le fond. Ce moyen doit dès lors être examiné en premier lieu (ATF 137 I 195 consid. 2.2).
Le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, de fournir des preuves pertinentes quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1 ; 142 III 48 consid. 4.1.1 et les arrêts cités).
Le droit d’être entendu comprend aussi le droit pour la personne intéressée de produire ou obtenir la production des preuves pertinentes. Il n’empêche toutefois pas l’autorité de mettre un terme à l’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient pas l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1).
À teneur de l’art. 40 al. 1 RMP, l'autorité adjudicatrice peut demander aux soumissionnaires des explications relatives à leur aptitude et à leur offre. L'interdiction du formalisme excessif, également tirée de l’art. 29 Cst., ne l’oblige toutefois pas à interpeller un soumissionnaire en présence d'une offre défaillante (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2010 du 30 avril 2010 consid. 6.5).
2.2 La réparation d'un vice de procédure en instance de recours et, notamment, du droit d'être entendu, n'est possible que lorsque l'autorité dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 142 II 218 consid. 2.8.1). Elle dépend toutefois de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 126 I 68 consid. 2) ; elle peut cependant se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu'elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/151/2023 du 14 février 2023 consid. 3b).
2.3 En l’espèce, la recourante a pu transmettre son offre complète à l’autorité intimée, en connaissance des conditions de l’appel d’offres, en particulier au sujet de la sous-traitance. Elle a ainsi pu s’exprimer sur ce point avant la décision litigieuse. Elle prétend avoir commis une erreur mais celle-ci n’était pas manifeste, la recourante souhaitant en réalité bel et bien sous-traiter des travaux. Le principe de l’intangibilité de l’offre, exposé en détail plus bas, lui interdisait de toute manière de modifier son offre sur ce point. L’autorité intimée n’avait en sus pas l’obligation de l’interpeller à ce sujet, la part prévue de sous-traitance n’étant indubitablement pas conforme aux conditions du marché public. Le droit d’être entendu de la recourante a donc été respecté.
Une violation à cet égard aurait par ailleurs été réparée dans le cadre de la présente procédure, le recours ayant un effet dévolutif complet et permettant à la chambre d’examiner librement l’établissement des faits et l’application du droit (art. 61 al. 1 et 67 LPA). La recourante a eu l’occasion de faire valoir l’ensemble de ses griefs concernant l’évaluation de son offre. Une violation du droit d’être entendu n’aurait de surcroît pas pu être qualifiée de vice grave, la décision n’ayant pas été prise sans qu’elle ait pu s’exprimer du tout.
2.4 Le tableau d’évaluation de l’appel d’offres a été versé à la procédure ainsi que l’offre de la société intimée et des extraits de celles de E______ et I______, ce qui suffit largement à l’examen de la cause au vu des développements qui suivent. Il ne sera dès lors pas ordonné la production complémentaire de documents par les parties.
3. Comme vu ci-avant, le bien-fondé de l’exclusion de la recourante du marché public doit être examiné préalablement à sa qualité pour contester l’adjudication en faveur de la société intimée.
3.1 L’AIMP poursuit notamment les objectifs d’assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires, de leur garantir l’égalité de traitement, d’assurer l’impartialité de l’adjudication et la transparence des procédures de passation des marchés, et de permettre une utilisation parcimonieuse des deniers publics (art. 1 al. 3 AIMP). Les dispositions cantonales d’exécution doivent garantir une procédure d'examen de l'aptitude des soumissionnaires selon des critères objectifs et vérifiables (art. 13 let. d AIMP).
3.2 Conformément à l’art. 4 L-AIMP, le Conseil d'État édicte les dispositions d'exécution de l'accord intercantonal (al. 1). Il précise notamment les critères d’aptitude et peut, à cet égard, limiter le recours à la sous-traitance (al. 2 ab initio). La sous-traitance nécessite l’accord de l’autorité adjudicatrice, qui en fixe les modalités (al. 3).
À teneur de l’art. 24 RMP, l'autorité adjudicatrice choisit des critères objectifs, vérifiables et pertinents par rapport au marché. Elle doit les énoncer clairement et avec leur pondération au moment de l'appel d'offres.
L’art. 35 al. 1 RMP relatif à la sous-traitance prévoit que les soumissionnaires doivent indiquer, lors de la remise de leur offre, le type et la part des prestations qui sont appelées à être sous-traitées, ainsi que le nom et le domicile ou le siège de leurs sous-traitants (al. 1).
Selon l’art. 39 RMP, l'autorité adjudicatrice examine la conformité des offres au cahier des charges et contrôle leur chiffrage (al. 1). Les erreurs évidentes, telles que les erreurs de calcul et d'écriture, sont corrigées (al. 2 1ère phrase).
Conformément à l’art. 42 RMP, l’offre est écartée d’office lorsque le soumissionnaire a rendu une offre tardive, incomplète ou non conforme aux exigences ou au cahier des charges ou ne répond pas ou plus aux conditions pour être admis à soumissionner (al. 1 let. a et b). Les offres écartées ne sont pas évaluées. L’autorité adjudicatrice rend alors une décision d’exclusion motivée (al. 3).
3.3 Les principes d’égalité de traitement et de transparence valent notamment pour la phase d’examen de la recevabilité des soumissions, lors de laquelle l’autorité adjudicatrice examine si les offres présentées remplissent les conditions formelles pour participer à la procédure d’évaluation. Ils imposent ainsi de n'apprécier les offres que sur la base du dossier remis, un soumissionnaire n'étant pas habilité à modifier la présentation de son offre, à y apporter des compléments ou à transmettre de nouveaux documents après l'échéance du délai, ce qui découle de l'art. 11 let. c AIMP qui proscrit les négociations entre l'entité adjudicatrice et les soumissionnaires. Le pouvoir adjudicateur n’a pas la faculté de modifier les critères d’aptitude ou d’adjudication après le dépôt des offres, à défaut de quoi il s’expose au soupçon de manipulation du marché (ATA/349/2023 du 4 avril 2023 consid. 3.2 et les références citées).
Le droit des marchés publics est formaliste, ce que la chambre administrative a rappelé à plusieurs reprises, notamment lorsqu'elle a confirmé des décisions d'exclusion d'offres fondées sur la non-production des attestations requises dans l'appel d'offres au titre de condition de participation à la procédure de soumission. L’autorité adjudicatrice doit procéder à l’examen de la recevabilité des offres et à leur évaluation dans le respect de ce formalisme, qui permet de protéger notamment le principe d’intangibilité des offres remises et le respect du principe d’égalité de traitement entre soumissionnaires garanti par l’art. 16 al. 2 RMP (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2010 précité consid. 6.4 ; ATA/349/2023 du 4 avril 2023 consid. 3.2.1 et les références citées).
Toutefois, l’interdiction du formalisme excessif interdit d’exclure une offre présentant une informalité de peu de gravité ou affectée d’un vice qui ne compromet pas sérieusement l'objectif visé par la prescription formelle violée (ATF 141 II 353 consid. 8.2.1). Le principe d'intangibilité des offres remises et le respect du principe d'égalité de traitement entre soumissionnaires impliquent de ne procéder à une demande de renseignements à ces derniers que de manière restrictive. L’autorité adjudicatrice dispose d’un certain pouvoir d’appréciation quant au degré de sévérité dont elle désire faire preuve dans le traitement des offres (ATA/349/2023 du 4 avril 2023 consid. 3.2.1 et les références citées).
3.4 En l’espèce, l’offre de la recourante ne répond pas, en matière de sous-traitance, aux conditions de l’appel d’offres (entré en force), la quotité des travaux sous‑traités étant plus élevée de 17% que celle admise.
L’exclusion de la recourante est dès lors fondée. Cette dernière a expliqué avoir commis une erreur grossière, mais n’a livré aucun détail sur ce point. Il résulte au contraire de ses griefs une confirmation de son incapacité de réaliser les travaux sans recourir à la sous-traitance en cause. Les principes de transparence et de l’égalité de traitement, dont découle celui de l’intangibilité de l’offre, excluaient au demeurant qu’elle pût rectifier celle-ci sur ce point. Sous l’angle de l’interdiction du formalisme excessif, son éventuelle erreur n’était pas de peu de gravité ni sans impact sur l’objectif de l’obligation violée, limitant la sous-traitance à 50% des travaux. Son erreur n’était par ailleurs pas manifeste, de sorte que l’autorité intimée n’avait aucune obligation de lui demander de plus amples explications à ce sujet.
Sur le plan de son exclusion, la recourante argue vainement que les autres soumissionnaires seraient incapables de réaliser les travaux sans sous-traitance ou que l’appartenance de deux d’entre elles au même groupe contreviendrait au principe d’une concurrence efficace. Ces éléments ne changent en effet rien au fait qu’elle-même ne remplissait pas les conditions de l’appel d’offres. Ils ne résultent par ailleurs pas du dossier, les offres des précitées ne mentionnant aucune sous‑traitance, et l’appartenance des deux soumissionnaires au même groupe ne violant, en soi, ni la loi ni lesdites conditions.
3.5 Dès lors qu’elle a valablement été écartée du marché public et que, partant, son offre n’a pas été évaluée à bon droit, la recourante n’a plus la qualité pour contester l’adjudication du marché à la société intimée. Indépendamment du bien-fondé de ses griefs, il est en effet exclu que l’exécution des travaux ait pu lui être attribuée. Elle a ainsi perdu tout intérêt digne de protection à l’annulation ou la modification de l’adjudication, de sorte que ses conclusions sur ce point, principalement réformatoires et subsidiairement constatatoires, sont irrecevables.
Mal fondé, le recours sera rejeté.
4. Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'300.-, tenant compte de la décision sur effet suspensif, sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA), et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à la société intimée (art. 87 al. 2 LPA), également à la charge de la recourante.
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
rejette, dans la mesure de sa recevabilité, le recours interjeté le 2 avril 2024 par A______ Sàrl contre la décision de la Ville de Genève du 19 mars 2024 ;
met un émolument de CHF 1'300.- à la charge de A______ Sàrl ;
alloue à B______ une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de A______ Sàrl ;
dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;
- par la voie du recours en matière de droit public :
si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;
s’il soulève une question juridique de principe ;
- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;
le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession des recourantes, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à Me Claudio FEDELE, avocat de la recourante, à la Ville de Genève, à Me Pascal RYTZ, avocat de B______ S.A. ainsi qu'à la commission de la concurrence (COMCO).
Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, Michèle PERNET, juges.
Au nom de la chambre administrative :
la greffière-juriste :
D. WERFFELI BASTIANELLI
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| la présidente siégeant :
F. KRAUSKOPF |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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