Décisions | Sommaires
ACJC/1413/2025 du 13.10.2025 sur JTPI/6952/2025 ( SFC ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
| POUVOIR JUDICIAIRE C/7492/2025 ACJC/1413/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU LUNDI 13 OCTOBRE 2025 | ||
Entre
A______ SA, sise ______, recourante contre un jugement rendu par le Tribunal de première instance de ce canton le 5 juin 2025, représentée par Me David BITTON, avocat, Monfrini Bitton Klein, place du Molard 3, 1204 Genève,
et
B______ SA, sise ______, intimée, représentée par Me Guerric CANONICA, avocat, Canonica Valticos Carnicé & Ass., rue de la Synagogue 31, case postale 214,
1211 Genève 8.
A. Par jugement JTPI/6952/2025 du 5 juin 2025, expédié pour notification aux parties le 11 juin 2025, le Tribunal de première instance a rejeté la requête de faillite sans poursuite préalable formée par A______ SA à l’encontre de B______ SA (ch. 1), arrêté les frais judiciaires à 500 fr., compensés avec l’avance opérée, et laissés à la charge de A______ SA (ch. 2), condamnée en outre à verser à B______ SA 600 fr. à titre de dépens (ch. 3), et débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 4).
Il a considéré que A______ SA avait rendu vraisemblable une créance d’au moins 2’500 fr. envers B______ SA, laquelle était en situation de défaut de paiement. Celle-ci avait cependant rendu vraisemblable sa libération en raison de la compensation qu’elle avait invoquée à concurrence de 750'000 fr. Ce montant correspondait à 25% du bénéfice d’une promotion, dû au titre de rémunération, sur la base d’une convention de partenariat portant sur le développement et la réalisation d’un projet de construction d’habitats groupés (parcelles 2______, 3______ et 4______ de la commune de C______ [GE]), signée par les parties, le 2 novembre 2017 et ultérieurement dénoncée par A______ SA le 1er mai 2019. B______ SA faisait valoir cette créance contre A______ SA dans le cadre de la procédure C/1______/2021 pendante devant le Tribunal.
B. Le 23 juin 2025 A______ SA a formé recours contre ce jugement. Elle a conclu à la Cour de justice à l’annulation de celui-ci, cela fait au prononcé de la faillite sans poursuite préalable de B______ SA, sous suite de frais et dépens. Elle a produit des pièces nouvelles.
B______ SA a conclu au rejet du recours, sous suite de frais et dépens. Elle a produit une pièce nouvelle.
Les parties se sont encore déterminées, persistant dans leurs conclusions respectives.
Par avis du 5 septembre 2025, elles ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.
C. Il résulte de la procédure les faits pertinents suivants :
a. A______ SA est une société anonyme inscrite au Registre du commerce genevois, qui a pour but l’étude et la réalisation d’opérations immobilières.
B______ SA est une société anonyme inscrite au Registre du commerce genevois, qui a pour but toute activité dans le domaine immobilier.
b. Selon un extrait de l’Office cantonal des poursuites de février 2025, B______ SA fait l’objet d’avis de saisie pour un montant de l’ordre de 75'000 fr. En résulte également des poursuites de créanciers de droit public pour un montant de l’ordre de 490'000 fr. (commandements de payer frappés d’oppositions), et des actes de défaut de biens pour un montant supérieur à 60'000 fr.
c. En avril 2018, A______ SA a remis des locaux à bail à B______ SA, moyennant un loyer de 2'500 fr. par mois.
En raison de la fin du bail, les locaux devaient être restitués au 30 avril 2021. Selon A______ SA, le loyer d’avril 2021 est demeuré impayé, et les loyers de mai et juin 2021 demeuraient dus en raison de la non restitution des locaux pour cause de remise en état, « directement imputable » à B______ SA. En outre, celle-ci lui avait causé un dommage de 60'000 fr. correspondant aux frais de remise en état des locaux.
d. Le 25 mars 2025, A______ SA a saisi le Tribunal d’une requête de faillite sans poursuite préalable, dirigée contre B______ SA, se prévalant de la situation de défaut de paiements de la précitée, et de sa qualité de créancière, avec suite de frais et dépens.
A l’audience du Tribunal du 22 mai 2025, B______ SA a conclu au rejet de la requête, sous suite de frais et dépens. Elle a contesté être en état de défaut de paiements, précisant que malgré sa situation délicate, elle employait du personnel, concluait de nouvelles affaires, et s’acquittait régulièrement de ses dettes, notamment de droit public. Elle a reproché à A______ SA de ne pas avoir eu recours à la garantie de loyer, et soutenu que la créance n’aurait pas été rendue vraisemblable. Elle a invoqué la compensation avec une créance de 750'000 fr., qu’elle faisait valoir dans le cadre d’ « un procès civil […] en cours par devant le Tribunal de première instance ». Elle a produit des pièces, en particulier les actes de la procédure C/1______/2021 qu’elle avait initiée contre A______ SA en paiement de 750'000 fr. (dont les deux derniers documents consistaient en un procès-verbal d’audience d’audition de témoin du 20 février 2025 et une ordonnance de preuves du 15 avril 2025).
A______ SA a relevé qu’aucune garantie de loyer n’avait été constituée.
Les parties ont plaidé, persistant dans leurs conclusions respectives.
Sur quoi, la cause a été gardée à juger.
1.1 L'appel étant irrecevable dans les affaires relevant de la compétence du tribunal de la faillite selon la LP (art. 309 let. b ch. 7 CPC), seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. a CPC; art. 174 LP, par renvoi de l'art. 194 al. 1 LP).
Les décisions rendues en matière de faillite sont soumises à la procédure sommaire (art. 251 let. a CPC).
1.2 Formé selon la forme et dans le délai prévus par la loi (art. 143 al. 3, 321 al. 1 et 2 CPC), le recours est recevable.
2. La recourante a formé des allégués nouveaux et produit des pièces nouvelles.
2.1 Dans le cadre du recours de l'art. 174 LP - applicable à la faillite sans poursuite préalable par renvoi de l'art. 194 al. 1 LP -, les parties peuvent faire valoir des faits nouveaux, lorsque ceux-ci se sont produits avant le jugement de première instance (art. 174 al. 1, 2ème phrase, LP). Cette disposition spéciale de la loi, au sens de l'art. 326 al. 2 CPC, vise les faits nouveaux improprement dits (faux nova ou pseudo-nova), à savoir ceux qui existaient déjà au moment de l'ouverture de la faillite et dont le premier juge n'a pas eu connaissance pour quelque raison que ce soit; ces faits peuvent être invoqués sans restriction et prouvés par pièces, pour autant qu'ils le soient dans le délai de recours. Aux termes de l'art. 174 al. 2 LP, le failli peut aussi invoquer de vrais nova, à savoir les faits, intervenus après l'ouverture de la faillite en première instance, qui sont énumérés aux chiffres 1 à 3; selon la jurisprudence, ces vrais nova doivent également être produits avant l'expiration du délai de recours. En vertu de la lettre claire de l'art. 174 al. 2 LP, aucun autre novum n'est admissible. Partant, dans le cadre d'un recours contre un prononcé de faillite sans poursuite préalable, seuls les pseudo-nova sont en principe recevables, les hypothèses énumérées exhaustivement à l'art. 174 al. 2 ch. 1-3 LP étant étrangères à ce type de procédure (arrêt du Tribunal fédéral 5A_243/2019 du 17 mai 2019 consid. 3.1).
Cette opinion doit cependant être nuancée lorsque la faillite sans poursuite préalable a été déclarée à la requête d'un créancier; dans ce cas, le retrait de la réquisition de faillite ne peut pas être considéré comme une hypothèse étrangère à la procédure. Il s'ensuit que, en cas de faillite sans poursuite préalable au sens de l'art. 190 LP, le failli doit être admis à produire, dans le délai de recours, des pièces nouvelles destinées à établir que le créancier a retiré sa requête de faillite après le jugement (art. 174 al. 2 ch. 3 LP) et à rendre vraisemblable sa solvabilité (art. 174 al. 2 LP) (arrêt du Tribunal fédéral 5A_122/2022 du 21 juin 2022 consid. 3.1).
2.2 En l'espèce, il n'est pas nécessaire de trancher la recevabilité des pièces nouvellement versées, et des allégués qui s’y rapportent, compte tenu de ce qui suit.
3. La recourante adresse un unique grief au Tribunal, à savoir d’avoir retenu que l’intimée aurait rendu vraisemblable la créance opposée en compensation.
3.1 Selon l'art. 190 al. 1 ch. 2 LP, le créancier peut requérir la faillite sans poursuite préalable si le débiteur sujet à la poursuite par voie de faillite a suspendu ses paiements.
Celui qui requiert la faillite sans poursuite préalable selon l'art. 190 al. 1 LP doit rendre vraisemblable sa qualité de créancier. La loi exige la simple vraisemblance, et non une vraisemblance qualifiée. Il suffit ainsi que l'autorité, se fondant sur des éléments objectifs, acquière l'impression que les faits pertinents se sont produits, mais sans qu'elle doive exclure pour autant la possibilité qu'ils se soient déroulés autrement. La légitimation pour requérir la faillite appartient au créancier même si sa créance n'est pas encore exigible à la date du dépôt de la requête. La situation du créancier qui requiert l'ouverture de la faillite sans poursuite préalable est analogue à celle du créancier qui requiert un séquestre. Il s'ensuit que le débiteur peut contester que l'existence de la créance ait été rendue vraisemblable, en particulier qu'elle soit née valablement. A cette fin, il doit rendre immédiatement vraisemblable sa libération. L'allégation insuffisamment prouvée d'une créance compensante ne suffit en effet pas à remettre en cause la qualité de créancier du requérant d'une faillite sans poursuite préalable (arrêt du Tribunal fédéral 5A_341/2021 du 24 juin 2021 consid. 4.1).
3.1.2 Le motif de la faillite posé à l'art. 190 al. 1 ch. 2 LP, soit la suspension des paiements, est une notion juridique indéterminée qui accorde au juge un large pouvoir d'appréciation. Pour qu'il y ait suspension de paiements, il faut que le débiteur ne paie pas des dettes incontestées et exigibles, laisse les poursuites se multiplier contre lui, tout en faisant systématiquement opposition, ou omette de s'acquitter même des dettes minimes; il n'est cependant pas nécessaire que le débiteur interrompe tous ses paiements; il suffit que le refus de payer porte sur une partie essentielle de ses activités commerciales. La suspension des paiements ne doit pas être de nature simplement temporaire, mais doit avoir un horizon indéterminé (ATF 137 III 460 consid. 3.4.1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_198/2025 du 14 avril 2025 consid. 3.1; 5A_264/2020 du 18 juin 2020 consid. 4.1.1).
Le non-paiement de créances de droit public peut constituer un indice de suspension des paiements. Il n'est en tout cas pas arbitraire de conclure à la suspension des paiements lorsqu'il est établi que le débiteur a, sur une certaine durée, effectué ses paiements quasi exclusivement en faveur de ses créanciers privés et qu'il a ainsi suspendu ses paiements vis-à-vis d'une certaine catégorie de créanciers, à savoir ceux qui ne peuvent requérir la faillite par la voie ordinaire (art. 43 ch. 1 aLP). Le but de la loi n'est en effet pas de permettre à un débiteur d'échapper indéfiniment à la faillite uniquement grâce à la favorisation permanente des créanciers privés au détriment de ceux de droit public (arrêts du Tribunal fédéral 5A_264/2020 du 18 juin 2020 consid. 4.1.1; 5A_720/2008 du 3 décembre 2008 consid. 4).
3.2 En l’occurrence, le Tribunal, s’agissant de la créance compensante dont l’intimée s’est prévalue, a retenu que l’existence de celle-ci ne pouvait être exclue d’emblée compte tenu des pièces produites dans le cadre de la procédure C/1______/2021.
Contrairement à ce que soutient la recourante, ce n’est donc pas du simple fait de l’existence de ladite cause que la vraisemblance de la libération a été admise par le premier juge, mais en raison des pièces figurant à la procédure. Si celles-ci n’ont certes pas été désignées par le Tribunal dans son raisonnement de droit, il résulte de la partie en fait du jugement que ces titres consistaient en particulier dans les actes de ladite procédure.
La recourante ne critique pas ce point du raisonnement, pourtant seul pertinent. Elle ne soutient en particulier pas que lesdites pièces ne seraient pas de nature à rendre vraisemblable l’existence de la créance compensante. A ce propos, la circonstance que la procédure C/1______/2021 a été initiée en 2021, et se trouve toujours en instruction devant le Tribunal (lequel a notamment procédé à des enquêtes), ne laisse pas apparaître, sous l’angle de la vraisemblance, qu’il s’agirait d’une cause d’emblée dépourvue de chances de succès. Il s’ensuit que l’allégation de l’existence d’une créance compensante apparaît suffisamment prouvée pour remettre en cause la qualité de créancière de la recourante, comme l’a retenu à raison le Tribunal.
Au vu de ce qui précède, la référence de la recourante à l’espèce traitée par le Tribunal fédéral dans son arrêt 5A_225/2010 est inopérante. En effet, c’est la motivation liée à la simple existence d’une procédure en cours qui a été prohibée dans cette décision, et non le renvoi à des pièces de ladite procédure; ces pièces peuvent être de nature à accréditer au niveau de la vraisemblance la thèse du détenteur de la créance opposée en compensation.
Dès lors, le seul grief soulevé par la recourante est infondé. Le recours sera donc rejeté.
4. La recourante, qui succombe, supportera les frais de son recours (art. 106 al. 1 CPC), arrêtés à 750 fr. (art. 48, 61 OELP), compensés avec l’avance effectuée, acquise à l’Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).
Elle versera en outre à l’intimée 700 fr. à titre de dépens de recours (art. 84, 85, 88 et 90 RTFMC).
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La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable le recours formé le 23 juin 2025 par A______ SA contre le jugement JTPI/6952/2025 rendu le 5 juin 2025 par le Tribunal de première instance dans la cause C/7492/2025-5 SFC.
Au fond :
Rejette ce recours.
Déboute les parties de toute autre conclusion.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires du recours à 750 fr., compensés avec l’avance effectuée, acquise à l’Etat de Genève.
Les met à la charge de A______ SA.
Condamne A______ SA à verser à B______ SA 700 fr. à titre de dépens de recours.
Siégeant :
Madame Sylvie DROIN, présidente; Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.
| La présidente : Sylvie DROIN |
| La greffière : Marie-Pierre GROSJEAN |
Indication des voies de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les
art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.