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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2761/2021

ATA/1313/2021 du 30.11.2021 sur DITAI/463/2021 ( LCI ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2761/2021-LCI ATA/1313/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 novembre 2021

3ème section

 

dans la cause

Madame A______
représentée par Me Mark Muller, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

et

B______
représentée par Me Jean-Pierre Carera, avocat

_________


Recours contre la décision du Tribunal administratif de première instance du 28 septembre 2021 (DITAI/463/2021)


EN FAIT

1) Madame A______ est propriétaire de la parcelle no 1______ de la commune de ______.

2) B______ (ci-après : B______), active dans le domaine de l'immobilier, est propriétaire de la parcelle n° 2______, voisine de la précitée.

3) Le 24 octobre 2017, le département du territoire (ci-après : le DT ou le département) a délivré à B______ une autorisation de construire (DD 3______ ; ci-après : la DD) pour quatre villas mitoyennes avec parking souterrain.

4) Le recours formé par Mme A______ contre cette décision a été rejeté par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) puis par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) par arrêt du 17 décembre 2019.

5) Les travaux sur la parcelle n° 2______ ont commencé le 1er avril 2021.

6) Le 28 mai 2021, Mme A______ a déposé auprès du DT une demande de reconsidération concluant, au fond, à l’annulation de la DD.

L’effet suspensif devait être restitué à ladite demande et il devait être fait interdiction à la SA de poursuivre l’exécution des travaux autorisés par la DD.

7) Par décision du 22 juillet 2021, le département a refusé d’entrer en matière sur la demande de reconsidération. Les éléments exposés semblaient plutôt relever d’une dénonciation pour le non-respect des conditions de la DD. Le dossier était transmis à la direction de l’inspectorat de la construction qui lui donnerait la suite qu’il convenait.

8) Mme A______ a interjeté recours, le 23 août 2021, auprès du TAPI contre la décision précitée. Elle a conclu à l’annulation de la décision du département du 22 juillet 2021 et au renvoi de la cause à celui-ci. Préalablement, elle a repris les mêmes conclusions que devant le DT.

9) Par décision du 28 septembre 2021, le TAPI, après un échange d’écritures sur effet suspensif et mesures provisionnelles, a rejeté la demande de mesures provisionnelles.

La décision querellée avait un contenu négatif, puisqu'elle refusait d'entrer en matière sur la demande de reconsidération formée par l’intéressée. Par conséquent, une restitution de l'effet suspensif n'était pas possible.

La requête devait être refusée aussi sous l’angle des mesures provisionnelles. Son admission compromettrait la sécurité du droit et équivaudrait à accorder à Mme A______ ce qu'elle espérait obtenir sur le fond, soit l'arrêt du chantier, celui-ci faisant l'objet d'une autorisation entrée en force suite aux jugement et arrêt des juridictions administratives, ce que le législateur n'avait précisément pas voulu. Les intérêts privés de l’intéressée, notamment les importantes nuisances dues au chantier de construction, son atteinte à la propriété et les questions de droit privé s'agissant de la problématique du raccordement des canalisations des nouvelles constructions projetées au réseau de canalisation privé existant, devaient céder le pas, à ce stade, sur l'intérêt public à la sécurité du droit. Par ailleurs, par ordonnance du 28 juin 2021, statuant sur mesures provisionnelles, le Tribunal civil de première instance (ci-après : TPI) avait donné acte à B______ de son engagement de ne pas procéder au raccordement des nouvelles constructions entreprises sur la parcelle n° 2______, de sorte que les droits de Mme A______ étaient sauvegardés de manière adéquate sur le plan civil, et la mesure plus incisive requise par la recourante, soit l'arrêt immédiat et total du chantier, ne s'avérait nullement légitime. À l'instar de ce que le TPI avait considéré dans son ordonnance, le dommage difficilement irréparable (sic) que la recourante alléguait subir ne suffisait pas à justifier le prononcé de l'interdiction totale de commencer un chantier dont les constructions étaient définitivement autorisées sur le plan administratif.

10) Par acte du 11 octobre 2021, Mme A______ a recouru contre la décision sur mesures provisionnelles auprès de la chambre administrative. Elle a conclu à l’annulation de la décision du 28 septembre 2021 et, cela fait, à ce qu’il soit fait interdiction à B______ de poursuivre l’exécution des travaux.

Faute d’équipements de la parcelle n° 2______ au moment de l’ouverture du chantier, B______ avait violé les art. 19 et 22 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700). La situation conforme au droit était celle prévalant avant l’ouverture du chantier en construction, au moment où aucune violation de la DD et de la LAT ne pouvait être reprochée à B______. Pour maintenir l’état de fait prévalant avant le litige et afin de ne pas compromettre la sécurité du droit, le TAPI aurait dû ordonner les mesures provisionnelles requises. L’entrée en force de la DD ne permettait pas de considérer que la situation actuelle, dans laquelle le chantier avait été ouvert, était conforme au droit. Le TAPI avait erré en retenant que l’admission des mesures provisionnelles compromettrait la sécurité du droit.

Il était de même erroné de retenir qu’octroyer les mesures provisionnelles, soit l’arrêt du chantier, équivaudrait à accorder à la recourante ce qu’elle espérait obtenir sur le fond. Ses conclusions principales tendaient à l’annulation de la DD. Par ailleurs, le recours formé par la recourante le 23 août 2021 avait pour objet le renvoi de la cause au département pour décision sur la révocation de la DD.

Il existait un dommage irréparable dans le déversement des eaux des installations de chantier dans le réseau de canalisations existant, passant sous la parcelle propriété de la recourante. Le préjudice irréparable consistait également dans la poursuite du chantier sur la parcelle n° 2______ pendant la durée de la procédure, impliquant des nuisances telles que bruits, odeurs, trépidations notamment, lesquelles ne sauraient être réparées ultérieurement.

En cas de succès au fond, il était probable que les nouvelles constructions doivent être démolies, faute de canalisations sur lesquelles se raccorder, ce qui augmenterait son dommage. Pour le surplus, l’ordonnance prononcée par le juge civil le 28 juin 2021 était incomplète, l’interdiction de raccordement des canalisations ne portant que sur les futures constructions et non pas les installations de chantier. Les mesures provisionnelles prononcées par le juge civil n’étaient ni aptes ni suffisantes à prévenir le dommage irréparable.

11) Le département a conclu au rejet du recours.

La situation n’avait pas changé depuis l’octroi de la DD. S’agissant des questions de droit privé et d’exécution de la DD, la recourante avait saisi les instances civiles qui s’étaient prononcées, retenant notamment que l’arrêt total du chantier apparaissait disproportionné. De surcroît, la chambre civile de la Cour de justice avait confirmé l’ordonnance du TPI du 28 juin 2021. L’état de fait à maintenir était celui prévalant avant la décision du refus de reconsidérer du 22 juillet 2021. Il répondait à satisfaction aux inquiétudes et aux démarches de la recourante puisque le 28 juin 2021, le TPI avait donné acte à B______ de son engagement à ne pas procéder au raccordement des nouvelles constructions aux installations collectives privées d’évacuation des eaux usées et pluviales. L’intérêt actuel au prononcé de la mesure demandée ainsi que l’urgence nécessaire à cette dernière paraissaient ainsi « questionnables ».

C’était à tort que la recourante soutenait que ses droits ne seraient pas sauvegardés par une mesure moins incisive que l’arrêt immédiat et total du chantier. Le TPI avait d’ailleurs relevé que le prononcé d’un tel arrêt apparaissait comme disproportionné. La Cour de justice avait, de même, écarté l’existence d’un préjudice irréparable.

L’ouverture de chantier avait été correctement effectuée, la pesée des intérêts en présence ayant conduit à considérer que l’arrêt total du chantier apparaîtrait comme disproportionné. L’ensemble des conditions de la DD restait valable et faisait l’objet d’un examen des instances de préavis dans le cadre des conditions d’exécution de ladite autorisation de construire et des instances civiles pour ce qui concernait le droit privé.

12) B______ a conclu au rejet du recours. Dans le cadre d’une pesée des intérêts, elle subirait un très grave préjudice financier dans l’éventualité d’un arrêt de chantier alors qu’elle ne voyait pas de quelle façon la situation de la recourante était impactée par le fait que le réseau collectif privé, dont elle était
co-propriétaire, soit utilisé pour y faire transiter une très faible quantité d’eau alors que diverses autres habitations du quartier y étaient raccordées.

13) Dans sa réplique, Mme A______ a rappelé qu’à teneur de l’arrêt de la chambre administrative, la parcelle n° 1______ était « équipée » pour autant que les conditions du préavis de l’office cantonal de l’eau (ci-après : OCEau) soient respectées. La jurisprudence et la doctrine précisaient que le terrain devait être équipé au moment de l’ouverture du chantier. Celui-ci était intervenu en violation du préavis de l’OCEau et de la DD. La situation prévalant avant la survenance de la procédure correspondait donc à l’absence de violation de l’art. 22 LAT et des termes de la DD. Pour le surplus, elle a persisté dans ses conclusions.

14) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Les décisions du TAPI peuvent faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative (art. 132 al. 1 et 2 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

En l’espèce, la décision du TAPI est une décision incidente, rejetant une demande de mesures provisionnelles, qui ne représente qu’une étape vers la décision finale (arrêts du Tribunal fédéral 2C_98/2017 du 13 mars 2017 consid. 1 ; ATA/613/2017 du 30 mai 2017).

Le délai de recours s’agissant d’une décision incidente est de dix jours (art. 62 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue.

2) Le recours contre une décision incidente n’est ouvert que si ladite décision, à supposer qu’elle soit exécutée, cause un préjudice irréparable à son destinataire. Il est également ouvert si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 57 let. c LPA).

En l’espèce, l’admission du recours ne mettrait pas fin au litige, lequel porte, à teneur des conclusions prises par la recourante, sur l’annulation de la DD. La seconde hypothèse visée par l’art. 57 let. c LPA n’est ainsi pas réalisée en l’espèce.

3) Reste à examiner si la décision litigieuse est susceptible de causer un préjudice irréparable à la recourante.

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, un préjudice est irréparable au sens de cette disposition lorsqu’il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2 ; 133 II 629 consid. 2.3.1). Le préjudice irréparable suppose que le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée, comme un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l’économie de la procédure
(ATF 135 II 30 ; 134 II 137 ; 127 II 132 consid. 2a ; ATA/1187/2015 du 3 novembre 2015 consid. 2c). Le simple fait d’avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas, en soi, un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1 ; ATA/305/2009 du 23 juin 2009 consid. 2b et 5b et les références citées). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n’est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 133 II 629 consid. 2.3.1 ; 131 I 57 consid. 1 ; 129 III 107 consid. 1.2.1 ; 127 I 92 consid. 1c ; 126 I 97 consid. 1b).

La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que
l’art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/231/2017 du 22 février 2017 consid. 3c et les références citées).

4) L'art. 21 al. 1 LPA permet le prononcé de mesures provisionnelles. Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, de telles mesures ne sont légitimes que si elles s'avèrent indispensables au maintien d'un état de fait ou à la sauvegarde d'intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/503/2018 du 23 mai 2018 ; ATA/955/2016 du 9 novembre 2016 consid. 4).

Elles ne sauraient, en principe, anticiper le jugement définitif (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265).

5) En l’espèce, la décision d’autorisation de construire litigieuse est définitive et exécutoire.

Le fond du présent litige porte sur le bien-fondé du refus du département d'entrer en matière sur la demande de reconsidération de ladite décision.

Les chances de succès du recours n'apparaissent pas, prima facie, évidentes s'agissant d'une procédure en reconsidération. De surcroît, le litige semble de prime abord civil et, comme indiqué par le DT, la demande de la recourante s’apparente, à première vue, plutôt à une dénonciation.

Par ailleurs, en application de l'art. 48 al. 2 LPA, la demande en reconsidération n'entraîne pas effet suspensif. À juste titre le TAPI a retenu que la décision de refus d'entrer en matière était négative et que seule se posait la question de mesures provisionnelles. Or, si la recourante devait obtenir gain de cause dans la présente procédure, le dossier serait renvoyé au département pour qu'il entre en matière sur la demande de reconsidération. Ainsi, en sollicitant, par le biais de mesures provisionnelles, la possibilité de stopper les travaux, la recourante revendique des droits dont elle ne bénéficie pas compte tenu de l’autorisation de construire en force et qui ne font pas l’objet du présent litige.

Ses arguments relatifs aux conséquences de la poursuite du chantier, notamment sur le plan financier ou des nuisances, ne sont dès lors pas pertinents dans le cadre du présent recours.

Le refus de mesures provisionnelles n’entraine ainsi aucun dommage irréparable pour la recourante.

Son recours sera par conséquent déclaré irrecevable.

6) Vu l'issue du recours, un émolument de CHF 900.- sera mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 900.- sera allouée à la SA à la charge de la recourante (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 11 octobre 2021 par Madame A______ contre la décision du Tribunal administratif de première instance du 28 septembre 2021 ;

met un émolument de CHF 900.- à la charge de Madame A______ ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 900.- à  la B______ à la charge de Madame A______ ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

ommunique le présent arrêt à Me Mark Muller, avocat de la recourante, à
Me Jean-Pierre Carera, avocat de B______, au département du territoire-oac ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, MM. Chenaux et Mascotto, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :