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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4074/2023

ATA/417/2024 du 26.03.2024 ( AIDSO ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4074/2023-AIDSO ATA/417/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 mars 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Anna SERGUEEVA, avocate

contre

HOSPICE GÉNÉRAL intimé



EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1980, célibataire et de nationalité suisse, a bénéficié d’une aide financière versée par l’Hospice général (ci-après : l’hospice) depuis le 1er avril 2015.

Dans le cadre de cette demande, il a notamment signé le document intitulé « Mon engagement en demandant une aide financière à l’Hospice général ».

b. Il est titulaire d’un CFC de boulanger pâtissier obtenu le 30 juin 2001, activité qu’il a exercée durant quelques années, avant de subir une période de chômage, puis un emploi temporaire dans un restaurant jusqu’à l’obtention de l’aide de l’hospice.

c. Il occupe un appartement de quatre pièces, pour un loyer mensuel de CHF 917.‑, qu’il sous-loue à son père.

d. Lors de l’entretien de situation du 8 avril 2015, A______ a expliqué vivre chez ses parents sans payer de loyer, ne plus avoir droit aux prestations de l’assurance‑chômage depuis un an et avoir vécu jusque-là de « petits boulots au noir et de petits business » et souhaitait se réorienter vers l’horticulture.

e. Début janvier 2016, il a indiqué à son assistante sociale vouloir quitter Genève pour l’Espagne où ses parents étaient propriétaires d’une maison. Lors de l’entretien du 3 février 2016, sa consommation de stupéfiants, notamment de cannabis, a été évoquée. A______ est parti en Espagne en mai 2016.

f. À la suite de son retour, en mai 2017, il a effectué une nouvelle demande à l’hospice et a bénéficié de son aide dès le 1er juin 2017. Lors de l’entretien du 8 mai 2017, il a indiqué avoir vécu jusqu’alors de petits boulots illégaux.

g. Lors de l’entretien du 8 septembre 2017, A______ a évoqué le projet d’utiliser le champ de sa mère à Puplinge pour y développer la culture de cannabis et de chanvre.

h. Du 6 novembre au 1er décembre 2017, il a effectué un stage d’évaluation à l’emploi. Il ressort du bilan qu’après une période de chômage, A______ s’était durablement marginalisé et avait vécu durant dix ans du commerce illégal de cannabis. Même si le métier de boulanger lui avait plu, les perspectives salariales observées ne lui convenaient pas et il n’envisageait pas de vivre avec un si maigre salaire. Il avait pour projet de cultiver du cannabis légal, ce qui lui permettrait de mettre l’expérience, acquise en produisant lui-même, à profit.

i. Lors de l’entretien de suivi du 5 mars 2018, il a déclaré avoir mis de côté son projet de culture de cannabis vu son niveau d’endettement et lors de celui du 8 mai 2017, il a indiqué être satisfait de sa situation actuelle. Les activités envisagées n’avaient pas abouti.

j. Durant le mois de février 2023, son assistante sociale a inscrit A______ à une mesure de réinsertion. Il a été convoqué à un premier entretien le 13 mars 2023 au cours duquel il a notamment déclaré n’avoir aucun problème de santé.

k. Par courriel du 5 juin 2023, la conseillère en insertion professionnelle a informé l’hospice de la fermeture du dossier de A______, ce dernier ne répondant pas aux courriels, malgré les relances. Lors du premier entretien du 13 mars 2023, il s’était montré dubitatif quant à la pertinence de la mesure et de trouver un emploi.

l. Le 8 juin 2023, l’hospice a établi un rapport d’enquête selon lequel A______ avait effectué un voyage d’environ un mois à Cuba en 2020, financé avec ses propres économies. Son dernier voyage datait de 2021 en Espagne. Il n’avait pas effectué d’autre voyage. Il vivait seul dans l’appartement dont il avait modifié la séparation entre une chambre et le salon pour agrandir celui-ci. Le nom de B______ figurait également sur la boîte aux lettres, mais selon l’enquête de voisinage, A______ vivait seul et uniquement ses effets personnels avaient été retrouvés dans le logement. Il avait expliqué que B______ était un oncle vivant en France et qui avait besoin d’une adresse postale en Suisse. Vingt‑huit plants de cannabis avaient été retrouvés dans la cuisine, soit huit plants dans des petits pots et vingt plants plus grands. A______ avait expliqué que les plants étaient uniquement destinées à sa consommation personnelle. Le détail de la facture d’électricité montrait une importante consommation (entre CHF 300.- et CHF 500.- tous les deux mois). Aucune autre ressource différente ou inconnue de l’hospice n’avait été détectée. Il remboursait sa mère à raison de CHF 300.- par mois, à la suite d’un prêt de CHF 13'000.- et du fait qu’elle payait ses factures d’électricité.

m. Le 19 juin 2023, A______ a reçu un avertissement de l’hospice pour avoir refusé de s’engager à une mesure de réinsertion socio-professionnelle. Malgré le fait qu’un téléphone avait été mis à sa disposition par l’hospice, il restait injoignable et ne s’était pas présenté aux entretiens fixés.

n. Lors de l’entretien du 22 juin 2023, confronté aux résultats de l’enquête, A______ a déclaré que les plants de cannabis retrouvés servaient uniquement sa propre consommation. Cette installation existait depuis vingt ans. Il ne disposait actuellement pas d’assez d’argent pour en acheter et fumait environ cinq joints par jour. Il avait été averti que son oncle devait changer d’adresse, faute de quoi il en serait tenu compte dans son dossier.

B. a. Par décision du 28 juin 2023, l’hospice a informé A______ qu’il mettait fin aux prestations d’aide financière à compter du 1er juillet 2023 au motif que les éléments dont l’hospice n’avait pas connaissance et ceux qui ressortaient du rapport d’enquête du 8 juin 2023 ne permettaient pas d’évaluer son droit à des prestations.

b. A______ a formé opposition à l’encontre de la décision précitée.

Il contestait détenir des plants de cannabis pour en tirer un revenu. Les installations constatées servaient uniquement à sa consommation personnelle. Le chiffre retenu dans le rapport d’enquête devait relever d’une erreur dans la transcription de ses propos, puisqu’il ne détenait pas 28 plants, mais seulement huit.

Il avait annexé à son opposition un certificat médical du 13 juillet 2023, établi par le docteur C______, généraliste, notamment spécialisé dans le burn out (selon le site internet onedoc.ch, consulté le 15 mars 2024), dont il ressort qu’il était atteint d’un trouble anxio-dépressif associé à des troubles du sommeil ainsi que des douleurs chroniques. La prise d’herbe de cannabis à dose assez stupéfiant permettait de calmer ses problèmes de santé.

Il a également produit une attestation de B______, mentionnant comme adresse D______, France, selon laquelle il ne lui avait jamais payé de loyer.

c. A______ a été condamné, par ordonnance pénale du 13 septembre 2023, à une amende de CHF 200.- pour consommation de cannabis. Le Ministère public a retenu qu’il avait cultivé des plants de marijuana à raison d’une récolte d’environ 150 gr par mois, destinés à couvrir sa consommation personnelle. Il ne l’a pas condamné pour trafic de stupéfiants.

d. Par décision sur opposition du 2 novembre 2023, l’hospice a confirmé sa précédente décision.

Les 28 plants de cannabis ne pouvaient être destinés uniquement à la consommation personnelle de A______. En effet, un plant fournissant entre 25 et 40 gr à raison de trois à quatre fois par an, il pouvait produire au minium 2.1 kg et au maximum 4.48 kg par an, soit 175 gr par mois.

C. a. Par acte du 4 décembre 2023, A______ a formé recours contre la décision sur opposition, concluant préalablement à la production de la procédure pénale complète et principalement à son annulation.

La décision litigieuse se basait sur la seule hypothèse de l’hospice selon laquelle le nombre de plants de cannabis ne pouvait « à l’évidence » que servir à un commerce lucratif. Cette hypothèse n’était établie par aucun élément concret du dossier, mais ressortait d’un calcul hypothétique. Le Ministère public avait retenu qu’il consommait personnellement une quantité de 150 gr par mois. Aucun élément ne permettait de retenir qu’il utilisait le cannabis à des fins de commerce. L’hospice n’était ainsi pas fondé à s’écarter de la décision pénale. Il se trouvait dans une situation de grande précarité financière.

b. L’hospice a conclu au rejet du recours.

Le recourant n’avait pas collaboré à sa réinsertion professionnelle et n’avait de ce fait pas satisfait à son obligation de tout mettre en œuvre pour améliorer sa situation sociale et financière. Il avait par ailleurs dissimulé des informations importantes, puisqu’il n’avait jamais déclaré qu’il s’adonnait à la culture de cannabis de laquelle il tirait vraisemblablement des ressources.

Les autorités parallèlement compétentes n’étaient pas liées par les constatations et les interprétations juridiques de l’autre. L’hospice n’était ainsi pas lié par les faits établis par l’ordonnance pénale, ni par leur interprétation juridique et demeurait libre de son appréciation tant que cela n’aboutissait pas à des contradictions difficilement compréhensibles pour les personnes concernées. Les autorités pénales avaient instruit l’affaire postérieurement à l’enquête menée par l’hospice, de sorte que A______ avait pu éliminer certains plants (28 selon l’hospice et 20 selon le Ministère public). Il ne ressortait de plus pas de l’ordonnance pénale que des mesures d’instruction, autres que son audition par la police, avaient été effectuées. Les affirmations du recourant selon lesquelles il ne possédait que huit plants de cannabis n’étaient pas crédibles au vu de ce qui avait été clairement établi par l’hospice (28) et retenu par le Ministère public (20).

Il n’était pas compréhensible que l’intéressé persiste à vouloir produire lui-même son cannabis, alors qu’il pouvait s’en faire prescrire, ce qui serait ensuite remboursé, ce d’autant plus que cette production engendrait des coûts d’électricité importants qui l’avaient même conduit à s’endetter auprès de sa mère. Sur ce point, il avait prétendu qu’en 2020, il avait économisé assez d’argent pour se rendre à Cuba, mais avait emprunté CHF 13'000.- à sa mère car il ne parvenait notamment pas à payer lui-même son électricité.

c. Le recourant a répliqué et persisté dans ses conclusions.

d. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le recourant sollicite la production de la procédure pénale.

2.1 La procédure administrative est régie par la maxime inquisitoire, selon laquelle le juge établit les faits d’office (art. 19 LPA), sans être limité par les allégués et les offres de preuves des parties. Dans la mesure où l'on peut raisonnablement exiger de l’autorité qu’elle les recueille, elle réunit ainsi les renseignements et procède aux enquêtes nécessaires pour fonder sa décision. Elle apprécie les moyens de preuve des parties et recourt s’il y a lieu à d'autres moyens de preuve (art. 20 LPA). Mais ce principe n’est pas absolu, sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à la constatation des faits (art. 22 LPA). Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (ATF 128 II 139 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_454/2017 du
16 mai 2018 consid. 4.1 ; ATA/880/2021 du 31 août 2021 consid. 3a).

2.2 En procédure administrative, tant fédérale que cantonale, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (art. 20 al. 1 2e phr. LPA ; ATF 139 II 185 consid. 9.2 ; 130 II 482 consid. 3.2 ; ATA/573/2015 du 2 juin 2015 consid. 5.a). Le juge forme ainsi librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées, et ce n'est ni le genre, ni le nombre des preuves qui est déterminant, mais leur force de persuasion (ATA/880/2021 précité consid. 3b ; ATA/1162/2015 du 27 octobre 2015 consid. 7)

2.3 En l’espèce, l’ordonnance pénale permet de comprendre le complexe de faits retenu par le Ministère public, à savoir la production et consommation par le recourant de 150 gr de cannabis par mois. L’apport du reste de la procédure ne paraît dès lors pas pertinent pour la présente procédure. Dans tous les cas, le recourant étant prévenu, il avait libre accès au dossier pénal. Ainsi, s’il entendait s’en prévaloir, il lui appartenait, conformément à son devoir de collaboration, d’en produire les pièces dont il entendait en tirer des conclusions.

Pour les raisons qui précèdent et par appréciation anticipée des preuves, il ne sera pas donné suite à la mesure d’instruction sollicitée par le recourant.

3.             L’objet du litige porte sur la validité de la décision de l’hospice de mettre fin à ses prestations d’aide financière.

3.1 La loi sur l’insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 (LIASI - J 4 04) a pour but de prévenir l’exclusion sociale et d’aider les personnes qui en souffrent à se réinsérer dans un environnement social et professionnel (art. 1 al. 1). Elle vise à garantir à ceux qui se trouvent dans la détresse matérielle et morale des conditions d’existence conformes à la dignité humaine (art. 1 al. 2 2ème phr.). Avec le règlement d’exécution de la LIASI du 25 juillet 2007 (RIASI - J 4 04.01), elle concrétise les art. 12 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 39 al. 1 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00 ; ATA/256/2020 du 3 mars 2020 consid. 4b).

3.2 Ses prestations sont fournies notamment sous forme de prestations financières (art. 2 let. b LIASI), qui sont subsidiaires à toute autre source de revenu (art. 9 al. 1 LIASI). Le bénéficiaire et les membres du groupe familial doivent faire valoir sans délai leurs droits auxquels l’aide financière est subsidiaire et doivent mettre tout en œuvre pour améliorer leur situation sociale et financière (art. 9 al. 2 LIASI). Exceptionnellement, les prestations d’aide financière peuvent être accordées à titre d’avance sur prestations sociales ou d’assurances sociales (art. 9 al. 3 let. a LIASI).

À teneur du texte de l’art. 9 al. 3 LIASI, cette disposition ne vise qu’à alléger le principe de subsidiarité pour permettre le versement d’une aide financière, alors même que le requérant est dans l’attente d’une prestation. Il ressort en particulier des débats parlementaires que l’art. 9 al. 3 LIASI vise essentiellement le régime de l’assurance invalidité (ci-après AI). L’élaboration d’un dossier AI prend plusieurs années, temps pendant lequel la personne en attente peut se trouver privée de revenus. Si son revenu est inférieur au barème, elle peut ainsi entrer dans le champ d’application de la LIASI et recevoir des prestations financières (MGC 2006‑2007/V A - Séance 25 du 23 février 2007).

Le droit aux prestations d’aide financière naît dès que les conditions de la loi sont remplies, mais au plus tôt le premier jour du mois du dépôt de la demande (art. 28 al. 1 LIASI). Il s’éteint à la fin du mois où l’une des conditions dont il dépend n’est plus remplie (art. 28 al. 2 LIASI).

3.3 Ont droit à des prestations d’aide financière les personnes majeures qui ne sont pas en mesure de subvenir à leur entretien ou à celui des membres de la famille dont ils ont la charge (art. 8 al. 1 LIASI). Ces prestations ne sont pas remboursables, sous réserve des art. 12 al. 2 et 36 à 41 LIASI (art. 8 al. 2 LIASI). L’art. 11 al. 1 LIASI précise que ces personnes doivent avoir leur domicile et leur résidence effective sur le territoire genevois (let. a), ne pas être en mesure de subvenir à leur entretien (let. b) et répondre aux autres conditions de la loi (let. c).

3.4 Ont droit à des prestations d'aide financière les personnes qui ont leur domicile et leur résidence effective sur le territoire du canton de Genève, ne sont pas en mesure de subvenir à leur entretien et répondent aux autres conditions de la loi (art. 11 al. 1 LIASI). Les conditions financières donnant droit aux prestations d'aide financière sont déterminées aux art. 21 à 28 LIASI.

3.5 En contrepartie des prestations auxquelles il a droit, le bénéficiaire s'engage, sous forme de contrat, à participer activement à l'amélioration de sa situation (art. 14 LIASI). Il est tenu de participer activement aux mesures le concernant (art. 20 LIASI), de fournir tous les renseignements nécessaires pour établir son droit et fixer le montant des prestations d'aide financière (art. 32 al. 1 LIASI) et de se soumettre à une enquête de l'hospice lorsque celui-ci le demande (art. 32 al. 2 LIASI).

3.6 Les prestations d’aide financière sont accordées aux personnes dont le revenu mensuel déterminant n’atteint pas le montant destiné à la couverture des besoins de base et dont la fortune ne dépasse pas les limites fixées par règlement du Conseil d’État (art. 21 al. 1 LIASI). L’art. 1 al. 1 RIASI prévoit que les limites de fortune permettant de bénéficier des prestations d’aide financière sont de CHF 4'000.- pour une personne seule majeure (let. a) et de CHF 2'000.- pour chaque enfant à charge (let. c). Le total de la fortune ne peut en aucun cas dépasser la somme de CHF 10'000.- pour l’ensemble du groupe familial (art. 1 al. 2 RIASI).

Les conditions et mode de calcul des prestations d’aide financière sont prévus aux art. 21 ss LIASI et 1 ss RIASI, notamment les revenus (art. 22 LIASI) et la fortune (art. 23 LIASI).

3.7 Selon l’art. 32 al. 1 LIASI, le demandeur ou son représentant légal doit fournir gratuitement tous les renseignements nécessaires pour établir son droit et fixer le montant des prestations d’aide financière. Le bénéficiaire doit immédiatement déclarer à l’hospice tout fait nouveau de nature à entraîner la modification du montant des prestations d’aide financière qui lui sont allouées ou leur suppression (art. 33 al. 1 LIASI).

Le document intitulé « Mon engagement en demandant une aide financière à l’Hospice général » concrétise l’obligation de collaborer et de renseignement. Le bénéficiaire ou son représentant légal doit immédiatement déclarer à l’hospice tout fait nouveau de nature à entraîner la modification du montant des prestations d’aide financière qui lui sont allouées ou leur suppression (art. 33 al. 1 LIASI ; ATA/1304/2021 du 30 novembre 2021 consid. 3a ; ATA/93/2020 du 28 janvier 2020 consid. 3a). Il atteste notamment du fait que le bénéficiaire a été informé du caractère subsidiaire des prestations d’aide financière exceptionnelle et du fait que des prestations sociales ou d’assurances sociales ne peuvent se cumuler avec les prestations d’aide financière dont elles doivent être déduites (ATA/1231/2022 du 16 décembre 2022 consid. 4c).

3.8 Le Tribunal fédéral a rappelé que, selon le principe de la subsidiarité, qui s’applique tant dans le cadre de l’aide sociale cantonale que dans le cadre de l’aide d’urgence selon l’art. 12 Cst., l’aide n’intervient que si la personne ne peut pas subvenir elle-même à ses besoins et si toutes les autres sources d’aide disponibles ne peuvent pas être obtenues à temps et dans une mesure suffisante. Ainsi, pour apprécier si une personne est dans le besoin, il faut tenir compte des ressources qui sont immédiatement disponibles ou qui sont réalisables à court terme. En l’absence de ressources disponibles ou réalisables à court terme, l’intéressé doit être considéré comme étant dans le besoin et l’État doit au moins lui accorder une aide à titre transitoire (ATF 146 I 1 consid. 8.2.1 et les références citées).

3.9 L’art. 35 LIASI règle les cas où les prestations d’aide financière peuvent être réduites, suspendues, refusées ou supprimées (al. 1), notamment lorsque le bénéficiaire, intentionnellement, ne s’acquitte pas de son obligation de collaborer au sens de l’art. 32 LIASI (let. c) ou qu’il refuse de donner les informations requises (art. 7 et 32 LIASI), donne des indications fausses ou incomplètes ou cache des informations utiles (let. d). L’hospice rend alors une décision écrite et motivée, avec les voies de droit (al. 2).

3.10 De manière générale, les autorités parallèlement compétentes ne sont pas liées par les constatations et les interprétations juridiques de l'autre. Ce principe doit toutefois être nuancé, dans la mesure où il peut aboutir à des contradictions difficilement compréhensibles pour les personnes concernées (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 628 ss p. 217 ss).

4.             4.1 En l’espèce, le fait que l’oncle du recourant vive avec ce dernier sera d’emblée écarté. En effet, tant l’enquête de voisinage, dont il ressort que le recourant vit seul, que la visite domiciliaire lors de laquelle uniquement ses affaires ont été retrouvées sur place permettent d’exclure une cohabitation avec un tiers. Selon la base de données de l’office cantonal de la population et des migrations, B______ n’a jamais été domicilié à la même adresse que le recourant. La modification de l’appartement du recourant qui a supprimé une paroi entre une des deux chambres et le salon afin d’en agrandir l’espace constitue également un indice dans ce sens. Il sera dès lors retenu que le recourant vit seul dans son appartement.

4.2 L’hospice a également retenu que le nombre de plants de cannabis retrouvés au domicile du recourant était trop important pour uniquement servir à sa consommation personnelle. L’hospice a effectué un calcul sur la base du rendement moyen que devrait générer une plante de cannabis, soit une production moyenne – avec 28 plantes – d’environ 175 gr par mois. S’il est vrai que le recourant s’est contredit dans le cadre de la procédure concernant le nombre de plants qu’il possédait, tant le Ministère public que l’hospice ont retenu qu’il en détenait une vingtaine. Sur cette base, l’autorité pénale a considéré qu’il produisait environ 150 gr par mois et qu’une telle consommation – soit d’une quantité semblable à celle retenue par l’hospice – pour une personne n’était pas démesurée, raison pour laquelle il a condamné le recourant uniquement pour possession et consommation de stupéfiants et a renoncé à le condamner pour trafic. L’hospice ne pouvait dès lors, sans preuve matérielle, mais uniquement sur une hypothèse, s’écarter des constatations de l’autorité pénale, qui est la plus à même de se prononcer sur les quantités de cannabis relevant sans aucun doute possible d’un trafic et devraient ainsi poursuivre ces faits d’office. Cet élément est corroboré par le certificat médical, établi par un médecin généraliste, selon lequel les troubles anxieux du recourant étaient calmés par une prise importante de cannabis. Il n’y a pas de raison sérieuse de remettre en question ce certificat. Enfin, s’il ressort de la procédure que le recourant avait indiqué ne pas avoir de problèmes de santé, l’on peut comprendre qu’il n’ait pas souhaité faire état, dans le cadre de mesures de réinsertion professionnelle, de sa dépendance au cannabis.

Il ne ressort au demeurant d’aucune pièce du dossier que le recourant s’adonnerait au trafic de cannabis. S’il a admis en avoir effectué par le passé, rien ne laisse à penser, avec une vraisemblance telle que le doute ne serait pas permis, que ce serait encore le cas au moment où l’hospice a rendu la décision, ce que ce dernier ne démontre dans tous les cas pas. En effet, il ne ressort notamment pas de l’enquête de voisinage que l’appartement du recourant ferait l’objet d’allers et venues fréquents, ni que ce dernier vivrait largement au-dessus de ses moyens. Le seul voyage à Cuba en 2020 ne permet pas de retenir le contraire.

Pour les raisons qui précèdent, l’hospice a abusé de son pouvoir d’appréciation en retenant que la détention par le recourant de 28 plants de cannabis à son domicile signifiait qu’il s’adonnait au commerce de celui-ci. Il n’a ainsi pas démontré que le recourant bénéficiait d’une autre source de revenus, de sorte qu’il ne pouvait mettre fin aux prestations d’aide sur cette base.

Ce grief sera dès lors admis.

Cela étant, il sera rappelé au recourant son obligation de déclarer tout revenu autre que ceux reçus de l’aide de l’hospice. En effet, si l’hospice n’a pas rendu vraisemblable qu’au moment où il a rendu sa décision, le recourant vendait le cannabis produit, il est évident qu’un tel comportement, s’il devait dans le futur être avéré, ne saurait être toléré et justifierait la suppression immédiate des prestations d’aide sociale.

4.3 La fin des prestations d’aide n’est également pas justifiée par le manque de collaboration du recourant, ce dernier ayant fait l’objet d’un unique avertissement et ayant manqué seulement un rendez-vous dans le cadre de la dernière réinsertion professionnelle. Il s’est en revanche toujours présenté aux rendez-vous fixés par sa conseillère de l’hospice et a, par le passé, collaboré aux mesures qui étaient instaurées. Cet unique manquement ne justifie dès lors pas à lui seul la suppression des prestations d’aide sociale.

Il sera toutefois rappelé au recourant son devoir de collaborer, notamment en se rendant aux rendez-vous fixés par l’hospice, en participant aux mesures de réinsertion professionnelle ou encore en cherchant activement un emploi, faute de quoi l’hospice serait fondé à supprimer les prestations d’aide.

Au vu de ce qui précède, le recours sera admis, la décision de l’hospice annulée et le droit aux prestations d’aide sociale du recourant rétabli.

5.             Vu l’issue de la procédure, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée au recourant, à la charge de l’hospice (art. 87 al. 2 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 4 décembre 2023 par A______ contre la décision de l’Hospice général du 2 novembre 2023 ;

au fond :

l’admet et annule la décision précitée ;

ordonne à l’Hospice général de rétablir le versement des prestations d’aide sociale en faveur de A____ à compter du 1er juillet 2023 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à A______, à la charge de l’Hospice général ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Anna SERGUEEVA, avocate du recourant, ainsi qu'à l'Hospice général.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. MAZZA

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

la greffière :