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Décisions | Chambre civile

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C/8058/2024

ACJC/1360/2024 du 31.10.2024 sur OTPI/474/2024 ( SDF ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/8058/2024 ACJC/1360/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 31 OCTOBRE 2024

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ [GE], appelant d'une ordonnance rendue le 23 juillet 2024 par la 4ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton, représenté par Me Manuel BOLIVAR, avocat, BOLIVAR BATOU & BOBILLIER, rue des Pâquis 35, 1201 Genève,

et

Madame B______, domiciliée ______ [GE], intimée, représentée par Me Olivier PETER, avocat, PETER MOREAU SA, rue des Pavillons 17, case postale 90, 1211 Genève 4.

 

 


EN FAIT

A. Par ordonnance OTPI/474/2024 du 23 juillet 2024, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal), statuant sur mesures provisionnelles, a attribué à B______ la jouissance exclusive du logement conjugal, sis no. ______ avenue 1______, [code postal] C______ [GE], et du mobilier qui le garnit (chiffre 1 du dispositif), ordonné en conséquence à A______ de quitter immédiatement le domicile conjugal, sous menace de la peine prévue par l’art. 292 CP, dont la teneur a été rappelée (ch. 2), rejeté la requête de mesures provisionnelles pour le surplus (ch. 3), renvoyé la décision sur les frais à la décision finale (ch. 4) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).

S'agissant des chiffres 1 et 2 du dispositif, seuls contestés en appel, le Tribunal a retenu en substance que bien que A______ était plus âgé que son épouse et déjà à la retraite, sa situation financière était largement plus favorable, puisqu'il était de nationalité suisse et vivait en Suisse depuis de nombreuses années, occupait par ailleurs encore la fonction de ______ au sein de la Ville de C______, de sorte qu’il paraissait davantage en mesure que B______ de trouver rapidement un nouveau logement, même temporaire.

B. a. Par acte du 12 août 2024, A______ a formé appel contre cette ordonnance, concluant à l'annulation des chiffres 1 et 2 de son dispositif, et cela fait, au déboutement de B______ de l'ensemble de ses conclusions sur mesures provisionnelles, subsidiairement au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision.

Il a produit des pièces nouvelles, soit quatre attestations d'août 2024 émanant de personnes proches (oncles et amis, pièces 3 à 6).

b. Par arrêt présidentiel du 10 septembre 2024, la Cour de justice (ci-après : la Cour), a rejeté la requête formée par A______ tendant à suspendre le caractère exécutoire des chiffres 1 et 2 du dispositif de l'ordonnance entreprise et dit qu'il serait statué sur les frais dans l'arrêt rendu sur le fond.

c. Dans sa réponse du 9 septembre 2024, B______ a conclu à la confirmation de l'ordonnance attaquée, sous suite de frais judiciaires et dépens.

Elle a produit des pièces nouvelles, soit un rapport médical de l'Unité D______ du
9 septembre 2024 (pièce 3), une attestation de [l'association] E______ du 22 août 2024 (pièce 4), et des photographies de l'appartement familial (pièce 5). Elle a également produit la réponse de A______ à la requête de mesures protectrices (pièce 2), celui-ci ne s'opposant pas à la séparation mais sollicitant la garde des enfants et l'attribution du domicile familial.

d. Le 23 septembre 2024, A______ a répliqué spontanément.

e. Les parties ont été informées par courrier du greffe de la Cour du
14 octobre 2024 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier.

a.      B______, née le ______ 1977 à F______ (Burkina Faso), de nationalité burkinabé, et A______, né le ______ 1953 à G______ (Burkina Faso), de nationalité suisse, se sont mariés le ______ 1996 à H______ au Burkina Faso.

Les parties ont eu quatre enfants, tous nés à Genève, soit I______, née le ______ 1999, J______, née le ______ 2002, K______, né le ______ 2008 et L______, née le ______ 2010.

b.      Par acte expédié au greffe du Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) le 8 avril 2024, B______ a formé une requête de mesures protectrices de l’union conjugale, avec requête de mesures provisionnelles, dans laquelle elle a conclu, sur mesures provisionnelles, s'agissant des points contestés en appel, à ce que le Tribunal lui attribue la jouissance exclusive du logement conjugal et du mobilier qui le garnit, ordonne à A______ de quitter immédiatement le logement conjugal, sous la menace de la peine prévue à l’art. 292 CP et l'autorise à recourir à la force publique en vue de l’exécution de l’évacuation de A______ du domicile conjugal.

A l’appui de sa requête, B______ a allégué en substance être victime de violences conjugales depuis le début du mariage et avoir toujours été sous l’emprise et le contrôle total de son époux, qui lui interdisait de sortir de la maison sauf pour faire les courses ou d’avoir des contacts en dehors de la maison. Outre des insultes et des comportements dénigrants en permanence, A______ l’avait contrainte, pendant des années, à dormir recroquevillée sur un coin du canapé du salon et lui interdisait d’accéder à certaines pièces de l’appartement, fermées à clé. Il avait par ailleurs accumulé un très grand nombre d’objets dans l’appartement, rendant les conditions de vie de la famille insupportables, une des chambres de l’appartement étant notamment complétement envahie de cartons, de meubles et d’objets stockés par son époux, de sorte qu’elle était inutilisable. Depuis avril 2023, elle dormait dans la chambre de K______ et L______ sur un matelas de fortune à même le sol et avait interdiction d’entrer dans le salon lorsque son époux était présent. Les enfants étaient également victimes de violence et d’insultes de la part de leur père.

A l’appui de ses allégués, B______ a produit une attestation du Service des affaires sociales de la Ville de C______, indiquant suivre la famille et soutenir la précitée depuis 2017, tant pour l’aspect psycho-social en lien avec les violences subies par son époux que pour des démarches liées à des recherches d’emploi, et des démarches administratives qu’elle ne pouvait effectuer car son époux ne lui transmettait pas les informations nécessaires ou refusait de signer certains formulaires. Elle a également produit des photographies de l’appartement conjugal montrant une multitude d’objets entassés dans celui-ci, un matelas sommaire sur lequel elle allègue dormir et le salon occupé par son époux et dont l’accès lui serait interdit.

Sur mesures protectrices, B______ a pris des conclusions relatives aux enfants mineurs du couple (notamment autorité parentale, garde, contributions d'entretien).

c.       Lors de l’audience de comparution personnelle des parties sur mesures provisionnelles du 5 juin 2024, B______ a persisté dans ses conclusions, s'agissant des points contestés en appel.

A______ a quant à lui contesté les actes de violence allégués par son épouse et conclu au rejet des mesures provisionnelles.

Il a pour le surplus exposé en substance que c’était son épouse qui avait décidé de dormir sur un matelas dans la chambre des enfants, qu’il ne fermait le salon à clé que de temps en temps et que les objets entassés dans l’appartement ne lui appartenaient pas exclusivement mais qu’il s’agissait des affaires de toute la famille.

A l'issue de l'audience, le Tribunal a gardé la cause à juger sur mesures provisionnelles et, sur mesures protectrices, a notamment ordonné l'établissement d'un rapport par le service d'évaluation et d'accompagnement de la séparation parentale (ci‑après : SEASP), avec audition des enfants mineurs.

d.      Sur le plan professionnel, B______ a expliqué travailler comme aide à domicile chez un couple âgé, de 11h à 20h avec deux heures de pause,
20 jours par mois, ce qui lui permet de réaliser des revenus de l’ordre de
3'300 fr. nets par mois en moyenne.

A______ est à la retraite. Selon une attestation de l’OCAS datée du
3 juin 2024 qu’il a produite, il perçoit une rente de vieillesse de 3'921 fr. par mois. Il perçoit également une rente LPP de 2'311 fr. 20 par mois, ainsi que des jetons de présence et indemnités de l’ordre de 76 fr. par mois en moyenne pour son poste de ______.

e.    Dans les diverses attestations produites par A______, celui-ci est décrit comme un bon père de famille, non violent, respecté de tous.

f.     Dans le rapport de suivi ambulatoire de l'Unité D______ du 9 septembre 2024, il est fait état du trouble de stress post-traumatique complexe avec des symptômes anxio-dépressifs de B______, lequel est compatible avec les violences alléguées. L'état clinique actuel et l'impact des violences subies encore présent chez la précitée justifient la poursuite d'une prise en charge psychothérapeutique spécialisée, la patiente ayant déjà été vue à 60 reprises, en quatre période distinctes, son suivi étant régulier depuis juillet 2023.

Selon l'attestation de [l'association] E______ du 22 août 2024, B______ est suivie régulièrement depuis octobre 2023. Elle allègue être exposée depuis 1997 au dénigrement, à l'humiliation et aux contrôles coercitifs de son mari, ce qui l'a conduite à perdre progressivement son estime d'elle-même et sa confiance en elle. Les symptômes de stress post-traumatique semblent augmenter dans le contexte de la séparation, la précitée craignant les représailles de son mari.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel contre l'ordonnance de mesures provisionnelles du 23 juillet 2024 a été déposé dans les formes et délais légaux de sorte qu'il est recevable (art. 308
al. 1 let. b et al. 2 et 314 CPC).

1.2 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen
(art. 310 CPC).

La présente cause est soumise aux maximes d'office et inquisitoire illimitée en tant qu'elle concerne la situation des enfants mineurs (art. 296 al. 1 et 3 CPC;
ATF
147 III 301 consid. 2.2). La Cour n'est donc pas liée par les conclusions des parties, ni par l'interdiction de la reformatio in pejus (ATF 129 III 417
consid. 2.1.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_841/2018, 5A_843/2018 du
12 février 2020 consid. 5.2).

Les mesures provisionnelles étant soumises à la procédure sommaire au sens propre (art. 248 let. d CPC), la cognition de la Cour est limitée à la simple vraisemblance des faits et à un examen sommaire du droit, l'exigence de célérité étant privilégiée par rapport à celle de sécurité (ATF 127 III 474 consid. 2b/bb, in JT 2002 I 352; arrêt du Tribunal fédéral 5A_12/2013 du 8 mars 2013 consid. 2.2).

2. Les parties ont allégué des faits nouveaux et produit des pièces nouvelles.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne
sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).

Des pièces ne sont pas recevables en appel pour la seule raison qu'elles ont été émises postérieurement à l'audience de première instance. La question à laquelle il faut répondre pour déterminer si la condition de l'art. 317 al. 1 CPC est remplie est de savoir si le moyen de preuve n'aurait pas pu être obtenu avant la clôture des débats principaux de première instance (arrêt du Tribunal fédéral 5A_266/2015 du 24 juin 2015 consid. 3.2.2).

Lorsque la procédure est soumise à la maxime inquisitoire illimitée, les parties peuvent présenter des novas en appel même si les conditions de l'art. 317
al. 1 CPC ne sont pas réunies (ATF 144 III 349 consid. 4.2.1).

2.2 En l'espèce, les pièces nouvelles produites en appel concernent la situation des parties et indirectement celle des enfants mineures, de sorte qu'elles sont recevables.

3. L'appelant fait grief au Tribunal d'avoir prononcé des mesures provisionnelles. Il soutient que les conditions d'octroi de telles mesures ne seraient pas réalisées, en particulier l'urgence, et que l'intimée n'aurait pas rendu vraisemblables les violences conjugales et le climat d'emprise et de dénigrement.

3.1.1 Des mesures provisionnelles peuvent valablement être prononcées dans le cadre d'une procédure de mesures protectrices de l'union conjugale, notamment lorsque cette procédure risque de se prolonger (ACJC/1415/2022 du
21 octobre 2022 consid. 1.3; ACJC/474/2016 du 8 avril 2016 consid. 2.1; ACJC/1237/2015 du 16 octobre 2015 consid. 3.3.1; ACJC/395/2015 du 27 mars 2015 consid. 3.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_870/2013 du 28 octobre 2014 consid. 5). De telles mesures ne peuvent toutefois être ordonnées que pour autant que les conditions posées par l'art. 261 CPC soient réunies (ACJC/154/2014 du
7 février 2014 consid. 4).

Selon l'art. 261 al. 1 CPC, le tribunal ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable, d'une part, qu'une prétention dont il est titulaire est l'objet d'une atteinte ou risque de l'être (let. a) et,
d'autre part, que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (let. b).

3.1.2 Si les époux ne parviennent pas à s'entendre au sujet de la jouissance du domicile conjugal, l'art. 176 al. 1 ch. 2 CC prévoit que le juge l'attribue provisoirement à l'une des parties en faisant usage de son pouvoir d'appréciation. Il doit procéder à une pesée des intérêts en présence, de façon à prononcer la mesure la plus adéquate au vu des circonstances concrètes (arrêt du Tribunal fédéral 5A_768/2019 du 31 mars 2022 consid. 5.2).

En premier lieu, le juge doit examiner à quel époux le domicile conjugal est le plus utile, ce qui conduit à attribuer le logement à celui des époux qui en tirera objectivement le plus grand bénéfice, au vu de ses besoins concrets, étant précisé à cet égard qu'entrent notamment en considération l'intérêt des enfants, confiés au parent qui réclame l'attribution du logement, à pouvoir demeurer dans l'environnement qui leur est familier. Si ce premier critère de l'utilité ne donne pas de résultat clair, le juge doit, en second lieu, examiner à quel époux on peut le plus raisonnablement imposer de déménager, compte tenu de toutes les circonstances (état de santé, âge avancé, lien étroit). Si ce second critère ne donne pas non plus de résultat clair, le juge doit alors tenir compte du statut juridique de l'immeuble et l'attribuer à celui des époux qui en est le propriétaire ou qui bénéficie d'autres droits d'usage sur celui-ci (ATF 120 II 1 consid. 2c; arrêt du Tribunal fédéral 5A_768/2019 du 31 mars 2022 consid. 5.2). Le bien de l'enfant est un critère prioritaire (arrêt du Tribunal fédéral 5A_188/2018 du 1er mars 2018 consid. 4).

3.2 En l'espèce, contrairement à ce que tente de soutenir l'appelant, c'est à bon droit que le Tribunal est entré en matière sur la requête de mesures provisionnelles. En effet, tout d'abord, il ne pourra être statué rapidement sur la requête de mesures protectrices, un rapport ayant été sollicité du SEASP, dont le rendu n'interviendra pas avant plusieurs semaines, voire mois. Ensuite, ça n'est pas parce que la situation décrite par l'intimée dure depuis de nombreuses années, selon ce qu'elle allègue, que l'urgence à statuer n'est pas réalisée. Au contraire, les violences physiques et psychologiques alléguées sont rendues vraisemblables, et les attestations produites par l'appelant, émanant de personnes proches pour les besoins de la cause, et dont la valeur probante est partant sujette à caution, ne permettent pas de retenir autre chose. Il est d'autant plus urgent de mettre l'intimée à l'abri de ces violences et des pressions de l'appelant que celles-ci durent depuis longtemps, afin d'éviter que la santé de celle-ci ne se péjore davantage. Les attestations produites par l'intimée rendent vraisemblable la nécessité d'une intervention rapide.

Au surplus, la Cour fera siens les autres motifs retenus par le Tribunal pour décider de l'attribution du domicile à l'intimée, lesquels ne souffrent pas la critique.

L'appel sera rejeté et l'ordonnance entreprise confirmée.

4. L'appelant, qui succombe entièrement, sera condamné aux frais de la procédure, arrêtés à 1'000 fr., compensés avec l'avance fournie, acquise à l'Etat de Genève.

Il sera en outre condamné à verser à l'intimée 1'000 fr. à titre de dépens d'appel.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 12 août 2024 par A______ contre l'ordonnance OTPI/474/2024 rendue le 23 juillet 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/8058/2024.

Au fond :

Le rejette.

Confirme cette ordonnance.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais d'appel à 1'000 fr., les met à la charge de A______, dit qu'ils sont compensés avec l'avance fournie, acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ à verser à B______ 1'000 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD,
Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.

Le président :

Cédric-Laurent MICHEL

 

La greffière :

Sandra CARRIER

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.