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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2859/2015

ATA/729/2016 du 30.08.2016 ( FPUBL ) , ADMIS

Descripteurs : DROIT DE LA FONCTION PUBLIQUE ; FONCTIONNAIRE ; SANCTION ADMINISTRATIVE ; MESURE DISCIPLINAIRE
Normes : RCSAC.2; RPAC.20; RPAC.21.letc; RPAC.22.al1; RPAC.23; RCSAC.3.al1; LPAC.16; LPAC.27; CP.13; LPA.61; LaCP.5; CP.64.al1; CP.75a; LaCP.5.al1.letd; LaCP.5.al2.letd; LaCP.5.al5; Cst-GE.2.al2; LECO.1; LECO.2; LPA.12; CP.75; CLDPA.18; RPES.3; RPES.4; CP.62d.al2; CP.75a.al1.letb; LaCP.4.al1.letc; REPPL.11
Résumé : Recours d'une fonctionnaire de l'État de Genève contre un retour au statut d'employée en période probatoire pour une durée de deux ans. À l'instar de l'enquêteur administratif, selon la chambre administrative l'intéressée n'a pas enfreint ses devoirs de service, même si la décision d'autoriser la sortie du détenu a entraîné des conséquences dramatiques. Aucune pièce du dossier ne permet de retenir que la recourante aurait violé ses devoirs de service ou qu'elle n'aurait pas apporté tout le soin nécessaire à l'analyse approfondie et détaillée de la situation du détenu avant d'autoriser les sorties accompagnées de celui-ci. L'appréciation de la dangerosité du détenu, faite par la recourante a été erronée mais non fautive, compte tenu des éléments dont elle disposait et de la pratique en vigueur, connue et admise par son employeur. La décision qui en a découlé ne peut lui être imputée à faute, au vu du cadre législatif et règlementaire en vigueur à l'époque et de la pratique administrative en cours au moment des faits. Recours admis.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2859/2015-FPUBL ATA/729/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 août 2016

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Robert Assaël, avocat

contre

CONSEIL D'ÉTAT

 



EN FAIT

1) Madame A______, née le ______, de nationalité suisse, titulaire d’une licence en psychologie « orientation clinique » et d’un diplôme d’études supérieures spécialisées en psychologie clinique, a été engagée par l’État de Genève le 31 janvier 2000 en qualité de cheffe de service adjointe à la maison d’arrêt B______.

Elle a pris ses fonctions le 1er février 2000, à 100 %.

2) Par courrier du 7 mai 2002, Mme A______ a été nommée, rétroactivement dès le 1er janvier 2002, directrice responsable d’établissement de la maison d’arrêt B______.

3) Elle a été nommée fonctionnaire le 1er février 2003.

4) Par arrêté du Conseil d’État du 22 octobre 2003, Mme A______ a été promue, à dater du 1er octobre 2003, à la fonction de directrice adjointe du service de l’application des peines et mesures (ci-après : SAPEM) du département de justice, police et sécurité, devenu depuis lors le département des institutions, puis le département de la sécurité, de la police et de l’environnement, puis enfin le département de la sécurité et économie (ci-après : le département ou le DSE).

Un arrêté du Conseil d’État du 3 décembre 2003, annulant et remplaçant celui du 22 octobre 2003, précisait qu’elle était soumise à une période d’essai de vingt-quatre mois, avant d’être confirmée dans sa nouvelle fonction.

5) Par arrêté du 8 février 2006, le Conseil d’État a confirmé Mme A______ dans ses fonctions de directrice adjointe du SAPEM, à dater du 1er janvier 2006.

6) Dès 2007, Mme A______ a enseigné au centre suisse de formation pénitentiaire à Fribourg (ci-après : CSFPP).

7) Par courrier du 26 novembre 2008, le conseiller d’État en charge du département a informé Mme A______ qu’elle était promue, dès le 1er décembre 2008, à la fonction de directrice du SAPEM, à 80 %, poste correspondant à la classe 23. Au terme de la période d’essai de vingt-quatre mois, pour autant que ses prestations soient satisfaisantes, elle serait confirmée dans ses fonctions.

Elle était désignée pour représenter l’autorité d’exécution des peines de Genève à la commission concordataire latine (ci-après : CCL), organe de la Conférence latine des Chefs des Départements de justice et police (ci-après : CLDJP).

Par courrier séparé du même jour, le chef du département l’a informée qu’elle était considérée comme cadre supérieure de l’administration.

8) Monsieur C______ (ci-après : le détenu), né le ______ 1974, de nationalité suisse et française, a été arrêté et détenu en France au moins dès le 26 octobre 2001.

a. Il a été condamné par défaut le 4 octobre 2001 par la Cour correctionnelle de Genève, avec jury, à une peine de cinq ans de réclusion pour viol aggravé et contrainte sexuelle aggravée.

b. Par arrêt du 4 novembre 2003 de la Cour d’assises du département de l’Ain, le détenu a été condamné à quinze ans de réclusion criminelle pour viol, commis sous la menace d’une arme et vol avec arme. Un suivi socio-judiciaire de cinq ans et injonction de soins ont été ordonnés.

Suite à sa demande de transfèrement en Suisse, le détenu a été incarcéré à Champ-Dollon depuis le 1er octobre 2008. Il a été transféré aux établissements de la Plaine de l’Orbe (ci-après : les EPO) le 10 mars 2009.

9) Une proposition de plan d’exécution de la sanction (ci-après : PES) a été élaborée par les EPO en novembre 2009.

10) Le 8 mars 2010 s’est tenue une rencontre interdisciplinaire, aux EPO, réunissant onze personnes, dont Mme A______, pour faire le bilan de la situation du détenu et planifier la suite de l’exécution de sa peine.

11) Le projet de PES a fait l’objet d’adaptations en mars 2010.

12) Le 7 avril 2010, le Ministère français de la justice a transmis, conformément à la demande l’office fédéral de la justice du 8 décembre 2009, copie de l’expertise psychiatrique effectuée en France sur le détenu.

Le dossier contenait une expertise psychologique datée du 19 février 2002, effectuée par Monsieur D______, psychologue, une expertise psychiatrique du 7 mars 2002 réalisée par le Docteur E______, psychiatre et médecin légiste, et une expertise du 15 mars 2002, établi par le Docteur F______, médecin-légiste.

13) En juillet 2010, le projet de PES a fait l’objet de modifications.

14) Le 12 octobre 2010, Mme A______ a confié une mission d’expertise du détenu au centre universitaire romand de médecine légale (ci-après : CURML).

15) Le 22 mars 2011, Madame A______ a participé à un entretien d’évaluation et de développement du personnel (ci-après : EEDP) la concernant, portant sur la période du 1er décembre 2009 au 22 mars 2011.

Au titre de bilan de la période écoulée et en termes d’objectifs, le compte rendu mentionnait que Mme A______ avait été nommée directrice au terme d’un processus de recrutement rigoureux. Elle avait su recruter et former avec compétence son adjoint. Sa grande expérience dans le domaine de l’application des peines et des mesures était relevée. Elle avait su s’imposer, tant au H______ romand (CCL, association latine des autorités de placement) qu’au H______ fédéral (CSFPP par exemple). Elle avait de bonnes compétences d’analyse et de synthèse et recherchait les informations de façon à obtenir une vision claire et la plus complète possible des situations. L’employeur mentionnait que le SAPEM avait fait face, depuis plusieurs années, à une augmentation massive du nombre de dossiers à traiter, parfois dans l’urgence. La spécificité du domaine impliquait de devoir prioriser de façon à gérer, efficacement et à temps, les dossiers (transfert, libération conditionnelle ou définitive, etc.). La pression du calendrier était constante lorsqu’il s’agissait de gérer la privation de liberté.

Le supérieur hiérarchique avait évalué Mme A______ sur dix-sept critères, parmi un choix de quatre rubriques : « maîtrisé, à développer, non maîtrisé, ne s’applique pas ». La totalité des dix-sept points était évaluée comme « maîtrisé ». Neuf des évaluations comportaient en sus la mention « expertise », notamment la totalité des évaluations en lien avec les « valeurs et principes » ainsi que celles relatives aux « compétences techniques en lien avec les métiers exercés ». Seuls certains points, principalement en relation avec la gestion du personnel, ne bénéficiaient pas de la mention « expertise ».

Sous « bilan général du responsable hiérarchique », il était mentionné : « Mme A______ est la personne adéquate pour ce poste à hautes responsabilités. Outre ses capacités professionnelles démontrées, Mme A______ est également respectueuse de ses subordonnés, de ses collègues et de sa hiérarchie. Sa personnalité équilibrée et chaleureuse en font une cadre appréciée ».

Pour sa part, Mme A______ relevait notamment qu’elle souhaitait que le SAPEM puisse accomplir sa mission à satisfaction et avec les moyens adéquats en ressources humaines.

À l’issue de l’EEDP, trois objectifs étaient convenus conjointement entre le département et Mme A______, notamment « perfectionner l’évaluation de la dangerosité des personnes condamnées à des peines et surtout des mesures ». Le délai de réalisation proposé était juin 2012. Le moyen d’action et/ou formation mentionnait : « formation à une échelle d’évaluation telle que la PCL-R ».

16) Le 28 mars 2011, les Docteurs G______ et H______, tous deux spécialistes FMH en psychiatrie et psychothérapie, ont rendu leur rapport d’expertise du détenu.

À la question de savoir si l’exécution en milieu sécurisé ou fermé demeurait nécessaire ou si un régime progressif pouvait être octroyé, le cas échéant à quelles conditions, les experts ont précisé que le détenu bénéficiait d’une formation au sein de l’établissement fermé que constituait le pénitencier de Bochuz aux EPO. « Le régime progressif pourrait être octroyé à la fin de cette formation. En effet, on pourrait alors imaginer qu’il intègre alors la Colonie où des congés seraient possibles. Comme expliqué plus haut, il subsiste un risque modéré de récidive et le temps restant pour terminer son apprentissage pourrait être mis à profit sur le plan psychothérapeutique afin de travailler plus spécifiquement la question de la gestion des pulsions sexuelles. D’autre part, vu l’importance qu’a jouée la prise d’alcool dans la commission de ces délits, il serait opportun qu’un travail sur cette dépendance pût également être effectué. Ainsi, quelques mois avant l’échéance, un complément d’expertise pourra être réalisé afin d’évaluer l’évolution de l’expertisé par rapport aux points mentionnés ci-dessus. On peut d’ores et déjà affirmer que, quelles que soient les conclusions de ce complément d’expertise, l’expertisé continuera à avoir besoin d’un cadre strict, avec un rythme très progressif des congés et un suivi psychothérapeutique rapproché afin qu’il soit en mesure de gérer au mieux la mise à l’épreuve que consisteront ses premières sorties ».

17) Le 4 avril 2011, le détenu a fait une demande d’admission au centre de sociothérapie « la Pâquerette » (ci-après : la Pâquerette), établissement destiné à l’exécution des peines.

18) Par courrier du 11 avril 2011, la secrétaire générale du département a confirmé Mme A______ dans la fonction de directrice du SAPEM dès le 1er décembre 2010.

19) À compter de 2011, Mme A______ a présidé l’association latine des autorités de placement (ci-après : ALAP) dont le but consiste à discuter des différentes pratiques cantonales et à les harmoniser.

La même année, elle a été nommée, par le Conseil fédéral, en qualité de membre d’une commission extra-parlementaire en matière d’exécution des peines.

20) Le 12 juillet 2011, Mme A______ a eu un entretien avec le détenu.

Un compte rendu de celui-ci a été adressé à l’intéressé.

21) Le 29 novembre 2011, s’est tenue, aux EPO, une rencontre interdisciplinaire en présence de sept intervenants, dont Mme A______, afin de faire le point sur la situation du détenu suite à la réception du rapport d’expertise psychiatrique du 28 mars 2011 et de planifier la suite de l’exécution de la peine.

22) Le projet de PES a fait l’objet d’adaptations en décembre 2011.

23) L’entretien entre Mme A______ et le détenu du 19 avril 2012 a fait l’objet d’un compte rendu écrit de Mme A______ transmis le 3 juillet 2012 à l’intéressé.

Il était mentionné que si le détenu « passait » à la Pâquerette, un complément d’expertise serait demandé après six à neuf mois. En revanche, si le passage dans ledit établissement n’était pas possible, une demande de complément d’expertise serait faite avant un passage à la Colonie. Un projet de conduite était mentionné (formation avec l’alliance française ; conduite pour une sortie thérapeutique avec des chevaux ; fin de l’enlèvement des tatouages). « Ensuite, si les conduites se déroulent bien, un congé chez votre compagne à Neuchâtel serait envisageable ». Son amie lui rendait visite depuis deux mois. Il ne souhaitait pas qu’elle vienne pour des parloirs intimes.

24) La proposition de PES des EPO du 30 juillet 2012 a été validée le 31 juillet 2012 par le SAPEM, sous la signature de Mme A______ avec deux modifications, respectivement sur le caractère instable de l’intéressé, reconnu par celui-ci, conformément au rapport de M. D______ en 2002 ainsi que sur le lien entre la problématique de la consommation d’alcool de l’intéressé et sa critique de la religion islamique.

Le document faisait vingt-six pages.

Il évoquait, respectivement, l’identité et les condamnations du détenu, l’encadrement général de celui-ci, sa relation avec le monde extérieur, notamment sa situation familiale avant l’incarcération, pendant l’incarcération ainsi que le développement du lien familial et affectif à prendre en compte dans l’élaboration du PES, le travail et la formation de l’intéressé, son comportement en détention, sa perception du délit, l’élaboration du PES et la progression de l’exécution de la sanction.

Sur ce dernier point, deux phases étaient distinguées, soit le maintien au pénitencier, puis le passage à la Pâquerette. Durant la première « le SAPEM fera les démarches nécessaires pour demander un complément d’expertise psychiatrique. Par ailleurs, le secteur d’évaluation criminologique prendra contact avec Madame I______, [directrice de la Pâquerette], pour savoir quand une place pourrait éventuellement être disponible pour l’intéressé au sein de son établissement ».

Concernant la seconde phase il était mentionné « dès que possible ». Les objectifs et moyens spécifiques à cette phase consistaient à permettre « à M. C______ d’acquérir des compétences sociales, de travailler sur ses relations avec les autres, tout en poursuivant sa formation ». Sous « conditions spécifique à la phase », il était noté « passage à la CED [commission d’évaluation de la dangerosité] pour toute ouverture de régime ». Il était ajouté sous « remarques : en avril 2013, le SAPEM fera une demande de complément d’expertise psychiatrique en vue du passage à la CED en août 2013 et des sorties accompagnées de la Pâquerette ».

25) L’intéressé a été admis à la Pâquerette le 29 août 2012 en provenance des EPO.

26) Le 10 septembre 2012, Mme A______ et Monsieur J______, directeur ad interim du service de probation et d'insertion (ci-après : SPI), ont adressé au conseiller d’État en charge du département, une note de six pages. Ils concluaient qu’« avec la surpopulation chronique que nous connaissons aujourd’hui et l’augmentation de la population carcérale prévisible dès cet automne et sans infrastructures pénitentiaires pouvant réellement absorber les différents types de détention avant 2016, le SPI et le SAPEM sont inquiets quant au maintien de leurs prestations et à la réelle capacité d’accomplir la mission qui est la leur ».

27) Le 19 avril 2013, Mme I______ a établi un « rapport et propositions de sorties du centre de sociothérapie » concernant le détenu.

Ce document, de six pages, reprenait notamment l’histoire personnelle de l’intéressé. Il développait la participation de celui-ci au programme du centre, son évolution relationnelle et comportementale, sa psychothérapie individuelle.

Selon les deux pages de conclusions :

« M. C______ fournit de réels efforts afin de poursuivre une évolution constructive dans le programme du centre. Il est ouvert au dialogue et accepte d’être confronté à son propre mode de fonctionnement. S’il se dit conscient de ses difficultés et de la gravité de ses actes, il nous semble devoir encore évoluer dans les éléments qui rendent ses relations interpersonnelles et sa perception de l’altérité difficiles, comme sur ceux qui concernent son affirmation affective et sexuelle.

D’autre part, l’intéressé paraît en quête d’une identité ainsi que d’une appartenance sociale qui le conduit à se reconnaître tour à tour dans des groupes religieux ou des stars influentes de manière passionnée, mais éphémère. En revanche, son grand intérêt pour les chevaux semble demeurer constant depuis plusieurs années.

Il nous paraît donc adéquat que M. C______ poursuive le travail sociothérapeutique entrepris ainsi que sa psychothérapie parallèle. De plus, une thérapie orientée vers la sexologie pourrait intervenir au moment où il se verra confronté régulièrement à la vie hors de prison.

Par ailleurs, nous estimons que la mise en place de sorties entièrement accompagnées destinées à favoriser la reprise de contacts de M. C______ avec le milieu équestre, tout en lui offrant l’opportunité de s’engager dans un travail de psychomotricité avec le cheval serait appropriée.

Le concerné est très intéressé par cette approche et s’est sérieusement impliqué dans les recherches qui nous ont permis de prendre contact avec l’association Anima, qui effectue ce type d’approche dans son centre équestre situé à Bellevue.

À la suite d’un contact téléphonique avec l’une des responsables, il a été confirmé qu’un programme thérapeutique portant sur deux séances par mois pourrait être entamé par M. C______ dès le mois de septembre prochain. Une visite des lieux, assortie d’un entretien, pourrait intervenir au mois de juin ainsi que deux séances ponctuelles de prises de contact entre juillet et août.

Par ailleurs, au cas où il s’avérerait que cette approche avec les chevaux devrait ne pas correspondre aux attentes de l’intéressé, une visite d’autres centres équestres dans le canton nous semblerait appropriée.

Nous suggérons donc la mise en œuvre d’une première étape de sorties entièrement accompagnées, destinées à la réalisation de ce projet sous la forme suivante :

- mois de juin 2013 : une sortie entièrement accompagnée d’une durée maximale de cinq heures permettant la visite du centre équestre Anima ainsi qu’un entretien ;

- mois de juillet 2013 : une sortie entièrement accompagnée d’une durée maximale de cinq heures en vue d’une séance au centre équestre Anima ;

- mois d’août 2013 : maintien de la sortie destinée au centre Anima. Introduction d’une seconde sortie entièrement accompagnée d’une durée maximale de cinq heures en vue de la visite d’autres centres équestres ;

- du mois de septembre au mois de décembre 2013 : deux sorties entièrement accompagnées d’une durée de six heures par mois, destinées aux activités avec les chevaux. Au cours de cette première étape, M. C______ aura la possibilité, durant les trajets, d’effectuer quelques achats, cas échéant, de prendre un repas.

Sous réserve de l’évolution positive du concerné, une progression dans le programme graduel des sorties accompagnées pourrait être envisagée à partir du mois de janvier 2014 ».

28) Par courriel du 20 mai 2013, suite à une affaire vaudoise dont la presse s’était fait l’écho, le chef du département a interpellé Madame K______, directrice générale de l’office cantonal de la détention (ci-après : OCD). Copie du courriel était adressée à quatre cadres de l’administration, dont Mme A______.

Le conseiller d’État s’interrogeait sur les conditions dans lesquelles des services pénitentiaires libéraient ou accordaient des sorties ou des congés. Il souhaitait savoir si les services pénitentiaires rencontraient personnellement le détenu et discutaient avec les autorités carcérales, ainsi que combien de cas cela représentait. Il se questionnait sur la manière dont la dangerosité était évaluée, s’il existait des tests, et dans cette hypothèse qui les passait et selon quels critères. Il souhaitait savoir quand des spécialistes de la probation chargés d’accompagner les détenus durant leur régime de fin de peine voyaient le détenu pour la première fois, comment la situation était gérée avec les détenus hors canton et s’il arrivait qu’ils soient jugés sur dossier. Il sollicitait une note du SAPEM et du SPI lui permettant une prise de connaissance de l’« état de l’art » et de la réalité genevoise en la matière.

29) Par courriel du 21 mai 2013 au conseiller d’État, avec copie aux mêmes destinataires que le courriel initial, Mme K______ a précisé que la note serait transmise d’ici au jeudi 30 mai 2013.

30) a. Le 29 mai 2013, le SAPEM a transmis au conseiller d’État une note de situation de dix-huit pages, à laquelle étaient annexés le règlement concordataire du 25 septembre 2008 concernant l’octroi d’autorisations de sortie aux personnes condamnées adultes et jeunes adultes, la décision concordataire du 25 septembre 2008 concernant le travail externe ainsi que le travail et logement externe, une note sur le travail externe, copie des art. 3, 4 et 5 de la loi d’application du code pénal suisse et d’autres lois fédérales en matière pénale du 27 août 2009 (LaCP - E 4 10), le « triage des nouveaux cas, documents du SAPEM, validé par l’ALAP », la recommandation concordataire du 25 septembre 2008 relative aux conditions et aux modalités d’application du plan d’exécution de la sanction pénale en force ou subie à titre anticipée ainsi que cinq tests d’évaluation criminologique, respectivement l’évaluation selon l’échelle de Dittman, les items HCR-20 PCL-R, SVR-20 et SAPROF.

b. Une synthèse, sur deux pages, répondait aux questions du 20 mai 2013. À la question relative au nombre de cas, il était mentionné qu’en 2012, le SAPEM avait eu un total de soixante-sept condamnés concernés par les autorisations de sortie. Sur ce nombre, trois cent cinquante-cinq conduites avaient été accordées, vingt et une permissions et soixante-six congés. Quarante-quatre demandes de sorties avaient été refusées. Sur l’ensemble, il n’y avait eu aucun incident durant les sorties.

À la question, comment évalue-t-on la dangerosité, il était répondu : « à travers divers moyens : par des entretiens réguliers avec les membres du SAPEM ; en effectuant une évaluation criminologique (SAPEM ou établissement) ; durant l’élaboration du PES ; en demandant des rapports thérapeutiques ; à la lecture des expertises psychiatriques et des jugements ; etc. »

À la question, « existe-t-il des tests que l’on fait passer, à qui et selon quels critères », il était fait référence à différents instruments d’évaluation criminologique utilisés. Il était précisé que les criminologues des EPO étaient formés et habilités à utiliser régulièrement ces tests d’évaluation criminologique en fonction des besoins. Ils étaient essentiellement utilisés sur des personnes condamnées pour des actes d’une extrême violence et sur des condamnés dont les infractions avaient porté atteinte à l’intégrité psychique, physique ou sexuelle d’autrui. Il était relevé : « il est vrai que ce type d’évaluation n’a lieu que sur des condamnés à de longues peines ou à des mesures pénales. Il n’existe pas d’évaluation systématique satisfaisante de tous les condamnés. Certains cantons, comme Zurich, s’essaient cependant à ce type d’approche, moyennant un investissement majeur en termes de ressources humaines ».

c. La note de situation détaillait, sur les treize pages qui suivaient, six chapitres, respectivement le cadre légal régissant les tâches et les décisions de l’autorité d’exécution, les pratiques et les statistiques du SAPEM, l’évaluation de la dangerosité, les perspectives et visions du futur, des propositions.

Dite note était complémentaire à celle déjà élaborée par le SPI et le SAPEM en date du 10 septembre 2012 ainsi que celle du SAPEM du 6 mars 2013.

Le point 2.2 détaillait la pratique du SAPEM concernant les octrois des autorisations de sortie. Il était notamment précisé que la direction du SAPEM décidait de toutes les autorisations de sortie octroyées aux personnes sous son autorité. Des préavis, notamment à la CED, « pouvaient » être demandés.

Le point 4 traitait de l’évaluation de la dangerosité. Le sous-titre 4.1 était intitulé « Évaluation au sein du SAPEM » alors que le point 4.2 traitait « Évaluation par la CED, rôle de la commission spécialisée ». L’avis de la CED était défini comme une aide à la décision lorsque l’autorité d’exécution devait statuer sur un allègement d’une sanction pénale. Le document indiquait :

« Le seuil de "doute" requis par l'art. 75 al. 1 let. b du [Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0)] pour saisir la CED est d'autant plus bas que la peine est longue et les faits graves. Rappelons que les situations déjà identifiées comme présentant un danger important pour la collectivité font l'objet d'une mesure d'internement pour laquelle l'avis de la CED est obligatoire. La notion de "danger pour la collectivité" est reprise telle quelle par la CED. Malheureusement, cette notion n'a jamais été clairement définie. À la lecture des décisions de la CED, on peut penser qu'il s'agit ici uniquement de la protection de tiers. Un nombre conséquent de faits graves, dont les auteurs voient leur situation soumise à la commission en cours d'exécution, concernent des faits de violence physique ou sexuelle perpétrés dans le cadre de cellule familiale ou au cours d'une relation sentimentale suivie. Au cas par cas, ces personnes peuvent présenter un risque de récidive important lors d'une sortie (envers une personne proche) alors qu'ils ne constituent pas de "danger pour la collectivité". Le périmètre exact de ces notions n'est ainsi pas clairement défini. Ceci est d'autant plus regrettable que la CED doit statuer sur des documents provenant de divers établissements, chacun de ces établissements ayant une pratique et une perception des commissions spécialisées différentes en fonction de leur population pénale et du canton placeur le plus important. De plus, cette commission étant pluridisciplinaire (Ministère public, psychiatre et pénitentiaire), une définition commune et partagée est d'autant plus importante ».

« Les préavis consultatifs rendus par la CED sont en général succincts (une à deux pages) et se bornent à indiquer si le caractère dangereux de la personne est "contenu" ou non dans le cadre de l'allègement de peines envisagé. La partie décisionnelle de l'avis est quelquefois contradictoire avec les considérants et, souvent, la formulation générale soulève plus de questions que de réponses. Cette perception n'est pas uniquement celle du SAPEM puisque, à la suite des décisions de la CED, il n'est pas rare que la direction d'un établissement nous contacte afin de s'assurer de sa compréhension ».

Suivaient plusieurs exemples.

Le point 4 se concluait par : « Le SAPEM souhaite que la CED ait les moyens de rendre des décisions qui soient une aide crédible à la décision. Cela passe certainement par une "professionnalisation" de ses membres qui devraient s'engager à occuper leurs fonctions durant une certaine période (au moins trois ans) et ainsi pouvoir bénéficier d'une formation conséquente au sujet de l'exécution des peines et mesures. En effet, les membres de la CED ne connaissent pas suffisamment bien le type d'encadrement offert par les différents établissements d'exécution de peines et de mesures en Suisse romande. En conséquence, la [CED] se borne à relever, dans ses décisions, qu'il y a effectivement matière à nourrir un doute sur la dangerosité de la personne, sans pour autant dégager une piste de travail nouvelle pour l'autorité d'exécution ».

Suivaient, sous le titre « Perspectives et vision du futur en lien avec la planification des privations de liberté et mesures d’encadrement » trois points, à savoir le renforcement du SAPEM au niveau des ressources humaines, l’élaboration des PES dans les établissements genevois et des réflexions sur le rôle de la CED.

Le document se concluait par deux propositions, à savoir la création d’un groupe de travail cantonal afin de réfléchir sur ces différents sujets : CED, évaluation criminologique, rôle de l’assistant de probation dans le cadre de l’exécution de peine, rôle de l’autorité d’exécution dans l’évaluation de la dangerosité, etc., ainsi que la création d’un groupe de travail concordataire afin d’élaborer un projet de commission spécialisée concordataire.

31) Le 25 juin 2013, le Docteur L______, médecin-chef de service ad intérim du service de psychiatrie pénitentiaire, a indiqué à Mme A______, en réponse au fax de celle-ci du 23 mai 2013 et suite à leurs échanges du 19 juin 2013 que :

« J’ai rencontré M. C______ une première fois le 5 octobre 2012, puis après la période d’intégration à la Pâquerette à un rythme bimensuel à partir du 14 décembre 2012. ( ) On ne trouve pas de symptômes dépressifs francs, mais une lassitude par rapport à son incarcération. On n’observe pas de symptômes psychotiques ou de pertes de contact avec la réalité. Il ne prend pas de traitement psychotrope.

M. C______ m’a spontanément remis une copie de son expertise psychiatrique de 2011. Durant les entretiens, il m’a expliqué son parcours judiciaire et carcéral aussi bien en France qu’en Suisse. Il est revenu spontanément sur les faits qui ont motivé son incarcération et il s’est montré capable de critiquer son propre comportement.

Plus spécifiquement, les entretiens nous ont permis d’aborder les questions liées à sa sexualité et à la gestion de l’excitation de nature sexuelle dans son cadre de vie actuel. En effet, le transfert à la Pâquerette a entraîné une mise en contact avec du personnel féminin de façon quasi quotidienne. Nous avons pu élaborer cela comme "mise en situation" par rapport au monde extra-carcéral, mixte. ( )

M. C______ évoque également ses projets à long terme, à savoir partir vivre en Irlande après sa libération. Bien que ce projet soit encore abstrait, il ne remet pas en question sa réalisation. À plus court terme, il va entreprendre une formation en boulangerie à la Pâquerette. Il souhaite aussi pouvoir se rendre accompagné à des séances d’équithérapie à l’extérieur. Cette activité pourrait l’aider à canaliser son énergie et permettrait par ailleurs un complément d’observation ».

32) Par décision du 5 juillet 2013, le SAPEM a autorisé le planning des sorties préconisé par la Pâquerette.

33) Une première « conduite » du détenu s’est déroulée sans problème le 3 septembre 2013. Le détenu était accompagné d’une sociothérapeute.

34) Le 6 septembre 2013, Mme I______ a mis le détenu au bénéfice d’une sortie accompagnée le 12 septembre 2013 de 10h à 16h pour se rendre de 11h à 12h30 à une séance au centre équestre Anima à Bellevue ainsi que « repas et achats d’équipement en ville ».

35) Le 9 septembre 2013, un criminologue a pris ses fonctions au SAPEM.

36) Le 12 septembre 2013, lors de la sortie du détenu organisée par la Pâquerette, Madame M______ (ci-après : la victime), sociothérapeute, qui l’accompagnait a été tuée.

Le détenu a été arrêté quelques jours plus tard à l’étranger et a été prévenu, notamment, de séquestration et de meurtre avec la circonstance aggravante de l’assassinat.

37) Par courrier du 18 septembre 2013, le Conseil d’État a confié à Monsieur Bernard ZIEGLER le mandat de mener une enquête administrative à la suite du décès de la victime, survenu entre le 12 et le 13 septembre 2013 lors d’une sortie accompagnée du détenu.

38) Dans un « premier rapport » du 8 octobre 2013 (ci-après : 1er rapport ZIEGLER), M. ZIEGLER a conclu notamment que « la directrice du SAPEM ne devait pas prendre elle-même la décision d’autorisation de sortie, mais soumettre le dossier au chef du département pour saisine de la CED, puis décision sur le fond. Abstraction faite de ce problème de compétence, elle ne disposait pas de tous les éléments et préavis nécessaires pour prendre sa décision, et elle n’a[vait] pas par conséquent effectué de manière correcte la pesée d’intérêts que prévo[yait] le code pénal, entre les objectifs de resocialisation de l’exécution des peines et le besoin de protection de la collectivité. Le dossier en sa possession ne lui permettait pas de se prononcer de manière catégorique sur le caractère dangereux du détenu et elle aurait dû saisir la CED pour préavis.

En l’état du dossier, compte tenu des expertises de 2002 et de 2011, de la longue disparition de M. C______ après le deuxième viol, et faute d’expertise complémentaire indépendante et de préavis de la CED, écartant le risque de fuite et de récidive violente, le programme de sorties accompagnées ne pouvait pas être autorisé par le SAPEM ».

Le rapport se conclut par des « premières propositions d’amélioration ». M.  ZIEGLER relève que :

« Différentes propositions, toutes pertinentes, ont déjà été formulées par la directrice du SAPEM dans sa note de situation du 29 mai 2013, et certaines d’entre elles, celles concernant les ressources humaines, déjà partiellement mises en œuvre, par l’engagement, à titre d’exemple, le mois passé, d’un criminologue par ce service. D’autres propositions pouvant être mises en œuvre à court terme sont ici reprises et complétées par l’auteur du présent rapport », soit :

- la clarification de la délégation de compétence au SAPEM devait être mise en conformité avec l’art. 5 al. 5 LaCP. Le département devait dès lors s’assurer que les dossiers des criminels visés par l’art. 64 al. 1 CP lui soient désormais soumis pour évaluation de la dangerosité et décision ;

- élaboration des PES dans les établissements genevois. « La note du SAPEM relève à juste titre que l’élaboration de PES par les établissements d’exécution des peines est une exigence du législateur fédéral (art. 75 al. 3 CP), laquelle n’a pas encore été mise en œuvre à Genève. Les règlements des établissements genevois devraient dès lors être modifiés rapidement pour intégrer cette exigence. La mise en œuvre pourrait intervenir progressivement compte tenu des RH disponibles, en priorisant les PES des condamnés pour crimes graves et à de longues peines » ;

- élaboration des PES en réseau. « L’interdisciplinarité est nécessaire dans l’élaboration des PES et d’ailleurs pratiquée dans les établissements des autres cantons tels que les EPO. Dans le cas de M. C______, le PES des EPO a été élaboré de manière dynamique comme le prévoit le droit fédéral par les différents intervenants ( ). Il inclut des données sur la dangerosité. Il devrait en aller de même dans les établissements genevois et prioritairement à la Pâquerette dont tous les détenus ont été condamnés à de longues peines et à des mesures pour crimes graves. ( ) » ;

- abaissement du seuil de « doute ». « Le SAPEM relève dans sa note de situation que le seuil de doute requis par l’art. 75a al. 1 let. b CP pour saisir la CED est d’autant plus bas que la peine est longue et les faits graves. Cette disposition prévoit en effet que la CED doit être saisie dès que "l'autorité d'exécution ne peut se prononcer d'une façon catégorique sur le caractère dangereux du détenu pour la collectivité". En d'autres termes, l'absence de tout doute permettra plus souvent de refuser l'allégement sollicité sans préavis de la CED que de l'octroyer » ;

- professionnalisation de la CED. « Cet abaissement du seuil de doute aura pour conséquence une saisine plus fréquente de la CED, contrairement à la pratique actuelle, mais conformément à ce qu’exige le CP. Il convient dès lors de "professionnaliser" la CED qui souffre d'un déficit de capacité en l'étoffant et en pérennisant sa composition, de manière à lui permettre de dégager une pratique constante et à émettre des préavis constituant une aide à la décision ( ) » ;

- amélioration de la collaboration internationale en cas de transfèrement. « Le transfèrement de M. C______ a mis en évidence des lacunes dans la collaboration internationale. Les expertises ne sont pas transmises avant le jugement de condamnation, les rapports de suivi thérapeutique, lorsqu’un tel suivi a été ordonné par la juridiction étrangère, restent inaccessibles, malgré des demandes réitérées. Un transfèrement ne devrait dès lors être accepté que si les éléments du dossier du condamné sont envoyés avec la demande. La mise en œuvre de cette proposition implique bien entendu une démarche du canton – ou mieux de la CLPDJP – auprès de l’office fédéral de la justice, compétent en la matière, afin de le sensibiliser à cette problématique » ;

- appropriation du jugement étranger en cas de transfèrement. « Le cas de M. C______ où le canton de Genève a été chargé en 2008 d’exécuter deux jugements, celui de la Cour correctionnelle de Genève et celui de la Cour d’assises de l’Ain, a démontré que les autorités d’exécution genevoises ne s’étaient appropriées qu’imparfaitement le jugement français. Or, cette appropriation est indispensable alors même que l’exécution a lieu selon le droit suisse. Dans le cas particulier, c’est en effet le jugement français qui a prononcé une injonction de soins, alors que la directrice de la Pâquerette se fondait sur le seul jugement suisse pour considérer qu’aucune thérapie n’avait été ordonnée par la justice. À l’instar de ce qui aurait dû être fait en vue de l’entrée en vigueur en 2007 de la nouvelle partie générale du code pénal, cette meilleure appropriation du jugement étranger en cas de transfèrement passe par des séances de mises à jour avec les établissements de détention organisées par le SAPEM ».

39) Le 9 octobre 2013, Mme A______ a été convoquée à un entretien de service (ci-après : EdS), auquel assisteraient Monsieur N______, secrétaire général du département et Madame O______, directrice des ressources humaines. L’objectif était de l’entendre au sujet du 1er rapport ZIEGLER et sur les éventuelles responsabilités de celle-là.

40) Mme A______ a été en incapacité totale de travail à compter du 9 octobre 2013.

41) Par courrier du 29 octobre 2013, le département a transmis à Mme A______ le compte rendu de l’EdS effectué par écrit, daté du même jour. L’intéressée avait trente jours pour faire part de ses éventuelles observations.

L’employeur envisageait l’ouverture d’une enquête administrative à l’encontre de Mme A______ et sa suspension provisoire, laquelle pouvait entraîner la suppression de toutes prestations à la charge de l’État. Mme A______ était dispensée de son obligation de travailler dès le 28 octobre 2013, jusqu’à ce qu’une nouvelle décision soit prise à son encontre.

42) Par courrier du 31 octobre 2013, quinze collaborateurs du SAPEM se sont adressés au conseiller d’État en charge du département. Ils apportaient leur soutien « le plus complet » à leur directrice qui « œuvre depuis de nombreuses années au bon fonctionnement du système pénitentiaire à Genève. Mme A______ a toujours répondu présent et fait face à toutes les situations rencontrées au cours de ses années de service. Nous pouvons par exemple citer les difficultés liées à l’augmentation de la population carcérale qui engendre une augmentation constante des dossiers traités par notre service ainsi que le nombre insuffisant de collaborateurs pour mener à bien la mission du SAPEM. Nous tenons à relever que Mme A______ allie des compétences métier remarquables à des qualités de chef indéniables. Le professionnalisme et la grande passion dont elle fait preuve pour exercer sa fonction, son sens certain du service public, sa capacité d’écoute et sa disponibilité contribuent à maintenir un haut niveau de motivation des collaboratrices et collaborateurs du SAPEM. Suite aux événements tragiques du 12 septembre dernier, une enquête administrative est en cours. Indépendamment de ses conclusions, nous souhaitions rappeler que l’engagement constant et sans faille à la bonne marche du service de Mme A______ a permis à de nombreuses reprises que la réinsertion des détenus condamnés à de longues peines se fasse en toute sécurité pour la population. Pour toutes ces raisons, nous souhaitons que vous réitériez votre confiance à Mme A______ ».

43) Le 29 novembre 2013, Mme A______ a transmis ses observations. Elle contestait les reproches formulés dans la note écrite de l’Eds du 29 octobre 2013.

44) Mme A______ a recouvré sa pleine capacité de travail dès le 9 décembre 2013.

45) Par arrêté du 18 décembre 2013, le Conseil d’État a ouvert une enquête administrative à l’encontre de Mme A______. La décision n’entraînait pas la suspension provisoire. Celle-ci restait réservée, assortie le cas échéant de la suppression de toutes prestations à la charge de l’État. La conduite de l’enquête était confiée à Monsieur V______, vice-président en charge de la Cour pénale de la Cour de justice.

46) Par courrier du 13 [recte : 23] décembre 2013, Mme A______ a requis la récusation de M. V______.

47) Par arrêté du 15 janvier 2014, le Conseil d’État a rejeté la demande de récusation. La décision était exécutoire nonobstant recours.

48) Le 27 janvier 2014, Mme A______ a interjeté recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre l’arrêté précité.

49) Le 31 janvier 2014, M. ZIEGLER a rendu son rapport final (ci-après : rapport final ZIEGLER), comportant des propositions concrètes de règlements, directives, procédures et autres documents permettant la mise en œuvre des décisions prises par le Conseil d’État le 9 octobre 2013, suite à son premier rapport.

50) Par décision du 10 février 2014, le président de la chambre administrative a admis la requête de mesures provisionnelles urgentes formée le même jour par Mme A______ et fait interdiction à M. V______, enquêteur administratif, de procéder à tout acte d’instruction jusqu’à droit jugé sur effet suspensif.

51) Par décision du 24 février 2014 (ATA/115/2014), le président de la chambre administrative a restitué l’effet suspensif au recours en ce sens qu’il était fait interdiction à M. V______ de procéder à tout acte d’instruction jusqu’à droit jugé au fond sur la demande de récusation le visant.

52) Par arrêt du 25 mars 2014 (ATA/179/2014), la chambre administrative a admis le recours de Mme A______, annulé la décision du Conseil d’État du 15 janvier 2014 et admis la demande de récusation formée par Mme A______ à l’encontre de M. V______.

53) Par arrêté du 16 avril 2014, le Conseil d’État a révoqué le mandat confié à M. V______ et confié la conduite de l’enquête administrative, ouverte par arrêté du 18 décembre 2013, à Monsieur Jean-Pierre LADOR, ancien président du Tribunal d’arrondissement de Nyon.

54) Le 15 mai 2014 le professeur Benoît CHAPPUIS a établi un rapport de deux cent treize pages (ci-après : rapport CHAPPUIS) pour le compte du Conseil d’administration des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) dans le cadre de l’enquête administrative dirigée contre Mme I______. Il avait entendu trente témoins, dont Mme A______.

Le règlement de la Pâquerette n’avait pas été adapté au nouveau CP par le Conseil d’État en 2007 et ne prévoyait pas qu’un PES devait être établi pour chaque détenu. Un tel PES existait néanmoins dans les faits dans le cas du détenu et correspondait aux réquisits de l’art. 75 CP. Dans le cas du détenu, Mme I______ avait adressé « un PES détaillé » au SAPEM le 19 avril 2013. La réorganisation de l’Institut universitaire de médecine légale (ci-après : IUML) puis, à terme, le rattachement de la Pâquerette au Secrétariat général des HUG avaient eu pour conséquences un certain isolement de Mme I______ ainsi que la disparition d’une conduite et d’un contrôle du travail de celle-ci par des autorités médicales, les compétences réunies au sein du Secrétariat général étant essentiellement juridiques et administratives. La collaboration entre Mme I______ et le chef ad interim du service médical pénitentiaire de l’IUML, auquel la Pâquerette avait été rattachée entre 2003 et 2007, avait été mauvaise et avait engendré, dans les faits, un désengagement de la surveillance médicale de la Pâquerette. La localisation de la Pâquerette, établissement de petites dimensions destiné à l’exécution de peines, au sein d’un vaste établissement préventif, soumis à des impératifs de sécurité renforcée, avait été la cause principale de tensions qui avaient contribué à l’isolement de Mme I______. Cet isolement était vraisemblablement à l’origine d’une certaine radicalisation des positions de celle-ci et d’un dogmatisme qui l’avaient sans doute conduite à des erreurs d’appréciation. Il fallait en particulier mettre en exergue le principe rigide, prôné par la directrice et communément admis parmi le personnel de la Pâquerette, selon lequel, lorsque les sorties étaient autorisées pour un détenu, il fallait considérer que la question de la dangerosité de ce dernier était réglée. Il s’en suivait qu’aucune mesure particulière n’était prise pour l’organisation des premières sorties et pour vérifier la pertinence de l’appréciation portée sur la dangerosité. Ni la directrice, ni les sociothérapeutes entendus par l’enquêteur, n’avaient remis en cause leur conception à la suite des événements du 12 septembre 2013, ce qui renforçait l’idée qu’un dogmatisme présidait à la conduite de certaines de leurs activités.

Les HUG avaient sous-estimé les difficultés liées au contrôle hiérarchique de ladite institution, mais aucune critique n’avait été formulée par les autorités administratives, judiciaires, pénitentiaires ou d’exécution des peines, notamment pas au cours de la dernière décennie, que ces autorités aient été genevoises ou concordataires. Des demandes de placement à la Pâquerette avaient été régulièrement faites ou un tel placement recommandé par lesdites autorités. Un nombre infime d’incidents avait marqué l’activité de la Pâquerette pendant
vingt-cinq ans, en particulier les sorties accompagnées. Les HUG n’avaient ainsi jamais reçu de signaux d’alarme qui leur auraient indiqué la nécessité d’une remise en cause rapide du concept de sociothérapie.

La question de la conformité du droit cantonal avec le droit supérieur d’une part et celle de l’opportunité de certaines de ses dispositions d’autre part ne faisaient pas l’objet de son rapport. Celui-ci renvoyait sur ces questions aux deux rapports établis par M. ZIEGLER sur mandat du Conseil d’État.

55) Le 22 mai 2014, les HUG ont rendu public le rapport précité et indiqué que la directrice de la Pâquerette s’était vu infliger un blâme. La prochaine affectation professionnelle de celle-ci ne serait pas en lien avec le milieu pénitentiaire.

56) Le 17 décembre 2014, M. LADOR a rendu son rapport (ci-après : rapport LADOR).

a. L’enquêteur avait entendu tous les témoins sollicités par les parties.

Il sera revenu, en tant que de besoin, dans la partie en droit, sur le contenu des témoignages.

b. Du rapport établi par M. CHAPPUIS, il retenait notamment :

- que bien que les détenus fussent résidents de la Pâquerette, l’évaluation de la dangerosité était une compétence du DSE, dans la pratique exercée par le SAPEM ;

- à Genève, la saisine de la CED relevait de la compétence du DSE. Dans la pratique, seul le SAPEM, à titre d’autorité genevoise d’exécution de peine, pouvait saisir la CED, selon les témoignages, notamment de Mme I______ et du président de la CED ;

- la CED était sollicitée lorsque le SAPEM avait un doute sur la dangerosité d’un détenu dans le cadre d’un allégement du régime de détention ou lorsqu’il devait recueillir un avis relatif aux mesures de l’art. 64 CP, selon le témoignage notamment du président de la CED ;

- les explications du président de la CED selon lequel il était « important de garder à l’esprit que notre commission fonctionne sur un mode binaire, en ce sens que notre préavis consiste à dire si un détenu présente ou ne présente pas un risque pour la société. En revanche, les éléments à prendre en considération pour rendre ce préavis sont multiples et donc complexes » ;

- l’ajout de celui-ci sur cette même question selon lequel « les neuf membres de la commission siègent dans des sous-commissions de trois, dont la composition varie pour permettre à tous les membres de siéger avec les autres et de parvenir à une unité de doctrine. En raison des nombreux changements parmi les membres de la commission, ce n’est que vers fin 2013 que nous avons pu adopter un règlement provisoire et, en janvier 2014, un règlement définitif. Ceci dit, la commission fonctionnait parfaitement auparavant » ;

- pour pouvoir rendre une décision adéquate, le SAPEM devait être mis en possession par la Pâquerette de toutes les informations lui permettant d’apprécier pleinement la situation. Le SAPEM ne s’occupait en principe pas des détails de sorties. Il autorisait le principe et le déroulement de ces dernières. L’achat d’un objet dangereux, tel un cure-pied doté de lames, en mains d’un détenu condamné pour viols avec violence, notamment avec l’usage d’un couteau, aurait dû être soumis au SAPEM ;

- sous « Conclusions », M. CHAPPUIS a précisé que la sortie du détenu avait été insuffisamment préparée et annoncée de façon lacunaire au SAPEM.

c. Le rapport LADOR se terminait par les considérations suivantes :

« En conclusion, l’enquête administrative n’a révélé aucune faute ou négligence au sens d’une imprévoyance coupable de la part d’A______, directrice du SAPEM. Son attitude n’a en aucune manière favorisé l’acte de C______ qui, finalement, reste seul responsable de ses actes. A______ a certes validé la sortie programmée de C______, sur la base d’un préavis de la direction de la Pâquerette, mais sans avoir en revanche eu connaissance de l’achat d’un cure-pied avec lames ou d’un couteau.

Quant aux reproches d’avoir d’une part renoncé à mettre en œuvre une expertise psychiatrique, d’autre part de ne pas avoir saisi la CED, ils ne résistent pas à l’examen.

Comme on l’a vu, un PES est un document évolutif qui doit s’adapter à l’évolution, bonne ou mauvaise, des détenus, et comporter différentes phases. Ce point a été confirmé en particulier par P______, directeur-adjoint au SAPEM au moment des faits et Q______, directrice-adjointe au SAPEM. L’enquête a révélé également qu’A______ n’avait à aucun moment perdu de vue la question de la sécurité publique et de la dangerosité, en particulier de celle de C______, mais qu’elle attendait le résultat des premières sorties avant de mettre en œuvre un tel complément d’expertise. Plusieurs témoins entendus en cours d’enquête ont également confirmé ce point de vue. Et dans son arrêt du 14 juillet 2014, la chambre pénale d’appel et de révision a précisé : "qu'un complément d'expertise aurait comme conséquence de faire inutilement prendre à l'appelant un retard supplémentaire dans l'exécution du PES".

Pour ce qui est de la saisine de la CED, dans la mesure où C______ n'était pas sous le coup d'une mesure d'internement au sens de l'art. 64c CP, la direction du SAPEM n'avait pas l'obligation de saisir le DSE (art. 5 LaCP). Elle aurait dû en revanche le faire si elle n'avait pas pu se prononcer de manière catégorique sur l'appréciation du caractère dangereux de C______. Or, dans la mesure où A______ a pu, en toute légitimité, sur la base notamment du rapport du Dr L______, ne pas avoir de doute sur la dangerosité de C______, élément confirmé par P______, alors directeur adjoint au SAPEM au moment des faits, elle n'avait aucune raison de saisir la CED. Son appréciation a également été confortée par les propositions de l'équipe socio-éducative de la Pâquerette. Et contrairement aux reproches formulés, l'enquête a révélé que la directrice du SAPEM disposait des éléments et préavis nécessaires pour prendre sa décision et qu'elle a effectué de manière correcte la pesée d'intérêts entre les objectifs de resocialisation, de l'exécution des peines et le besoin de protection de la collectivité. N'ayant pas eu de retour de la part de Monsieur le chef du département sur sa note du 20 [recte : 29] mai 2013, elle a parfaitement pu partir de l'idée que la délégation dont elle avait bénéficié jusqu'alors était prorogée. »

Mme A______ n'avait pas enfreint ses devoirs de service.

Il n'y avait pas lieu d'ouvrir une procédure disciplinaire au pénal à l'encontre de Mme A______.

L’enquêteur mentionnait encore « quant à C______, il serait arrivé au terme de sa période de sa détention en 2015 et, à ce moment-là, il aurait été relâché dans la nature sans aucune barrière de protection pour la société ».

57) Par courrier du 28 janvier 2015, le Conseil d’État a sollicité de l’enquêteur une clarification relative aux phrases : « Pour ce qui est de la CED, dans la mesure où C______ n’était pas sous le coup d’une mesure d’internement au sens de l’art. 64 CP, la direction du SAPEM n’avait pas l’obligation de saisir le DSE (art. 5 LaCP). Elle aurait dû en revanche le faire si elle n’avait pas pu se prononcer de manière catégorique sur l’appréciation du caractère dangereux de C______ ».

Ces phrases laissaient entendre qu’il n’incombait pas au département de saisir la CED, dans la mesure où M. C______ ne faisait pas l’objet d’une mesure d’internement et que Mme A______ n’avait pas de doute sur la dangerosité de celui-ci.

Or, l’art. 5 al. 1 let. d LaCP prévoyait que le département était l’autorité d’exécution compétente pour apprécier le caractère dangereux pour la collectivité du détenu qui avait commis un crime visé à l’art. 64 al.1 CP et que lorsqu’il ne pouvait se prononcer d’une manière catégorique sur cette question, il devait saisir la CED (art. 75 a al. 1 et 90 al. 4 bis CP). La lettre rappelait la teneur de l’art. 5 al. 5 LaCP.

58) Par réponse du 18 février 2015, M. LADOR a précisé qu’il n’avait jamais « voulu remettre en cause la compétence du département en matière de saisie de la CED. Toutefois, en l’absence du règlement prévu par l’al. 5 de l’art. 5 LaCP, d’un retour sur sa note du 29 mai 2013 ou d’instructions particulières précisant ou remettant en cause ses compétences en la matière, Mme A______ a pu en toute légitimité croire qu’elle bénéficiait d’une délégation de compétence implicite et que, dès lors, la pratique du SAPEM en vigueur à ce moment-là n’était pas remise en cause. Je rappelle à ce sujet qu’au moment d’autoriser la sortie, Mme A______ n’avait pas eu de doute à propos de l’éventuelle dangerosité de M.  C______. Aussi, je n’ai pas de raison de modifier mes conclusions ».

59) Par courrier du 7 avril 2015, l’office du personnel de l’État (ci-après : OPE) a transmis copie du rapport d’enquête de M. LADOR et de son complément à Mme A______. Un délai lui était accordé pour faire part de ses observations.

60) Par correspondance du 11 mai 2015, Mme A______ a sollicité que le Conseil d’État constate qu’elle n’avait contrevenu à aucune norme juridique, en particulier pénale ou administrative, et qu’il soit mis fin à l’enquête administrative.

61) Par arrêté n° 4892-2015 du 24 juin 2015, le Conseil d’État a prononcé le retour au statut d’employé en période probatoire pour une durée de deux ans de Mme A______.

Après avoir rappelé les différentes étapes de la procédure et cité des extraits du rapport LADOR, le Conseil d’État a indiqué que les conclusions de l’enquêteur ne sauraient être intégralement suivies pour les raisons suivantes :

- il ressortait de l’art. 5 al. 5 LaCP qu’une délégation du département à ses offices ou services était exclue pour apprécier le caractère dangereux pour la collectivité du détenu qui avait commis un crime visé à l’art. 64 al. 1 CP ;

- les crimes visés par l’art. 64 CP étaient notamment le viol, étant précisé que le détenu exécutait sa peine pour un viol commis sous la menace d’une arme et un vol avec une arme ;

- en conséquence, Mme A______ devait transmettre le dossier du détenu au département, à charge pour ce dernier d’évaluer la dangerosité du détenu et, le cas échéant, de saisir la CED, ce qu’elle ne pouvait faire elle-même, comme le confirmait le premier rapport ZIEGLER ;

- a fortiori, la décision prise par le SAPEM, le 5 juillet 2013, de valider les sorties du détenu relevait de la compétence du département ;

- au surplus, contrairement à ce qu’affirmait l’enquêteur, il ne pouvait être déduit de l’absence d’un règlement fondé sur l’art. 5 al. 5 LaCP que Mme A______ avait pu, en toute légitimité, croire qu’elle était au bénéfice d’une délégation de compétence implicite. L’art. 5 al. 5 LaCP excluait toute délégation du Conseil d’État, respectivement l’élaboration d’un règlement d’application, pour l’évaluation de la dangerosité des détenus ayant commis des crimes visés à l’art. 64 al. 1 CP ; de ce fait, aucune délégation de compétence implicite ne pouvait être déduite de l’absence d’un règlement fondé sur l’art. 5 al. 5 LaCP ;

- dans le même sens, c’était également à tort que l’enquêteur avait ajouté qu’en l’absence de retour concernant sa note du 29 mai 2013, Mme A______ pouvait penser être au bénéfice d’une délégation de compétence implicite ; en effet, dans sa note du 29 mai 2013, bien qu’elle ait fait état de ce que le SAPEM évaluait lui-même la dangerosité des détenus ayant commis des infractions visés à l’art. 64 CP, Mme A______ avait éludé la problématique liée à la compétence de prendre de telles décisions, étant précisé que l’art. 5 LaCP, reproduit partiellement dans les annexes de cette note, ne faisait pas mention de l’al. 5, de sorte que ladite note était incomplète et incorrecte ;

- l’enquêteur retenait encore à tort et sans avoir sollicité le principal intéressé à ce sujet, une absence de réaction du chef du département à la note du 29 mai 2013 ;

- en tout état de cause, aucune délégation de compétence en la matière ne pouvait être implicite. De ce fait, le SAPEM, dont Mme A______ avait la direction, était incompétent pour prendre une décision, tant en matière d’évaluation de la dangerosité du détenu qu’en matière d’autorisations de sorties ; dans le cas particulier, l’autorisation de sortie accordée par le SAPEM au détenu le 5 juillet 2013 était donc viciée formellement ;

- indépendamment de ce qui précédait, au vu des expertises psychologiques et psychiatriques des 12 [recte : 19] février et 7 mars 2002, et de l’expertise légale du 28 mars 2011, dont Mme A______ avait connaissance, et plus précisément au vu :

- des constatations de l’expertise psychiatrique française mentionnant chez le détenu « un dysfonctionnement psychique à type de perversion sexuelle caractéristique du viol à répétition et du sadisme » et « un état dangereux pour autrui » ;

- de l’expertise du psychologue qui était, d’une part, « très dubitatif quant aux mesures susceptibles de favoriser une réadaptation du sujet » et estimait, d’autre part, que l’obligation de soins lui paraissait « dans ses tableaux pervers les plus aléatoires » et « sans efficacité prévisible » ;

- de l’expertise du 28 mars 2011, que Mme A______ avait elle-même sollicitée, laquelle révélait un risque modéré de récidive, la nécessité de poursuivre l’exécution des peines en milieu sécurisé ou fermé et de procéder à une expertise complémentaire à la fin de la formation professionnelle de l’intéressé, avant d’envisager un quelconque régime progressif.

L’intéressée devait, contrairement à ce que soutenait l’enquêteur, à tout le moins nourrir de sérieux doutes sur la dangerosité du détenu ; au surplus, au vu desdites trois expertises et faute d’expertise complémentaire indépendante, le programme de sorties accompagnées ne pouvait être autorisé ;

- ainsi, à supposer que Mme A______ se serait cru fondée, par délégation implicite, à statuer sur la dangerosité et la sortie du détenu, cela ne la dispensait pas d’examiner avec toute la diligence requise, les éléments qui figuraient au dossier, qui auraient dû la mener à requérir à tout le moins des renseignements complémentaires avant de statuer ;

- l’arrêt de la Cour de justice du 14 juillet 2014, auquel l’enquêteur se référait, ne saurait être comparé au cas d’espèce ; en effet, la Cour de justice avait été saisie d’un refus de libération conditionnelle, étant précisé que la décision attaquée préconisait la mise en œuvre d’une expertise psychiatrique, dans le cadre d’un éventuel changement de sanction, au sens de l’art. 65 al. 1 CP ; en outre, le complexe de faits n’était aucunement comparable, dans la mesure notamment où le PES avait pris un retard conséquent et que l’appelant n’avait pas d’antécédents de violence ;

- le PES élaboré, dès novembre 2009 et plusieurs fois mis à jour jusqu’en juillet 2012, validé par Mme A______ le 31 juillet 2012, prévoyait d’une part qu’« au vu de la gravité et du type de délits commis, le cas de M. C______ serait soumis à la commission de dangerosité genevoise avant d’envisager une quelconque ouverture de régime » et mentionnait, d’autre part, dans une deuxième phase, un passage à la Pâquerette, en fixant comme condition spécifique un passage devant la CED en août 2013, avant toute ouverture de régime telle que des sorties accompagnées, après sollicitation par le SAPEM en avril 2013 d’un complément d’expertise psychiatrique ;

- Mme A______ n’expliquait pas de façon convaincante les raisons pour lesquelles elle s’était écartée du PES et avait inversé ce qui était prévu, à savoir qu’elle avait approuvé une sortie accompagnée avant de solliciter préalablement la CED ;

- par ailleurs, il avait été établi dans le cadre du 1er rapport ZIEGLER que l’information avait mal circulé lors de la constitution du dossier d’admission du détenu à la Pâquerette puisque les expertises judiciaires françaises n’avaient pas été transmises à cette dernière ».

En résumé, Mme A______ avait gravement violé ses devoirs de services. Les violations commises étaient aggravées par le fait qu’elle occupait une position de cadre supérieur, qui lui conférait des responsabilités accrues. Les conséquences desdites violations étaient dramatiques puisque, sur la base d’une appréciation erronée de la situation, une autorité incompétente avait évalué la dangerosité de M. C______ et autorisé sa sortie, ce qui avait favorisé les événements qui s’étaient produits entre le 12 et le 13 septembre 2013. À sa décharge, l’intéressée n’avait pas connaissance des modalités de sortie prévues par l’établissement de la Pâquerette et en particulier ignorait la nature des achats autorisés par cet établissement. Au surplus, elle travaillait au sein de l’État de Genève depuis le 1er février 2000 et avait toujours donné satisfaction à sa hiérarchie. Vu la gravité des manquements reprochés, une sanction sévère se justifiait, soit le retour au statut d’employée en période probatoire pour une durée de deux ans, dès le 1er juillet 2015. L’enquête administrative ouverte à son encontre était close. La décision était exécutoire nonobstant recours.

62) Par acte déposé dans la boîte postale de la poste du Stand le 26 août 2015 à 23h45, ce dont deux témoins ont attesté, Mme A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre l’arrêté précité (n° 4’892-2015).

Elle a préalablement conclu à la restitution de l’effet suspensif.

Au fond, l’arrêté devait être annulé et une indemnité équitable pour les frais indispensables liés au recours devait lui être allouée.

a. Elle a contesté que le SAPEM n’ait pas été au bénéfice d’une délégation de compétence prévue dans la loi.

Elle rappelait l’historique de l’adoption de l’art. 5 al. 5 LaCP et les travaux préparatoires y relatifs (PL 9848-A). Le législateur cantonal avait clairement voulu que l’exception à la possibilité de déléguer des compétences du département au SAPEM ne concerne que les personnes potentiellement internées. Afin de conformer la législation genevoise au code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0), la LaCP du 17 novembre 2006 avait été remplacée par celle du 27 août 2009, entrée en vigueur le 1er janvier 2011. Les art. 8 à 10 de l’ancienne loi avaient été repris aux art. 4 à 7, leur teneur restant inchangée.

M. C______ n’ayant pas fait l’objet d’une mesure, mais ayant été condamné à des peines, la compétence dont avait usé le SAPEM pour prendre, le 5 juillet 2013, la décision d’autoriser les sorties accompagnées pouvait lui être déléguée. L’absence de règlement de délégation de cette compétence n’entachait en rien la validité de la décision prise, cette compétence ayant été déléguée de facto au SAPEM. Soutenir le contraire reviendrait à dire que l’essentiel de l’activité du SAPEM serait illégale puisque, de facto, il exerçait et exerçait encore, sans règlement de délégation, les compétences attribuées au DSE par l’art. 5 al. 1 à 3 LaCP. Or personne ne s’en était plaint. Il y avait en conséquence bel et bien une délégation au SAPEM. À ce titre, l’arrêté contrevenait à l’art. 5 LaCP.

b. Le SAPEM était en tous les cas au bénéfice d’une délégation implicite.

Il ne pouvait être soutenu que les attributions du département, à l’exception de l’art. 5 al. 1 let d LaCP, pouvaient être exercées par le SAPEM, alors que le Conseil d’État n’avait jamais adopté de règlement et ne pas accepter qu’il puisse y avoir aussi une délégation en ce qui concernait la compétence visée à l’art. 5 al. 1 let. d LaCP. En réalité, le département avait délégué l’intégralité de ses tâches au SAPEM. Par ailleurs, la LaCP du 17 novembre 2006, entrée en vigueur le 27 janvier 2007, prescrivait que la compétence de décider de la dangerosité des personnes ayant commis un crime visé l’art. 64 al. 1 CP ne pouvait être exercée que par le département. Or, dans les faits, le SAPEM avait continué à l’exercer jusqu’au drame du 12 septembre 2013. Plusieurs témoins entendus pendant l’enquête avaient attesté de cette compétence. À aucun moment, les trois conseillers d’État qui s’étaient succédé, et leurs services, notamment juridique, n’avaient adressé au SAPEM, soit à Monsieur R______, directeur jusqu’au 30 novembre 2008, puis à Mme A______, dès le 1er décembre 2008, une directive, écrite ou orale, pour leur signifier que seul le département était compétent en la matière. Jamais ces conseillers d’État et l’OCD, et même avant lui l’office pénitentiaire, n’avaient marqué au SAPEM leur étonnement, car aucun dossier ne leur était transmis, en particulier ceux concernant la dangerosité des auteurs d’un crime visé à l’art. 64 al. 1 CP. La CED, saisie par le SAPEM, et jamais par le département, n’avait jamais dit non plus au SAPEM qu’il était incompétent pour se faire. Les tribunaux n’avaient pas non plus réagi.

La recourante relevait que sa note du 29 mai 2013 indiquait clairement que le SAPEM décidait de toutes les autorisations de sorties accordées aux personnes sous son autorité, dont celles ayant commis un crime énoncé à l’art. 64 al. 1 CP et saisissait la CED le cas échéant. Après avoir pris connaissance de cette note, le conseiller d’État, pas plus que son secrétariat général, son service juridique et l’OCD n’avaient réagi, de quelque façon que ce soit, oralement ou par écrit, directement ou indirectement, pour dire à Mme A______ que son service n’avait pas ces compétences et que seul le DSE pouvait les exercer. Cette absence de réaction s’expliquait par le fait que le conseiller d’État avait délégué les compétences en question au SAPEM. Mme A______ pouvait estimer légitime de se conformer à la pratique admise sans réserve depuis plusieurs années par le département, respectivement par son chef. En conséquence, l’arrêté querellé était arbitraire, tant il heurtait le sentiment de l’équité et de la justice.

Le principe de la bonne foi était violé par le Conseil d’État qui n’avait pas eu le courage d’assumer ses responsabilités, préférant charger Mme A______.

Le Conseil d’État n’était pas raisonnable quand il affirmait que la note de Mme A______ « était incomplète et incorrecte » car elle avait « éludé » la problématique liée à la compétence visée à l’art. 5 al. 1 let. d LaCP. Le chef du département avait confirmé à l’émission « Mise au point » du 21 juin 2015, sur insistance de la journaliste, qu’il « connaissait la LaCP ». Le chef du département savait en consquence qu’il était seul compétent pour trancher de la dangerosité des personnes en question.

Le Conseil d’État retenait que l’enquêteur s’était trompé en considérant que le chef du département n’avait pas réagi à la note du 29 mai 2013 sans l’avoir sollicité en cours d’enquête. Le pouvoir exécutif jouait sur les mots. Il n’avait jamais été contesté que cette note avait accéléré le renforcement des moyens du SAPEM, notamment l’engagement d’un criminologue réclamé depuis plusieurs années par la recourante. En revanche, il était établi que le conseiller d’État n’avait pas réagi à réception de la note du 29 mars 2013.

Quant aux reproches de ne pas avoir été entendu par l’enquêteur, le département avait été représenté pendant toute la procédure par sa secrétaire générale adjointe qui avait, à l’instar de la recourante, la possibilité de faire entendre des personnes. L’audition du conseiller d’État n’avait pas été sollicitée.

Enfin, en février 2015, le département avait déposé un projet de loi modifiant la LaCP, lequel visait à l’améliorer après quatre années de pratique judiciaire du CPP. Or, la suppression de l’exception de délégation était proposée. L’art. 5 al. 5 LaCP aurait la teneur suivante : « Par voie de règlement, le Conseil d’État peut déléguer les compétence du département de la sécurité et de l’économie à ses offices ou services ». Ainsi, le Conseil d’État pourrait déléguer au SAPEM toutes les compétences du département, y compris celle d’apprécier le caractère dangereux pour la collectivité du détenu ayant commis un crime visé à l’art. 64 al. 1 CP. Le SAPEM pourrait saisir la CED en cas de doute sur la dangerosité. L’exposé de motifs précisait que « tel qu’il est aujourd’hui en vigueur, l’art. 5 al. 5 LaCP permet au Conseil d’État de déléguer les compétences du département de la sécurité et de l’économie à ses offices ou services, à l’exception toutefois de celles mentionnées à l’al. 1 let. d précité. Dans la pratique, il est apparu que la compétence exclusive du département en la matière, concrètement l’obligation faite au chef du département en personne de se prononcer, mobilise des ressources disproportionnées. Par la suppression de l’exception, la compétence pour apprécier le caractère dangereux pour la collectivité d’un détenu qui a commis un crime visé à l’art. 64 al. 1 CP pourra donc être transférée à l’un des offices ou services du département. Cette délégation est parfaitement défendable si l’on considère que l’entité administrative désignée peut toujours saisir la CED afin d’obtenir son avis et ne manquera pas de faire usage de cette faculté au moindre doute ». Il était en conséquence choquant que le Conseil d’État reproche à la recourante d’avoir pris la décision du 5 juillet 2013, conformément à la compétence que le SAPEM exerçait depuis plus de huit ans, à la satisfaction de tous, sans réaction de quiconque, en particulier « des politiques », lesquels proposaient aujourd’hui de modifier la loi pour donner la compétence en question à ce service. La décision querellée devait être annulée.

c. La recourante contestait ne pas avoir examiné le dossier du détenu « avec toute la diligence requise » et avoir failli à son devoir en ne requérant pas un complément d’expertise psychiatrique ou en ne saisissant pas la CED comme prévu par le PES qu’elle avait validé le 31 juillet 2012.

Il n’était pas contesté qu’après le drame, tout un chacun envahi par de légitimes émotions pouvait considérer qu’aucun allégement de peine ne devait être accordé à M. C______ et cela même si sa première conduite, le 3 septembre 2013, s’était déroulée sans problème. Comme mentionné par le 1er rapport ZIEGLER, il fallait toutefois éviter la contamination de l’analyse par la connaissance des actes commis. La recourante avait examiné la requête d’autorisation de sorties, avec les qualités que les témoins, unanimes, entendus pendant l’enquête, lui avaient reconnues : compétences, rigueur, sérieux, connaissance parfaite des dossiers, souci permanent de la sécurité publique, profond respect des lois, disponibilité, écoute, objectivité. En particulier, elle maîtrisait le dossier administratif et médical de M. C______, elle avait rencontré celui-ci à plusieurs reprises dans trois lieux de détention, à savoir les EPO, la prison de Champ-Dollon et la Pâquerette. Elle avait participé à des réunions interdisciplinaires aux EPO. Elle avait eu des discussions régulières avec Mme I______ qui disposait de toutes les informations nécessaires. Elle avait activement participé à l’élaboration du PES de novembre 2009 à décembre 2011 et avait ordonné une expertise psychiatrique rendue le 28 mars 2011. Elle connaissait parfaitement l’examen fait en amont par la Pâquerette qui avait abouti à la requête motivée dudit établissement le 19 avril 2013. À ce titre, elle savait que cette requête signifiait que la dangerosité avait été examinée et écartée par l’équipe, comprenant des sociothérapeutes, mais aussi des gardiens. Elle avait sollicité du psychiatre du détenu un rapport médical duquel il ressortait qu’il préconisait aussi des sorties accompagnées, écartant implicitement toute dangerosité.

Concernant le complément d’expertise, la recourante ainsi que les divers témoins entendus dans l’enquête administrative avaient expliqué avec pertinence les raisons pour lesquelles il avait été différé. À l’instar de plusieurs témoins, elle avait rappelé que le PES, qui prévoyait une expertise psychiatrique complémentaire, était un document qui devait être adapté en fonction de l’évolution de la personne concernée. Depuis la validation du PES, des éléments nouveaux étaient apparus, attestant de la bonne évolution du détenu. Il avait entretemps été admis à la Pâquerette et son séjour se déroulait favorablement. Après en avoir parlé avec Mme I______, elle avait décidé que le complément d’expertise serait différé et réalisé après les sorties accompagnées et avant celles sans accompagnement, pour pouvoir intégrer dans l’examen les constatations faites lors des sorties accompagnées. Il était également ressorti de l’enquête qu’il y avait une différence entre le détenu qui purgeait une peine, à l’instar de M. C______ et celui astreint à une mesure. Le premier avait la certitude de sortir à une date, pouvant obtenir une libération conditionnelle avant l’échéance de sa peine. En l’espèce, la libération conditionnelle pouvait intervenir dans un avenir proche, à savoir le 21 janvier 2015. Il était ainsi important que le détenu soit préparé le mieux possible à toute libération. De plus, le complément d’expertise psychiatrique n’était juridiquement pas nécessaire. S’il était exact que l’art. 62d al. 2 CP prévoyait que, si l’auteur avait commis une infraction prévue à l’art. 64 al. 1 CP, l’autorité compétente prenait une décision sur la base d’une expertise indépendante, cet alinéa n’était qu’un cas particulier de l’al. 1 qui ne visait, comme la note marginale l’indiquait, que l’examen de la libération conditionnelle de l’exécution de la mesure ou la levée de celle-ci. Or, la situation de M. C______ ne relevait pas de cette disposition. L’arrêt de la chambre pénale d’appel et de révision du 14 juillet 2014 indiquait qu’une expertise pouvait être différée pour obtenir plus d’informations sur l’évolution de la personne condamnée. C’était dans ce sens que cet arrêt était relevant, contrairement à ce qu’affirmait le Conseil d’État. Ainsi, elle pouvait se prononcer catégoriquement sur l’absence de caractère dangereux de M. C______, faire la pesée des intérêts dans le sens des mesures favorisant sa resocialisation et rendre la décision du 5 juillet 2013. N’ayant aucun doute sur l’absence de dangerosité de l’intéressé, la recourante n’avait pas à suivre (sic) la CED. Elle avait parfaitement respecté en conséquence ses obligations et n’avait enfreint aucune norme disciplinaire. L’arrêté querellé devait être annulé.

d. Le reproche qu’elle se serait distancée des conditions posées dans le PES n’était pas fondé pour les mêmes motifs que ceux en lien avec le complément d’expertise précité, soit principalement qu’il s’agissait d’un document évolutif.

63) Par observations du 15 septembre 2015, le département a conclu au rejet de la demande de restitution de l’effet suspensif.

64) Par décision du 23 septembre 2015, la présidence de la chambre administrative a restitué l’effet suspensif au recours (ATA/991/2015).

Contrairement à ce qu’indiquait le Conseil d’État, la restitution de l’effet suspensif ne revenait pas à admettre le droit de la recourante à conserver son statut de fonctionnaire et, de ce fait, à admettre la demande sur le fond de la recourante, mais à éviter que la sanction disciplinaire ne soit exécutée alors que la procédure de recours était pendante devant la chambre de céans. Une telle décision n’équivalait en conséquence pas à accorder à la recourante le plein de ses conclusions sur le fond, mais permettait que le bien-fondé de la décision du Conseil d’État et les arguments des parties puissent faire l’objet d’un examen détaillé par la chambre administrative avant, cas échéant, d’être exécutée.

65) Par écriture du 1er octobre 2015, le département a conclu au rejet du recours dans la mesure où il était recevable.

a. À rigueur de loi, le SAPEM n’était pas compétent pour autoriser les sorties de l’intéressé. Seul le chef du département pouvait l’y autoriser.

b. La recourante ne pouvait se prévaloir d’une délégation de fait ou se réfugier derrière une pratique de son service, au demeurant clairement contraire au texte clair de l’article concerné. Au surplus, le fait que le SAPEM exerçait d’autres tâches que celle visée à l’art. 5 al. 1 let. d LaCP ne signifiait pas qu’il bénéficiait d’une délégation de compétence pour cette dernière, vu la teneur claire de l’art. 5 al. 5 LaCP.

Concernant la note du 29 mai 2013, Mme A______ avait retranscrit le contenu de certaines dispositions légales, à savoir les art. 75 al. 1, 75a al. 3, 84 al. 6 CP et 1 du règlement concordataire du 25 septembre 2008 concernant l’octroi d’autorisation de sorties aux personnes condamnées adultes et jeunes adultes. Concernant les compétences de son service, elle s’était contentée d’indiquer que les compétences de l’autorité d’exécution découlaient notamment des articles contenus sous le titre 4 du CP (art. 74 à 92 CP) et de l’art. 5 LaCP. Elle avait ajouté que « l’avis d’une commission spécialisée (commission d’évaluation de la dangerosité pour le canton de Genève) doit être obligatoirement requis lorsqu’un allègement de peine est considéré pour une personne internée, selon l’art. 64 CPS. L’avis de cette commission peut être également requis lorsque l’autorité d’exécution ne peut se prononcer d’une manière catégorique sur le caractère dangereux du détenu pour la collectivité (art. 75 a al. 1 let. b CPS) ». Elle mentionnait aussi que « l’art. 5 de la LaCP définit les compétences du département de la sécurité et, par délégation, de ses offices et services. Quant à l’art. 3, il définit les compétences attribuées au TAPEM [Tribunal d’application des peines et des mesures - ci-après : TAPEM]. Le contenu de ces articles figure à l’annexe 4 de la présente note ».

Le Conseil d’État relevait ainsi que, dans sa note du 29 mai 2013, outre le fait que Mme A______ mentionnait à tort que la CED devait être saisie obligatoirement lorsqu’une personne était internée selon l’art. 64 CP, elle ne faisait à aucun moment référence à l’exclusion de délégation prévue à l’art. 5 al. 5 LaCP, lequel n’y était étrangement pas reproduit, à l’inverse d’autres dispositions légales. Elle mentionnait au contraire que l’art. 5 LaCP définissait les compétences du département et, par délégation, de ses offices et services, et renvoyait à cet égard aux annexes de son texte. Or, dans lesdites annexes, le contenu de l’art. 5 LaCP était lacunaire. Il était cité de la façon suivante :

« Art. 5 Département de la sécurité

1 Le département de la sécurité est l’autorité d’exécution compétente pour :

a) b)

c) exprimer son point de vue en cas d’échec de la mise à l’épreuve consécutive à la libération conditionnelle de l’exécution d’une mesure thérapeutique institutionnelle (art. 62a, al. 1, CP);

d) apprécier le caractère dangereux pour la collectivité du détenu qui a commis un crime visé à l’article 64, alinéa 1, CP, et, lorsqu’il ne peut se prononcer d’une manière catégorique sur cette question, saisir la commission visée à l’article 4 (art. 75a, al. 1, et 90, al. 4bis, CP).

2 Le département de la sécurité est compétent pour :

a) b) c)

d) prendre toutes les décisions relatives à l’exécution des peines privatives de liberté et des mesures entraînant une privation de liberté (art. 74 à 91 CP), à l’exclusion des décisions visées aux articles 75, alinéas 2 et 6, 75a, alinéa 1, et 86 à 89 CP;

e)

f) contrôler l’observation des règles de conduite et présenter les rapports y relatifs (art. 94 et 95, al. 1, CP), sous réserve de la désignation d’une autre autorité ou d’un tiers dans le jugement ou l’ordonnance pénale;

g) faire exécuter les peines et les mesures (art. 372 CP);

3 Le département de la sécurité assure le suivi administratif du dossier de toutes les personnes exécutant sous son autorité une peine privative de liberté ou une mesure.

4 D’office et par écrit, il transmet au Ministère public toutes les informations et pièces qui sont nécessaires à ce dernier pour requérir une décision du Tribunal d’application des peines et des mesures.

5

6 Les dispositions concordataires en matière d’exécution des peines et des mesures demeurent réservées ».

Il était ainsi patent que seul l’al. 5 de l’art. 5 LaCP n’avait pas été reproduit par la recourante. On pouvait légitimement se demander si la suppression du contenu de cet alinéa n’avait pas été volontaire. Certains membres de la direction du SAPEM avaient en effet vivement critiqué le fait que l’évaluation de la dangerosité soit effectuée par le chef du département. L’audition de Mme Q______ du 9 septembre 2014 en témoignait, étant encore précisé que celle-ci était juriste de formation, travaillait au SAPEM depuis le 1er février 2012 et occupait la fonction de directrice adjointe du SAPEM depuis le 1er juillet 2013. En substance, la note du 29 mai 2013 établie par Mme A______ était incomplète et incorrecte sur un point central. Elle ne pouvait dès lors pas s’attendre à ce que le destinataire de celle-ci réagisse, pas plus qu’elle ne pouvait déduire de l’absence de réaction de ce dernier que sa pratique était validée. Le chef du département présumait que ses collaborateurs appliquaient correctement la loi et ne pouvait supposer le contraire, en particulier si les notes qui lui étaient soumises éludaient les problématiques qui devaient expressément y figurer. Il était attendu des cadres supérieurs de l’administration cantonale le maintien d’un haut niveau de qualification et un sens élevé de la mission confiée, particulièrement lorsque ceux-ci dirigeaient un service. Ils se devaient notamment d’établir, sur demande et même spontanément, des notes complètes mettant en exergue les problèmes constatés et proposer des solutions permettant de les résoudre. Ainsi, dans sa note du 29 mai 2013, l’intéressée aurait à tout le moins dû rappeler au chef du département que, depuis l’entrée en vigueur, en 2007, de la novelle de la LaCP, la pratique de son service consistait à évaluer la dangerosité des personnes ayant commis des crimes visés à l’art. 64 CP, respectivement à saisir la CED en cas de doute, n’était plus conforme à la loi. Enfin, la recourante affirmait avoir clairement indiqué dans sa note du 29 mai 2013 que le SAPEM décidait de toutes les autorisations de sorties accordées aux personnes sous son autorité, y compris celles ayant commis un crime visé à l’art. 64 al. 1 CP. Ce point était incorrect. En effet, dans la note précitée, la recourante avait uniquement indiqué que le SAPEM autorisait les sorties des détenus sous son autorité, sans faire mention de l’art. 64 CP. En outre, sa note comportait un chapitre 4 intitulé « Évaluation de la dangerosité » dans lequel elle n’avait fait à aucun moment état des congés octroyés aux détenus. Il résultait de ce qui précédait que la recourante ne pouvait de bonne foi se prévaloir d’une prétendue violation du principe de la bonne foi de la part du département.

c. Le Conseil d’État rappelait les manquements reprochés à Mme A______. Le premier consistait dans l’absence de compétence de la directrice du SAPEM pour évaluer la dangerosité et accorder une sortie accompagnée à M. C______. Mme A______ avait violé l’art. 5 al. 5 LaCP. La décision prise le 5 juillet 2013 était viciée formellement et, de ce fait, la sortie accompagnée n’aurait pas dû avoir lieu. À l’instar d’un directeur des ressources humaines qui se devait de connaître le droit du personnel qu’il appliquait tous les jours ou d’un comptable qui ne pouvait ignorer les bases légales et réglementaires relatives à son activité, il était attendu d’une directrice du service qu’elle applique correctement les bases légales et règlementaires inhérentes à son activité.

Elle avait par ailleurs fait une évaluation incorrecte de la dangerosité du détenu. Selon la doctrine, l’appréciation de la dangerosité du détenu, c’est-à-dire l’évaluation du risque potentiel de passage à l’acte, relevait de diverses méthodes qui étaient complémentaires, mais présentaient toutes des imperfections. Dans le cas d’espèce, les expertises effectuées étaient défavorables quant à la capacité du détenu d’évoluer favorablement et faisaient clairement état d’un risque de récidive. Le PES indiquait que l’intéressé présentait tous les facteurs de risque et qu’un risque de récidive était présent, raison pour laquelle un complément d’expertise devait être effectué, avant toute ouverture de régime. Il était en conséquence inconcevable que la recourante n’ait eu, à aucun moment, un quelconque doute sur la dangerosité du détenu, respectivement ait exclu un tel risque, qui plus est alors qu’elle était psychologue de formation. Selon la doctrine, le doute requis par l’art. 75a CP était un doute « objectif », fondé sur toutes les pièces figurant au dossier (notamment les expertises médicales et le PES), dossier qui était en l’espèce accablant. Au surplus, comme l’avait indiqué la recourante dans sa note du 29 mai 2013, le seuil de doute requis par l’art. 75a al. 1 let. b CP pour la saisine de la CED était d’autant plus bas que la peine était longue et les faits graves, étant rappelé que le détenu avait été condamné à quinze ans de réclusion pour des faits d’une extrême gravité. À cet égard, on pouvait se demander si la recourante disposait des capacités d’analyse nécessaires à la fonction de directrice du SAPEM. En estimant, malgré le dossier accablant de M. C______, qu’il y avait absence de dangerosité et en autorisant sa sortie, la recourante avait gravement violé son devoir de diligence.

Le fait qu’un projet de loi modifiant l’art. 5 al. 5 LaCP ait été déposé par le Conseil d’État n’était pas un élément pertinent vu, d’une part, la teneur de cet article au moment des faits et, d’autre part, que la recourante se devait, au vu du contenu du dossier du détenu en sa possession, de demander une expertise complémentaire et de saisir la CED puisqu’elle s’estimait compétente pour le faire. Cette omission constituait une faute grave.

d. La recourante n’avait pas respecté les conditions posées dans le PES.

Le seul fait que le séjour du détenu se déroulait favorablement n’était pas un élément permettant de contrebalancer les documents accablants, notamment les expertises médicales, figurant dans le dossier de ce dernier. Ceci était d’autant plus vrai qu’il ressortait clairement du PES que l’intéressé donnait des réponses « parfaites » et stéréotypées. Ceci dénotait une grande propension à manipuler son entourage en se montrant à son meilleur avantage. De surcroît, la situation du détenu n’avait pas évolué depuis l’expertise de 2011, puisqu’il n’avait notamment pas été en mesure d’achever sa formation. Aussi, il n’existait aucune raison valable et objective de se distancer du PES qui prévoyait une expertise complémentaire, tout comme l’expertise du 28 mars 2011.

Au surplus, les explications de la recourante relative au report de l’expertise médicale n’étaient pas cohérentes. Lors des auditions devant l’enquêteur, elle avait en effet affirmé qu’elle souhaitait différer l’expertise avant les premières sorties accompagnées, afin d’avoir davantage d’éléments d’observations utiles à l’expert. Elle reconnaissait ainsi qu’une expertise était nécessaire et faisait en réalité supporter le risque de récidive du détenu sur la collectivité. Ceci était inconcevable et inadmissible, et constituait une faute grave. Cet argument n’était apparu qu’au cours de l’enquête administrative menée par M. LADOR. La recourante n’avait en effet jamais donné de telles explications lorsqu’elle avait été entendue par M. ZIEGLER, ce qui « laiss[ait] penser que cet argument a[vait] été inventé de toutes pièces pour les besoins de la procédure administrative ».

e. Pour le surplus, les arguments de l’intimé seront repris en tant que de besoin dans la partie en droit.

66) Par réplique du 10 novembre 2015, Mme A______ a persisté dans ses conclusions.

67) Une audience de comparution personnelle des parties s’est tenue le 16 mars 2016.

Les représentants du Conseil d’État ont notamment confirmé que la mention « expertise » sur l’EEDP indiquait une parfaite maîtrise de la matière et une possibilité d’être référent de tierces personnes, tant à l’intérieur de l’État qu’à l’extérieur. Il s’agissait de la mention la plus élevée qui puisse être attribuée à un collaborateur. Cela indiquait que celui-ci était au-delà du stade de la maîtrise des compétences concernées.

Mme A______ a précisé, concernant le PES, qu’il avait été élaboré en 2009 et validé à cette date par l’autorité d’exécution. Il avait fait l’objet de plusieurs « évaluations, adaptations » soit deux fois en 2010, puis en décembre 2011. Toutes ces modifications avaient été validées par le SAPEM. Les validations prenaient la forme d’échanges de courriels ou de lettres. L’aspect un peu plus formel de la validation de juillet 2012 était lié au fait que les EPO avaient terminé le travail d’évaluation de la personne et que les autorités étaient en possession de l’expertise psychiatrique de 2011. Elle ignorait pourquoi Mme I______ n’avait pas été en possession des expertises médicales de 2002. Le SAPEM transmettait copie du dossier, y compris des expertises médicales, des détenus à tout établissement qui les accueillait. Il n’y avait pas de différences pour la Pâquerette à qui toutes les pièces avait toujours été envoyées. Elle avait été surprise par l’affirmation de Mme I______.

La recourante a précisé que le SAPEM saisissait la CED pour toutes les personnes qui faisaient l’objet d’un internement ou de mesures institutionnelles en milieu fermé (art. 59 al. 3 CP) ainsi que, en cas de doute quant à la dangerosité, les personnes condamnées à une peine privative de liberté. Cela devait représenter environ, annuellement, plus d’une quarantaine de dossiers. La CED ne se réunissait qu’une fois par mois et avait posé comme exigence, à laquelle le SAPEM dérogeait parfois, de ne pas avoir plus de quatre dossiers par séance.

Des situations de détenus ayant commis une des infractions mentionnées à l’art. 64 CP, en exécution de peine, sans mesures, n’étaient pas exceptionnelles. Ces situations n’étaient soumises à la CED qu’en cas de doute sur la dangerosité du détenu. Le SAPEM avait dû prendre, dans ce type de situations, plusieurs dizaines de décisions par année. Elles faisaient toutes l’objet d’échanges au sein du SAPEM. De l’avis de la recourante, annuellement, seules trois ou quatre de ces décisions faisaient l’objet d’un recours.

La représentante du Conseil d’État a relevé que le Dr L______ avait déclaré à M. LADOR qu’il n’avait pas connaissance des éléments d’expertises effectuées en France.

À l’issue de l’audience, un délai a été fixé aux deux parties pour éventuelles observations suite à l’audience et produire la note du SAPEM au DSE du 6 mars 2013, document évoqué dans la note litigieuse du 29 mai 2013 que celle-ci était sensée compléter.

68) Par observations du 8 avril 2016, la recourante a précisé ne pas être en possession de la note précitée. Elle a relaté la suite de son parcours professionnel au sein de l’État de Genève suite au drame du 12 septembre 2013. Un certificat de travail intermédiaire du 21 mars 2016 sur son activité actuelle était très élogieux. À compter du 1er mars 2016, elle avait été choisie comme cheffe au sein du service S______.

69) Par observations du même jour, le Conseil d’État a indiqué que la note sollicitée n’avait pas été retrouvée, ni au SAPEM, ni au DSE.

70) Par courrier du 12 avril 2016, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

71) Il ressort du dossier que le détenu aurait atteint les deux tiers de sa peine le 21 janvier 2015, date à laquelle il pouvait solliciter sa libération conditionnelle.

Sa peine arrivait à son terme le 21 septembre 2021.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 30 al. 2 et 32 de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 - LPAC - B 5 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte exclusivement sur la conformité au droit de la décision du 24 juin 2015 du Conseil d’État de sanctionner la recourante par un retour au statut d'employée en période probatoire pour une durée de deux ans.

3) a.  En tant que fonctionnaire nommée, directrice du SAPEM, la recourante est notamment soumise à LPAC, à son règlement d’application du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01), au règlement sur les cadres supérieurs de l'administration cantonale du 22 décembre 1975 (RCSAC - B 5 05.03) ainsi qu’à la loi concernant le traitement et les diverses prestations alloués aux membres du personnel de l’État, du pouvoir judiciaire et des établissements hospitaliers du 21 décembre 1973 (LTrait - B 5 15).

b. Sont nommés en qualité de cadres supérieurs les fonctionnaires appelés, par leurs responsabilités hiérarchiques ou fonctionnelles, à préparer, proposer ou prendre toute mesure ou décision propre à l’élaboration et à l’exécution des tâches fondamentales de pouvoir exécutif. Leur fonction se situe à compter de la classe 23 de l’échelle fixée par la LTrait (art. 2 RCSAC).

Nommée à une fonction en classe 23, la recourante est une cadre supérieure, soumise au RCSAC.

4) Les art. 20 à 26 RPAC définissent les devoirs du personnel.

Les membres du personnel sont tenus au respect de l’intérêt de l’État et doivent s’abstenir de tout ce qui peut lui porter préjudice (art. 20 RPAC).

Les membres du personnel se doivent, par leur attitude, notamment, de justifier et de renforcer la considération et la confiance dont la fonction publique doit être l’objet (art. 21 let. c RPAC).

Les membres du personnel se doivent de remplir tous les devoirs de leur fonction consciencieusement et avec diligence (art. 22 al. 1 RPAC).

Aux termes de l’art. 23 RPAC, les membres du personnel chargés de fonctions d’autorité sont tenus, en outre, notamment d’organiser le travail de leur service (let. a), de diriger leurs subordonnés, d’en coordonner et contrôler l’activité (let. b), de veiller à la réalisation des tâches incombant à leur service (let. c).

5) Les fonctions de cadre supérieur exigent de leurs titulaires, outre la préoccupation constante des intérêts de l’État et l’accomplissement des devoirs généraux liés à l’exercice de la fonction publique, le maintien d’un haut niveau de qualification et un sens élevé de la mission confiée (art. 3 al. 1 RCSAC).

6) Selon l’art. 16 al. 1 LPAC, les fonctionnaires et les employés qui enfreignent leurs devoirs de service, soit intentionnellement soit par négligence, peuvent faire l'objet, selon la gravité de la violation, des sanctions suivantes :

a)  prononcé par le supérieur hiérarchique, en accord avec sa hiérarchie :

1° le blâme ;

b)  prononcées, au sein de l'administration cantonale, par le chef du département ou le chancelier d'État, d'entente avec l’OPE ; au sein des services centraux et des greffes du pouvoir judiciaire, par le secrétaire général du pouvoir judiciaire ; au sein de l'établissement, par le directeur général :

2° la suspension d'augmentation du traitement pendant une durée déterminée,

3° la réduction de traitement à l'intérieur de la classe ;

c)  prononcées, à l'encontre d'un fonctionnaire, au sein de l'administration cantonale, par le Conseil d'État ; au sein des services centraux et des greffes du pouvoir judiciaire, par la commission de gestion du pouvoir judiciaire ; au sein de l'établissement par le conseil d'administration :

4° le retour au statut d'employé en période probatoire pour une durée maximale de trois ans,

5° la révocation.

En cas de révocation, le Conseil d'État, respectivement la commission de gestion du pouvoir judiciaire ou le conseil d'administration de l'établissement, peut stipuler que celle-ci déploie un effet immédiat si l'intérêt public le commande (art. 16 al. 2 LPAC). 

7) Aux termes de l’art. 27 LPAC relatif à la procédure pour sanction disciplinaire, les dispositions de la LPA sont applicables, en particulier celles relatives à l’établissement des faits (art. 18 et ss) (al. 1). Le Conseil d’État, la commission de gestion du pouvoir judiciaire ou le conseil d’administration peut en tout temps ordonner l’ouverture d’une enquête administrative qu’il confie à une personne qui a les compétences requises. Il doit le faire dans les hypothèses visées à l’art. 16 al. 1 let. c (al. 2). L’intéressé est informé de l’enquête dès son ouverture et il peut se faire assister d’un conseil de son choix (al. 3). L'enquête doit, en principe, être menée à terme dans un délai de trente jours dès la première audition. En règle générale, il n'est procédé qu'à une seule audience au cours de laquelle les parties ainsi que d'éventuels témoins sont entendus. Les parties doivent communiquer d'emblée à l'enquêteur tous les moyens de preuve dont elles requièrent l'administration (al. 4). Une fois l'enquête achevée, l'intéressé peut s'exprimer par écrit dans les trente jours qui suivent la communication du rapport (al. 5). Le Conseil d'État, la commission de gestion du pouvoir judiciaire ou le conseil d'administration statue à bref délai (al. 6). La responsabilité disciplinaire des membres du personnel se prescrit par un an après la découverte de la violation des devoirs de service et en tout cas par cinq ans après la dernière violation. La prescription est suspendue, le cas échéant, pendant la durée de l'enquête administrative (al. 7).

8) a. Le droit disciplinaire se rattache au droit administratif, car la mesure disciplinaire n'a pas en premier lieu pour but d'infliger une peine : elle tend au maintien de l'ordre, à l'exercice correct de l'activité en question et à la préservation de la confiance du public à l'égard des personnes qui l'exercent (ATF 108 Ia 230 consid. 2b p. 232, 316 consid. 5b p. 321 ; arrêt du Tribunal fédéral 1D_15/2007 du 13 décembre 2007 consid. 1.1 ; ATA/1255/2015 du 24 novembre 2015 consid. 7b ; ATA/632/2014 du 19 août 2014 consid. 14 ; Gabriel BOINAY, Le droit disciplinaire de la fonction publique et dans les professions libérales, particulièrement en Suisse, Revue Jurassienne de Jurisprudence [RJJ], 1998, p. 62 ss).

Il n’a aucunement trait à la protection des intérêts de celui qui serait lésé par l’acte d’un agent public (Pierre MOOR, Droit administratif, vol. III, 1992, n. 5.3.5.2).

b. Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu’elles ne sauraient être prononcées en l’absence de faute du fonctionnaire (Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 7ème éd., Zurich 2016, n. 1515 ; Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, Bâle 2014, n. 2249 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, Genève 2011, n. 1228, p. 408).

Alors qu’en droit pénal les éléments constitutifs de la faute doivent être expressément indiqués dans la loi, en droit disciplinaire, les agissements pouvant constituer une faute sont d’une telle diversité qu’il est impossible que la législation en donne un état exhaustif (Ursula MARTI/Roswitha PETRY, La jurisprudence en matière disciplinaire rendue par les juridictions administratives genevoises, RDAF 2007 p. 227 ss, p. 235 ; Peter HÄNNI, Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht I/2 - Personalrecht des Bundes, Bâle 2004, n. 231 ; Gabriel BOINAY, op. cit., p. 62 ss).

La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n’ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l’auteur (ATA/808/2015 du 11 août 2015 consid. 5e ; ATA/694/2015 du 30 juin 2015 ; ATA/473/2014 du 24 juin 2014 ; ATA/623/2013 du 24 septembre 2013). La faute disciplinaire peut même être commise par méconnaissance d'une règle. Cette méconnaissance doit cependant être fautive (Gabriel BOINAY, op. cit., n. 55, p. 14).

Tout agissement, manquement ou omission, dès lors qu'il est incompatible avec le comportement que l'on est en droit d'attendre de celui qui occupe une fonction ou qui exerce une activité soumise au droit disciplinaire peut engendrer une sanction. La loi ne peut pas mentionner toutes les violations possibles des devoirs professionnels ou de fonction. Le législateur est contraint de recourir à des clauses générales susceptibles de saisir tous les agissements et les attitudes qui peuvent constituer des violations de ces devoirs (Gabriel BOINAY, op. cit., n. 50, p. 14). Dans la fonction publique, ces normes de comportement sont contenues non seulement dans les lois, mais encore dans les cahiers des charges, les règlements et circulaires internes, les ordres de service ou même les directives verbales. Bien que nécessairement imprécises, les prescriptions disciplinaires déterminantes doivent être suffisamment claires pour que chacun puisse régler sa conduite sur elles, et puisse être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d'un acte déterminé (Gabriel BOINAY, op. cit., n. 51, p. 14).

c. Même si un sujet de droit disciplinaire prête à une situation toute l'attention souhaitable, il n'est pas impossible qu'une erreur ou un malentendu se produise. Il peut ainsi, par exemple, se croire, à tort, délié du secret professionnel. Dans ce cas, si l'accusé a pris les précautions voulues, la jurisprudence fait application de la règle pénale de l'erreur de fait (art. 13 CP) pour apprécier son comportement selon la manière dont il a compris la situation (Gabriel BOINAY, op. cit., n. 53, p. 14).

Selon l'art. 13 CP, quiconque agit sous l'influence d'une appréciation erronée des faits est jugé d'après cette appréciation si elle lui est favorable (al. 1). Quiconque pouvait éviter l'erreur en usant des précautions voulues est punissable pour négligence si la loi réprime son acte comme infraction par négligence (al. 2). Agit sous l'emprise d'une erreur sur les faits celui qui n'a pas connaissance ou qui se base sur une appréciation erronée d'un élément constitutif d'une infraction pénale (ATF 129 IV 238 consid. 3.1 p. 240). L'intention délictuelle fait alors défaut. L'erreur ne peut conduire à un acquittement que si elle est excusable (Michel DUPUIS/Bernard GELLER/Gilles MONNIER/Laurent MOREILLON/ Christophe PIGUET/Christian BETTEX/Daniel STOLL [éds], Code pénal - Petit commentaire, 2ème éd., Bâle 2016, n. 18 ad art. 13). Si elle est évitable et que l'auteur n'use pas des précautions voulues pour l'éviter, il est punissable par négligence. Tout comme les infractions punissables par négligence, il convient de prendre en compte les circonstances et la situation personnelle de l'auteur (ATF 119 IV 255 consid. 2c p. 259). On assimile à l’erreur sur les faits le cas où l’auteur retient par erreur pour donné un état de fait qui, s’il était vraiment réalisé, serait de nature à rendre justifié son comportement (justification putative) (ATF 134 II 35 consid. 5.3).

9) a. Le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 1 let. a LPA) ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 let. b LPA).

Selon l’art. 61 LPA, le pouvoir d’examen de la chambre administrative se limite à la violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 1 let. a LPA).

Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA). Cette condition n’est pas réalisée en l’espèce.

b. En matière de sanctions disciplinaires, l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation ; le pouvoir d’examen de la chambre de céans se limite à l’excès ou à l’abus du pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1255/2015 précité consid. 7c ; ATA/748/2014 du 23 septembre 2014 consid. 7c ATA/452/2013 du 30 juillet 2013 consid. 16 et les références citées).

10) La recourante conteste avoir enfreint ses devoirs de service, soit intentionnellement, soit par négligence.

Elle conteste les reproches adressés à son encontre par le Conseil d’État dans l’arrêté querellé.

11) Dans un premier grief, le Conseil d’État reproche à l’intéressée d’avoir pris la décision d’autoriser des sorties du détenu, en violation de l’art. 5 al. 1 let. d LaCP qui attribuait cette compétence au chef du département.

a. Selon l’art. 5 al. 1 let. d LaCP, dans sa teneur en vigueur en septembre 2013, le département était l'autorité d'exécution compétente, notamment, pour apprécier le caractère dangereux pour la collectivité du détenu qui avait commis un crime visé à l'art. 64 al. 1 CP et, lorsqu'il ne pouvait se prononcer d'une manière catégorique sur cette question, saisir la CED (art. 75a al. 1 et 90 al. 4bis CP).

L’al. 2 de la même disposition définit les compétences du département, parmi lesquelles, notamment, la prise des décisions relatives à l’exécution des peines privatives de liberté et des mesures entraînant une privation de liberté (art. 74 à 91 CP), à l’exclusion des décisions visées aux art. 75 al. 2 et 6 et 75a al. 1, 86 à 89 CP. En l’espèce est surtout pertinente la référence à l’art. 75a CP relatif à l’appréciation du caractère dangereux d’un « détenu ayant commis l’un des crimes visés par l’art. 64 al. 1 CP ».

L’al. 5 de l’art. 5 LaCP prévoyait toutefois que, par voie de règlement, le Conseil d'État pouvait déléguer les compétences du département à ses offices ou services, à l'unique exception de la compétence précitée (art 5 al. 5 LaCP).

b. Le 12 septembre 2013, le Conseil d’État n’avait pas édicté le règlement susmentionné.

c. Le 1er rapport ZIEGLER a détaillé de façon approfondie le cadre légal, singulièrement les questions de compétence, respectivement du Conseil d’État, de la CED, du DSE, de l’établissement d’exécution des peines et mesures, ainsi que l’application qui en était faite notamment par le SAPEM.

Il a conclu qu’ « à teneur du texte des art. 5 al. 1 lit. d, 5 al. 2 lit. d et 5 al. 5 LaCP, c’est le département de la sécurité qui devrait impérativement évaluer la dangerosité en cas de demande d’allègement de peine, puis saisir la Commission de dangerosité en cas de doute à ce sujet, mais il pourrait ensuite déléguer la décision proprement dite sur l’allègement de peine de détenus supposés dangereux au SAPEM. Cette interprétation purement littérale de l’art. 5 al. 1 let. d, de l’art. 5 al. 2 let. d et de l’art. 5 al. 5 LaCP, selon laquelle il appartiendrait au département de devoir, impérativement, évaluer la dangerosité en cas de demande d’allégement de peine, puis saisir la CED en cas de doute à ce sujet, mais pourrait ensuite déléguer la décision proprement dite sur l’allégement de peine du détenu supposé dangereux au SAPEM, n’est pas conforme au but de la loi et ne permet pas une activité rationnelle de l’administration. L’auteur du rapport retient qu’il faut comprendre ces dispositions en ce sens que la décision d’un allégement de peine appartient au département lorsque cet allégement est requis par un détenu ayant commis l’un des crimes visés par l’art. 64 al. 1 CP, tandis qu’elle peut être déléguée au SAPEM dans les autres cas ».

d. Les parties s’opposent sur la définition du « détenu ayant commis l’un des crimes visés par l’art. 64 al. 1 CP ».

La recourante soutient que le « détenu qui a commis un crime visé à l'art. 64 al. 1 CP » de l’art. 5 al. 1 let. d LaCP ne concerne « que les personnes potentiellement internées », ce que l’intimé conteste.

L’interprétation de la recourante n’est pas soutenue par le 1er rapport ZIEGLER. Toutefois, celui-ci mentionne que « l’exception à la délégation de compétence de l’art. 5 al. 5 LaCP a été introduite lors de l’élaboration de la LaCP du 17 novembre 2006 (L-9848), dont les règles d’attribution de compétence ont été reprises à l’identique par la LaCP aujourd’hui en vigueur. Le PL-9848 prévoyait encore une faculté de délégation sans exception des compétences du département au SAPEM. Entendue en commission, une association d’avocats a souhaité que la saisine de la CED fût systématique. Les commissaires ont préféré qu’elle demeurât facultative. Toutefois en contrepartie, ils ont amendé le projet de loi, supprimant la faculté de délégation en matière de saisine de la commission "de façon que ce soit l’autorité politique – en l’occurrence encore une fois le département des institutions – qui assume la décision à prendre sur la dangerosité du potentiel interné". S’il paraît clair que le législatif [genevois] a voulu que la "décision" sur la dangerosité ne fût pas déléguée à un service administratif lorsqu'il est question d'un crime grave, ces motifs révèlent aussi que le législatif semble avoir été victime d'un malentendu, interprétant la référence à l'art. 64 CP en ce sens qu'il s'agissait d'évaluer la dangerosité de candidats à l'internement alors qu'il s'agit d'évaluer la dangerosité de candidats à un allégement d'exécution d'une peine (art. 75 a CP) ou d'une mesure (art. 90 al. 4 bis CP) ».

e. Dans le cas de M. C______, le processus de décision a correspondu à la pratique habituelle du SAPEM, à savoir que la décision a été prise par ledit service, le détenu étant en exécution de peine, et non interné. En l’absence de tout doute sur la dangerosité du détenu, en l’occurrence une absence de dangerosité, le SAPEM n’a pas saisi la CED.

L’une des conclusions du rapport CHAPPUIS retient que « la question de savoir si la sortie du détenu a été organisée en stricte conformité avec les dispositions légales applicables peut rester indécise. La loi pénale (art. 75 CP) et la loi d’application cantonale (art. 5 LaCP) n’indiquent en effet pas clairement le degré de détail dans lequel l’autorité de surveillance doit entrer pour autoriser une sortie ( ) ».

Selon le 1er rapport ZIEGLER, le SAPEM aurait à tout le moins dû saisir le chef du département afin qu’il évalue la dangerosité de M. C______ et, s’il ne pouvait l’affirmer ou la nier catégoriquement, saisisse la CED. Selon l’interprétation proposée par M. ZIEGLER de l’art. 5 al. 5 LaCP, le SAPEM aurait dû saisir le chef du département afin qu’il autorise ou refuse le programme de sorties accompagnées présenté par la Pâquerette le 19 avril 2013.

Cette affirmation s’inscrit toutefois dans un contexte où, comme l’a confirmé le rapport de M. ZIEGLER, le « législatif semble avoir été victime d’un malentendu » lors de l’adoption de l’art. 5 al. 5 LaCP.

Toutefois, même à considérer que la recourante ait violé l’art. 5 al. 5 LaCP, l’issue de la présente procédure ne serait pas différente, compte tenu de ce qui suit.

12) Dans un second grief, le Conseil d’État reproche à la recourante de s’être crue au bénéfice d’une délégation implicite de compétences.

L’intimé ne semble pas contester l’existence de cette pratique. Il en critique la légalité et la légitimité.

L’existence de ladite pratique sera toutefois préalablement vérifiée.

Il ressort des témoignages recueillis que selon Mme K______, le SAPEM était compétent pour trancher la question de la dangerosité. Il pouvait demander un avis à la CED, ce qu’il faisait régulièrement. Cet avis n’était pas contraignant. L’OCD avait expliqué le fonctionnement au chef du département, notamment dans la note du 29 mai 2013. « Nous avons certainement abordé parfois la question de la dangerosité lors de nos entretiens avec le chef du département, entretiens qui portaient sur l’organisation métier de l’office et la responsabilité et les rôles et missions de chacun. Nous n’avons jamais reçu de directives du chef du département ou du département à la suite de l’entrée en vigueur de la LaCP. Dans le cadre de l’audit, les consultants n’ont pas parlé de la question de la compétence du chef du département en matière de dangerosité ( ). Les compétences du SAPEM lui avaient été déléguées ».

Mme Q______ a précisé que, jusqu’au 1er rapport ZIEGLER, la compétence pour octroyer un allégement de l’exécution de la peine et ainsi trancher la question de la dangerosité appartenait au SAPEM. Il en allait de même s’agissant de la compétence de la saisine de la CED. Elle n’avait jamais eu de remarque à ce sujet, ni de la direction générale de l’OCD, ni du chef du département, ni de directives écrites à ce propos. Les décisions du TAPEM ou de la Cour de justice les avaient confortés dans cette approche. Il n’y avait non plus jamais eu de demandes de l’OCD et/ou du département pour faire « remonter » des dossiers.

M. P______ a, en tous points, confirmé cette position.

Le 1er rapport ZIEGLER mentionne aussi que « dans les faits, le département de la sécurité semble avoir continué à déléguer l’intégralité de ses compétences en matière d’exécution des peines au SAPEM ».

Les rapports CHAPPUIS et LADOR confirment l’existence de cette pratique.

L’existence d’une pratique selon laquelle les compétences du DSE étaient, de facto, déléguées au SAPEM est en conséquence établie.

Les actes d’une journée de formation interne destinée aux collaborateurs du « petit État », le 20 juin 2013, illustre, en tant que de besoin, la conclusion précitée, dès lors qu’il y a été indiqué qu’« en pratique, dès que la sanction choisie par le juge est définitive et exécutoire, les modalités de son application échoient [au SAPEM]. Ce dernier bénéficie d’une compétence générale en la matière : il lui appartient de prendre toutes les décisions relatives à l’exécution des peines privatives de liberté et des mesures entraînant une privation de liberté (art. 5 al. 2 let. d LaCP). Le SAPEM, qui doit assurer le suivi administratif du dossier de toutes les personnes soumises à son autorité (art 5 al. 3 laCP), est ainsi le service compétent pour décider ( ) de l’octroi de congés ( ) » (Stéphane WERLY, l’application des sanctions pénales, in Actualités juridiques de droit public 2013, Berne 2013, p. 221).

13) Il s’agit de déterminer si la recourante a violé ses devoirs de service en considérant être au bénéfice d’une délégation implicite desdites compétences.

a. L’art. 2 al. 2 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00) consacre expressément le principe de la séparation des pouvoirs. Le pouvoir législatif incombe au Grand Conseil (art. 80 Cst-GE). Le Conseil d'État est chargé de l’exécution des lois et adopte à cet effet les règlements et arrêtés nécessaires (art. 109 al. 4 Cst-GE).

Aux termes de la loi sur l'exercice des compétences du Conseil d'Etat et l'organisation de l'administration du 16 septembre 1993 (LECO - B 1 15), le Conseil d’État exerce le pouvoir exécutif. Il prend les décisions de sa compétence (art. 1). Il règle les attributions des départements, en constituant des offices ou des services et en leur déléguant les compétences nécessaires (art. 2 al. 1 LECO). Lorsque des attributions leur ont été conférées directement par la loi, les départements, les offices ou les services les exercent sous l’autorité du Conseil d’État (art. 2 al. 2 LECO).

En l’absence de dispositions légales leur attribuant spécialement la compétence de statuer, les services des départements agissent sur délégation et prennent leurs décisions en tant qu’organes au nom et pour le compte du département auquel ils sont rattachés (art. 12 LPA).

b. La pratique administrative est constituée par la répétition de décisions par les autorités chargées, en première instance, de l’application de la loi. De cette répétition peuvent apparaître, comme pour la jurisprudence, des règles sur la manière d’interpréter la loi ou de faire usage d’une liberté d’appréciation. La pratique administrative n’a pas le prestige de la jurisprudence, en raison de la position des autorités dont elle émane et du fait que, consistant souvent en décisions de masse, elle ne repose pas sur une analyse aussi approfondie des questions juridiques que les arrêts des juridictions chargées de dire le droit. Elle comporte un élément normatif qui peut la faire considérer, au même titre que les ordonnances administratives, comme une source, certes secondaire, de droit administratif (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 364 ss, p. 120 ; Pierre MOOR, Droit administratif, vol. 1, 3ème éd., 2012, n. 2.1.3.3 p. 89 ; ATA/365/2010 du 1er juin 2010 consid. 7).

c. Il ressort des déclarations de la recourante que la pratique litigieuse portant sur des décisions du SAPEM dans des situations de détenus ayant commis une des infractions mentionnées à l’art. 64 CP, en exécution de peine, sans mesures, devaient représenter plusieurs dizaines de décisions par année. Elles n’étaient soumises à la CED qu’en cas de doute sur la dangerosité du détenu. Elles faisaient toutes l’objet d’échanges au sein du SAPEM.

Aucune pièce du dossier ne vient contredire le fait que la pratique querellée était connue de toutes les autorités concernées, CED comprise. Elle n’a jamais été remise en question. Les services juridiques du département concerné n’ont jamais réagi, voire cautionnaient la vision du SAPEM à l’instar de l’exposé donné à l’interne le 20 juin 2013 (Stéphane WERLY, op. cit). Le chef du département a confirmé à l’émission « Mise au point » qu’il connaissait la teneur de la disposition querellée. Il avait par ailleurs dûment obtenu du SAPEM les réponses à toutes les questions qu’il avait posées le 20 mai 2013 dans le cadre de la note détaillée et fouillée que le SAPEM, sous la responsabilité de l’OCD, lui a transmis le 29 mai 2013. Celle-ci n’a pas suscité de réaction de la part du département quant à ladite pratique. Dans ces conditions, la recourante pouvait, jusqu’à nouvel avis, considérer que les réponses apportées satisfaisaient sa hiérarchie.

Par ailleurs, le règlement prévu par l’art. 5 al. 5 LaCP qui devait préciser les compétences déléguées au SAPEM tout en excluant la compétence litigieuse n’a jamais été élaboré, alors même que le SAPEM a continué à travailler. L’art. 5 al. 5 LaCP litigieux avait pourtant été adopté le 17 novembre 2006 et était entré en vigueur le 1er janvier 2007, à l’époque sous art. 8 al. 5 aLaCP. Les deux rapports ZIEGLER ont d’ailleurs souligné les « carences constatées dans la mise en œuvre par le canton de Genève du nouveau droit des sanctions du code pénal, entrée en vigueur le 1er janvier 2007 ».

La recourante pouvait de surcroît admettre être au bénéfice d’une délégation implicite dès lors que, depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle partie générale du CP le 1er janvier 2007, le département n’a, à aucun moment, ni tranché ni demandé l’apport d’un dossier concernant un détenu condamné par une infraction listée à l’art. 64 CP, alors même qu’il ne pouvait ignorer que des personnes étaient détenues à ce titre sous son autorité. De ce fait, il a implicitement, de manière constante et pérenne, validé la pratique suivie par le SAPEM.

Enfin, le fait que le rapport final ZIEGLER préconise, précisément, de modifier l’art. 5 al. 5 LaCP afin que le SAPEM soit définitivement compétent dans des cas tels que celui du détenu confirme que la pratique, bien que contraire au texte de la loi, n’était pas inadéquate.

d. En conséquence, il ne peut être reproché à la recourante une violation de ses devoirs de service pour avoir considéré que le SAPEM était au bénéfice d’une délégation de compétences implicite de la part du département.

14) Compte tenu de ce qui précède, le reproche du département selon lequel il était en droit d’attendre de la recourante qu’elle attire son attention sur cette exception à la délégation de compétences (art. 5 al. 5 LaCP) tombe à faux.

15) Le Conseil d’État fait grief à la recourante d’avoir omis de citer l’art. 5 al. 5 LaCP dans sa note du 29 mai 2013 en réponse à l’interpellation du chef du département.

Il ressort toutefois de l’analyse du document litigieux qu’il ne s’agit pas du seul extrait de l’art. 5 LaCP qui n’aurait pas été cité, à l’instar de l’al. 1 let. a et b, al. 2 let. a, b, c et e.

Par ailleurs, la citation telle que faite par la recourante met expressément en avant les compétences du département. Il ne peut en conséquence être déduit de cette présentation une volonté de soustraire des compétences au département, la citation mentionnant les décisions pour lesquelles le département était compétent, notamment l’al. 1 let. d relatif à l’appréciation du caractère dangereux pour la collectivité du détenu qui avait commis un crime visé à l’art. 64 al. 1 CP. Étaient aussi citées les obligations faites au département d’assurer le suivi administratif du dossier de toutes les personnes exécutant sous son autorité une peine privative de liberté ou une mesure et son obligation de transmettre au Ministère public toutes les informations et pièces qui étaient nécessaires à ce dernier pour requérir une décision du TAPEM. Enfin, si l’art. 5 al. 5 LaCP consistant en l’exception légale prévue à la possibilité de déléguer des compétences n’était pas mentionné, le début dudit alinéa, autorisant précisément la délégation du département à ses offices ou services, ne l’était pas non plus. Dès lors, l’argument de l’intimé reprochant à Mme A______ d’avoir voulu taire, dans sa note du 29 mai 2013, l’exclusion de délégation, est infondé.

Il est toutefois exact qu’en page 8 de la même note, il est indiqué que l’art. 5 LaCP définit les compétences du département et par délégation de ses offices ou services. Il ne peut toutefois pas en être déduit que la recourante aurait voulu manifestement cacher au département que le SAPEM ne pouvait se voir déléguer la compétence prévue à l’art. 5 al. 1 let. d LaCP. En effet, l’article de loi, tel que reproduit, ne faisant pas même mention de la délégation, aurait plutôt dû alerter le chef du département sur l’ampleur de ses compétences.

De surcroît, le texte intégral de l’art. 5 LaCP était aisément accessible.

Enfin, la note litigieuse indiquait compléter deux documents préalables, respectivement des 10 septembre 2012 et 6 mars 2013 adressés au département. Si le premier a été versé à la présente procédure, le deuxième n’a pas été produit par les parties malgré la demande expresse de la chambre de céans. Il peut toutefois être compréhensible que la recourante, qui ne travaille plus au SAPEM, ne soit pas en possession de la pièce concernée. Il sera en conséquence statué sans ce document, lequel n’est cependant pas de nature à modifier l’issue de la présente procédure.

Le grief fait à l’encontre de la recourante d’avoir adressé au chef du département une note incomplète n’est pas fondé.

16) Le Conseil d’État relève que Mme Q______, entendue en qualité de témoin, était défavorable à l’exception de l’art. 5 al. 1 let. d LaCP. L’intimé semble en déduire que le SAPEM souhaitait conserver par-devers lui cette compétence.

Cette interprétation sort les propos de la précitée de son contexte. Il ressort du témoignage de Mme Q______, fait le 9 septembre 2014 à l’enquêteur LADOR, que celle-ci avait toujours considéré, jusqu’au 1er rapport ZIEGLER du 8 octobre 2013, que la compétence pour octroyer un allégement de l’exécution de la peine et ainsi trancher la question de la dangerosité appartenait au SAPEM. Ce n’était que depuis le moratoire mis en place le lendemain des événements du 12 septembre 2013, à savoir la suspension de toutes les sorties, que tous les préavis concernant les infractions prévues à l’art. 64 CP lors d’éventuels allégements de peines et de mesures étaient soumis au chef du département.

Ce n’est que dans ce contexte que le témoin a précisé que le fait que le système selon lequel le chef du département était compétent ne lui paraissait pas adéquat et retardait l’exécution de décisions parfois de plusieurs mois. La témoin avait illustré son propos par l’exemple d’une place d’apprentissage qui serait disponible immédiatement mais ne pourrait plus l’être à l’issue du processus de prise de décision par le chef du département. Cela pouvait créer une démotivation chez un détenu qui aurait scrupuleusement respecté toute la procédure idoine.

En conséquence, il ne peut être déduit de ce témoignage que Mme Q______ aurait, en 2013, souhaité taire la dérogation de l’art. 5 al. 5 LaCP, et que la recourante aurait été animée de la même intention.

17) Le Conseil d’État reproche à la recourante une mauvaise appréciation de la dangerosité du détenu.

a. En l’espèce, le Conseil d’État procède à une évaluation de la dangerosité, a posteriori, de la situation. Il substitue sa propre appréciation à celle de la recourante. Compte tenu de la délégation implicite dont celle-ci bénéficiait, cette façon de faire ne peut être suivie.

b. Par ailleurs, et même à considérer que le Conseil d’État puisse, comme il y a procédé, évaluer la dangerosité de M. C______ au vu des éléments du dossier, l’appréciation de l’intimé s’écarte, en tous points, de celle effectuée, à l’époque, par tous les témoins entendus dans le cadre de l’enquête administrative.

- Le Dr L______ a attesté qu’au cas où un élément alarmant serait ressorti de ses entretiens avec le détenu, il en aurait avisé le SAPEM. En cas d’événement de nature imminente, il aurait aussi avisé la direction de la Pâquerette. Il n’avait rien observé d’alarmant à court terme concernant l’éventuelle dangerosité du détenu. Celui-ci n’avait jamais évoqué de fantasmes liés à des viols ou des meurtres, bien qu’il lui ait raconté les viols pour lesquels il avait été condamné en France. Le psychiatre n’avait pas eu d’objection avec le programme de sorties accompagnées, compte tenu de la perspective d’une possible libération conditionnelle en 2015.

- De même, Monsieur T______, adjoint de la direction de la Pâquerette au moment des faits, a indiqué que la dangerosité était évaluée quotidiennement. Si un élément de dangerosité était apparu, le préavis de sorties accompagnées aurait été négatif. Il était possible de revenir en arrière en tout temps. Du point de vue de la dangerosité, il n’y avait rien de particulier qui l’ait alarmé chez le détenu, même le matin du 12 septembre 2013. Si le matin même, le personnel de la Pâquerette avait eu un doute sur cette question, il aurait renoncé à la sortie accompagnée. À aucun moment, il n’y avait eu un indice de dangerosité avéré de la part du détenu. Si la question de la dangerosité ne ressortait pas des rapports, cela signifiait qu’elle avait été implicitement examinée et écartée.

- Mme Q______ n’avait aucun doute sur le fait que le détenu ne présentait pas de dangerosité. Elle a confirmé qu’au moment de prendre la décision d’autoriser les sorties du détenu, Mme A______ n’avait pas non plus de doute sur la question de la dangerosité. Le témoin avait rédigé la décision, sur instruction de Mme A______. Le SAPEM avait attendu le rapport du Dr L______ avant de prendre sa décision, même si le SAPEM avait un préavis favorable.

- M. P______ a confirmé que si lui-même ou Mme A______ avaient eu un doute sur la dangerosité du détenu, tant l’un que l’autre auraient refusé la sortie. Les rapports des établissements, ceux des éventuels thérapeutes, des rencontres communes et le suivi régulier permettaient de ne pas avoir de doute sur la décision qu’ils prenaient. « Nous étions catégoriques ». Les sorties accompagnées étaient particulièrement importantes pour les détenus qui faisaient l’objet d’une peine en comparaison de ceux bénéficiant d’une mesure. La Pâquerette offrait un élément sécuritaire supplémentaire. Les EPO auraient proposé deux sorties, alors que grâce à la Pâquerette le détenu était « mieux préparé et sa progression plus douce ».

- Sur ce point, Mme I______ a précisé que les détenus ne bénéficiaient pas de congés au sein de la Pâquerette. Seules des sorties, d’abord entièrement, puis partiellement accompagnées, étaient organisées. Elles constituaient un véritable entraînement progressif à la vie hors de prison dans un environnement contrôlé, en vue d’un transfert d’un détenu dans un régime de travail externe. Ceci expliquait les raisons pour lesquelles il était possible à la Pâquerette d’organiser beaucoup plus de sorties qu’aux EPO.

Elle avait dû autoriser environ deux mille sorties entièrement ou partiellement accompagnées pendant son activité de directrice de la Pâquerette.

Elle a précisé qu’elle croyait se souvenir d’une conversation avec Mme A______ au cours de laquelle le complément d’expertise avait été abordé. De l’avis de la directrice de la Pâquerette, celui-ci devrait être requis avant tout passage à du temps sans accompagnement durant les sorties à l’extérieur de la prison. Pour la plupart des détenus qui s’étaient trouvés à la Pâquerette et qui avaient bénéficié d’un programme progressif de sorties accompagnées suite à l’accord de l’autorité compétente, qu’ils aient été sous l’autorité du SAPEM ou sous celle d’une autre autorité concordataire, il n’y avait pas eu d’expertise psychiatrique avant le démarrage d’un programme progressif de sorties accompagnées. En revanche, une expertise psychiatrique intervenait presque toujours avant le passage à du temps sans accompagnement dans les sorties ou à un passage en régime de travail externe.

De manière générale, le SAPEM n’était pas informé de la nature des achats autorisés pendant une sortie. Il était d’usage qu’après l’accord d’un service placeur concernant la mise en place d’un programme progressif de sorties accompagnées, l’organisation d’achats, d’activités diverses, de stages de formations ou professionnels, de rendez-vous thérapeutiques, etc., relevaient de la Pâquerette.

- Monsieur U______, secrétaire général des HUG, a témoigné n’avoir jamais entendu de critiques à propos de la sécurité à la Pâquerette, ni du Procureur général, ni des chefs des départements de la sécurité ou de la santé publique. Il n’avait de même jamais entendu de critiques sur les sorties accompagnées depuis leur reprise en 2003, suite à un arrêt du Tribunal administratif, devenu depuis la chambre administrative. Les modalités de sorties accompagnées étaient exclusivement de la responsabilité de la direction de la Pâquerette.

- Le rapport CHAPPUIS retient d’ailleurs que « contrairement à ce qui a pu être affirmé ça et là (notamment 1er rapport ZIEGLER) le détenu n’a pas donné, dans les temps qui ont précédé la première sortie de signes clairs et alarmants qui auraient été susceptibles de remettre en cause la sortie planifiée ( ). Il n’avait jamais fait preuve d’un comportement violent ( ). Tous les intervenants des EPO s’accordent à dire que le détenu présente un comportement adéquat à leur égard, se montrant toujours poli et d’humeur joviale. De manière générale, les observations et commentaires des sociothérapeutes de la Pâquerette auditionnés furent de la même teneur ».

Il a de même retenu que le cadre de la sortie du détenu avait été annoncé de façon lacunaire au SAPEM.

c. De surcroît, les qualités professionnelles de Mme A______ ont été, unanimement, relevées par tous les témoins entendus dans le cadre de l’enquête administrative.

Tous les témoins entendus ont décrit la recourante comme une personne rigoureuse, sérieuse et indépendante. Dotée d’une très grande mémoire et d’une forte capacité de travail, elle avait une excellente connaissance, approfondie, de tous ses dossiers, de la matière et des personnes concernées. Le terme « impressionnant » est même souvent utilisé par les témoins pour les qualités précitées. Le directeur de la prison de Champ-Dollon précise ne l’avoir jamais prise en défaut d’information.

Tous les témoins entendus, à la demande des deux parties, soulignent le souci permanent de la sécurité publique de la recourante. L’un précise que l’intéressée n’avait jamais négligé cette question, même en raison de la surpopulation carcérale, malgré de multiples pressions extérieures et parlementaires.

La recourante est décrite comme respectueuse de la hiérarchie, des lois et des directives applicables. Elle consacrait beaucoup de temps lors des discussions à propos des situations difficiles et cherchait chaque fois la meilleure des solutions sans se reposer sur ses acquis. Lors des réunions avec le chef du département, elle exposait régulièrement les difficultés au sein de son service, se montrant très transparente.

Les témoins qui, dans le cadre de leurs fonctions, avaient eu l’occasion d’avoir des contacts avec d’autres responsables romands en matière d’exécution de peines ont confirmé que les qualités de la recourante étaient reconnues non seulement à Genève mais dans les autres cantons avec qui elle avait collaboré.

18) Sur la même problématique de l’évaluation de la dangerosité, le Conseil d’État reproche à la recourante de s’être écartée du PES arrêté en juillet 2012, sans motif convaincant.

a. Selon l'art. 75 CP, l'exécution de la peine privative de liberté doit améliorer le comportement social du détenu, en particulier son aptitude à vivre sans commettre d'infractions. Elle doit correspondre autant que possible à des conditions de vie ordinaires, assurer au détenu l'assistance nécessaire, combattre les effets nocifs de la privation de liberté et tenir compte de manière adéquate du besoin de protection de la collectivité, du personnel et des codétenus (al. 1). Le règlement de l'établissement prévoit qu'un plan d'exécution est établi avec le détenu. Le plan porte notamment sur l'assistance offerte, sur la possibilité de travailler et d'acquérir une formation ou un perfectionnement, sur la réparation du dommage, sur les relations avec le monde extérieur et sur la préparation de la libération (al. 3).

À teneur de l'art. 18 du concordat sur l’exécution des peines privatives de liberté et des mesures concernant les adultes et les jeunes adultes dans les cantons latin du 10 avril 2006 (CLDPA - E 4 55), dans le but de développer le comportement social de la personne détenue, tout en protégeant la collectivité publique, un PES et un plan de traitement pour l'exécution de la mesure sont établis, sous réserve des dispositions sur l'internement à vie (al. 1). La Conférence fixe les conditions et les modalités d'application (al. 2).

Selon l'art. 3 de la recommandation du 25 septembre 2008 relative aux conditions et aux modalités d’application du plan d’exécution de la sanction pénale en force ou subie à titre anticipé (disponible en ligne à l'adresse http://cldjp.ch/data/actes/rec2-fr.pdf, ci-après : RPES), la direction de l’établissement établit un plan, après l’entrée de la personne détenue dont un séjour de six mois au moins est prévisible. Pour la semi-détention, et pour les peines en principe jusqu’à six mois, un plan simplifié est prévu (al. 1). En règle générale, l’établissement établit ce plan dans un délai de six semaines (al. 3). Dans tous les cas, la personne détenue doit participer ou être incitée à collaborer à la mise en place de ce plan (al. 4).

Selon l’al. 4 RPES, « ce plan est actualisé selon les besoins et les circonstances, par l’établissement ou par l’autorité de placement ou par celle désignée par le canton ou sur demande écrite motivée de la personne détenue. En cas de transfert, il suit cette dernière ».

Les considérants précisent que « ces modalités ne sont pas des décisions. Elles sont appelées à être actualisées ou modifiées, en fonction des circonstances et des différentes étapes que la personne détenue franchit progressivement. Ce plan est élaboré par l’établissement avec la participation de la personne condamnée concernée ou avec son représentant légal, dans un délai relativement court, sur la base de la planification de l’exécution de la sanction pénale ou de l’exécution anticipée arrêtée par l’autorité de placement. Il est soumis à l’approbation des autorités précitées de placement, respectivement de celles désignées par le canton. Il est actualisé selon les besoins et les circonstances. Ce système existait déjà dans les précédentes dispositions concordataires, mais sous une forme quelque peu différente. Ce plan porte notamment sur l’assistance et/ou les mesures d’encadrement offertes, la possibilité de travailler et d’acquérir une formation ou un perfectionnement, la réparation du dommage, les relations avec le monde extérieur, la préparation à la libération et le retour au pays. ».

b. En l’espèce, l’aspect évolutif du PES est déjà confirmé par la recommandation émise par la CLDJP.

c. L’intimé estime que dans le cas du détenu les conditions n’étaient pas remplies pour modifier le PES, singulièrement sur la question de pouvoir se priver, ou non, d’un complément d’expertise et du passage à la CED en août 2013.

L’intimé substitue toutefois, à l’instar de l’examen de la dangerosité susmentionné, sa propre appréciation à celle de la recourante. Or, les témoins entendus ont confirmé tant l’aspect évolutif du PES que l’existence de faits nouveaux à même de nécessiter une adaptation du PES de l’intéressé.

Ainsi, M. T______ a confirmé qu’une expertise aurait finalement eu peu d’importance sur la question de la sortie, dès lors que le détenu avait été condamné à une peine de détention et que, de toute façon, il sortirait. Il savait qu’une expertise complémentaire allait être mise en œuvre après les premières sorties accompagnées. Il a précisé qu’il était important que ce rapport puisse tenir compte de l’évolution du détenu, en particulier dans le cadre d’une sortie accompagnée. Mme K______ a précisé qu’un PES était une sorte de feuille de route, constamment évolutive en fonction de l’évolution de la personne concernée. Mme Q______ a indiqué qu’un PES ne devait pas être figé, mais au contraire devait pouvoir évoluer en fonction de la situation du détenu. S’agissant de M. C______, la décision de mettre en œuvre une expertise complémentaire avait été différée pour pouvoir obtenir des éléments plus pertinents suite à ses premières sorties. M. P______ a affirmé que le PES était un document évolutif qui devait être adapté en fonction des différentes phases qu’il prévoyait et de l’évolution de la personne et devait être revu au moins une fois par an. Mme I______ a témoigné que le PES devait s’adapter à l’évolution, bonne ou mauvaise, des détenus et comporter différentes phases.

La recourante a précisé en audience, sans être contredite, que le PES avait été élaboré en 2009 et validé à cette date par l’autorité d’exécution. Il avait fait l’objet de plusieurs adaptations, deux fois en 2010, en décembre 2011, puis en 2012. Toutes ces modifications avaient été validées par le SAPEM. Les validations antérieures prenaient la forme d’échanges de courriels ou de lettres. L’aspect un peu plus formel de la validation de juillet 2012 était liée au fait que les EPO avaient terminé le travail d’évaluation de la personne et que les autorités étaient en possession de l’expertise psychiatrique de 2011.

d. En conséquence, il ressort des enquêtes que la décision prise par Mme A______ de faire évoluer le PES n’était pas exclue par la législation en vigueur et que sa décision de repousser le complément d’expertise psychiatrique après les sorties accompagnées afin de compléter le PES avant toute sortie, seul, du détenu s’avérait compatible avec la situation de ce dernier, sur la base notamment du comportement de celui-ci au sein de la Pâquerette depuis plusieurs mois.

19) Dans ce contexte d’évolution du PES, les parties s’opposent sur la portée à donner à l’arrêt de la chambre pénale d’appel et de révision du 14 juillet 2014 (AARP/344/2014).

Toutefois, compte tenu de ce qui précède, la chambre administrative peut s’abstenir de trancher cette question, non déterminante.

20) Dans le même contexte d’évolution du PES, les parties s’opposent sur la portée à donner au rapport du Dr L______ du 25 juin 2013.

a. Selon la recourante, il n’était pas nécessaire de solliciter le complément d’expertise psychiatrique, l’art. 62d al. 2 CP n’étant qu’un cas particulier de l’al. 1 qui ne visait, conformément à la note marginale, que l’examen de la libération conditionnelle de l’exécution de la mesure ou la levée de celle-ci. Or, M. C______ ne relevait pas de cette disposition.

b. Selon l’intimé, le Dr L______ avait relevé que la question de la dangerosité à moyen ou à long terme était nécessairement du ressort d’un expert. La recourante n’avait d’ailleurs pas contesté ce fait puisqu’elle avait elle-même déclaré que « les médecins psychiatres traitants ne parlent jamais de la dangerosité ». Le Dr L______ n’avait pas connaissance des expertises médicales effectuées en 2002. La recourante ne pouvait en conséquence pas considérer que dans sa requête du 19 avril 2013 la Pâquerette avait écarté la dangerosité du détenu, dans la mesure où ladite requête ne se prononçait pas sur cette question et que l’établissement précité n’était pas en possession de l’intégralité du dossier de M. C______, contrairement à la recourante.

c. Il est exact que le détenu ne relevait pas de l’art. 62d al. 2 CP, dès lors qu’aucune mesure n’avait été prononcée à son encontre. Par ailleurs, il ressort des enquêtes que le médecin traitant du détenu ne se prononçait jamais sur la dangerosité de son patient, ce que tant la directrice de la Pâquerette que la recourante savaient. À l’inverse, le fait que le médecin traitant évoque la possibilité de sorties donnait un indice supplémentaire d’appréciation en faveur de la faisabilité de celles-ci, et indirectement d’absence de dangerosité. Le Dr L______ a confirmé que, si un indice permettant d’envisager un danger avait été décelé, la Pâquerette en aurait été informée. En conséquence, si celui-ci avait eu un doute, il n’aurait pas préconisé les sorties, à l’instar de ce qu’il a fait dans son rapport du 25 juin 2013. Le fait que Dr L______ ait évoqué une expertise à moyen ou long terme rejoint la position de la recourante qui envisageait, elle aussi, de procéder à une telle évaluation après les sorties prévues.

En conséquence, la recourante n’a jamais considéré qu’il s’agissait d’une expertise. Par contre, selon ce qu’indique ledit praticien, il était rare que les autorités de placement demandent un rapport médical pour les détenus condamnés à une peine, ce qui démontre le sérieux accordé par la recourante au dossier du détenu. De même, le Dr L______ a confirmé qu’il n’avait pas souvenir, dans sa pratique, d’avoir été amené à considérer qu’une sortie envisagée par la Pâquerette aurait été déraisonnable par rapport aux constatations médicales que son équipe ou lui-même avaient faites. La recourante n’a pas méconnu la portée du rapport du Dr L______.

21) Le fait que la Pâquerette n’ait pas été en possession des expertises médicales de 2002 ne peut être imputé à la recourante. L’existence des expertises de 2002 était connue de la Pâquerette, celles-ci étant citées notamment dans le PES. Par ailleurs, le 1er rapport ZIEGLER mentionne que la direction de la Pâquerette était au courant du « modus operandi » des deux viols. La tenue, par la Pâquerette, de son dossier administratif relève de sa seule responsabilité. Il appartient en effet à l’autorité administrative qui émet un préavis de vérifier si elle est en possession de tous les éléments qu’elle estime pertinents, ce d’autant plus lorsque l’autorité qui préavise ne dépend pas du même département que celle à qui la décision finale incombe. Dans ce cadre, l’art. 9 al. 1 LECO, entré en vigueur le 1er janvier 2014, a concrétisé le principe selon lequel pour l’examen des requêtes dont ils sont saisis, les départements, offices et services se procurent eux-mêmes les documents nécessaires à cette fin directement auprès des départements, offices ou services de l’État qui ont la responsabilité de leur établissement, dans la mesure où lesdits documents ne contiennent pas de données personnelles.

La situation est identique pour le dossier du Dr L______ dont l’existence des documents médicaux de 2002 ne pouvait être ignorée puisqu’il était en possession de l’expertise du 28 mars 2011 qui y faisait référence.

22) Reste à analyser la question de savoir si la recourante a enfreint ses devoirs de service en ne saisissant pas la CED dans le cas du détenu.

a. L’art. 75a al. 1 let. b CP mentionne expressément que l’obligation de soumettre le dossier à la CED intervient si « l’autorité d’exécution ne peut se prononcer d’une manière catégorique sur le caractère dangereux du détenu pour la collectivité ». L’art. 5 al. 1 let. d LaCP reprend la notion de la saisine de la CED qu’en cas de doute. L’art. 4 al. 1 let. c LaCP relatif aux compétences de la CED fait lui aussi mention de la saisine de celle-ci « lorsque l’autorité ne peut se prononcer d’une manière catégorique sur le caractère dangereux pour la collectivité du détenu qui a commis un crime visé à l’art. 64 al. 1 CP ».

L’art. 75a al. 1 let. b CP renvoie à la notion de détenu de l’art. 64 CP, litigieuse entre les parties, notamment à la suite du « malentendu » du législateur genevois (consid. 12d supra).

b. Le SAPEM avait ouvertement expliqué dans sa note du 29 mai 2013 que ce n’était qu’en cas de doute sur la dangerosité de l’intéressé qu’il consultait la CED. Trois pages entières décrivaient l’évaluation de la dangerosité au sein du SAPEM, puis le rôle de la CED. Il y était clairement mentionné les difficultés rencontrées, notamment en matière de disponibilités de ses membres. La note indiquait que l’avis de la CED était obligatoire lorsqu’un allègement de peine était considéré pour une personne internée selon l’art. 64 CP. Suivait la citation de l’art. 75a al. 1 let. b CP, avec la mention que l’avis « peut également être requis » dans les autres cas. Cette note, comme déjà mentionné, n’avait pas suscité de réaction.

L’interprétation de la recourante de l’art. 5 al. 1 let. d LaCP, renvoyant à la définition litigieuse du « détenu qui a commis un crime visé à l’art. 64 al. 1 CP » peut s’avérer erronée. Cette interprétation est toutefois sans conséquence dans la décision d’autorisation de sortie de M. C______, dès lors que celui-ci ne faisait pas l’objet d’une mesure et qu’en l’absence de tout doute sur sa dangerosité, la loi ne faisait pas d’obligation au SAPEM de saisir la CED.

En l’espèce, à tort, mais de façon catégorique et en se fondant sur tous les éléments disponibles y compris sa propre expertise dûment reconnue par son employeur, la recourante était convaincue, à l’instar de tous les professionnels entourant le détenu, de l’absence de dangerosité de celui-ci. En fonction de cette conviction, elle n’a pas saisi la CED, conformément à ce que les art. 75a CP, 4 al. 1 let. c, 5 al. 1 let. d LaCP l’autorisait à décider. Elle n’a en conséquence pas violé à ce titre ses devoirs de service.

23) En l’espèce, le pouvoir d’examen de la chambre administrative doit se limiter à analyser la question de savoir si le Conseil d’État a abusé de ou excédé son pouvoir d’appréciation en sanctionnant la recourante d’une rétrogradation au statut d’employée pour une durée de deux ans (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/1255/2015 précité consid. 7c ; ATA/748/2014 précité consid. 7c ; ATA/452/2013 précité consid. 16 et les références citées).

Conformément aux considérants qui précèdent, l’intimé a retenu à tort que la recourante ne bénéficiait pas d’une délégation de compétences, à tout le moins implicite. De même, il a retenu, contrairement aux pièces du dossier, que la recourante lui avait caché l’exception de l’art. 5 al. 5 LaCP portant sur l’exclusion de la délégation de compétences pour l’évaluation de la dangerosité. Il ressort du dossier que la note du 29 mai 2013 n’était pas destinée à induire en erreur, n’était pas incomplète et n’avait pas suscité de réactions de l’intimé. En conséquence, et contrairement à ce qu’a retenu la décision querellée, la recourante pouvait estimer légitime de se conformer à la pratique admise sans réserve depuis plusieurs années par le DSE. Par ailleurs, tous les témoins entendus, à la demande des deux parties, ont loué les compétences, le professionnalisme, l’indépendance et le souci de la sécurité publique de l’intéressée. Ses compétences sont de surcroît confirmées par l’EEDP de 2011, tout comme par son rôle d’experte dûment reconnu tant par son employeur que sur le plan romand. Les témoins entendus ont confirmé que le PES était un document évolutif et que l’évaluation faite par l’intéressée, de solliciter l’avis du Dr L______ et d’attendre le résultat des sorties accompagnées avant de demander un complément d’expertise, s’avérait compatible avec la situation du détenu, sur la base des circonstances, singulièrement du comportement du détenu aux EPO et à la Pâquerette. Les expertises de 2002 avaient fait l’objet d’une réactualisation, précisément à la demande de Mme A______, en 2011. Les expertises françaises de 2002 ne peuvent être sorties de leur contexte. Quand bien même elles décrivent la personnalité du détenu en détail, elles doivent être lues à l’aune des conclusions du rapport d’expertise du 28 mars 2011, lequel a été rédigé par deux experts, qui ont pu tenir compte de l’évolution du détenu pendant les neuf années de détention et actualiser les constatations tout en tenant compte de celles faites par leurs confrères français à l’époque.

Par ailleurs, M. P______ et Mme I______, notamment, ont confirmé que les modalités de sorties accompagnées étaient du seul ressort de la direction de la Pâquerette.

La décision querellée s’oppose de même aux conclusions détaillées et catégoriques de l’enquêteur mandaté expressément dans le cas de la recourante, lequel, après avoir entendu tous les témoins sollicités par les deux parties, préconisait de renoncer à toute enquête administrative et à toute sanction à l’encontre de celle-ci. En conclusion à son rapport, puis en confirmation à une nouvelle interpellation de l’intimé, il a relevé l’absence de faute de l’intéressée.

À juste titre, aucune des parties n’invoque de contrariété entre les considérations des rapports ZIEGLER sur l’existence ou non d’une faute de Mme A______ et celles du rapport LADOR. Les témoignages recueillis dans le cadre des rapports ZIEGLER ne portaient pas spécifiquement sur l’objet du présent recours, au contraire des témoins, plus nombreux, entendus dans le cadre du rapport LADOR. Pour sa part, le rapport CHAPPUIS avait aussi retenu que, contrairement à ce qui avait été mentionné préalablement notamment dans le 1er rapport ZIEGLER, le détenu n’avait donné aucun signe clair et alarmant susceptible de remettre en cause la sortie planifiée.

En l’espèce, aucune pièce du dossier ne permet de retenir que la recourante aurait violé ses devoirs de service ou qu’elle n’aurait pas apporté tout le soin nécessaire à l’analyse approfondie et détaillée de la situation du détenu avant d’autoriser les sorties accompagnées de celui-ci. Elle avait manifestement acquis la conviction que lesdites sorties pouvaient être autorisées et elle ne nourrissait aucun doute sur l’absence de dangerosité du détenu, à l’instar de toutes les personnes intervenant à ce moment-là dans la situation de l’intéressé. Ces témoignages revêtent un poids important dans l’appréciation des preuves permettant d’établir les faits de la présente procédure. Seules les déclarations de proches de la victime peuvent être prises avec nuance au vu de leur implication émotionnelle. En fonction de cette conviction, la recourante pouvait considérer comme correct de ne pas saisir la CED.Il ne ressort en conséquence nulle part du dossier que l’intéressée aurait adopté, dans le contexte de l’époque, un comportement non conforme à celui que l’intimé était en droit d’attendre de celle-ci en sa qualité d’employeur, ce d’autant plus qu’elle évoluait dans une situation que les nombreuses modifications législatives de 2007 et 2011 et l’absence d’anticipation du canton des difficultés de mise en œuvre de celles-ci ne facilitaient pas. L’appréciation de la dangerosité du détenu, pronostic par définition incertain, faite par la recourante a été erronée, mais non fautive au sens des art. 16 al. 1 LPAC, 20 ss RPAC et 13 CP, compte tenu des éléments dont elle disposait et de la pratique en vigueur, connue et admise par son employeur. La décision qui en a découlé ne peut lui être imputée à faute compte tenu du cadre législatif et règlementaire en vigueur à l’époque et de la pratique administrative en cours au moment des faits.

La présente procédure intervient cependant dans un contexte beaucoup plus large où plusieurs problèmes institutionnels ont été relevés notamment par les rapports de M. ZIEGLER. L’autorisation accordée par la recourante pour la sortie du détenu s’inscrivait dans un système qui présentait manifestement des failles que l’intéressée avait pour partie dûment relevées et dénoncées en temps voulu, ce que le rapport de M. ZIEGLER met aussi en avant, mais qui ne font pas l’objet du présent litige, à l’instar des propositions d’améliorations évoquées dans le second rapport ZIEGLER et pour partie d’ores et déjà mises en œuvre. De nouveaux règlements ont effectivement été adoptés depuis, notamment le règlement sur l'exécution des peines privatives de liberté et des mesures concernant les adultes et les jeunes adultes du 19 mars 2014 (REPPL - E 4 55.05) qui, en son art. 11, définit les compétences du SAPEM ou le règlement concernant l'octroi d'autorisations de sortie aux personnes condamnées adultes et jeunes adultes du 31 octobre 2013 (RASPCA - E 4 55.15).

Enfin, il n’est pas nécessaire d’attendre l’issue des travaux de la commission d’enquête parlementaire instituée par le Grand Conseil. Outre que les rapports ne porteront pas spécifiquement sur la situation de la recourante, la compétence de statuer sur l’éventuelle violation, par la recourante, de ses obligations dans le cadre de ses relations de service avec son employeur est, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs de l’art. 2 al. 2 Cst-GE, de l’exclusive compétence des juridictions administratives.

Compte tenu de ce qui précède, le Conseil d’État a abusé de son pouvoir d’appréciation en considérant que la recourante avait violé ses devoirs de service, au sens des art. 20 ss RPAC et en la sanctionnant. L’arrêté du Conseil d’État doit être annulé, Mme A______ n’ayant pas enfreint ses devoirs de service au sens de l’art. 16 LPAC, quand bien même la décision d’autoriser la sortie du détenu a entraîné des conséquences dramatiques.

24) L’arrêté du Conseil d’État n° 4’892-2015 du 24 juin 2015 violant le droit, le recours sera admis et l’arrêté précité annulé.

Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA) et une indemnité de procédure de CHF 2'000.- sera allouée à la recourante qui y a conclu, à la charge de l’État (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 août 2015 par Madame A______ contre l’arrêté du Conseil d’État n° 4’892-2015 du 24 juin 2015 ;

 

au fond :

l’admet ;

annule l’arrêté du Conseil d’État n° 4’892-2015 du 24 juin 2015 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 2’000.- à Madame A______ à la charge de l’État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral :

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Robert Assaël, avocat de la recourante, ainsi qu'au Conseil d'État.

Siégeants : M. Verniory, président, MM. Thélin et Dumartheray, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. Mazza

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :