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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2757/2016

ATA/631/2017 du 06.06.2017 ( FPUBL ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2757/2016-FPUBL ATA/631/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 6 juin 2017

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Éric Maugué, avocat

contre

CONSEIL D'ÉTAT



EN FAIT

1. a. Par arrêté du Conseil d’État du 12 novembre 1986, Monsieur A______, citoyen genevois né en 1957, a été nommé, à compter du 1er février 1987 et pour une année à titre d’épreuve, officier de gendarmerie avec le grade de lieutenant et a été, le 1er février 1988, confirmé dans ses fonctions.

Le 20 janvier 1999, M. A______, alors capitaine, a été désigné, avec deux autres officiers de gendarmerie, « Chef engagement Maintien de l’Ordre (MO) ».

Par arrêté du Conseil d’État du 13 juin 2001, il a été nommé, dès le
1er juillet 2001, aux fonctions d’officier de police, pour une année à titre d’épreuve, nomination confirmée le 1er juillet 2002.

Par arrêtés du Conseil d’État, le 18 décembre 2002, il a été nommé à la direction des services d’état-major de la police genevoise, par intérim, le 9 avril 2003, remplaçant du chef de la police genevoise, le 17 novembre 2003, commandant de la gendarmerie et au grade de lieutenant-colonel, dès le
1er novembre 2003 et avec période d’essai de vingt-quatre mois, après lesquels il a été confirmé dans ses fonctions.

b. Par arrêté du Conseil d’État du 29 août 2012, M. A______ a été, avec effet au 1er septembre 2012, promu à la fonction de chef des opérations (ci-après : chef OP), à l’état-major de la police – service opérations, au sein du département de la sécurité devenu le département de la sécurité et de l’économie (ci-après : DSE ou département), pour une période d’essai de vingt-quatre mois, à la suite de laquelle il a été confirmé dans cette fonction. Il a conservé son grade de lieutenant-colonel.

À teneur du cahier des charges de cette fonction établi le 11 janvier 2012, il était hiérarchiquement subordonné à la cheffe de la police devenue à compter du 1er mai 2016 la commandante de la police (ci-après : la commandante) – dont il pouvait être désigné remplaçant –, et les fonctions qui lui étaient subordonnées étaient le chef du centre des opérations et planification de la police, le chef du renseignement, le chef des officiers de police (devenus depuis commissaires de police) de service (ci-après : OPS) et le chef des unités spécialisées. Le but et la mission de son poste étaient de proposer, respectivement planifier et/ou coordonner, voire diriger les opérations de sécurité publique au sens large, d’initiative et/ou sur réquisition de la commandante.

Au 1er janvier 2014, l’intéressé percevait un traitement en classe 30, annuités 22.

c. Parallèlement à ces nominations et promotions, il a suivi des formations et obtenu des diplômes, certificats ou brevets auprès de l’Association suisse des cadres ainsi qu’auprès de corps de police de pays européens voisins.

d. M. A______ a été, jusqu’à récemment, président de la conférence des gendarmeries des cantons romands et commandant du groupement de maintien de l’ordre en Suisse romande. Suite aux attentats de Paris de novembre 2015, il a présidé l’état-major de crise constitué à cette occasion.

2. En date du jeudi 25 juin 2015, une manifestation non autorisée et intitulée « Ramène ton char » ou « Arrête ton char » a eu lieu, de 20h00 à 23h30, en partant de la place des Volontaires, en passant par le quartier de Plainpalais et la gare de Cornavin et finissant au parc des Cropettes.

Elle avait auparavant fait l’objet de deux notes internes, adressées au chef du renseignement les 20 et 23 juin 2015, du brigadier-chef de groupe à la brigade de recherche et îlotage communautaire (ci-après : BRIC), désigné ci-après le brigadier-chef de groupe. Selon la première note, « sur les réseaux sociaux, un appel à une manifestation "festive" [avait] été lancé ». À teneur de la seconde note, notamment, « la parade se [voulait] festive. Les participants [étaient] priés de venir déguisés » ; « elle [voulait] dénoncer la "gentrification" (embourgeoisement urbain) de Genève » ; « à l’arrière du cortège, une zone "tampon" composée de membres du black bloc en tenue devrait être constituée. Ces personnages, représentant historiquement 10 à 15 % du total des participants, [seraient] équipés d’engins détonants et pyrotechniques. Les consignes, […], [étaient] de déclencher une action hostile face à la police, si cette dernière venait à leur barrer la route pour empêcher le départ ou la poursuite de leur cortège ».

Selon une note interne du 26 juin 2015 intitulée « rapport de manifestation au Chef des Opérations », un groupe de maintien de l’ordre (ci-après : MO) de huit policiers avait été mobilisé par le chef OP. Il était indiqué, s’agissant du « déroulement » : « Rassemblement d’environ 180 personnes (au plus fort de la manif) issu du milieu alternatif, squat, anarchiste. (…) Selon la BRIC, environ
40 personnes cagoulées. Plusieurs tags ont été faits sur le parcours de la manif, notamment dans le quartier de Plainpalais (…) et à la place de Cornavin. Plusieurs fumigènes et pétards ont été allumés durant la manif. (…) ».

3. Le black bloc est un mouvement anonyme ; il s’agit à la fois d’un mouvement très informel et d’une technique de manifestation de rue, dont la caractéristique est un habillement en noir. Ses membres disposent de bâches revendicatrices, renforcées pour éviter les balles de caoutchouc et qui servent de bouclier. Il n’y a pas un black bloc constitué des mêmes individus pour chaque manifestation. Parfois, les militants ne se connaissent pas personnellement, mais ils ont la même idéologie politique. Le 19 décembre 2015, des personnes sont venues de Suisse allemande, certainement de Berne, sur invitation des activistes genevois. Les black bloc sont présents dans une manifestation compacte, avec pour mot d’ordre de ne pas rester isolés, pour éviter les interpellations. Ils revendiquent la légitimité de la violence physique face à la violence symbolique (définition donnée par la BRIC à la commission de gestion du Grand Conseil
[ci-après : la commission de contrôle de gestion] lors de l’audition du 5 septembre 2016 [infra ; p. 43 s]). Le terme désigne également les participants à ce type de technique de manifestation.

4. Le lundi 31 août 2015, une contre-manifestation non autorisée s’est tenue sur la plaine de Plainpalais contre un rassemblement politique de l’Union Démocratique du Centre (ci-après : l’UDC).

D’après une note interne du même jour intitulée « rapport de manifestation au Chef des Opérations », un groupe MO de quatre-vingt-huit policiers avait été mobilisé par le chef OP. Aucun problème n’était survenu si ce n’était une personne venue avec des panneaux « anti-Blocher ». La manifestation avait réuni trois cents personnes, dont vingt black bloc au maximum. Trois personnes avaient été interpellées.

5. À teneur d’un article de la Tribune de Genève du 4 octobre 2015, le centre culturel autogéré l’Usine avait fait grève le vendredi soir 2 octobre 2015, une scène et un bar improvisés ayant néanmoins réuni quatre cents personnes ayant festoyé sur la place des Volontaires, devant l’Usine. Il s’agissait de dénoncer le comportement du canton, en particulier du DSE, à l’égard de l’Usine. La soirée s’était déroulée dans le calme, sans intervention de la police. Le chef du DSE avait déclaré : « La manifestation sauvage sera sanctionnée comme n’importe quelle autre action non autorisée ».

6. Le soir du lundi 5 octobre 2015 était censée se dérouler une manifestation « culturelle » au sujet de la « remise du Prix Nansen 2015 ».

Selon une note interne du même jour intitulée « rapport de manifestation au Chef des Opérations », un groupe « MO » de huit policiers avait été mobilisé par le chef OP. Malgré un appel à manifester devant l’Usine lancé par le biais de la radio, aucun regroupement n’avait été constaté, ce qui avait conduit le groupe de policiers à quitter les lieux.

7. D’après un article de la Tribune de Genève du 25 octobre 2015, durant la soirée et la nuit du samedi 24 au dimanche 25 octobre 2015 s’était déroulée une manifestation improvisée – et non autorisée – sous la forme d’un cortège d’environ mille jeunes de la plaine de Plainpalais à la Servette, avec retour peu avant 3h00 dans le secteur de l’Usine. Des tagueurs s’étaient acharnés sur les murs de l’avenue Henri-Dunant et du boulevard Georges-Favon, particulièrement à l’approche des établissements bancaires. Il n’y avait eu aucune interpellation ni aucune plainte à ce jour. D’après le journaliste, « quant à la confrontation à distance entre l’Usine et [le conseiller d’État en charge du DSE (ci-après : le conseiller d’État)], mettons qu’elle vient de prendre une tournure assez "désastreuse" ».

8. À teneur d’un rapport des OPS, du mercredi 28 au jeudi 29 octobre 2015, entre vingt et trente sympathisants de l’Usine ont assisté aux débats du Conseil municipal de la ville de Genève portant sur l’Usine. Une fouille était organisée à l’entrée de l’Hôtel-de-Ville et des objets ont été saisis. Malgré quelques tensions, aucun problème particulier n’a été mis en évidence.

9. Vers le milieu ou la fin du mois de novembre 2015 ont été aperçus en ville de Genève un tag et un autocollant portant la mention « sauvage 19.12.2015 », ce qui a conduit la BRIC à procéder à des investigations à ce sujet.

10. Lors de la séance du rapport des opérations du 14 décembre 2015 (« Rapport décision Chef op ») en présence notamment de M. A______ et d’un capitaine en activité auprès du centre des opérations et planification de la police (ci-après : le capitaine), le chef du renseignement a, aux termes dudit rapport, fait état de ce qui suit : « 19.12.15 : Manif "Ramène ton char" : départ quartier des Grottes + festivités à l’Usine + Parfumerie. Dernière édition (06.15) : 180 personnes + 1 élément black bloc, dégâts = tags ».

11. Par note interne de la BRIC du mardi 15 décembre 2015 intitulée « Manifestation "Sauvage" du 19.12.2015 », (en gras) et destinée au chef du renseignement, le brigadier-chef de groupe l’a informé que la tenue d’une fête sauvage était annoncée pour le samedi 19 décembre 2015. Il détaillait le lieu de rendez-vous ainsi que le but annoncé par les manifestants, à savoir leur volonté de « prendre la rue car elle nous appartient », au motif notamment de la menace sur leurs « lieux de fête et de culture », du subventionnement du Grand Théâtre, « lieu de culture bourgeoise pratiquant des tarifs inaccessibles aux plus nombreuses », « à défaut de ne pas avoir encore occupé le palais Wilson ou tout autre palace pour riches désoeuvrés ».

L’information avait été largement relayée dans les milieux noctambules alternatifs genevois.

La note mentionnait : « Comme lors des précédentes éditions, la manifestation du 19 décembre 2015 ne fera l’objet d’aucune demande d’autorisation. Les participants viendront dans le but de défiler en cortège au centre de Genève. La fin du cortège pourrait se terminer à son point de départ et profiter ainsi des infrastructures de l’Îlot 13 ou à la place des Volontaires pour profiter de celles de l’Usine. Nous relevons que lors de la dernière édition, les plaques d’immatriculation des véhicules employés pour diffuser du son etc… ont été masquées afin que leurs détenteurs ne soient pas identifiés ».

Durant le cortège, l’usage d’engins pyrotechniques et détonants était très probable. Des actions de tags sur les murs des bâtiments, vitrines des commerces et mobilier urbain étaient certains. Les auteurs seraient masqués, cagoulés et protégés par le cortège et ses participants.

Il était relevé que l’appel à la manifestation « mentionn[ait] "les vitrines de luxe", "les espaces de circulation automobile", le "Grand Théâtre", "le palais Wilson et autre palace pour riches désoeuvrés" ».

La note relevait également que la notion de manifestation « sauvage » faisait « clairement référence à une action forte et visible » et que dès lors « la présence policière pourrait être fortement contestée, voire combattue ».

En se basant sur le nombre de participants des dernières actions organisées par le milieu de la culture alternative, des divergences politiques et d’une météo favorable, la participation pourrait osciller entre quatre cents et huit cents personnes.

Le programme, notamment les concerts prévus le soir en question dans les différents lieux de culture alternative, était détaillé.

Le jour même, seuls le chef du renseignement et le capitaine ont reçu cette note. Tous deux en ont parlé ensemble.

12. Selon le procès-verbal du « rapport des opérations du jeudi 17 décembre 2015 », lors de cette séance à laquelle assistaient de nombreux cadres ou spécialistes de la police, dont M. A______, a été évoqué, parmi de nombreux points, ce qui suit : « Samedi 19 décembre 2015 à 22h00 – Manifestation "Sauvage" – Cropettes [termes en gras dans le texte] – Manifestation à l’initiative du milieu alternatif genevois. Cortège musical en ville, action de tags probables. Usage d’engins pyrotechniques, détonant et fumigène probable ». A la fin de ladite séance, le chef du renseignement a notamment indiqué : « Manif "SAUVAGE" du 19, elle est annoncée, les informations suivent. Le bulletin renseignements diffusé mardi fait toujours foi, en cas d’évolution, un nouveau bulletin sera émis ».

Lors de cette réunion du 17 décembre 2015, la substance de la note précitée du 15 décembre 2015 a été brièvement évoquée oralement par le chef du renseignement et/ou un appointé au service de la BRIC (ci-après : l’appointé), comme cela ressort des déclarations de M. A______ – qui ne se souvient pas si le chef ou l’appointé ont lu un papier – faites devant l’enquêteur administratif ainsi que du rapport de celui-ci (infra). Sur ce point, rien ne permet de mettre en doute les propos tenus par le chef OP lors de l’audience de comparution personnelle (infra), à teneur desquels le chef du renseignement et/ou l’appointé ne se sont pas référés à une note écrite qui aurait été rédigée, mais ont fait état des informations résultant des déclarations faites par la « partie adverse » (terme désignant les manifestants et leurs organisateurs), notamment « reprendre la rue » et s’en prendre à la gentrification.

Selon les allégations formulées par M. A______ dans son recours (infra), non contredites sur ce point par le Conseil d’État, les procès-verbaux des rapports d’opérations étaient très largement diffusés et notamment transmis à la commandante.

13. Après cette séance, le 17 décembre 2015 également, le chef du renseignement a reçu d’un sous-brigadier de la BRIC (ci-après : le sous-brigadier) une note interne intitulée : « CONFIDENTIEL – RENSEIGNEMENTS FERMÉS », les termes étant mentionnés en gras.

Une estimation provisoire faisait état de 300 à 400 participants pour le cortège, dont 30-40 black bloc.

Elle détaillait, dans les grandes lignes, le cheminement du cortège, et les actions prévues, notamment que des ampoules de peinture avaient pour cible le Grand Théatre et des extincteurs, la Vieille-Ville, probablement les bureaux du conseiller d’État, cela ayant déjà été le cas par le passé. Les termes Grand Théâtre et Vieille Ville étaient soulignés. Des engins pyrotechniques et des tags étaient évoqués, des bris de vitres n’étaient pas exclus.

Concernant le Grand Théatre, il était relevé qu’aucun événement particulier ne s’y tenait le soir en question.

14. Ensuite, toujours le 17 décembre 2015, le chef OP, le capitaine et le chef du renseignement se sont entretenus à propos des mesures à prendre en relation avec cet événement.

Le lendemain vendredi 18 décembre 2015, M. A______ a eu des contacts avec le chef du renseignement et tenu une réunion avec le capitaine, en marge des rencontres du dispositif de prévention anti-terrorisme mis en place après l’attaque du Bataclan à Paris en France (ci-après : le dispositif de prévention anti-terrorisme).

Devant l’enquêteur administratif (infra), le chef du renseignement a pensé qu’il devait avoir eu, lors de la séance à trois du 17 décembre 2015, la note - fermée – du même jour avec lui et l’avoir montrée, mais que si tel n’était pas le cas, il avait parlé de son contenu. Le capitaine a déclaré n’avoir pas été informé de l’existence de cette note, ni n’avoir reçu d’autres informations concernant les objectifs de la manifestation que celles qui figuraient dans la note de la BRIC du 15 décembre 2015. M. A______ a indiqué que le contenu de la note du 17 décembre 2015 lui avait été communiqué oralement le 18 décembre 2015 et que les informations avaient été partagées avec le chef du renseignement et le capitaine ; dans son recours (infra), il a précisé qu’il n’avait à l’époque pas eu connaissance de notes écrites établies par le renseignement - celles des 15 et 17 décembre 2015 –, les indications lui ayant été fournies oralement sans que soit mentionnée l’existence de telles notes.

15. Le 18 décembre 2015, après avoir reçu une proposition du capitaine relative à un dispositif d’encadrement et considérant que la manifestation – non autorisée – du lendemain était un événement important, M. A______ a décidé, pour celle-ci, d’engager un effectif de trente-et-un policiers, soit deux groupes d’éléments légers de maintien de l’ordre (ci-après : ELI) de huit personnes chacun, un groupe MO de huit personnes, ainsi qu’un véhicule tonne-pompe employé par trois policiers, tous étant sous le commandement d’un premier-lieutenant devenu ultérieurement capitaine (ci-après : le chef d’engagement), lequel n’a pas été mis au courant des notes des 15 et 17 décembre 2015. Pour la BRIC, un brigadier (ci-après : le brigadier) et l’appointé devaient suivre en civil les événements et informer le chef d’engagement de ce qui se passait.

16. Du journal d’inscription détaillant, au fur et à mesure des événements, le déroulement de la manifestation du samedi soir 19 décembre 2015 au dimanche matin 20 décembre 2015, il ressort que la manifestation a débuté à 19h54 et la situation est restée calme jusqu’au départ du cortège. À 22h06, deux cents cinquante personnes étaient réunies. Dès 22h26, des personnes – jusqu’à quarante – se sont changées en black bloc, avec lunettes noires de protection. À 22h36, le cortège s’est mis en route. Durant la manifestation, parallèlement à plusieurs tirs de fusées pyrotechniques, des tagueurs protégés par vingt à quarante black bloc ont « [tagué] à tout va » en de nombreux endroits, notamment, dès 23h06, à la place Bel-Air puis dans la rue de la Corraterie. Des jets de fusées pyrotechniques ont été lancés à la hauteur du Musée Rath. À 23h27, le cortège a fait le tour de la Place Neuve. À 23h29, « des individus [ont tagué] le Grand Théâtre et des pots de peinture [ont été] lancés contre le bâtiment avec utilisation de fumigène masquant la visibilité ». À 23h30, le cortège a quitté la Place Neuve pour se rendre à la rue Jean-François-Bartholoni puis au Grütli. Parallèlement, il est apparu que des vitrines de commerces avaient été brisées à la rue de la Corraterie. Par la suite, de nombreuses vitrines ont été brisées et des magasins ont été cassés, dont l’un – vendant du matériel de sécurité – a été pillé. Parallèlement, un député du Grand Conseil (ci-après : le député) s’est rendu dans son magasin qui avait été fracturé et, vu un risque d’agression de la part de certains manifestants, un groupe MO s’est constitué sur place pour permettre l’évacuation de cet homme, lequel a pu partir avec sa voiture une fois la zone sécurisée.

17. C’est à 1h40 le 20 décembre 2015 que le conseiller d’État, la commandante et le chef OP ont été informés de ces événements, à l’initiative du chef d’engagement.

18. Par note interne adressée le 20 décembre 2015 au chef OP et intitulée « Événements à la suite d’un cortège (non autorisé) », manifestation de 21h00 le samedi 19 décembre à 3h00 le dimanche 20 décembre 2015, composée de quatre cent manifestants environ, dont un black bloc de vingt à trente personnes, le chef d’engagement a relaté le déroulement de ladite manifestation.

Un premier cortège s’était rassemblé au parc des Cropettes et, dès 22h00, s’est déplacé jusqu’à l’Usine en passant par de nombreux endroits. À 0h30, un second cortège, sans black bloc et sans incident, était parti du barrage du Seujet et avait traversé plusieurs endroits avant de revenir à l’Usine.

Lorsque le premier cortège s’était trouvé à la Place Neuve, les forces de l’ordre tenaient les accès à la Vieille-Ville et les manifestants s’en étaient pris aux bâtiments de ladite place, à savoir le Grand Théâtre et le Musée Rath.

Par la suite, à un autre endroit de la ville, à un moment, un cocktail Molotov et des pierres avaient été lancés sur des policiers. À un autre moment, un cocktail Molotov ainsi que plusieurs projectiles avaient été jetés sur les forces de l’ordre. À ces occasions, deux policiers avaient été blessés, apparemment sans gravité.

En tout, plus de vingt vitrines avaient été brisées.

19. Dans une note interne adressée le 22 décembre 2015 à la commandante à la demande de celle-ci, M. A______ a indiqué que durant l’année 2015, des « appels » similaires à celui ayant conduit à la manifestation du 19 décembre 2015 avaient été lancés et suivis par des événements non autorisés qui avaient également vu la présence de black bloc, les 25 juin, 31 août, 5, 25 et 28 octobre 2015. La présence de ce noyau dur n’avait pas systématiquement débouché sur des dommages à la propriété (casse ou tags) et ces manifestations n’avaient jamais donné lieu à des confrontations avec la police.

L’événement du 19 décembre 2015 avait fait l’objet d’une prise en compte par les services de police avec l’intervention d’un officier, d’une section MO/ELI et un tonne-pompe, dispositif renforcé par rapport aux manifestations précédentes précitées. Le cadre d’emploi et les conduites à tenir avaient été fixés lors d’un rapport du vendredi 18 décembre 2015 de la manière suivante : sécurisation des personnes ; prise en compte des objectifs « symboles » tels que Rues Basses, Vieille-Ville, bâtiments étatiques (Hôtel-de-Ville, DSE, etc.) ; positionnement tactique propre à réduire autant que faire se pouvait de placer les forces de police dans le rôle de l’agresseur ; évitement de toute provocation. Les partenaires 144 et SIS avaient été informés de la tenue de cet événement par le biais d’un de leurs représentants.

Le chef d’engagement, sur le terrain, avait été lié à la conduite de l’action « au front » et avait appliqué le cadre d’emploi en adéquation avec la doctrine en la matière. Les bascules de forces avaient été opérées, passant d’une posture statique à une posture dynamique, permettant d’empêcher les manifestants de se rendre dans les Rues Basses, dans la Vieille-Ville, vers la caserne des Vernets, les bâtiments d’une entreprise ainsi que les deux hôtels de police. En revanche, la judiciarisation et la désanonymisation n’avaient pas pu être menées à bien, faute d’opportunité de pouvoir mener des actions conduisant à des interpellations « dans la foulée » sans risquer de faire échouer la mission principale de sécurisation.

Au final, soixante-cinq enseignes commerciales avaient été impactées (tags et/ou bris de vitres) ainsi que vingt-et-un immeubles, et une agression avait été annoncée en lien avec les événements. Il était relevé que la manifestation du 29 mars 2003 (affaire dite de la « balle marquante ») avait induit des conséquences similaires.

Pour ce type d’événements, il s’agissait de mettre en place des moyens susceptibles d’effectuer des contrôles préventifs et d’assurer des « missions de protection/sécurisation d’objectifs/secteurs/symboles », tout en créant les conditions favorables à la judiciarisation. À ce stade, le chef OP préconisait la mise sur pied d’une force de circonstance dédiée aux rassemblements non autorisés et spontanés, ce qui équivalait à accepter de mettre en œuvre le « principe de précaution » et en assumer les conséquences en termes de disponibilité et de coûts en heures supplémentaires.

20. Dans un rapport adressé le 23 décembre 2015 au conseiller d’État en charge du DSE, la commandante, sur la base du rapport précité du chef OP du
22 décembre 2015, a pris position concernant la manifestation non autorisée du
19 décembre 2015.

Le contexte tendu au niveau de la gestion des heures supplémentaires nécessitait en permanence une appréciation rigoureuse des effectifs à engager. Dans ce contexte, les officiers en charge de la planification des effectifs se voyaient contraints d’opter quasi systématiquement pour la variante minimum ; ceci pouvait être dommageable particulièrement s’agissant des engagements d’ordre public. Les mesures liées à la prévention contre le terrorisme mobilisaient des ressources importantes depuis plusieurs semaines tout en devant garantir les prestations de base et le socle sécuritaire. Cinq manifestations de la même typologie s’étaient déroulées à Genève cette année sans nécessiter de mobiliser des ressources importantes (échelon groupe-section) ; ces manifestations s’étaient caractérisées par des atteintes aux biens sans confrontation avec le public et les forces de l’ordre. Pour la manifestation du 19 décembre 2015, le chef OP avait mobilisé un effectif plus important que celui qui avait été mobilisé pour les manifestations de même type (sauf pour la manifestation anti-UDC). Le dispositif de mobilisation de la police en cas de trouble à l’ordre public nécessitait dès le déclenchement de l’alarme une certaine durée jusqu’à l’arrivée des personnes de piquet ou distraites de leurs missions de base. Les déprédations les plus importantes avaient eu lieu entre 23h00 et 00h15. Le positionnement des forces de l’ordre avait permis de sécuriser les Rues Basses et la Vieille-Ville notamment.

Outre les mesures prises dans le cadre de l’enquête en cours pour la manifestation du 19 décembre 2015, il y avait lieu, pour les manifestations futures de la même typologie, notamment de renforcer la disponibilité de base pour tout événement de ce type. Dans ce contexte, il y avait lieu d’accepter, sur un plan politique, de générer des heures supplémentaires pouvant être particulièrement coûteuses s’agissant d’événements non planifiés ; en effet, en respectant les règles actuelles de management des ressources humaines (ci-après : RH), ces engagements se feraient au détriment du socle sécuritaire. En conclusion, après analyse des derniers événements, le commandement de la police constatait qu’il avait sacrifié le « principe de précaution » au profit d’une application stricte des règles de management RH.

21. Par courriel du dimanche 27 décembre 2015, avec copie au chef de l’état-major de la police (ci-après : le chef de l’état-major) et au chef OP, le conseiller d’État a posé seize questions à la commandante, un complément de rapport étant souhaité au plus tard le lundi 4 janvier 2016 à midi reprenant les seize questions, de même qu’un rapport expurgé des aspects non publics, qu’il pourrait présenter aux parlementaires et aux médias.

22. Par courriel du 28 décembre 2015 adressé à M. A______, le chef du renseignement a répondu à six des questions posées par le conseiller d’État.

Notamment, à la question 1 (« Depuis quand et par quel canal était-on au courant du rassemblement ? »), le chef du renseignement a répondu : « Fin novembre début décembre 2015, nous avons trouvé les premiers éléments laissant penser à une action des milieux alternatifs. (…) Depuis ce jour, nous avons poursuivi l’exploration afin de transmettre des renseignements au [centre des opérations et de planification] en vue de ce rassemblement ».

En réponse à la question 2 (« A-t-on anticipé la transformation du rassemblement en cortège ? »), il a indiqué ce qui suit : « Sur la base du dernier rassemblement "Ramène ton char" du mois de juin 2015, nous pensions que l’événement de décembre serait identique à celui du mois de juin. À savoir qu’au mois de juin, il y a eu un rassemblement puis un cortège non autorisé. Celui-ci a débuté à l’Usine. Concernant les actions du mois de juin, il y a eu des tags mais pas de bris de vitre ou de feux de poubelles. (…) sur ces éléments, nous avons également pensé qu’à l’issue du rassemblement, il y aurait un cortège ».

23. Par courriel adressé le 29 décembre 2015 au chef OP, le chef d’engagement a répondu à quatre des questions posées par le conseiller d’État.

La mission qui lui avait été confiée, à savoir assurer l’encadrement de la manifestation du 19 décembre 2015 en évitant la provocation, avait été bien réalisée avec l’effectif en sa possession. En vue de réaliser cette mission, « la variante choisie était la plus raisonnable et la plus probable ».

Le chef d’engagement s’était fié à son expérience, à ses moyens, ainsi qu’à son appréciation et au vécu qu’il avait d’autres manifestations dont les bases légales avaient également été enfreintes.

L’idée d’alarmer des renforts avait traversé son esprit, mais en tenant compte notamment du délai pour que ceux-ci viennent, l’alarme n’avait pas été déclenchée. À son avis et selon ses expériences, « vingt hommes supplémentaires n’auraient pas permis d’agir différemment, mais plus facilement pour la manœuvre en les ayant en main dès le départ… ».

Afin de pouvoir canaliser ou empêcher un défilé non autorisé, il fallait demander un effectif considérable pour réussir la mission, ce qui n’était pas possible le soir en question. Il ne fallait au surplus pas oublier que durant cet événement (samedi soir), d’autres citoyens demandaient l’intervention de la police (socle sécuritaire) pour leur profit, tâche de la police relevant du service à la population.

24. Le 4 janvier 2016, sur la base de plusieurs renseignements que lui avait transmis par courriel M. A______, la commandante a établi un rapport à l’intention du conseiller d’État, complétant son rapport du 23 décembre 2015 auquel avait été annexée une note du chef OP.

Étaient repris, pour une grande part, les éléments, y compris les conclusions, contenus dans son propre rapport du 23 décembre 2015 et, au surplus, dans la note interne du chef OP du 22 décembre 2015, ainsi que les réponses et renseignements apportés dans les courriels susmentionnés du chef du renseignement et du chef d’engagement.

Avec plus de quatre cents manifestations par an (quatre cent soixante pour l’année 2015), soit plus d’une par jour, la police genevoise devait appliquer le principe permanent d’économie des moyens, d’ailleurs expressément commandé par l’autorité politique et ses organes de contrôle. Cela avait pour conséquence un dispositif d’ordre public de taille réduite garantissant un accomplissement minimal mais le plus souvent suffisant de la mission. Cette stratégie était globalement positive sur le long terme même si elle pouvait exposer l’autorité étatique à des débordements ponctuels, toujours inacceptables, provoquer la stupeur, l’incompréhension et la colère de la population.

L’évènement du 19 décembre 2015 avait fait l’objet d’une analyse rigoureuse de la part du service de police.

25. Le soir même de la réception de ce rapport du 4 janvier 2016, le conseiller d’État a formulé une demande de renseignements complémentaires.

26. a. Le lendemain, 5 janvier 2016, le conseiller d’État s’est rendu à une séance de l’état-major de la police à laquelle assistaient notamment la commandante et
M. A______, afin d’échanger sur les événements du 19 décembre 2015 en vue de comprendre comment lesdits événements en étaient arrivés à un tel résultat, de réfléchir sur la préparation et la gestion de nouveaux phénomènes de ce type et de pouvoir faire un compte rendu adéquat au niveau politique.

b. Le 7 janvier 2016 a eu lieu une réunion réunissant la commandante, le directeur du service d’analyses stratégiques de la police, le chef de l’état-major et le chef de la police judiciaire, en vue de la préparation de deux rapports à l’intention du conseiller d’État, l’un concernant la doctrine, l’autre les faits.

Durant cette réunion, qui a duré plusieurs heures, il a été beaucoup question de la qualité des renseignements obtenus, notamment en regard des questionnements du conseiller d’État dans son courriel du 27 décembre 2015.

Pour la commandante, qui connaissait les performances en temps normal de la BRIC, le manque de renseignements était étonnant. Le chef de la police judiciaire a soulevé la problématique des renseignements et mis en cause le travail de la BRIC, étant surpris par la lacune des renseignements. Il n’a toutefois pas été fait état d’un déficit en tant que tel d’acquisition de renseignements. Personne n’a pensé à interroger un collaborateur de la BRIC.

En réponse au questionnement du chef de la police judiciaire,
M. A______ a dit que les renseignements concernant la manifestation du 19 décembre 2015 étaient similaires à ceux qui avaient été obtenus pour les manifestations précédentes, et que, malgré cela, il y avait eu un renforcement des moyens en effectif.

c. Dans le cadre des réunions des 5 et 7 janvier 2016 susmentionnées, le choix du chef OP concernant les forces d’encadrement engagées pour la manifestation n’a pas été critiqué. En revanche, des enseignements en ont été tirés pour une stratégie future.

Il n’a pas été question des notes des 15 et 17 décembre 2015 concernant la manifestation du 19 décembre 2015.

27. Le lendemain matin, 8 janvier 2016, a eu lieu une séance au sujet de la rédaction des deux rapports prévus avec le chef de cabinet du conseiller d’État, la commandante, le chef de l’état-major et le directeur du service d’analyses stratégiques de la police.

28. Dans un des deux rapports du 10 janvier 2016 à l’intention du conseiller d’État, relatif aux événements survenus durant la nuit du 19 au 20 décembre 2015, dont elle avait soumis le projet pour validation à M. A______ qui n’avait pas fait de commentaires particuliers, et établi en parallèle au rapport du même jour concernant la pratique du maintien de l’ordre, la commandante a repris plusieurs éléments de son rapport du 4 janvier 2016.

Dans le chapitre « constats et analyse », elle a notamment noté :

« Durant l’année 2015, des « appels » similaires ont été lancés et suivis par des événements non autorisés qui ont également impliqué la présence de membres du black bloc. Lors de ces rassemblements, le black bloc était représenté par 20 à 40 personnes.

(…)

La présence de ce noyau dur n’a pas systématiquement débouché sur des dommages à la propriété (bris de vitrines ou tags).

(…)

Toutes les manifestations précédentes du même type se sont terminées à l’Usine. En l’absence de renseignements particuliers, rien ne laissait penser que la manifestation du 19 décembre 2015 dégénérerait. C’est la raison pour laquelle le dispositif policier a été dimensionné de la sorte et c’est la raison pour laquelle les cibles "traditionnelles" que sont la Vieille-Ville et les Rues Basses ont été protégées. En particulier aucune information ne laissait penser que le Grand Théâtre serait la cible d’attaques avec de l’huile de vidange et de la peinture.

Au regard de la tournure de la manifestation, le dispositif policier n’était, a posteriori, pas suffisant en nombre, bien que rien ne permettait de le concevoir au départ, compte tenu notamment des manifestations précédentes en 2015 qui comportaient les mêmes caractéristiques.

(…) »

29. Le 11 janvier 2016, le conseiller d’État a été auditionné par la commission de contrôle de gestion du Grand Conseil (ci-après : la commission de contrôle de gestion) et lui a remis les rapports de la commandante du 10 janvier 2016.

À teneur du procès-verbal de cette audition, il a entre autres déclaré ce qui suit : « Le premier problème qui s’est posé lors de la manifestation du 19 décembre 2015, c’est un défaut d’appréciation en amont de la manifestation. C’était la sixième manifestation de ce type qui démarrait du parc des Cropettes. Les cinq manifestations précédentes étaient restées dans des proportions correctes. Une manifestation, du 24-25 octobre 2015, a dégénéré. Il y a des réunions spontanées au parc des Cropettes qui finissent souvent pacifiquement, mais avec des slogans hostiles. La police a une vraie difficulté à obtenir des renseignements sur ceux qui, à la faveur d’un signal de déclenchement, se changent, s’équipent et lancent le cortège. L’objectif principal du 19 décembre 2015 a été de casser et de vandaliser. Le premier problème est donc de la difficulté à identifier en amont à sa juste valeur le rassemblement et la réponse policière à ordonner. La police a aussi été critiquée à plusieurs reprises pour des mobilisations trop importantes, apparaissant comme exagérées. Cependant, on ne saura jamais si le fait d’avoir été en présence de beaucoup de policiers aurait amené les black blocs à renoncer à leurs opérations. Lors de la manifestation du 19 décembre 2015, vu le nombre de manifestants, la police pense que si l’effectif avait été doublé, il y aurait tout de même eu des difficultés à faire face. Il aurait fallu au minimum 100 personnes voire cent trente pour bloquer les gens à la rue de Lausanne, dans le tunnel. À Genève, les règles d’engagement sont les suivantes : il faut éviter les provocations, les confrontations et les contacts. (…) cette approche est critiquable et doit être mise en cause. (…) Pour la manifestation du 19 décembre 2015 (il revient sur le [rapport du 10 janvier 2016 relatif aux événements survenus durant la nuit du 19 au 20 décembre 2015]), rien ne permettait de dire que ce rassemblement ne serait pas similaire aux précédents et qu’il fallait avoir un dispositif plus important ».

Ont été rapportés ainsi au procès-verbal de l’audition certains propos du député, qui était également membre de la commission de contrôle de gestion : « [Il] sait que ce n’est pas [le conseiller d’État] qui dirige les opérations de la police. Il conçoit que la cheffe a une hiérarchie à ses ordres et que ce n’est pas à elle de diriger. Il peut accepter le fait que l’on évalue bien ou mal la situation. Cependant, la situation a dégénéré. [Il] aimerait une tête. (…) [Il] souhaite avoir les noms avec les fonctions de ceux qui n’ont pas pris les décisions ».

30. Le même 11 janvier 2016, le DSE a publié le communiqué de presse suivant :

« Le rapport circonstancié de la Police cantonale établit le déroulement précis de la soirée du 19 décembre 2015 durant laquelle deux cortèges spontanés et donc non autorisés ont souillé et vandalisé un nombre déterminé de commerces et d’immeubles. Une analyse fine de l’appréciation de la manifestation par la police, de la conduite des forces de l’ordre ainsi que de la gestion des effectifs révèle que la doctrine d’engagement latine a été respectée dans son principe mais que les intentions des participants ainsi que les conséquences de leurs actions ont été sous-estimées dès le départ d'un rassemblement jugé ordinaire.

Il ressort que ce défaut initial d’appréciation n’a pas conduit à un engagement suffisant de policiers déjà très mobilisés dans le canton de Genève alors placé sous niveau de vigilance élevée pour répondre à la menace terroriste. En outre, la décision de limiter l’intervention afin d’éviter l’exacerbation des tensions et de circonscrire les dégâts est conforme et sensée en regard d'expériences analogues récentes (à Berne et Zurich) ou passées (émeutes de novembre 2009 à Genève), mais ne s'est finalement pas accompagnée d’interpellations en flagrant délit des fauteurs de troubles, qui font toujours l'objet d'une enquête judiciaire.

La pratique en matière de maintien de la sécurité et de l’ordre publics mise en place dans les années 2000 à Genève révèle aujourd’hui ses limites. (…) »

31. À l’issue de ce point de presse, des médias ont évoqué et mis en doute la qualité des prestations du renseignement.

32. Dans un rapport de renseignements du 12 janvier 2016 dont la destinataire était la commandante, un brigadier remplaçant chef de poste au sein de la BRIC (ci-après : le brigadier remplaçant chef de poste) a, relativement à la manifestation « sauvage » du 19 décembre 2015, fait état de ce qui suit :

« (…)

En ce qui concerne le renseignement antérieur à la manifestation, des notes ont été établies par notre service. Ces dernières auxquelles il y a lieu de se reporter quant aux détails démontrent clairement les intentions belliqueuses des organisateurs. L’affluence y est précisément estimée et les cibles potentielles citées.

La constitution d’un black bloc, protégé par la masse du cortège, est également annoncée. Pour le reste, il y a lieu de se référer au document annexé, classifié non confidentiel.

Aujourd’hui, certaines déclarations font état d’un manquement et d’un échec en matière de renseignements. En effet, il est dit que rien ne permettait de prévoir ces actes délictueux, ce qui n’est pas la réalité.

(…)

L’établissement de ce rapport se justifie pour la pérennité de la bonne marche du service de la BRIC. Afin que la qualité du renseignement soit optimale, il en va de leur engagement et de leur motivation. La sérénité est également un critère important.

(…)

Afin de clore la polémique, il serait bien que vous transmettiez à nos collaborateurs votre position en ce qui concerne le travail effectué dans le cadre de la manifestation du 19 décembre 2015 ».

Ce rapport a d’abord été reçu par le chef du renseignement, qui en a parlé avec le chef OP, peut-être le vendredi 15 janvier 2016. Devant l’enquêteur administratif (infra), le chef du renseignement a déclaré qu’il l’avait laissé en mains de M. A______, ce dont ce dernier ne se souvenait pas. À teneur de ses déclarations formulées en audience devant le juge délégué de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative ; infra), celui-ci avait suggéré au chef du renseignement d’aller rencontrer le personnel de la BRIC afin de voir où était le malaise et de le rassurer.

Ce rapport n’a en tout état de cause pas été réceptionné avant plusieurs semaines par la commandante, qui n’en a eu connaissance que le 1er mars 2016, date à laquelle son auteur en a fait état directement auprès d’elle.

33. a. Le 13 janvier 2016, la commandante a effectué une diffusion interne des rapports du 10 janvier 2016.

À la suite de ces diffusions, il y a eu des bruits selon lesquels il aurait dû être fait état de renseignements plus précis.

b. Le 14 janvier 2016, la commandante a eu une discussion avec le chef de l’état-major et M. A______, auquel elle a demandé ce qu’il en était de ces bruits au sujet des renseignements et notamment s’il y avait une note comportant des renseignements plus détaillés.

Il ressort de l’instruction du dossier que le chef OP ne lui a pas répondu qu’il n’y avait pas de note à ce sujet, mais conformément aux déclarations en grande partie concordantes du chef de l’état-major et de M. A______, il doit être retenu que ce dernier a répondu à la commandante qu’il avait reçu un certain nombre d’informations, qu’il ignorait si une note de renseignements existait mais qu’il allait se renseigner à ce sujet. Les déclarations faites par la commandante dans le cadre de l’enquête administrative (infra) ne seront en conséquence pas retenues sur ce point.

c. M. A______ a alors immédiatement appelé le chef du renseignement mais, vu l’absence de celui-ci, a pris directement contact avec la BRIC, qui lui a confirmé qu’une note datée du 15 décembre 2015 avait été rédigée et la lui a apportée.

Le 15 janvier 2016, il a contacté par téléphone la commandante pour lui dire qu’il y avait une note – celle du 15 décembre 2015 – et qu’il pouvait la lui apporter. Il lui a également dit que cette note ne changeait rien au contenu du rapport du 10 janvier 2016 (relatif aux événements survenus durant la nuit du 19 au 20 décembre 2015 ; ci-après : le rapport du 10 janvier 2016) en réponse à une des questions de la commandante en lien avec son audition prévue le 18 janvier suivant par la commission de contrôle de gestion. Ces notes n’étant pas transmises par courriel, le chef OP a proposé à la commandante de lui remettre la note du 15 décembre 2015 physiquement. Cela n’a toutefois pas pu se faire, car elle n’était pas disponible, ni sur le moment, ni les jours suivants.

34. En date du 18 janvier 2016, la commandante a été auditionnée par la commission de contrôle de gestion du Grand Conseil et a notamment indiqué : « Il n’y avait pas de volonté de ne pas intervenir et de ne pas interpeller de la part de la police. Concernant la protection des bâtiments, la police s’est basée sur ce qui s’est vu lors des cinq manifestations précédentes en 2015, soit sur un rassemblement et l’éventualité d’un cortège. Quand le cortège s’est mis en marche le premier réflexe a été de protéger le centre-ville, car c’est ce qui intéresse ces personnes. On le sait depuis le G8, ainsi que les bâtiments étatiques, comme l’Hôtel-de-Ville. La cible du Grand Théâtre n’avait pas été identifiée en tant que telle ».

35. a. Le 19 janvier 2016, à la demande de M. A______ faisant suite à une demande de la part du conseiller d’État, le brigadier-chef de groupe, auteur de la note du 15 décembre 2015, a été invité à une réunion de
l’état-major, à laquelle le conseiller d’État était également présent, afin d’expliquer le fonctionnement de la scène genevoise, notamment les mouvements alternatifs et les squats.

C’est à cette occasion que les participants ont appris l’existence de ladite note du 15 décembre 2015.

À l’issue de son exposé, il lui a été demandé de transmettre sa note du
15 décembre 2015.

b. C’est ainsi que le même 19 janvier 2016, le brigadier-chef de groupe l’a envoyée, avec une note interne du même jour, à la commandante pour qu’elle la transmette au conseiller d’État. Cette transmission a fait l’objet, le même jour, d’une note interne du chef du renseignement à la commandante.

36. Par note du 22 janvier 2016 concernant la manifestation du 19 décembre 2015, M. A______ a répondu à plusieurs questions que lui avait posées la commandante dans un courriel du 20 janvier 2016.

Selon ses déclarations, qu’il n’y a pas lieu de mettre en doute sur ce point, il avait entendu parler de la note du 17 décembre 2015 pour la première fois alors qu’il était au World Economic Forum (ci-après : WEF) à Davos (GR) qui a eu lieu du 20 au 23 janvier 2016. Au moment d’écrire sa note du 22 janvier 2016, il était en possession de ladite note du 17 décembre 2015.

Dans ladite note, le chef OP expliquait que les premiers renseignements en relation avec la manifestation du 19 décembre 2015 provenaient d’une note de la BRIC du 15 décembre 2015. Le 17 décembre 2015, une note confidentielle était adressée au chef du renseignement par la BRIC. Cette note actualisait les informations de la note du 15 décembre 2015. La participation des individus était estimée entre 300 et 400 participants (et non plus de 400 à 800), un plan de cheminement du cortège, s’il y en avait un, était esquissé, la volumétrie du black block ainsi que diverses actions probables décrites. De plus il était question d’une masse critique nécessaire afin de voir un black block se constituer. Ces renseignements avaient été partagés oralement avec le chef OP.

M. A______ ajoutait :

« 5. Quand est-ce que le renseignement mentionné dans [la note du 15 décembre 2015] vous est-il parvenu ?

Le 18 décembre, le [capitaine] et le chef du renseignement m’ont fait part des derniers renseignements et d’une proposition de mesures. Lors du rapport [de dispositif de prévention anti-terrorisme], la manifestation a été abordée sous rubrique "événements connexes", le dispositif arrêté. Le chef d’engagement pour cette opération a reçu ses ordres à cette occasion.

6. Comment avez-vous intégré le renseignement reçu dans le processus d’appréciation de situation et qu’en avez-vous tiré comme conséquence pour le dispositif de maintien de l’ordre déployé ?

L’appréciation de la situation se base sur les éléments de renseignement récoltés d’une part, de la qualité des renseignements, de leurs sources, ainsi que de l’expérience acquise dans la conduite d’événements antérieurs similaires.

La prise de décision se fonde en partie sur les éléments du renseignement, mais également sur l’appréciation des possibilités adverses les plus probables ou plus dangereuses. La proportionnalité de la réponse policière, la tactique d’intervention pouvant être mises en œuvre, ainsi que le cadre légal d’intervention sont aussi des éléments concourants à la prise de décision.

Dans le cadre de la prise de décision pour la manifestation du 19 décembre, j’ai pris en compte les points suivants :

- L’évolution des renseignements dans le temps

- Possibles dégâts contre des bâtiments (tag, peinture)

- Volumétrie précédente

- Mode d’action précédent

- Possibilité de constitution d’un black block

- Masse critique pour la constitution d’un black block

- Itinéraire possible du cortège

- Cadre légal d’intervention

- Choix tactique d’intervention (interpellation, dispersion, protection, canalisation)

J’en ai déduit les deux possibilités suivantes :

Possibilité adverse la plus probable :

- Constitution d’un cortège

- Tag/peinture

- Volonté de s’en prendre à divers symboles

Possibilité la plus dangereuse :

- Constitution d’un cortège

- Pénétrer dans les rues basses, y commettre des déprédations cela à la veille de la période de forte affluence précédant Noël

- S’en prendre aux bâtiments officiels en particulier le siège du DSE

En fonction des éléments en ma possession et de leurs appréciations, j’ai fixé les lignes directrices pour le dispositif.

Éléments de forme :

a. Pourquoi [la note du 15 décembre 2015] ne nous est parvenue qu’en date du 19 janvier 2016 ?

La note du [brigadier-chef de groupe] est la note interne distribuée au
[centre des opérations et de planification]. Elle n’est pas la dernière source d’information sur cette action. Le 17 décembre 2015, le chef renseignement a reçu une note confidentielle de la BRIC. Ces dernières informations étant de nature confidentielle elles n’ont pas été distribuées. Compte tenu du fait que la note du 15 décembre 2015 contenait des informations caduques vis-à-vis de la note confidentielle du 17 décembre 2015, il n’y avait pas lieu de transmettre des informations qui n’étaient plus d’actualité.

Indépendamment de la gravité des faits s’étant déroulés le 19 décembre 2015, du questionnement tant médiatique que politique qui en a découlé, le partage des informations contenues dans la note du 15 décembre 2015 n’apportait rien de plus aux interrogations et aux investigations autour des responsabilités quant à l’appréciation de la situation. Au contraire la diffusion, même accidentelle, de renseignements ou des moyens d’investigation du renseignement sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la suite de l’acquisition d’information et de ses moyens au-delà du cadre de cet événement.

(…) »

37. Par note du 30 janvier 2016, faisant suite à une demande du conseiller d’État du 25 janvier 2016, la commandante a transmis à celui-ci la détermination du chef OP susmentionné du 22 janvier 2016, la note de la BRIC du 15 décembre 2015 ainsi que celle du 17 décembre 2015.

La détermination du chef OP du 22 janvier 2016 confirmait que des risques avaient été identifiés pour la manifestation du 19 décembre 2015 et que ceux-ci avaient bien été annoncés et intégrés dans le processus d’appréciation de situation. Néanmoins ces risques avaient fait l’objet d’une interprétation différenciée puisqu’il y avait bien eu deux rapports rédigés par les policiers en charge de la récolte du renseignement, dont un classifié « confidentiel » qui précisait la gravité des risques annoncés dans la note du 15 décembre 2015 ; en l’espèce la note du 17 décembre 2015 ne rendait pas caduque celle datée du 15 décembre 2015, comme stipulé dans le rapport du chef OP du 22 janvier 2016.

Dans la détermination du chef OP, la manière dont le traitement du renseignement était régie permettait d’en déduire que des pistes d’améliorations étaient nécessaires, notamment dans l’organisation des rapports de conduite du renseignement. Le chef OP aurait pu, par exemple, insister sur la recherche du renseignement de la partie adverse. Les événements du 19 décembre 2015 mettaient en lumière une forme de cloisonnement du renseignement et notamment du renseignement touchant à des événements sensibles. Ce point critique devrait faire l’objet d’une amélioration rapide afin de permettre la remontée du renseignement sensible aux échelons de direction.

Sur un plan tactique, respectivement sur le plan de l’idée de manœuvre, les lignes directrices fixées par le chef OP étaient conformes à ce qui était attendu d’un tel dispositif de maintien de l’ordre ; en revanche la dimension du dispositif était insuffisante ; les risques recensés et identifiés dans les deux notes rédigées par la BRIC et pouvant être déclenchés par la partie adverse auraient justifié une mobilisation plus importante des moyens. Une planification prévisionnelle plus poussée (plan des décisions réservé) aurait probablement permis la mise à disposition de ressource de piquets rapidement mobilisables.

En conclusion, a posteriori, le problème principal relatif au renseignement ne se situait pas au niveau du manque d’informations, mais au niveau de la lecture faite des informations récoltées ainsi que de la gestion du renseignement dans le processus de mise sur pied d’un dispositif opérationnel (exploitation).

Le chef OP aurait dû transmettre à la commandante les notes des 15 et 17 décembre 2015 permettant de poser ce diagnostic. À cet égard, le comportement de celui-là était fautif dans la mesure où il avait participé à la rédaction des deux rapports datés du 10 janvier 2016 et qu’il les avait validés. Ceci compromettait le lien de confiance qu’il était indispensable d’avoir à l’égard des subordonnés directs.

38. En date du 1er février 2016 s’est tenu un entretien réunissant M. A______, le conseiller d’État, la secrétaire générale adjointe du DSE ainsi que la commandante, au sujet de la manifestation du 19 décembre 2015 et de ses suites.

Les manquements suivants ont été reprochés à M. A______ :

-         celui-ci avait été informé de l’existence et du contenu des deux notes datées des 15 et 17 décembre 2015, soit avant la manifestation du 19 décembre 2015 ; il avait interprété de telle façon les informations mises à sa disposition que le dispositif mis en place par la police pour cadrer les manifestants s’était révélé totalement insuffisant ;

-         lorsque la commandante lui avait demandé toutes les informations utiles à l’établissement du rapport demandé par le conseiller d’État, il n’avait pas fait mention des notes des 15 et 17 décembre 2015, ce qui avait eu pour conséquence que les renseignements donnés par le conseiller d’État et par la commandante à la commission de contrôle de gestion avaient été contraires à la réalité ou à tout le moins incomplets ;

-         le 15 janvier 2016, lorsque la commandante, apprenant l’existence d’une note datée du 15 décembre 2015, avait demandé à M. A______ si le contenu de celle-ci était conforme au rapport du 10 janvier 2016, ce dernier avait répondu positivement.

Au vu de ce qui précédait, le conseiller d’État informait M. A______ de ce qu’il envisageait de prononcer à son encontre une sanction disciplinaire au sens de l’article 36 de la loi sur la police du 26 octobre 1957 (aLPol - F 1 05) en vigueur jusqu’au 30 avril 2016. Préalablement il envisageait d’ouvrir une enquête administrative à son encontre au sens de l’article 37 al. 2 aLPol.

39. Par arrêté du 1er février 2016 également, signé par le conseiller d’État, le DSE a ordonné l’ouverture d’une enquête administrative à l’encontre de M. A______.

40. Par arrêté du 3 février 2016, le département a confié la conduite de l’enquête administrative à Monsieur B______, ancien juge auprès de la Cour de justice.

Par arrêté du même jour, le Conseil d’État a prononcé la suspension provisoire de M. A______ avec maintien des prestations à charge de l’État. Le prononcé d’une décision de suppression de toute prestation à charge de l’État demeurait toutefois réservé. Cette décision de suspension provisoire était déclarée exécutoire nonobstant recours.

41. Par lettre de son conseil récemment constitué du 8 février 2016, M. A______ a demandé la récusation de M. B______, lequel a alors décidé de mettre un terme au mandat qui lui avait été confié.

42. Par arrêté du 15 février 2016, le DSE a confié la conduite de l’enquête administrative ouverte le 1er février 2016 à Monsieur C______, ancien juge auprès de la Cour de justice et actuel juge suppléant au sein de cette même juridiction.

43. Entre le 22 février et le 7 mars 2016, l’enquêteur administratif a auditionné douze cadres ou collaborateurs de la police, y compris M. A______, susceptibles de fournir des informations utiles.

a. Le chef d’engagement a indiqué qu’avant la manifestation du 19 décembre 2015, il avait reçu les 17 et 18 décembre 2015 des informations du capitaine et d’un OPS, selon lesquels la typologie de la manifestation serait semblable à celle des quatre ou cinq dernières manifestations, notamment celle intitulée « Ramène ton char ». Il ne connaissait alors pas le parcours de l’éventuel défilé mais l’imaginait de par son expérience, les mêmes personnes participant la plupart du temps à de telles manifestations. Le capitaine avait fait référence aux bâtiments des Rues Basses et de la Vieille-Ville, mais aucune information n’avait été donnée au chef d’engagement concernant précisément le Grand Théâtre.

Le 18 décembre 2015, le chef d’engagement avait eu un entretien avec la BRIC – principalement le brigadier et dans une moindre mesure l’appointé –, lors duquel il lui avait été annoncé qu’il y aurait des tags et des déprédations s’il y avait un cortège.

b. Le brigadier-chef de groupe, pour rédiger sa note du 15 décembre 2015, s’était basé aussi sur l’expérience passée, notamment une manifestation « Ramène ton char » de juin 2015 ainsi qu’une manifestation autour de l’Usine et une autre concernant les requérants d’asile, pour compiler le potentiel des forces de la partie adverse. Le 15 décembre 2015, il n’avait aucune raison de penser que la manifestation du 19 décembre 2015 serait différente des précédentes. Il avait observé dans sa note qu’il y avait eu, dans ces manifestations précédentes, des tags qui avaient disparu dès le lendemain grâce à l’intervention de la voirie, et aussi l’usage d’engins pyrotechniques, mais pas à chaque reprise. Dans le contexte du mois de décembre 2015, il était probable que la manifestation à venir ne serait pas en-dessous de ces activités-là.

c. S’occupant plus particulièrement des manifestations sportives, le sous-brigadier auteur de la note du 17 décembre 2017 sur la base de renseignements qu’il avait reçus, n’avait pas la sensibilité suffisante pour émettre des considérations quant au fait que la manifestation du 19 décembre 2015 pouvait être différente des précédentes.

d. L’appointé (de la BRIC) a déclaré, sur la base de discussions qu’il avait eues avec ses collègues avant la manifestation du 19 décembre 2015 et sans se souvenir s’il avait vu les notes de ses collègues des 15 et 17 décembre 2015 : « Cette manifestation du 19 décembre 2015 est de mon domaine et j’ai bien senti, personnellement, qu’elle était d’un niveau supérieur aux manifestations d’octobre 2015 concernant l’Usine ou la manifestation "ramène ton char" de juin 2015, notamment par rapport à la diffusion qui était faite de cet évènement ».

C’était peut-être lui qui avait fourni les informations figurant au procès-verbal du rapport des opérations du 17 décembre 2015, informations qu’il possédait depuis le début du mois. À ce stade, il n’avait pas la connaissance personnelle des cibles précises ; c’était la raison pour laquelle il n’en avait pas citées, bien qu’il y avait des cibles probables comme c’était toujours le cas pour ce genre de manifestation.

Après ce rapport des opérations, il avait parlé avec le sous-brigadier auteur de la note du 17 décembre 2017 des lieux qui pourraient être ciblés. Ils l’avaient fait au conditionnel et c’était aussi en ces termes que les renseignements avaient été donnés au sous-brigadier. Les cibles indiquées par celui-ci – les Rues Basses et le Grand Théâtre – ne représentaient rien d’extraordinaire compte tenu de son expérience. D’autres lieux n’avaient pas été cités, même s’il était clair pour l’appointé que, potentiellement, les manifestants s’en prendraient au magasin de sécurité et à d’autres commerces si l’opportunité se présentait. Selon lui, on ne pouvait jamais être sûr du trajet définitif d’un tel cortège ; c’était l’opportunité qui faisait qu’il se terminait en un lieu plutôt qu’un autre.

e. La commandante avait entendu parler pour la première fois de la manifestation du 19 décembre 2015 par le conseiller d’État. Durant la semaine du 14 décembre 2015, vraisemblablement le lundi 14 ou le mardi 15, elle en avait parlé avec le chef OP, qui l’avait assurée que cette manifestation était prise en compte dans le cadre de la planification effectuée par la direction des opérations. Elle n’avait pas reçu d’informations particulières concernant cette manifestation.

Après avoir lu la note du 15 décembre 2015 – que son auteur lui avait envoyée –, elle avait téléphoné à M. A______ pour lui dire que le contenu de cette note était problématique, le mot étant faible. Ensuite, notamment suite à la demande d’explication du conseiller d’État, elle avait formulé une requête d’informations auprès du chef OP. Suite à cela, celui-ci lui avait fait porter une note dans laquelle il était fait mention de la note de la BRIC du 17 décembre 2015. Le 26 janvier 2016, elle lui avait demandé de produire cette note en version informatique et il la lui avait adressée le 28 janvier suivant.

La question de savoir si, compte tenu des effectifs à disposition, la connaissance du jet d’ampoules de peinture sur le Grand Théâtre changeait fondamentalement l’approche par rapport à la manifestation n’était pas pertinente, car ce qui était important était qu’elle soit au courant de toutes les informations reçues déjà avant de rédiger ses rapports.

f. D’après le chef du centre des opérations et planification, la mention, dans le rapport des opérations du 14 décembre 2015, des « black bloc » et des « tags » était une référence au passé et non pas ce qui était connu comme devant arriver le 19 décembre 2015. Par ailleurs, la manifestation du 19 décembre 2015 ne correspondait pas à une situation d’urgence.

g. Le capitaine a déclaré ne pas avoir reçu d’informations précises de la BRIC, concernant notamment les objectifs, autres que celles qui figuraient dans la note du 15 décembre 2015 ; il n’avait rien appris de plus concernant l’utilisation de matériel par les manifestants ainsi que le recours à des engins pyrotechniques et à l’inscription de tags. Il avait ajouté personnellement des objectifs, tels que le Palais Eynard. Il avait essayé d’avoir la vision la plus globale possible par rapport à ce qui était annoncé. Pour lui, avant la manifestation du 19 décembre 2015, cet événement était similaire à la manifestation « Ramène ton char » ; on était aussi dans la même situation que par rapport aux trois manifestations d’octobre 2015 concernant l’Usine.

h. Selon le chef du renseignement, en termes de renseignements, la note du 17 décembre 2015 affinait ce qui figurait dans la note du 15 décembre 2015.

Lors de leur discussion des 17 et/ou 18 décembre 2015 précédant la décision d’engagement, le chef OP, le capitaine et lui-même s’étaient « vus seuls, précisément pour parler des dernières informations recueillies telles qu’elles se [trouvaient] dans la note fermée du 17 décembre 2015 ».

Selon lui, « par rapport au 15 décembre 2015, la volumétrie était estimée à 300 à 400 personnes, alors qu’il était question de 400 à 800 personnes deux jours plus tôt. Nous avons fait une esquisse du cheminement. La présence de black bloc était envisagée. La constitution d’un cortège ne se ferait que si une masse critique de 150 personnes environ était réunie ».

S’agissant des objectifs, ceux dont il avait parlé avec le capitaine et le chef OP étaient ceux qui figuraient en détail sous « actions prévues » dans la note confidentielle du 17 décembre 2015 ; les bâtiments en cause étaient notamment le Grand Théâtre et ceux occupés par le chef du département.

Concernant des renseignements qu’il avait dû donner à sa hiérarchie relativement à la manifestation du 19 décembre 2015, il avait reçu, le 23 décembre 2015, par voie de service, une demande du chef du département. Il avait répondu par courriel. Une nouvelle demande de renseignements avait été formulée par celui-ci le 28 décembre 2015, puis un complément de la commandante les 2 et 3 janvier 2016. Il avait à chaque fois répondu par courriel. Il versait ces courriels à la procédure, à la demande de l’enquêteur administratif. Il est précisé que ces documents n’ont pas été produits dans le cadre de la présente procédure.

Le chef du renseignement n’avait pas le souvenir de la date à laquelle M. A______ l’avait interrogé au sujet des notes de décembre 2015. Logiquement, ils avaient dû en parler. Ils l’avaient notamment fait lorsqu’il avait été question de répondre à la commandante le 22 janvier 2016. La discussion avait donc pu avoir lieu à la mi-janvier 2016.

Il était (recte : aurait été) normal que des éléments de la note du 15 décembre 2015 apparaissent dans les rapports de la commandante du 10 janvier 2016. Cela aurait en revanche fâché le chef du renseignement s’il y avait eu dans ces rapports des éléments de la note du 17 décembre 2015.

44. Du rapport d’enquête administrative établi le 21 mars 2016 ressortent notamment les éléments qui suivent.

a. La circulation des notes de la BRIC et le fonctionnement du service de renseignements n’étaient pas exempts de reproches. Si on comprenait bien le système, la BRIC émettait des notes écrites, ouvertes ou fermées, et les distribuait selon leur caractère soit au chef du renseignement et au capitaine si elles étaient ouvertes, soit uniquement au chef du renseignement si elles étaient fermées (confidentielles). En l’occurrence, la fiabilité du système avait été mise à mal, de même que la plus petite traçabilité de la circulation des informations. En effet, le chef du renseignement ne savait plus s’il avait montré la note confidentielle du 17 décembre 2015 au chef OP et au capitaine en fin de matinée du même 17 décembre ou s’il leur en avait seulement parlé ; M. A______ avait confirmé que le chef du renseignement en avait parlé devant lui et le capitaine, mais ce dernier a assuré qu’il n’en avait pas entendu parler ; qui plus est, l’assertion du chef du renseignement selon laquelle il avait détaillé le contenu de la note du 17 décembre 2015 et insisté notamment sur les bâtiments visés, dont le Grand Théâtre, plausible certes et non démentie par M. A______, ne recevait d’autre confirmation que celle de son auteur.

Après la manifestation du 19 décembre 2015 et malgré son retentissement, à aucun moment, M. A______ n’avait fait état des renseignements obtenus par la BRIC et le travail de cette brigade n’était mentionné nulle part ; a fortiori n’avait-il pas fait allusion aux notes des 15 et 17 décembre 2015 ni à leur contenu, soit plus particulièrement aux objectifs visés dans ces documents, tels que le Grand Théâtre. Il ne l’avait notamment pas fait dans sa note du 22 décembre 2015, ni lorsque le projet de réponse circonstanciée de la police avait été rédigé le 4 janvier 2016, ni lors de la réunion de travail de l’après-midi du 7 janvier 2016, et il avait laissé partir le rapport du 10 janvier 2016 avec les mentions erronées telles que le fait que rien n’aurait laissé supposer que la manifestation du 19 décembre 2015 dégénérerait ainsi que la prétendue absence d’information laissant supposer que le Grand Théâtre serait la cible d’attaques avec de l’huile de vidange et de la peinture. Lorsque des bruits s’étaient élevés au sein de la police au sujet des renseignements dont on n’aurait pas parlé, il avait répondu à la commandante qui l’interrogeait qu’il n’y avait rien. Toutefois, le lendemain, il l’avait rappelée pour lui annoncer l’existence de la note du 15 décembre 2015 mais lui avait affirmé sur question que cela ne changeait rien aux faits connus, alors même que la commandante allait être entendue quatre jours plus tard par une commission parlementaire.

Après la découverte par sa hiérarchie de ces notes, lorsqu’il avait été appelé à justifier sa position, M. A______ n’avait bien sûr pas tu leur existence, mais il avait persisté à s’exprimer en termes extrêmement généraux, en évitant d’aborder le terrain des dommages et les raisons pour lesquelles le Grand Théâtre n’était pas apparu une seule fois dans ses diverses explications. Certes, il s’était toujours retranché derrière la même explication qui justifierait selon lui le fait qu’il n’ait jamais parlé de ces deux notes, à savoir que la seconde rendrait caduque la première. Mais il était bien le seul à avoir cette opinion.

b. Vu ce qui précédait, M. A______, rompu aux tâches de maintien de l’ordre, au bénéfice d’une très longue expérience dans ce domaine, n’avait pas rempli ses devoirs avec toute la diligence voulue. Il n’avait pas accordé aux renseignements qui étaient en sa possession une attention suffisante. L’intensité de cette faute devait être relativisée par le contexte de l’époque, c’est-à-dire les tensions générées par les alertes terroristes, mais ne saurait être atténuée par la pression exercée par la gestion des heures supplémentaires, le genre d’évènement en cause ne devant pas voir le maintien de l’ordre céder le pas à ces considérations qui devaient principalement être réglées par la gestion des heures supplémentaires dites courantes.

Plus grave était le silence observé par M. A______ s’agissant des renseignements qui avaient été portés à sa connaissance avant le déroulement de la manifestation et dont il n’avait jamais parlé par la suite, pour des motifs inconsistants. Ce silence répété face à des requêtes explicites, dont les conséquences ne pouvaient pas lui échapper, avaient entraîné le conseiller d’État et la commandante à dire des contre-vérités à une commission parlementaire et à mettre en circulation des rapports incomplets, sinon mensongers.

S’il ne s’agissait que d’une faute isolée, de la part d’un officier dont les qualités avaient été jusqu’à présent considérées comme excellentes, celle-ci était néanmoins grave, tant par ses conséquences que par l’obstination silencieuse, incompréhensible, qui l’avait suivie.

Dans ces circonstances, le département devrait s’interroger sur l’intensité de la rupture du lien de confiance.

45. Dans ses observations du 27 avril 2016, M. A______ a considéré n’avoir jamais manqué à son devoir de diligence dans l’accomplissement de sa mission.

Le contenu des notes des 15 et 17 décembre 2015 lui avait été relaté oralement et la cible du Grand Théâtre figurait au nombre des cibles possibles à teneur de ladite note. Lorsqu’ils avaient parlé du contenu de la note du 17 décembre 2015, entre le chef du renseignement, le capitaine et lui-même, ces deux derniers avaient avant tout retenu une significative baisse en intensité du nombre de manifestants, mais non pas la désignation du Grand Théâtre comme cible prioritaire. L’existence physique de ces notes n’avait été portée à la connaissance de M. A______ que bien après, soit lorsque des rumeurs avaient circulé suite à la diffusion du rapport du 10 janvier 2016 et qu’il avait reçu ces notes. L’intéressé a persisté à affirmer que les renseignements recueillis ne permettaient pas de déduire que la manifestation du 19 décembre 2015 dégénérerait de manière plus significative que les précédentes.

46. Lors d’une séance du 3 mai 2016 dans le cadre de la procédure disciplinaire ouverte à son encontre, M. A______ a, devant le conseiller d’État et la secrétaire générale adjointe du DSE, persisté dans ses observations du 27 avril 2016 et confirmé ne jamais avoir manqué à ses devoirs dans l’accomplissement de sa mission.

47. En date du 24 mai 2016, M. A______ et son avocat se sont exprimés de manière circonstanciée devant une délégation de trois autres membres du Conseil d’État, en présence de la secrétaire générale adjointe du DSE. Notamment, l’existence du renseignement clé qui était l’utilisation de l’huile de vidange n’était jamais apparue. N’ayant pas eu la note du 17 décembre 2015 sous les yeux avant la manifestation du 19 décembre 2015, l’intéressé n’avait pas pu voir que la cible du Grand Théâtre était soulignée par le rédacteur.

48. Par arrêté du 22 juin 2016, le Conseil d’État a dégradé M. A______ en tant que major, fonction située en classe 27, annuités 22, pour une période de quatre ans, cette décision étant déclarée exécutoire nonobstant recours.

M. A______ avait mal évalué l’importance de certains renseignements qui lui avait été donnés par ses services, avant la manifestation du 19 décembre 2015. Le fait qu’il ait été ou non en possession des notes des 15 et 17 décembre 2015, avant cette manifestation, importait peu puisque, comme l’intéressé l’avait indiqué à plusieurs reprises dans ses observations du 27 avril 2016, le contenu de ces notes lui avait été relaté oralement. Ainsi, il était en possession de toutes les informations utiles lui permettant de déterminer efficacement les effectifs policiers engagés, étant précisé qu’en sa qualité de chef OP, ce devoir lui incombait. Or le contenu des notes des 15 et 17 décembre 2015 laissait clairement entendre que cette manifestation allait dégénérer et mentionnait expressément que le Grand Théâtre était une cible des manifestants. En se concentrant sur la baisse prévue du nombre des manifestants, l’intéressé avait de façon inexplicable fait abstraction d’éléments pourtant essentiels pour déterminer le nombre de policiers qu’il convenait d’engager. Il avait en conséquence à tort prévu un dispositif de trente-et-un policiers, étant à cet égard précisé que les heures supplémentaires effectuées par les membres de la police n’étaient pas déterminantes s’agissant du dispositif policier à prévoir.

Concernant les manquements consécutifs à la manifestation du 19 décembre 2015, l’exposé contenu dans le rapport d’enquête administrative était en substance repris. Au surplus, ces manquements avaient eu pour conséquence que tant le conseiller d’État que la commandante avaient dit des contrevérités à certains membres du Parlement, ce qui était inacceptable, étant précisé que leur crédibilité avait sérieusement été mise à mal.

À cela s’ajoutait le fait que M. A______ n’avait jamais reconnu les manquements qui lui étaient reprochés. Bien au contraire, dans le cadre de son audition du 24 mai 2016 par une délégation de trois membres du Conseil d’État, il avait laissé entendre que le travail de l’enquêteur administratif avait été « commandé » et avait remis en cause sa hiérarchie policière et le pouvoir politique, l’accusant de ne pas prendre ses responsabilités.

Enfin, la troisième note rédigée le 12 janvier 2016 par le brigadier remplaçant chef de poste (à la BRIC) n’était jamais parvenue à la commandante et avait été découverte tardivement, le 1er mars 2016, alors que le chef du renseignement avait affirmé l’avoir remise aussitôt à M. A______. Ce dernier avait, à cet égard, fourni pour seule explication qu’il ne se souvenait pas d’avoir reçu le rapport susmentionné du 12 janvier 2016. Ceci laissait penser qu’il avait une fois de plus dissimulé les documents qui lui étaient défavorables.

Il découlait de ce qui précédait que M. A______ avait gravement enfreint plusieurs dispositions réglementaires et des ordres de service, particulièrement en ce qui concernait son comportement consécutif à la manifestation du 19 décembre 2015.

Sa faute répétée consistant à ne pas faire remonter à sa hiérarchie durant plusieurs semaines des informations fondamentales, ayant pour conséquence, d’une part l’établissement de rapports dont le contenu était contraire à la réalité et qui avaient été rendus publics, d’autre part la tenue de propos fallacieux par le conseiller d’État et la commandante à des membres du Parlement, avait gravement mis à mal le lien de confiance entre l’intéressé et sa hiérarchie, étant relevé que celui-ci, dont la fonction était située en classe 30, faisait partie des hauts cadres supérieurs de l’administration cantonale.

Les manquements précités justifieraient une révocation. Cela étant, eu égard à la longue carrière de M. A______, exempte d’antécédents disciplinaires, une dégradation en tant que major était prononcée à son encontre pour une période de quatre ans.

49. Par acte déposé le 22 août 2016 au greffe de la chambre administrative, M. A______ a formé recours contre cet arrêté du Conseil d’État, concluant préalablement à la production des remarques formulées par la commandante suite à son audition du 18 janvier 2016 par la commission de contrôle de gestion, ainsi qu’à l’ouverture d’enquêtes, au fond, principalement à l’annulation dudit arrêté et à la condamnation du Conseil d’État aux frais de la procédure et à l’octroi d’une indemnité à titre de dépens en sa faveur.

Le Conseil d’État avait omis de prendre en compte les choix politiques clairs qui avaient prévalu jusqu’alors, le contexte dans lequel cette manifestation était survenue et l’unanimité qui prévalait au sein de la police en matière d’appréciation de la situation. Ainsi, premièrement, prévalait le principe d’économicité en matière de maintien de l’ordre lors de manifestations sur la voie publique conditionné par la gestion des heures supplémentaires. Deuxièmement, peu avant la manifestation en cause existaient des menaces sérieuses et imminentes d’attentat terroriste sur le territoire du canton de Genève, cette situation, ainsi que l’opération de prévention anti-terrorisme ayant généré une planification très serrée entre le 5 et le 31 décembre ainsi qu’une forte pression sur le personnel. Troisièmement, la comparaison de la manifestation du 19 décembre 2015 avec celles qui s’étaient déroulées antérieurement en 2015 avait été unanimement effectuée par les policiers impliqués, en particulier l’auteur de la note du 15 décembre 2015, le chef du renseignement et même l’appointé.

Étaient cités les propos écrits par le professeur Olivier FILLIEULE, professeur de sociologie politique, dans le journal Le Temps du 17 février 2016.

50. Dans sa réponse du 14 octobre 2016, le Conseil d’État, représenté par le secrétariat général du DSE, a conclu au rejet du recours de M. A______, persistant dans les termes de son arrêté.

51. Par écriture du 18 novembre 2016, M. A______ a notamment versé à la procédure le rapport du 5 septembre 2016 de la Commission de contrôle de gestion du Grand Conseil sur les événements du 19 décembre 2015.

Ce rapport relève notamment que, tandis que deux groupes de policiers protégeaient les Rues Basses et un la montée de la Treille, « lors du rassemblement sur la place de Neuve, de petits groupes [regardaient] s’il [était] possible de forcer le dispositif policier, resté solide malgré tout. Les manifestant-e-s [sont restés] quelque temps à la place de Neuve. Il [a été] fait appel au tonne-pompe à ce moment, qui [est arrivé] rapidement. Dès qu’il [a été] à proximité, les manifestant-e-s [sont partis] devant le Grand Théâtre. Ils [ont utilisé] des fumigènes pour que la police n’ait pas la vue sur le Grand Théâtre. Ils y [ont jeté] de la peinture et de l’huile. Il [était] alors entre 23h20 et 23h30 » (p. 30). En outre, le magasin d’un député a été cassé (p. 31).

52. Lors d’une audience de comparution personnelle des parties, M. A______ – alors en arrêt maladie – et le Conseil d’État, représenté par la secrétaire générale adjointe du DSE et le chef de l’état-major, ont été auditionnés par le juge délégué de la chambre administrative.

Notamment, à la lecture de la note du 17 décembre 2015, à son retour du WEF, le recourant avait pensé que le dispositif que lui-même et ses collaborateurs directs avaient mis en place était correct et que l’élément clé qui les aurait fait agir différemment était l’huile de vidange. Rien n’était d’une gravité hors norme lors de cette manifestation du 19 décembre 2015, hormis les dégâts faits au Grand Théâtre. En écrivant dans sa note du 22 janvier 2016 que la note de renseignement du 17 décembre 2015 rendait caduque celle du 15 décembre 2015 précédent, il avait pensé à la réduction du nombre prévu de manifestants.

53. Dans ses observations après enquêtes du 31 janvier 2017, M. A______ a persisté dans ses conclusions.

Notamment, le fait que la note du 17 décembre 2015 fasse état de la constitution d’un probable black bloc de trente à quarante personnes ne modifiait pas la nature de la manifestation du 19 décembre 2015 par rapport aux précédentes. La manifestation du 26 juin 2015 avait également réuni quarante personnes cagoulées.

54. Dans ses observations après enquêtes du même jour, le Conseil d’État a également persisté dans ses conclusions.

55. Par lettre du 3 février 2017, la chambre administrative a informé les parties que la cause était gardée à juger.

56. Pour le reste les arguments des parties, de même que certains faits, déclarations ainsi que certaines parties d’écrits et de rapports seront repris, en tant que de besoin, dans la partie en droit ci-après.

57. Parallèlement à la présente procédure, M. A______ a, par acte déposé le 5 septembre 2016 au greffe de la chambre administrative, formé recours contre une décision du 12 juillet 2016 du conseiller d’État, déclarée exécutoire nonobstant recours, décidant que, dès le 1er août 2016, il exercerait la fonction de chargé de mission au sein de l’office cantonal de la protection de la population et des affaires militaires (ci-après : l’OCPPAM), son traitement étant situé en classe 27, position 22, cause enregistrée sous le numéro A/2900/2016.

Dans ses observations du 16 septembre 2016, le DSE a conclu à l’irrecevabilité du recours, le recourant ne démontrant pas que l’exécution de cette décision lui causait un préjudice irréparable, de même qu’au rejet de la demande de restitution de l’effet suspensif qui accompagnait ledit recours.

Par décision du 10 octobre 2016 (ATA/844/2016), la présidence de la chambre administrative a rejeté ladite demande de restitution de l’effet suspensif.

À la suite des observations au fond du département du 1er novembre 2016, M. A______ a répliqué le 13 décembre 2016, et, le 23 décembre 2016, la chambre administrative a gardé la cause à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Aux termes de l’art. 61 LPA, le recours peut être formé : a) pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation ; b) pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1) ; les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

3. a. Le recourant, en tant que chef OP et policier, était soumis à l’ancienne loi sur la police (aLPol) et l’est, depuis le 1er mai 2016, à la nouvelle loi sur la police du 9 septembre 2014 (LPol - F 1 05)

Que ce soit en application de l’art. 18 al. 1 LPol ou de l’art. 26 aLPol, le personnel de la police est soumis à la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), et à ses dispositions d’application, sous réserve des dispositions particulières de la LPol, respectivement aLPol. En vertu de l’art. 18 al. 2 LPol, il est, de même, soumis à la loi concernant le traitement et les diverses prestations alloués aux membres du personnel de l’Etat, du pouvoir judiciaire et des établissements hospitaliers du 21 décembre 1973 (LTrait - B 5 15), et à ses dispositions d’application.

b. Selon l’art. 20 du règlement d’application de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01), les membres du personnel sont tenus au respect de l’intérêt de l’État et doivent s’abstenir de tout ce qui peut lui porter préjudice. À teneur de l’art. 21 RPAC, ils se doivent, par leur attitude : a) d’entretenir des relations dignes et correctes avec leurs supérieurs, leurs collègues et leurs subordonnés ; de permettre et de faciliter la collaboration entre ces personnes ; b) d’établir des contacts empreints de compréhension et de tact avec le public ; c) de justifier et de renforcer la considération et la confiance dont la fonction publique doit être l’objet. En vertu de l’art. 22 RPAC, ils se doivent de remplir tous les devoirs de leur fonction consciencieusement et avec diligence.

c. La fonction de l’intéressé étant supérieure à la classe 23 de l’échelle fixée par la LTrait, il est en outre un cadre supérieur au sens de l’art. 2 du règlement sur les cadres supérieurs de l'administration cantonale du 22 décembre 1975 (RCSAC - B 5 05.03).

Conformément à l’art. 3 RCSAC, les fonctions de cadre supérieur exigent de leurs titulaires, outre la préoccupation constante des intérêts de l’État et l’accomplissement des devoirs généraux liés à l’exercice de la fonction publique, le maintien d’un haut niveau de qualification et un sens élevé de la mission confiée (al. 1) ; en collaboration avec les cadres intermédiaires, les cadres supérieurs élaborent les objectifs des services qui leur sont subordonnés (al. 2) ; les cadres supérieurs donnent aux cadres intermédiaires qui leur sont subordonnés toute information nécessaire à l’exercice de leur fonction (al. 3).

d. Les ordres de service de la police prévoient qu’en qualité de serviteur des lois et de l’État, le policier se doit d’avoir en tout temps et en tout lieu un comportement exemplaire, impartial et digne, respectueux de la personne humaine et des biens ; l’intérêt de la mission l’emporte sur l’intérêt personnel (OS DERS I 1.01). Dans l’exercice de leurs fonctions de commandement, les chefs prennent toutes les décisions utiles à l’accomplissement des tâches qui leur sont confiées ou sont de leur ressort (OS DERS I 1.01). Commet une faute de discipline celui qui contrevient aux ordres de ses chefs, aux prescriptions de service ou, d’une manière générale, à l’ordre et à la discipline militaire ; tout manquement à la discipline sera puni conformément à la LPol (OS 1 A 1). Les fonctionnaires de police doivent se comporter avec honneur, tact et honnêteté, non seulement dans l’exercice de leur fonction, mais aussi dans leur vie privée (OS 1 A 1c).

4. a. En vertu de l’art. 16 al. 1 LPAC, les fonctionnaires et les employés qui enfreignent leurs devoirs de service, soit intentionnellement soit par négligence, peuvent faire l'objet, selon la gravité de la violation, des sanctions disciplinaires énumérées dans ledit alinéa.

Aux termes de l’art. 36 al. 1 LPol – qui correspond en substance à l’art. 36 al. 1 aLPol –, selon la gravité de la faute, les sanctions disciplinaires suivantes peuvent être infligées au personnel de la police : a) le blâme ; b) les services hors tour ; c) la réduction de traitement pour une durée déterminée ; d) la dégradation pour une durée déterminée – la dégradation sans limite de temps selon l’ancien droit – ; e) la révocation.

L’art. 18 al. 2 du règlement général sur le personnel de la police du 16 mars 2016 (RGPPol - F 1 05.07) précise que la dégradation au sens de l’art. 36 al. 1 let. d de la loi peut être prononcée pour une période allant de un à quatre ans.

L’art. 36 al. 2 LPol et 36 al. 4 aLPol prescrivent notamment que la dégradation entraîne une diminution de traitement, les dispositions en matière de prévoyance demeurant réservées.

Alors qu’avant le 1er mai 2016, la compétence pour prononcer la dégradation relevait du Conseil d’État (art. 36 al. 3 aLPol), cette compétence incombe désormais au chef du département (art. 37 al. 2 1ère phr. LPol).

b. D'une manière générale, s'appliquent aux faits dont les conséquences juridiques sont en cause, les normes en vigueur au moment où ces faits se produisent. En matière de sanction disciplinaire, le nouveau droit s'applique s'il est plus favorable à la personne incriminée, selon le principe de la lex mitior (ATA/446/2013 du 30 juillet 2013 consid. 11 et les références citées).

En l’occurrence, l’intimé a appliqué la lex mitior en limitant la durée de la dégradation à quatre ans. Pour le reste l’aLPol et la LPol ne diffèrent pas l’une de l’autre sur les questions présentement litigieuses.

c. Le droit disciplinaire se rattache au droit administratif, car la mesure disciplinaire n'a pas en premier lieu pour but d'infliger une peine : elle tend au maintien de l'ordre, à l'exercice correct de l'activité en question et à la préservation de la confiance du public à l'égard des personnes qui l'exercent (ATF 142 II 259 consid. 4.4 ; 108 Ia 230 consid. 2b et 5b = JdT 1984 I 21 ; arrêt du Tribunal fédéral 1D_15/2007 du 13 décembre 2007 consid. 1.1 ; ATA/729/2016 du 30 août 2016 consid. 8a ; ATA/1255/2015 du 24 novembre 2015 consid. 7b ; ATA/632/2014 du 19 août 2014 consid. 14 ; Gabriel BOINAY, Le droit disciplinaire de la fonction publique et dans les professions libérales, particulièrement en Suisse romande, in Revue Jurassienne de Jurisprudence [RJJ] 1998, p. 1ss, spéc. 10 s. n. 10 ss).

Il n’a aucunement trait à la protection des intérêts de celui qui serait lésé par l’acte d’un agent public (Pierre MOOR, Droit administratif, vol. III, 1992, n. 5.3.5.2 p. 241).

d. Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu’elles ne sauraient être prononcées en l’absence de faute du fonctionnaire (Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 7ème éd., 2016, n. 1515 ; Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, n. 2249 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, Genève 2011, n. 1228).

Alors qu’en droit pénal les éléments constitutifs de la faute doivent être expressément indiqués dans la loi, en droit disciplinaire, les agissements pouvant constituer une faute sont d’une telle diversité qu’il est impossible que la législation en donne un état exhaustif (Ursula MARTI/Roswitha PETRY, La jurisprudence en matière disciplinaire rendue par les juridictions administratives genevoises, RDAF 2007 p. 227 ss, p. 235 ; Peter HÄNNI, Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht I/2 - Personalrecht des Bundes, Bâle 2004, n. 231 ; Gabriel BOINAY, op. cit., p. 27 n. 50).

La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n’ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l’auteur (ATA/729/2016 précité consid. 8b ; ATA/808/2015 du 11 août 2015 consid. 5e ; ATA/694/2015 du 30 juin 2015 ; ATA/473/2014 du 24 juin 2014 ; ATA/623/2013 du 24 septembre 2013). La faute disciplinaire peut même être commise par méconnaissance d'une règle. Cette méconnaissance doit cependant être fautive (Gabriel BOINAY, op. cit., p. 29 n. 55, p. 14).

Tout agissement, manquement ou omission, dès lors qu'il est incompatible avec le comportement que l'on est en droit d'attendre de celui qui occupe une fonction ou qui exerce une activité soumise au droit disciplinaire peut engendrer une sanction. La loi ne peut pas mentionner toutes les violations possibles des devoirs professionnels ou de fonction. Le législateur est contraint de recourir à des clauses générales susceptibles de saisir tous les agissements et les attitudes qui peuvent constituer des violations de ces devoirs (Gabriel BOINAY, op. cit., p. 28 n. 50). Dans la fonction publique, ces normes de comportement sont contenues non seulement dans les lois, mais encore dans les cahiers des charges, les règlements et circulaires internes, les ordres de service ou même les directives verbales. Bien que nécessairement imprécises, les prescriptions disciplinaires déterminantes doivent être suffisamment claires pour que chacun puisse régler sa conduite sur elles, et puisse être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d'un acte déterminé (Gabriel BOINAY, op. cit., p. 28 n. 51).

Même si un sujet de droit disciplinaire prête à une situation toute l'attention souhaitable, il n'est pas impossible qu'une erreur ou un malentendu se produise. Il peut ainsi, par exemple, se croire, à tort, délié du secret professionnel. Dans ce cas, si l'accusé a pris les précautions voulues, la jurisprudence fait application de la règle pénale de l'erreur de fait (art. 13 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0) pour apprécier son comportement selon la manière dont il a compris la situation (Gabriel BOINAY, op. cit., p. 29 n. 53).

Selon l'art. 13 CP, quiconque agit sous l'influence d'une appréciation erronée des faits est jugé d'après cette appréciation si elle lui est favorable (al. 1) ; quiconque pouvait éviter l'erreur en usant des précautions voulues est punissable pour négligence si la loi réprime son acte comme infraction par négligence (al. 2). Agit sous l'emprise d'une erreur sur les faits celui qui n'a pas connaissance ou qui se base sur une appréciation erronée d'un élément constitutif d'une infraction pénale (ATF 129 IV 238 consid. 3.1). L'intention délictuelle fait alors défaut. L'erreur ne peut conduire à un acquittement que si elle est excusable (Michel DUPUIS/Bernard GELLER/Gilles MONNIER/Laurent MOREILLON/ Christophe PIGUET/Christian BETTEX/Daniel STOLL [éd.], Code pénal - Petit commentaire, 2ème éd., 2016, n. 18 ad art. 13 CP). Si elle est évitable et que l'auteur n'use pas des précautions voulues pour l'éviter, il est punissable par négligence. Tout comme les infractions punissables par négligence, il convient de prendre en compte les circonstances et la situation personnelle de l'auteur (ATF 119 IV 255 consid. 2c). On assimile à l’erreur sur les faits le cas où l’auteur retient par erreur pour donné un état de fait qui, s’il était vraiment réalisé, serait de nature à rendre justifié son comportement (justification putative ; ATF 134 II 35 consid. 5.3).

e. L’autorité qui inflige une sanction disciplinaire doit respecter le principe de la proportionnalité (arrêt du Tribunal fédéral 8C_292/2011 du 9 décembre 2011 consid. 6.2). Le choix de la nature et de la quotité de la sanction doit être approprié au genre et à la gravité de la violation des devoirs professionnels et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer les buts d’intérêt public recherchés. À cet égard, l’autorité doit tenir compte en premier lieu d’éléments objectifs, à savoir des conséquences que la faute a entraînées pour le bon fonctionnement de la profession en cause et de facteurs subjectifs, tels que la gravité de la faute, ainsi que les mobiles et les antécédents de l’intéressé (ATA/987/2016 du 22 novembre 2016 consid. 5e ; ATA/118/2016 du 9 février 2016 consid. 3a ; ATA/94/2013 du 19 février 2013 consid. 15 et la jurisprudence citée). En particulier, elle doit tenir compte de l’intérêt du recourant à poursuivre l’exercice de son métier, mais elle doit aussi veiller à la protection de l’intérêt public (ATA/987/2016 précité consid. 5e ; ATA/118/2016 précité consid. 3a ; ATA/888/2015 du 1er septembre 2015 consid. 7b).

5. a. En l’espèce, selon les observations formulées par le Conseil d’État devant la chambre de céans, le fait que le recourant ait été ou non en possession des notes des 15 et 17 décembre 2015, avant la manifestation du 19 décembre 2015, importe peu. En effet, tous les éléments pertinents figurant dans ces notes lui avaient été communiqués, à tout le moins oralement. Ainsi, il était en possession de toutes les informations utiles lui permettant de déterminer efficacement les effectifs policiers engagés, étant précisé qu’en sa qualité de chef OP, ce devoir lui incombait. Or le contenu des notes des 15 et 17 décembre 2015 laissait clairement entendre que cette manifestation allait dégénérer et mentionnait expressément que le Grand Théâtre était une cible des manifestants. En se concentrant sur la baisse prévue du nombre des manifestants, l’intéressé a de façon inexplicable fait abstraction d’éléments pourtant essentiels pour déterminer le nombre de policiers qu’il convenait d’engager.

Dans ses écritures, le recourant conteste, d’une part, avoir, avant le 19 décembre 2015 – et même plusieurs semaines après –, été au courant de l’existence desdites notes, d’autre part, avoir eu une connaissance détaillée de leur contenu. Les éléments figurant dans la note du 15 décembre 2015 étaient alors connus de tous et même de la presse. Quant à la note du 17 décembre 2015, son contenu essentiel, soit une baisse sensible de l’estimation initiale du nombre prévu des manifestants, lui a été rapporté oralement par le chef du renseignement. Pour déterminer l’encadrement policier, en particulier en termes d’effectif, de la manifestation non autorisée du 19 décembre 2015, il s’est fondé sur les renseignements communiqués par ses services, qui comparaient notamment ladite manifestation à celles qui s’étaient déroulées antérieurement en 2015. Ceci correspondait à l’appréciation unanime des membres du corps de police.

b. Cela étant, il ressort de l’état de fait que l’existence en tant que telle de la note du 15 décembre 2015 n’a pas été portée à la connaissance du recourant avant la manifestation du 19 décembre 2015.

Ceci correspondait à la méthode de travail de l’intéressé ressortant des faits et consistant à échanger avec ses collaborateurs des informations et appréciations de manière orale et informelle, plutôt qu’écrite et formelle, et s’inscrivait dans le système d’émission et de transmission des notes écrites – transmission au chef du renseignement et au capitaine si elles étaient ouvertes et seulement au premier si elles étaient fermées – tel que décrit par l’enquêteur administratif et la commission de contrôle de gestion dans son rapport du 5 septembre 2016 (p. 39 ss).

La note du 15 décembre 2015 se référait en premier lieu à l’annonce d’une « fête sauvage pour le samedi 19 décembre 2015 », entièrement citée, dont les mentions « les vitrines de luxe », « les espaces de circulation automobile », le « Grand Théâtre », « le palais Wilson ou tout autre palace pour riches désoeuvrés » étaient relevés. Étaient considérés comme certaine l’inscription de tags sur différents immeubles et mobilier urbain et probable l’usage d’engins pyrotechniques, détonants et fumigènes. Les auteurs seraient masqués, cagoulés et protégés par le cortège et ses participants. La notion de manifestation « sauvage » faisait clairement référence à une action forte et visible, de sorte que la présence policière pourrait être fortement contestée, voire combattue. Le nombre de participants était estimé entre quatre cents et huit cents.

Comme l’a déclaré l’auteur de cette note du 15 décembre 2015 devant l’enquêteur administratif, c’était sur la base de l’expérience des précédentes manifestations, notamment celle du 25 juin 2015 – « comme lors des dernières éditions » selon ladite note –, qu’il s’était fondé pour décrire les actions certaines et probables des manifestants.

Lors de la communication orale d’une partie à tout le moins du contenu de cette note pendant le rapport des opérations du 17 décembre 2015, l’inscription de tags sur différents immeubles et mobilier urbain ainsi que l’usage d’engins pyrotechniques, détonants et fumigènes a expressément été porté à la connaissance du chef OP, qui les a mentionnés dans le procès-verbal dudit rapport. Le nombre estimé des manifestants a aussi été communiqué au recourant. Celui-ci avait en outre lu l’annonce précitée et en avait notamment retenu les termes « Sauvage » ainsi que les objectifs des manifestants de « reprendre la rue » et de s’en prendre à la « gentrification ». À la suite du rapport des opérations du 14 décembre précédent, il ne pouvait pas lui échapper que la manifestation prévue le 19 décembre 2015 faisait l’objet de comparaison avec les précédentes, notamment celle du 25 juin 2015, et qu’il y aurait probablement un élément
black bloc.

En revanche, il convient de retenir les déclarations de l’appointé (de la BRIC) selon lesquelles, n’ayant pas la connaissance personnelle des cibles précises, celui-ci n’en avait pas citées. Dans le texte de l’annonce de la manifestation, le Grand Théâtre était cité comme un motif de mécontentement justifiant de « prendre la rue » du fait que cette institution était subventionnée par l’État de Genève, mais non explicitement comme une cible prévue des manifestants. En déduire que le Grand Théâtre serait une telle cible était une possibilité mais ne pouvait pas être considérée comme s’imposant à tout lecteur attentif, ce d’autant moins que d’autres lieux étaient mentionnés dans l’annonce. Au demeurant, l’occupation par les manifestants du « palais Wilson ou tout autre palace pour riches désoeuvrés » devait apparaître, à la lecture de l’annonce, plus probable qu’une action contre le Grand Théâtre.

c. Pour ce qui est de la note du 17 décembre 2015, émise peu après le rapport des opérations du même jour, le chef du renseignement n’a émis qu’une hypothèse selon laquelle il l’aurait montrée au chef OP. Les déclarations de ce dernier et du capitaine à teneur desquelles ils n’ont pas été informés de l’existence de cette note écrite concordent entre elles et sont en cohérence avec le système de transmission des notes fermées – ou confidentielles – décrit plus haut.

Cette note était plus précise que celle du 15 décembre 2015. Y étaient mentionnés des engins pyrotechniques ainsi que de la peinture, la constitution d’un black bloc de trente à quarante personnes, des bris de vitres ne pouvant pas être exclus. Les participants étaient estimés entre trois cents et quatre cents. Le cheminement du cortège était dans les grandes lignes décrit, avec notamment un passage à la rue de la Corraterie et à la Place Neuve. Deux cibles étaient expressément prévues : d’une part, le Grand Théâtre, ciblé par des ampoules de peinture, d’autre part, la Vieille-Ville et le siège du DSE, contre lesquels des extincteurs remplis de peinture avaient été prévus.

Pour le recourant, le contenu essentiel de cette note du 17 décembre 2015, communiqué oralement, consistait en une baisse sensible de l’estimation initiale du nombre prévu des manifestants, passé de quatre cents-huit cents personnes à trois cents-quatre cents personnes. Les déclarations du capitaine formulées devant l’enquêteur administratif vont dans le même sens. À cet égard, selon la commission de contrôle de gestion, « il ne [pouvait] pas être certifié que le chef OP ait eu connaissance de l’entièreté de la teneur de [la note du 17 décembre 2015] » (p. 42). Toutefois, le chef OP, le capitaine et le chef du renseignement ont, selon les déclarations de ce dernier formulées devant l’enquêteur administratif ainsi que selon la réponse du recourant au point 3 des « éléments de fond » de sa note du 22 janvier 2016, fait oralement les 17 et/ou 18 décembre 2015 une esquisse du cheminement du cortège, décrit la volumétrie du black bloc ainsi que diverses actions probables, et considéré que le cortège ne se créerait que si une masse critique de cent cinquante personnes environ était réunie.

Devant le juge délégué, le recourant n’a pas entendu contester les déclarations faites par le chef du renseignement à l’enquêteur administratif selon lesquelles les objectifs dont il avait fait part – les 17 et/ou 18 décembre 2015 – au capitaine et au chef OP étaient ceux qui figuraient en détail sous « actions prévues » de la note confidentielle du 17 décembre 2015 et que les bâtiments en cause étaient notamment le Grand Théâtre et ceux occupés par le chef du département. Cependant, le recourant n’avait pas été marqué par cette indication et n’avait pas retenu le Grand Théâtre comme une cible marquante possible,
peut-être, selon lui, pour les raisons suivantes : d’une part, le Grand Théâtre ne paraissait pas être un bâtiment à risque en termes de déprédation et le recourant n’avait pas eu de soucis sur ce point, vu l’absence de vitrines ; par le passé, les tags et les peintures qui avaient été faits sur d’autres bâtiments avaient été nettoyés dans les quarante-huit heures ; d’autre part, également auparavant, quand bien même, avec la Corraterie, le Grand Théâtre faisait partie de la zone à risque, il n’avait jamais été pris pour cible.

Ces explications sont crédibles, d’autant plus que le soulignement de ces cibles dans la note écrite n’a pas pu être porté à son attention.

Il en découle que, même s’il n’est pas établi que le risque de bris de vitres ait été évoqué à l’intention du recourant et du capitaine les 17 et/ou 18 décembre 2015, le premier avait conscience qu’un tel risque ne pouvait pas être exclu.

d. En définitive, le 18 décembre 2015, au moment de décider du dispositif, y compris l’effectif, destiné à encadrer la manifestation du 19 décembre 2015, le recourant savait – ou à tout le moins devait savoir – ce qui suit : la manifestation s’intitulait « Sauvage » ; le cortège partirait depuis non loin de l’Îlot 13 à la condition d’une présence minimale d’environ cent cinquante participants ; le nombre des manifestants s’élèverait alors à trois cent à quatre cent personnes ; il y aurait probablement un black bloc d’environ trente à quarante personnes – les black bloc représentant historiquement 10 à 15 % du total des participants selon l’expérience de la BRIC (notes internes du brigadier-chef de groupe de celle-ci des 20 et 23 juin 2015) –, avec l’inscription de tags sur différents immeubles et mobilier urbain ainsi que l’usage d’engins pyrotechniques, détonants et fumigènes, voire des bris de vitres ; il convenait de protéger les cibles « symboles » telles que Rues Basses, la Vieille-Ville, les bâtiments étatiques, y compris le DSE ; le Grand Théâtre était une cible possible parmi d’autres.

6. a. Pour ce qui est du choix du dispositif, y compris l’effectif, par le recourant avant la manifestation du 19 décembre 2015, celui-ci a, devant l’enquêteur administratif, déclaré qu’à sa connaissance, il n’existait pas de directives générales concernant l’encadrement et le contrôle des manifestations ; il y avait en revanche un protocole « DEMO » qui était une doctrine d’engagement en matière de maintien de l’ordre, datant de 1999, fixant les moyens de contrainte, s’appliquant à tous les cantons latins et évoluant au fil du temps et des événements.

Ces assertions ne sont pas contestées par l’intimé.

b. Dans son rapport du 5 septembre 2016, la commission de contrôle de gestion, s’appuyant notamment sur plusieurs documents dont la « Doctrine d’engagement RBT pour le maintien de l’ordre (DEMO), du 26 juillet 1999 et Lt col Christian CUDRÉ-MAUROUX, Modèles de formation futurs et droits des citoyens, Francopol 2015 », a résumé la doctrine d’engagement de la police. Cette doctrine, « approuvée par la Conférence des chefs des départements de justice et police de la Suisse romande le 29 mars 1999, donne un cadre général. Il s’agit de garantir l’ordre et la tranquillité publique sur l’ensemble du territoire, et de préserver l’équilibre entre les droits fondamentaux que sont le droit de manifester et le droit à la sécurité. (…) Les principes généraux légalité-opportunité-proportionnalité sont les piliers. Le premier renvoie au délit commis contre des personnes ou des biens ; le second montre qu’il n’y a pas d’intervention si les moyens sont disproportionnés, s’il y a un risque d’atteindre des non-participants ou s’il existe un risque d’escalade disproportionnée ; et le dernier enfin, doit permettre aux manifestants de s’éloigner, d’identifier et/ou localiser les noyaux durs et d’utiliser les moyens les moins dommageables. La police, dans la règle, doit donc être selon cette même doctrine, "dissuasive et non pas réactive" » (p. 24 s.).

Ces principes ont été en grande partie rappelés dans le chapitre « Eléments de doctrine » de la note adressée le 22 décembre 2016 par le chef OP à la commandante.

c. En conséquence, ces principes de doctrine d’engagement s’appliquaient à la manifestation du 19 décembre 2015.

7. a. Selon l’intimé dans sa réponse au recours, au vu des notes des 15 et 17 décembre 2015, dont le contenu avait à tout le moins été porté à la connaissance du recourant et qui faisaient état d’un contexte extrêmement tendu, de la volonté claire des manifestants de commettre des déprédations majeures et de la volumétrie importante prévue, soit trois cents à quatre cents personnes, il convenait de prévoir un dispositif – statique ou mobile selon l’appréciation tactique - permettant d’empêcher les fauteurs de trouble d’aller au contact des objectifs identifiés, et donc de définir les effectifs mobilisés, en suffisance. C’était bien l’insuffisance des effectifs engagés qui expliquait que les cibles pourtant identifiées à l’avance n’aient pas pu être protégées par la police. Or le chef OP, pourtant rompu aux tâches de maintien de l’ordre et au bénéfice d’une très longue expérience policière, avait à tort prévu un dispositif insuffisant de trente-et-un policiers. Il s’agissait d’un manquement fautif, en tant qu’il avait, à tout le moins, été commis par une grave négligence, respectivement par l’omission d’analyser consciencieusement les informations émanant du service du renseignement et plus particulièrement de la BRIC.

De l’avis de l’enquêteur administratif formulé dans son rapport, le dossier ne contenait rien qui pourrait convaincre des raisons pour lesquelles les comparaisons avec les cinq manifestations précédentes de 2015 s’étaient imposées rapidement et n’avaient pas été remises en cause. C’était étonnant étant donné que ces cinq événements précédents étaient fort différents les uns des autres et ne pouvaient servir à calibrer les forces devant être engagées pour encadrer la manifestation du 19 décembre 2015. La manifestation du 19 décembre 2015 aurait dû faire l’objet d’une réflexion intrinsèque, insistant sur l’analyse des paramètres spécifiques connus, notamment au vu des renseignements recueillis par la BRIC, incluant les objectifs désignés tels que le Grand Théâtre. On ne pouvait pas considérer que cette manifestation, même en tenant compte du contexte de tension de l’époque, avait bénéficié d’un temps de réflexion ou de préparation suffisant, ce qu’il appartenait en définitive au chef OP d’organiser.

Toujours d’après l’enquêteur administratif, en prenant le temps d’une réflexion plus élargie, en oubliant la manifestation « Ramène ton char », seul élément apparemment pris en compte par le capitaine, en consultant la sensibilité des membres de la BRIC et en considérant la présence d’objectifs précis – le Grand Théâtre était cité dans les notes, souligné dans la seconde, alors qu’il n’était jamais apparu dans aucune note jusqu’alors –, en mettant en perspective les différences verbales – « festive versus sauvage » – et contextuelles – « été et concerts, tranquillité parlementaire, versus conflit de l’Usine et lutte pour la reprise de la rue, décision du Parlement de la Ville du 14 décembre 2015 de diverses coupes budgétaires votées par les partis de droite » –, en tenant compte des moyens prévus, ampoules et extincteurs remplis de peinture notamment, la police aurait dû envisager qu’autant d’indices mettaient la manifestation à venir dans une catégorie différente des manifestations de référence auxquelles il avait été trop souvent fait allusion. C’était d’ailleurs ce que l’appointé (de la BRIC) en avait déduit. D’une certaine manière, le chef OP l’avait aussi senti, puisqu’il avait décidé d’un dispositif renforcé (encore qu’il n’avait pas indiqué sur quels critères ce renforcement avait été décidé). Mais cette mesure s’était montrée insuffisante et n’effaçait pas les manquements relevés ci-dessus. De même, rappeler que l’usage d’huile de vidange par les manifestants n’était pas connu, ce qui était certes avéré, ne l’exonérait pas plus de ses manquements, car la protection accrue de certains lieux résultait du seul fait que les notes les désignaient comme des objectifs ; peu importait la manière dont ils devaient être endommagés.

Selon le Conseil d’État, compte tenu des circonstances exceptionnelles - l’organisation connue d’une manifestation sauvage devant réunir plusieurs centaines de personnes équipées pour causer des déprédations majeures à des objectifs désignés, avec constitution d’un black bloc –, il y avait clairement des éléments objectifs justifiant la définition d’un dispositif de maintien de l’ordre exceptionnel, c’est-à-dire dont la détermination des effectifs devait s’affranchir de la préoccupation d’« économicité » qui s’appliquait davantage aux manifestations ordinaires, étant précisé qu’en l’occurrence, la présence d’un black bloc était connue à l’avance. C’étaient les notes des 15 et 17 décembre 2015 qui permettaient de conclure préalablement que les événements du 19 décembre 2015 allaient revêtir un caractère d’exception (par rapport à d’autres événements qui avaient pu être précédemment contenus). Si le recourant avait véritablement fait une appréciation correcte du contenu de ces notes, il lui appartenait, quelles qu’en soient les circonstances, d’en informer sa hiérarchie, soit en premier lieu la commandante. En possession de tous les éléments pertinents, celle-ci pouvait en informer à son tour sa hiérarchie politique, à savoir le chef du DSE. En second lieu, l’intéressé, qui commandait alors le groupe de maintien de l’ordre romand, pouvait par la même démarche informer la commandante de l’éventualité que les effectifs à disposition au sein de la police genevoise ne suffiraient pas à constituer le dispositif de maintien de l’ordre à prévoir pour la manifestation du 19 décembre 2015. Ainsi, les structures existantes et les procédures prévues auraient permis d’assurer le maintien de l’ordre en ville de Genève le soir du 19 décembre 2015 si le recourant avait fait l’appréciation que l’on était en droit d’attendre de lui eu égard au contenu des notes des 15 et 17 décembre 2015.

Lors de son audition du 18 janvier 2016 devant la commission de contrôle de gestion, la commandante a indiqué que ce qu’elle ferait maintenant, ce serait d’engager cent policiers de plus, avec une manœuvre différente.

Selon les déclarations formulées par le chef d’engagement devant l’enquêteur administratif, pour une manifestation de quatre cents à quatre cents cinquante personnes, il faudrait en théorie, idéalement et par estimation, un effectif de cent soixante à cent quatre-vingt policiers, mais cela ne correspondait pas à la philosophie actuelle.

b. Le 18 décembre 2015, le chef OP a pris la décision du dispositif, y compris l’effectif, chargé d’encadrer la manifestation du 19 décembre 2015, sur la base des renseignements qui lui avaient été fournis par le chef du renseignement, de ses discussions avec ce dernier et le capitaine ainsi que de ses propres réflexions et expérience. Même s’il n’y a eu que quelques discussions avec ceux-ci en deux jours, rien ne permet de retenir que la réflexion de l’intéressé aurait été insuffisante, étant rappelé qu’il devait parallèlement se préoccuper de beaucoup de questions, en particulier celles liées aux événements de fin d’année et aux mesures de prévention contre le terrorisme. Les collaborateurs avec lesquels le recourant a eu des échanges étaient unanimes en considérant que la manifestation du 19 décembre 2015 serait similaire aux précédentes qui avaient eu lieu en lien avec l’Usine, en particulier celle du 25 juin 2015 et les trois d’octobre 2015. Le dispositif, y compris l’effectif, choisi par le chef OP ne s’est pas écarté des conseils fournis par ses subordonnés, en particulier les spécialistes qu’étaient le chef du renseignement et le capitaine.

Ainsi, selon les déclarations formulées par le recourant devant le juge délégué, le postulat était que ces manifestants se comporteraient comme lors des précédentes manifestations ; était aussi pris en compte le fait que le conflit entre le Conseil d’État et l’Usine restait prégnant ; l’appréciation de M. A______ et des cadres avec l’aide desquels il avait pris sa décision s’était faite sur les renseignements qu’ils avaient obtenus de la BRIC.

c. Or la manifestation du 25 juin 2015 avait rassemblé cent quatre-vingt personnes, environ quarante black bloc inclus, et plusieurs tags et fumigènes et pétards avaient été faits, respectivement allumés sur le parcours. Ni cette manifestation, malgré les déprédations sous forme de tags qui étaient nettoyables, ni celle du 31 août 2015, à laquelle participait un nombre plus important de manifestants – trois cent – et vingt black bloc, n’avaient dégénéré. Malgré des tensions et la volonté de l’Usine de dénoncer, à partir du début du mois d’octobre 2015, le comportement du canton, en particulier du DSE, les rassemblements ou manifestations des 2 – réunissant quatre cents personnes sur la place des Volontaires –, 5, 24 et 25 – cortège d’environ mille jeunes – ainsi que 28 et 29 octobre 2015, s’étaient déroulés sans problèmes majeurs, les nombreux tags inscrits à proximité des établissements bancaires les 24 et 25 octobre 2015 ayant pu être nettoyés rapidement par la voirie.

Malgré la persistance du litige entre le DSE et l’Usine, le nombre annoncé pour le 19 décembre 2015 de trois cents à quatre cents manifestants, y inclus environ quarante black bloc, ne dépassait pas dans une mesure exceptionnelle celui des manifestants, accompagnés ou non de black bloc, des précédentes manifestations sus-rappelées, étant notamment relevé que celle des 24 et 25 octobre 2015 avait compris environ mille jeunes. Comme pour la manifestation du 25 juin 2015, l’inscription de tags et l’usage d’engins pyrotechniques, détonants et fumigènes, préparés à l’avance, n’impliquaient pas à eux seuls des débordements difficilement maîtrisables ou des dégâts irréparables. Il n’est pas établi que le remplissage d’ampoules et d’extincteurs par de la peinture ainsi que les autres importants préparatifs des organisateurs et des manifestants aient été portés à la connaissance du recourant avant la manifestation du 19 décembre 2015. La simple utilisation de peinture et l’éventualité de bris de vitres pouvaient être considérées comme des signes inquiétants, sans qu’elles impliquent nécessairement une dégénération significative des événements.

Alors que la manifestation du 25 juin 2015 était annoncée comme « festive », celle du 19 décembre 2015 l’était comme « sauvage », ce qui pouvait être aussi être compris comme un dépassement de l’aspect festif par un aspect plus agressif ; cependant, d’une part, la note du 15 décembre 2015, sous « Programmes des lieux de culture alternative », annonçait différents spectacles et festivités, d’autre part, selon le dictionnaire Larousse en ligne, « sauvage » peut signifier « qui s'organise en général spontanément en dehors des lois et règlements » ou se dire d'« une action violente, impitoyable, brutale » ; le terme « sauvage » adjoint à la manifestation du 19 décembre 2015 pouvait être compris dans ces deux sens, étant au demeurant relevé que les déclarations du conseiller d’État concernant la manifestation du 2 octobre 2015 qui était restée calme, aux termes desquelles « la manifestation sauvage sera sanctionnée comme n’importe quelle autre action non autorisée » semblait se référer plutôt au premier sens du mot « sauvage » susmentionné ; quoi qu’il en soit, l’interprétation faite dans la note du 15 décembre 2015 de la notion de manifestation « sauvage », soit « une action forte et visible », n’impliquait pas forcément de graves déprédations, voire de la violence.

Le fait que le Grand Théâtre figurait – selon ce que savait le chef OP - comme cible possible des manifestants à côté d’autres cibles plus habituelles telles que la Vieille-Ville et les bâtiments officiels qui y étaient sis constituait une nouveauté par rapport aux précédentes manifestations et pouvait être compris comme signalant une volonté encore plus forte des organisateurs de donner une visibilité symbolique et importante à la manifestation du 19 décembre 2015, sans que l’on puisse en déduire que cette circonstance ait pu être décisive dans l’appréciation des risques, ni que les manifestants commettraient sur le Grand Théâtre des dommages graves, voire potentiellement irréversible par des moyens tels que des jets d’huile de vidange.

Comme l’a dit devant l’enquêteur administratif le brigadier-chef de groupe auteur de la note du 15 décembre 2015, dans le contexte du mois de décembre 2015, il était – à tout le moins – probable que la manifestation à venir du 19 décembre 2015 ne serait pas d’une intensité inférieure à celle des manifestations précédentes. L’appointé (de la BRIC) a quant à lui senti que cette intensité serait supérieure mais n’en a apparemment pas fait part à ses supérieurs. Quant au chef OP, il a, avant la manifestation du 19 décembre 2015, considéré cet événement comme important et il a presque quadruplé l’effectif policier par rapport à celui encadrant la manifestation du 25 juin 2015 ; cela signifie qu’il envisageait des débordements et déprédations non exceptionnels mais plus importants que lors de la manifestation du 25 juin 2015.

Cela étant, il ne faut pas perdre de vue que ni le chef OP ni ses subordonnés ne disposaient d’une expérience d’une manifestation liée au milieu alternatif qui ait dégénéré avec des déprédations aussi graves que celles du 19 décembre 2015. En outre, cette dernière manifestation a connu un « saut » très important par rapport aux précédentes liées au milieu alternatif et à l’Usine, en matière de déprédations (bris de nombreuses vitrines de commerces, magasin pillé, dommages potentiellement irréversibles sur les parois du Grand Théâtre) et même de violence (jets de projectibles et de deux cocktails Molotov à l’encontre des forces de l’ordre, certes de manière isolée et brève). Un tel « saut » ne pouvait objectivement pas être jugé prévisible sur la base des renseignements à disposition de la police avant la manifestation du 19 décembre 2015, mais résultait des intentions et objectifs d’à tout le moins certains organisateurs et manifestants, non connus dans cette ampleur par la BRIC.

d. Vu ce qui précède, on ne saurait reprocher au recourant, compte tenu de ce qu’il savait ou devait savoir, d’avoir considéré que la manifestation du 19 décembre 2015 présenterait des similitudes avec les précédentes et de ne pas avoir retenu comme certain ou probable que les manifestants commettraient des déprédations majeures aux biens publics ou privés. En revanche, de tels débordements et préjudices ne pouvaient pas être exclus.

Du reste, à la lecture de la réponse du recourant au point 6 des « éléments de fond » de sa note du 22 janvier 2016, « la possibilité adverse la probable » ressemblait fort, en intensité, aux manifestations de 2015 qui avaient précédé celle du 19 décembre 2015, alors que la « possibilité la plus dangereuse » se rapprochait plutôt, également en intensité mais à un degré légèrement moindre, de ce qui est effectivement survenu le 19 décembre 2015.

Comme cela ressort de ses notes à la commandante des 22 décembre 2015 et 22 janvier 2016, c’est sur la base de ces possibilités la plus probable, respectivement la plus dangereuse, que le chef OP a, en concertation avec le chef du renseignement et le capitaine et après mûre réflexion, déterminé les mesures à prendre. Sur la base des principes de doctrine d’engagement résumés plus haut, il a, lors d’un rapport du vendredi 18 décembre 2015, fixé le cadre d’emploi et les conduites à tenir.

e. Dans ses notes des 22 décembre 2015 et 22 janvier 2016, le recourant ne s’est pas explicitement référé à des problèmes d’effectifs disponibles, que ce soit sous l’angle des heures supplémentaire ou du dispositif de prévention anti-terrorisme. Toutefois, à la fin de sa note du 22 décembre 2015, il a implicitement exposé ne pas avoir appliqué le « principe de précaution » dans toute sa mesure, puisqu’il a préconisé la mise sur pied d’une force de circonstance dédiée, équivalant à accepter de mettre en œuvre le « principe de précaution » et en assumer les conséquences en termes de disponibilité et de coûts en heures supplémentaires. Devant le juge délégué, il a déclaré qu’il n’aurait probablement pas pu augmenter l’effectif, compte tenu du fait que les effectifs étaient alors en flux tendu et que les sollicitations liées au dispositif de prévention anti-terrorisme allaient encore durer ; parmi les trente-et-un policiers intervenant dans le cadre de la manifestation du 19 décembre 2015, douze avaient déjà été déployés depuis midi dans le cadre des nocturnes et étaient donc fatigués ; durant cette période de fin d’année et compte tenu des événements, il y avait une difficulté dans le déploiement des effectifs.

Ces explications ont dans un premier temps été également celles de la commandante. En effet, d’une part, dans ses notes des 23 décembre 2015 ainsi que 4 janvier 2016, celle-ci a relevé que – conformément notamment aux recommandations de la Cour des comptes – le contexte tendu au niveau de la gestion des heures supplémentaires nécessitait en permanence une appréciation rigoureuse des effectifs à engager ; dans ce contexte, les officiers en charge de la planification des effectifs se voyaient contraints d’opter quasi systématiquement pour la variante minimum, ce qui pouvait être dommageable particulièrement s’agissant des engagements d’ordre public. Le « principe de précaution » avait été ici sacrifié au profit d’une application stricte des règles de management RH, sans que la commandante ne remette en cause à ce stade le choix du chef OP y compris sur ce point. D’autre part, à teneur du rapport de la commandante du 10 janvier 2016, les mesures liées à la prévention contre le terrorisme mobilisaient des ressources conséquentes depuis plusieurs semaines tout en devant maintenir et garantir les prestations de base et le socle sécuritaire ; cela s’était traduit, en première priorité, par la mise à disposition d’effectifs supplémentaires de la police judiciaire ; en revanche, les personnels de la gendarmerie avaient été dévolus en renfort de la police de sécurité internationale ; le personnel dévolu aux missions de vigilance anti-terroriste n’était pas susceptible de pouvoir être engagé dans le cadre de la manifestation, ceci pour une question de délai d’intervention et de compétences.

Dans un second temps toutefois, la commandante, dans sa note du 30 janvier 2016, tout en considérant que sur un plan tactique, respectivement sur le plan de l’idée de manœuvre, les lignes directrices fixées le 18 décembre 2015 par le chef OP étaient conformes à ce qui était attendu d’un tel dispositif de maintien de l’ordre, a considéré que l’effectif était insuffisant.

Puis l’intimé a fait valoir que la nécessité de ne pas prévoir un dispositif de maintien de l’ordre plus important que ce qui était nécessaire (« principe d’économicité ») ainsi que l’engagement de policiers dans le dispositif anti-terroriste ne signifiaient pas pour autant qu’il fallait, sous ces prétextes, se limiter à un dispositif sécuritaire dont les effectifs étaient manifestement insuffisants compte tenu de la menace qui aurait dû être identifiée par le recourant. Il a précisé, dans ses observations finales, que des procédures particulières auraient pu être enclenchées par le chef quelques heures avant la manifestation du 19 décembre 2015 afin d’augmenter l’effectif, de trente, voire cent policiers.

Cependant, d’une part, il n’est pas établi que l’effectif mis sur pied par le recourant était manifestement insuffisant au regard de ce qu’il savait ou devait savoir avant de l’engager pour encadrer la manifestation du 19 décembre 2015, dans le cadre de la doctrine d’engagement alors applicable. Le dispositif, y compris l’effectif, s’est pour une grande part révélé suffisant, mais il a échoué à protéger le Grand Théâtre et à empêcher les très nombreux bris de vitrines de commerces, le pillage d’un magasin et le fait qu’un autre commerce a été cassé. À cet égard, que ce soit au moment de sa désignation par le chef OP pour encadrer la manifestation du 19 décembre 2015 ou après, le chef d’engagement, expérimenté, n’a pas critiqué le dispositif, y compris l’effectif, mis en place par le recourant. Il a au contraire, dans son courriel du 29 décembre 2015 au chef OP, fait part de ce que la mission qui lui avait été confiée, à savoir assurer l’encadrement de la manifestation du 19 décembre 2015 en évitant la provocation, avait été bien réalisée avec l’effectif en sa possession et qu’en vue de réaliser cette mission, « la variante choisie était la plus raisonnable et la plus probable ».

D’autre part, comme vu plus haut, en l’absence de certitude ou de probabilité que des déprédations majeures aux biens publics ou privés seraient commises, on ne saurait reprocher au recourant d’avoir tenu compte des disponibilités de policiers limitées par les heures supplémentaires et le dispositif anti-terroriste et fixé l’effectif à l’engagement en conséquence. Les premières positions de la commandante sur ce point, des 23 décembre 2015 ainsi que
4 et 10 janvier 2016, avant le déclenchement de la procédure administrative présentement litigieuse, établissent ce que devait savoir le chef OP à cette époque et ne font pas reproche à celui-ci de ne pas avoir appliqué strictement le « principe de précaution ». Les arguments subséquents de l’intimé ne sauraient remettre en cause ces premières positions, s’agissant des circonstances qui devaient être connues du recourant dans les jours qui ont précédé le 19 décembre 2015 et compte tenu du contexte à ce moment-là.

f. Par ailleurs, il n’est pas établi qu’il était contraire aux directives auxquelles était soumis le chef OP que le chef d’engagement n’ait pas été tenu au courant du contenu des notes des 15 et 17 décembre 2015, ni n’ait eu son mot à dire au sujet des forces qui lui étaient allouées, quand bien même ce mode de faire est surprenant, comme l’a relevé l’enquêteur administratif, et qu’il pourrait s’avérer le cas échéant problématique dans certaines circonstances. Quoi qu’il en soit, le chef d’engagement a pu s’enquérir auprès de la BRIC au sujet de ce qui était annoncé pour la manifestation du 19 décembre 2015.

g. Enfin, selon l’enquêteur administratif, la circulation des notes de la BRIC et le fonctionnement du service de renseignement n’étaient pas exempts de reproches, la fiabilité du système de même que la plus petite traçabilité de la circulation des informations ayant été mises en échec.

Cette appréciation a été partagée par la commission de contrôle de gestion dans son rapport du 5 septembre 2016 (p. 47).

Il est incontestable que, dans le cas présent à tout le moins, ce mode de fonctionnement – notamment transmission des notes écrites de la BRIC au chef du renseignement et au capitaine si elles étaient ouvertes et seulement au premier si elles étaient fermées – n’a pas permis une transmission claire, exacte et complète des renseignements provenant de la BRIC au chef OP, voire au capitaine, ce qui a conduit à une diminution quantitative et qualitative des éléments sur la base desquels la décision d’engagement a été prise par le recourant.

Cela étant, comme l’a relevé la commission de contrôle de gestion dans son rapport précité (p. 42), pour la période concernée par les événements du 19 décembre 2015, il n’existait pas de directive, de procédure ou d’ordre de service écrits quant au « chaînon » de la transmission des renseignements ; la traçabilité ne pouvait pas être établie clairement et personne ne pouvait certifier ce qui avait été dit oralement.

Il n’est pas établi que ce système, qui a fait l’objet d’une recommandation de modification par la commission de contrôle de gestion dans son rapport précité (p. 49), était à l’époque du 19 décembre 2015 contraire à des dispositions légales ou réglementaires, ou à des directives ou instructions de la hiérarchie du recourant, ni que l’on pourrait faire des reproches à celui-ci personnellement sur ce point. On ignore depuis quand datait ce mode de fonctionnement et qui l’a institué. Au demeurant, le chef OP avait jusqu’avant les 17 et 18 décembre 2015 employé un mode de communication apparemment essentiellement oral, informel et souple avec le chef du renseignement et le capitaine, apparemment sans que cela ait porté préjudice à la sécurité publique.

Il n’est en tout état de cause pas démontré que le manque de clarté et de fiabilité de ce mode de fonctionnement serait imputable à une faute individuelle du recourant, mais ce système apparaît avoir constitué un problème structurel. Ni le Conseil d’État ni la commission de contrôle de gestion ne reprochent au chef OP d’avoir institué et/ou perpétué ce système. Ce dernier semble, à teneur du dossier, avoir résulté de la volonté du service du renseignement et de son chef de maîtriser la transmission des renseignements, y compris écrits, aux échelons hiérarchique supérieurs et aux autres services, probablement afin que ne soient pas propagées sans contrôle des informations confidentielles, comme le montrent du reste l’usage des notes fermées et le fait que le chef du renseignement aurait été « fâché » si des éléments de la note du 17 décembre 2015 avaient figuré dans les rapports de la commandante du 10 janvier 2016.

h. Il convient en revanche de reprocher au recourant de ne pas avoir été suffisamment attentif à la détermination des cibles des manifestants et de ne pas avoir demandé au chef du renseignement et à la BRIC des renseignements plus précis, le cas échéant écrits, à ce sujet, afin de prévenir dans la mesure du possible des déprédations particulières sur des bâtiments publics, tels que le Grand Théâtre, ce quand bien même les cibles pouvaient le cas échéant être modifiées suivant le déroulement de la manifestation.

En effet, une attention portée par le chef OP aux cibles prévisibles aurait pu l’amener à découvrir celle du Grand Théâtre et à protéger celui-ci comme il l’a fait pour la Vieille-Ville et les Rues Basses.

Certes, selon ses déclarations formulées devant le juge délégué, s’il avait appris, avant la manifestation du 19 décembre 2015, que de l’huile de vidange serait utilisée par les manifestants, le recourant n’aurait, selon ce qu’il pensait de bonne foi, probablement pas pu augmenter l’effectif mais l’aurait disposé différemment en ce sens qu’il aurait fait placer des policiers et le tonne-pompe devant le Grand Théâtre pour empêcher les manifestants de faire des déprédations. Il ne s’agit toutefois que d’une option fondée sur une hypothèse, sur laquelle la chambre de céans n’a pas besoin de se prononcer.

Quoi qu’il en soit, à teneur des descriptions des dispersions d’huile de vidange sur le Grand Théâtre effectuées par le journal d’inscription ainsi que du rapport de la commission de contrôle de gestion, juste avant que certains manifestants et black bloc présents sur la Place Neuve commettent ce méfait, un groupe de policiers défendait la montée de la Treille et il avait été fait appel à un tonne-pompe qui arrivait rapidement, mais en seulement quelques minutes lesdits manifestants et black bloc ont jeté de la peinture et de l’huile de vidange sur le Grand Théâtre en étant cachés derrière des fumigènes. Cet acte délictuel paraît avoir été exécuté de manière très efficace, et rien ne permet d’exclure que, si ce méfait avait échoué au Grand Théâtre, ses auteurs n’auraient pas cherché à le réessayer sur un autre bâtiment de valeur en ville.

Ainsi, le manque d’attention et de recherches de renseignements de la part du recourant concernant les cibles prévisibles ne saurait être considéré comme la cause des dommages difficilement réversibles causés au Grand Théâtre, étant donné, d’une part, qu’il ne pouvait pas prévoir que l’intention de nuisance de certains organisateurs et manifestants serait telle qu’elle irait jusqu’à jeter de l’huile de vidange sur ce bâtiment et, d’autre part, que les manifestants ont agi de manière à rendre très difficile la défense de celui-ci par la police.

Quant aux bris de vitrines – dont l’ampleur semble avoir largement dépassé les dommages qui avaient été causés lors des précédentes manifestations de 2015 liées notamment au milieu alternatif et à l’Usine –, ainsi qu’au pillage d’un magasin et au commerce cassé – graves infractions au patrimoine qui n’avaient pas été commises lors de ces manifestations –, ils ne pouvaient pas être considérés comme certains ou probables, à tout le moins dans une telle ampleur, avant le 19 décembre 2015, sans toutefois pouvoir être exclus.

i. En conséquence, au regard de la pratique de fixation des effectifs telle que décrite plus haut et confirmée dans un premier temps par la commandante, on ne voit pas en quoi le chef OP, compte tenu de ce qu’il savait ou devait savoir, était tenu de mettre en place un dispositif de maintien de l’ordre exceptionnel et d’informer sa hiérarchie de la situation afférente à la manifestation du 19 décembre 2015, avant le déroulement de celle-ci.

Pour les dommages causés au Grand Théâtre et à de nombreux commerces et au regard de l’ensemble des circonstances examinées plus haut, il ne saurait être retenu une erreur d’appréciation fautive du chef OP suffisamment grave pour constituer une violation fautive de ses devoirs de service, pour les motifs exposés plus haut.

Ainsi, l’appréciation du recourant relative au déroulement prévisible de la manifestation du 19 décembre 2015 et le dispositif, y compris l’effectif, qu’il a mis en place pour l’encadrer sur la base de cette appréciation restaient dans un cadre admissible, par rapport à ce qu’il savait et devait savoir, et n’étaient constitutifs ni d’une faute, ni d’une violation de ses devoirs de service, au sens des art. 16 al. 1 LPAC et 36 al. 1 LPol.

Cette conclusion concorde du reste avec l’appréciation effectuée par la commission de contrôle de gestion. Selon celle-ci, « au vu des moyens engagés dans la nuit du 19 au 20 décembre 2015, le chef d’engagement et son équipe ont répondu à la mission du maintien de l’ordre. Le respect des principes de légalité-opportunité-proportionnalité a permis d’éviter que des déprédations plus importantes ne se produisent et que le cycle de la violence ne soit déclenché. (…) Le chef OP n’a pas décidé d’empêcher cette manifestation. Dans ce cas, il aurait fallu des moyens beaucoup plus conséquents. Suivant l’appréciation de la situation autour des 17-18 décembre 2015, suivant les événements en lien avec le terrorisme les semaines précédentes, étant donné la perspective de protection pendant les fêtes et la protection des organisations internationales toujours actives, il n’y avait pas de raison de mettre plus d’effectifs. Le seul reproche possible est une appréciation de situation que le chef OP n’aurait pas suffisamment pris en compte ces éléments. Sous-jacent à cette question, se pose la problématique des heures supplémentaires, d’une part, et de la fatigue présente alors et supposée pour la suite au vu de la situation terroriste, d’autre part. Dans la même ligne se pose la question de savoir si les effectifs doivent être augmentés par mesure de précaution, ce qui ne semble pas souhaitable de manière systématique » (p. 45 et 47).

8. a. Le Conseil d’État reproche par ailleurs au recourant, après la manifestation du 19 décembre 2015, de n’avoir volontairement pas fait usage de la possibilité d’évoquer si ce n’était l’existence, du moins le contenu des notes des 15 et 17 décembre 2015, à de nombreuses occasions, en particulier lors de la réunion de travail ayant eu lieu le 7 janvier 2016 en vue de l’établissement des rapports du 10 janvier 2016, dont l’un concernait spécifiquement ladite manifestation, alors même que ses services étaient critiqués par plusieurs membres de l’état-major.

b. Cela étant, comme retenu plus haut, l’existence des notes des 15 et 17 décembre 2015 n’a pas été portée à la connaissance du chef OP avant le 19 décembre 2015.

Après cette manifestation, à aucun moment, pas même dans son courriel du 28 décembre 2015, le chef du renseignement n’a mentionné, à son intention, l’existence de l’une de ces notes. Ce n’est que le 15 janvier 2016, après s’être renseigné auprès de la BRIC sur l’éventuelle existence d’une note rédigée par celle-ci, que le recourant a reçu la note – ouverte – du 15 décembre 2015. Il a entendu parler de la note du 17 décembre 2015 pour la première fois entre le 20 et le 21 janvier 2016, et, au moment d’écrire sa note du 22 janvier 2016, il l’avait en sa possession.

c. Au moment où le chef OP a rédigé sa note du 22 décembre 2015, la qualité des renseignements émanant de la BRIC n’était pas mise en doute. Il n’avait pas de motifs particuliers de s’enquérir de l’existence éventuelle de notes de renseignement, ni à ce moment-là, ni à réception du courriel du 28 décembre 2015 du chef du renseignement qui ne les mentionnait pas et en qui il avait confiance.

Lors de la réunion du 7 janvier 2016 a été relevée, pour la première fois, une lacune des renseignements par la commandante et le chef de la police judiciaire, lequel a mis en cause le travail de la BRIC.

Malgré ces critiques, le recourant n’a procédé à aucune investigation en vue de déterminer de quels renseignements, notamment écrits, la BRIC – qui était sous ses ordres par l’intermédiaire du chef du renseignement – avait disposé de manière complète avant la manifestation du 19 décembre 2015 et si le service du renseignement, y compris la BRIC, avait correctement fonctionné et transmis les informations nécessaires au capitaine et à lui-même, y compris après ladite manifestation. Ce faisant, il a négligé les graves conséquences de la manifestation en termes de dommages sur le Grand Théâtre et les magasins visés par les manifestants de même que la violence dont a fait preuve une partie de ceux-ci, faits qui requéraient de sa part des questionnements et des réponses à ces derniers. Il a en outre sous-estimé les questionnements légitimes susceptibles de provenir, non seulement de la commandante et du chef de la police judiciaire, mais aussi du conseiller d’État et de députés du Grand Conseil, voire du public.

Les recherches et vérifications de l’intéressé auraient dû porter entre autres sur la cible qu’était le Grand Théâtre, dont les souillures à l’huile de vidange ont été connues très rapidement après les événements par le public (Tribune de Genève du 22 décembre 2015, « Le Grand Théâtre a été "négocié" à l’huile de vidange ») et ne pouvaient pas laisser l’intéressé indifférent.

9. a. Dans son arrêté querellé, l’intimé fait reproche au recourant d’avoir, en validant le rapport de la commandante du 10 janvier 2016 relatif aux événements survenus durant la nuit du 19 au 20 décembre 2015, laissé le texte suivant, qu’il juge erroné : « En l’absence de renseignements particuliers, rien ne laissait penser que la manifestation du 19 décembre 2015 dégénérerait. C’est la raison pour laquelle le dispositif policier a été dimensionné de la sorte et c’est la raison pour laquelle les cibles "traditionnelles" que sont la Vieille-Ville et les Rues Basses ont été protégées. En particulier aucune information ne laissait penser que le Grand Théâtre serait la cible d’attaques avec de l’huile de vidange et de la peinture ».

Dans son recours, le chef OP soutient que si la formulation selon laquelle « rien ne laissait penser que la manifestation du 19 décembre 2015 dégénérerait » devait être considérée comme inadéquate, elle aurait pu être corrigée par la commandante, le chef de l’état-major ou le chef de la brigade judiciaire, tous ayant été les destinataires du procès-verbal du rapport des opérations du 17 décembre 2015 qui reprenait le contenu de la note de la BRIC du 15 décembre 2015 ; en outre, le conflit entre le conseiller d’État et les milieux de la culture alternative orbitant autour de l’Usine était notoire, la Tribune de Genève ayant titré le 4 octobre 2015 « L’Usine est entrée en guerre avec le Canton ». La note du 17 décembre 2015, qui « affinait » selon le Conseil d’État celle du 15, n’apportait rien de plus en relation avec le type de dégâts susceptibles d’intervenir, étant rappelé que l’intéressé en avait une connaissance indirecte et ignorait son existence physique. S’agissant de la mention selon laquelle « aucune information ne laissait penser que le Grand Théâtre serait la cible d’attaques avec de l’huile de vidange et de la peinture », le recourant soutient que l’usage de l’huile de vidange changeait la donne, car, à la différence de la peinture, la voirie n’était pas en mesure de faire disparaître très rapidement d’éventuelles dégradations. Quant à la notion de « Grand Théâtre », celle-ci se fondait dans son esprit et de bonne foi avec d’autres cibles potentielles, le champ des possibles étant étendu.

Quoi qu’il en soit, il y a lieu de retenir que la formulation « rien ne laissait penser que la manifestation du 19 décembre 2015 dégénérerait », imprécise et maladroite, ne pouvait, compte tenu de ce qui a été retenu concernant les questionnements et les recherches que le recourant devait effectuer ainsi que du fait que les graves débordements et les déprédations majeures survenues lors de la manifestation en cause ne pouvaient pas être exclus avant le début de cette dernière, pas être laissée telle quelle par le recourant, mais devait faire l’objet d’une proposition de nuances par celui-ci avant que la commandante n’adresse son rapport au conseiller d’État.

S’agissant de la phrase à teneur de laquelle « aucune information ne laissait penser que le Grand Théâtre serait la cible d’attaques avec de l’huile de vidange et de la peinture », le recourant soutient qu’elle était conforme aux informations fournies par le renseignement au chef OP avant la manifestation.

Cela étant, cette phrase était exacte s’agissant de l’huile de vidange. Son caractère potentiellement trompeur pouvait en revanche être relevé, sur la base d’une interprétation possible, concernant les attaques avec de la peinture ; même si l’usage de peinture n’était peut-être pas expressément mentionné dans les renseignements oraux qui lui avaient été fournis, l’intéressé devait à tout le moins savoir que le Grand Théâtre figurait parmi les cibles possibles et il lui incombait de procéder à une vérification sur ce point. À sa décharge, il convient de relever que ces mots peu nombreux « et de la peinture » pouvaient, selon une autre interprétation possible et légitime, être compris dans le sens que c’était ensemble avec de l’huile de vidange que la peinture avait été jetée sur le Grand Théâtre, comme cela s’est du reste effectivement produit. Néanmoins, comme énoncé plus haut, la lecture de cette phrase dans le projet de rapport aurait dû conduire le chef OP à effectuer une vérification auprès du service du renseignement.

Dans sa réponse au recours, le Conseil d’État considère également comme contraire à la réalité la suite du texte précité : « Au regard de la tournure de la manifestation, le dispositif policier n’était, a posteriori, pas suffisant en nombre, bien que rien ne permettait de le concevoir au départ, compte tenu notamment des manifestations précédentes en 2015 qui comportaient les mêmes caractéristiques ». Toutefois, cette affirmation correspondait à l’appréciation que le chef OP avait faite de bonne foi, qui l’avait conduit à déterminer le dispositif, y compris l’effectif, pour la manifestation du 19 décembre 2015 et qui n’a pas été jugée fautive par la chambre de céans (supra), même si, ici aussi, le mot « rien » n’aurait pas dû le laisser indifférent.

b. S’agissant de l’audition du conseiller d’État du 11 janvier 2016 par la commission de contrôle de gestion, l’intimé, dans sa réponse au recours, relève que le conseiller d’État, se référant au rapport du 10 janvier précédent, aurait été amené à affirmer faussement : « La police a de la difficulté à percer au sein des réseaux sociaux pour connaître ce genre d’informations » et « On a pris des habitudes là où on devrait prendre de l’expérience ». On ne voit toutefois pas en quoi ces phrases, vu leur caractère très général et ouvert, auraient pu être considérées comme contraires à la réalité par les personnes présentes et les éventuels lecteurs du procès-verbal. Quant à la déclaration selon laquelle « rien ne permettait de dire que [le rassemblement du 19 décembre 2015] ne serait pas similaire aux précédents et qu’il fallait avoir un dispositif plus important », elle correspond à ce que le chef OP et ses proches collaborateurs avaient pensé avant le début de cette manifestation. Il n’en demeure pas moins que le conseiller d’État ne l’aurait peut-être pas prononcée s’il avait eu connaissance des renseignements plus approfondis que le recourant aurait dû rechercher auprès du service du renseignement et de la BRIC.

c. Enfin, la phrase prononcée par la commandante lors de son audition du 18 janvier 2016 par la commission de contrôle de gestion, à teneur de laquelle « la cible du Grand Théâtre n’avait pas été identifiée en tant que telle » n’était pas conforme à la réalité. L’intimé n’allègue toutefois pas que c’était sur la base des indications expresses du recourant qu’elle s’est exprimée ainsi. Néanmoins, ici également, il y a lieu de regretter que le recourant n’ait pas cherché à déterminer de manière précise les renseignements qui avaient été à disposition de la BRIC avant la manifestation du 19 décembre 2015 et de ne pas avoir fait bénéficier la commandante de telles recherches.

d. L’intimé n’a pas formulé de reproches précis concernant d’autres éléments. À cet égard, la mention, dans le rapport de la commandante du 10 janvier 2016, du black bloc en lien avec les manifestations précédant celle du 19 décembre 2015 et considérées comme « similaires » signifie qu’elle a pris en compte le fait que la présence d’un tel « noyau dur » était prévue ou au moins prévisible pour la manifestation du 19 décembre 2015.

e. Quoi qu’il en soit, il ne ressort pas du rapport de la commission de contrôle de gestion que la crédibilité de la commandante et du conseiller d’État ait été mise à mal par l’expression des phrases précitées.

10. De plus, le Conseil d’État reproche au recourant d’avoir dissimulé la note du 12 janvier 2016 du brigadier remplaçant chef de poste (de la BRIC) que le chef du renseignement lui aurait remise, ce document lui étant défavorable.

Sur ce point, on ne voit pas pour quels motifs l’intéressé aurait menti devant l’enquêteur administratif et le juge délégué en déclarant se rappeler que le chef du renseignement lui avait parlé du contenu de cette note, mais ne pas se souvenir que celui-ci la lui aurait remise. En effet, comme il en a fait part au juge délégué, cette note n’était pas susceptible de lui porter préjudice, ce au regard de la confiance qu’il avait dans les renseignements qu’ils avait reçus avant le 19 décembre 2015 ainsi qu’en sa décision fixant le dispositif, y compris l’effectif, d’encadrement de la manifestation ; dans l’hypothèse – qui n’est pas prouvéeoù il l’aurait reçue et y aurait fait attention, il n’y aurait eu aucune raison qu’il ne la transmette pas à la commandante.

11. Le Conseil d’État reproche au recourant d’avoir déclaré à la commandante le 15 janvier 2016 que la note du 15 décembre 2015 ne changeait rien au contenu du rapport du 10 janvier 2016.

Or, il n’y avait pas non plus de motifs pour que le contenu de la note de la BRIC du 15 décembre 2015 l’ait gêné, celle-ci reprenant une annonce parue sur internet, se référant aux manifestations précédentes et ne mentionnant pas le Grand Théâtre comme une cible particulière, mais seulement possible, comme établi plus haut.

C’est donc de manière sincère que le chef OP a, le 15 janvier 2016, dit à la commandante que cette note ne changeait rien au contenu du rapport du 10 janvier 2016.

12. Le contenu de la note rédigée par le recourant le 22 janvier 2016 lui est reproché.

Selon l’enquêteur administratif, le recourant s’est toujours retranché derrière la même explication qui justifierait selon lui le fait qu’il n’ait jamais parlé des deux notes – celles des 15 et 17 décembre 2015 –, à savoir que la seconde rendrait caduque la première ; mais il était bien le seul à partager cette opinion ; ainsi, le chef du renseignement a dit quant à lui que la seconde affinait ce qui figurait dans la première alors que l’auteur de la note du 17 décembre 2015 a constaté que les renseignements qu’elle contenait étaient assez similaires par rapport à celle du 15 décembre précédent ; au surplus, les textes de ces deux notes étaient convergents pour l’essentiel, sauf en ce qui concernait la participation, réduite de huit cents à quatre cents personnes ; excepté cette précision, on ignorait à ce jour encore ce que la note du 17 décembre 2015 avait rendu caduc au regard de la note du 15 décembre précédent. Le Conseil d’État fait siennes ces considérations de l’enquêteur administratif.

Ces dernières apparaissent toutefois dénuées de portée concrète. En effet, le 22 janvier 2016, au moment où il a écrit que la note du 17 décembre 2015 rendait caduque celle du 15 décembre 2015, le recourant pensait à la réduction du nombre de manifestants. Cette explication apparaît crédible concernant la perception qu’avait alors l’intéressé de ces deux notes. Le fait que cette explication soit objectivement incomplète ne change rien au fait que les verbes « rendre caduque » et « affiner » ne représentaient qu’une question d’interprétation et de vocabulaire, sans pertinence par rapport aux éventuels manquements qu’aurait commis l’intéressé, ce d’autant moins qu’un peu avant dans sa note le recourant a écrit que la note du 17 décembre 2015 actualisait les informations de la note du 15 décembre 2015. Au demeurant, sur certains points – le nombre prévu des manifestants et la précision des renseignements, concernant notamment le cheminement du cortège et le soulignement de la cible du Grand Théâtre –, la seconde note rendait effectivement caduque – ou inutile – la première, tandis que sur d’autres points – détermination des manifestants, présence d’un black bloc par exemple –, elle l’affinait simplement.

13. Au regard de l’ensemble de ces circonstances, on ne saurait retenir que le recourant aurait menti à plusieurs reprises à sa hiérarchie, ni qu’il lui aurait dissimulé les notes des 15 et 17 décembre 2015 ainsi que du 12 janvier 2016 ou d’autres renseignements pertinents, dans le but de tenter d’échapper à sa propre responsabilité. Rien ne permet donc de mettre en cause la bonne foi du recourant à l’égard de sa hiérarchie.

14. En revanche, doivent être reprochées à l’intéressé ses omissions relatives à l’absence d’investigation en vue de déterminer de quels renseignements, notamment écrits, la BRIC avait disposé de manière complète avant la manifestation du 19 décembre 2015, de même qu’à la question de savoir si le service du renseignement, y compris la BRIC, avait correctement fonctionné et transmis les informations nécessaires au capitaine et à lui-même, y compris après la manifestation.

La question de savoir si ces manquements justifieraient une sanction disciplinaire se pose, mais doit recevoir une réponse négative.

En effet, ces omissions se sont produites dans le cadre du mode de transmission des renseignements entre le recourant, le capitaine et le chef du renseignement, dont le manque de clarté et de fiabilité, dû à un problème structurel, a été établi plus haut. Le fait de ne pas disposer des notes de renseignement émises par la BRIC, que ce soit après ou avant la manifestation du 19 décembre 2015, correspondait à la pratique constante prévalant jusqu’alors entre le chef OP et le chef du renseignement et partant la BRIC, consistant à travailler sur le contenu des documents et non sur ces derniers, à parler de leur contenu plutôt que de les transmettre, respectivement les recevoir. Ce mode de fonctionnement, fondé sur la confiance de l’intéressé à l’égard de ses collaborateurs s’exprimant dans un cadre souvent informel, de même que la confiance que celui-ci avait envers ses propres choix de dispositif et d’effectif pour la manifestation du 19 décembre 2015 expliquent pour une grande part qu’il n’ait pas jugé nécessaire de s’enquérir de l’existence de ces notes ni de demander celles-ci avant le 14 janvier 2016.

Au surplus, il est dans la nature des informations recueillies et détenues par un service du renseignement d’être transmises au plus petit nombre de personnes possible. La transmission à la commandante et au conseiller d’État – qui étaient les interlocuteurs des députés et des médias – de tous renseignements supplémentaires par rapport à ceux qui avaient été fournis par le chef du renseignement par oral et dans son courriel du 28 décembre 2015 pouvait ainsi s’avérer le cas échéant problématique, comme le montre du reste le fait que, malgré la demande du chef OP, la BRIC n’a, à tout le moins dans un premier temps, pas transmis à ce dernier la note – confidentielle – du 17 décembre 2015. Le besoin des députés d’obtenir des informations, notamment par les auditions du conseiller d’État et de la commandante, ainsi que le même besoin du public via les médias rendaient encore plus délicate la transmission de renseignements potentiellement sensibles, voire confidentiels.

Il sied à cet égard de relever que la demande du député, qui avait été menacé par des manifestants et dont le magasin avait été fracturé, qui « aimerait une tête », visait à déterminer un ou des policiers responsables de manquements en lien avec la manifestation en cause et à les sanctionner. C’est dans ce contexte particulièrement tendu au plan politique que s’est insérée la procédure qui a mené à la sanction litigieuse.

Enfin, d’une part, la hiérarchie du recourant n’a pas demandé à celui-ci, avant le 14 janvier 2016, de procéder à des investigations sur les renseignements dont disposait le service du renseignement, en particulier la BRIC, au sujet de la manifestation du 19 décembre 2015, au-delà des réponses fournies par le chef du renseignement dans son courriel du 28 décembre 2015. D’autre part, le choix du chef OP concernant les forces d’encadrement engagées pour la manifestation du 19 décembre 2015 n’a pas été critiqué lors des réunions des 5 et 7 janvier 2016, mais seulement dans le communiqué de presse du 11 janvier 2016, qui ne déterminait toutefois pas un responsable du « défaut initial d’appréciation ».

Ces circonstances réduisent considérablement le caractère fautif des omissions reprochées ci-dessus au recourant pour la période ayant suivi la manifestation du 19 décembre 2015, de même que sa responsabilité pour certaines assertions, dont l’une était erronée et les autres imprécises et manquant de nuances, de la commandante dans son rapport du 10 janvier 2016 et lors de son audition du 18 janvier 2016 et du conseiller d’État lors de son audition du 11 janvier 2016. Lesdites omissions n’apparaissent ainsi pas suffisamment graves pour justifier une sanction disciplinaire.

15. Pour le reste, on ne saurait reprocher au recourant de ne pas avoir reconnu les manquements reprochés, qu’il a précisément niés, à juste titre pour la plus grande part, dans le cadre de sa défense contre le prononcé de la sanction disciplinaire litigieuse.

16. En substance, il ressort de ce qui précède qu’avant la survenance de la manifestation, l’appréciation du recourant sur le déroulement prévisible de celle-ci et le dispositif, y compris l’effectif, qu’il a mis en place pour l’encadrer restent dans un cadre admissible, par rapport à ce qu’il savait et devait savoir.

Concernant les reproches émis pour la période postérieure à la manifestation, le recourant n’a pas suffisamment investigué en vue de vérifier de quels renseignements, notamment écrits, ses services ont disposé avant la manifestation en cause et s’ils ont été correctement transmis. Par ces omissions, il a laissé ou conduit la commandante de la police et le conseiller d’État à tenir des propos imprécis. Ces omissions ne justifient toutefois pas une sanction disciplinaire, la circulation des informations étant, institutionnellement, peu précise, tant pour les renseignements avant qu’après les événements. Le recourant n’a pas menti à sa hiérarchie, ni ne lui a dissimulé de documents ou d’autres renseignements pertinents.

L’intéressé n’a pas enfreint ses devoirs de service au sens de l’art. 16 al. 1 de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05) et 36 al. 1 loi sur la police du 9 septembre 2014 (LPol - F 1 05).

17. Vu ce qui précède, en l’absence de comportements du recourant justifiant une sanction disciplinaire, l’arrêté attaqué n’est pas conforme au droit.

En conséquence, le recours sera admis et l’arrêté querellé annulé.

18. Le recourant doit être replacé dans la situation qui aurait été la sienne sans le prononcé de l’arrêté querellé du 22 juin 2016, à savoir que dès cette même date, sa classe de traitement et ses annuités devront, rétroactivement, être celles qui étaient les siennes auparavant, lorsqu’il était lieutenant-colonel.

19. Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA) et une indemnité de CHF 2'000.- lui sera allouée, à la charge de l’État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 août 2016 par Monsieur  A______ contre l’arrêté du Conseil d’État du 22 juin 2016 ;

au fond :

l’admet ;

annule l’arrêté du Conseil d’État du 22 juin 2016 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à Monsieur A______ une indemnité de procédure de CHF 2'000.-, à la charge de l’État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Éric Maugué, avocat du recourant, ainsi qu'au Conseil d'État.

Siégeants : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, MM. Thélin, Dumartheray, Verniory et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :