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Décisions | Sommaires

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C/18858/2022

ACJC/634/2023 du 09.05.2023 sur JTPI/2588/2023 ( SML ) , CONFIRME

Recours TF déposé le 16.06.2023, rendu le 28.11.2023, CONFIRME, 5A_457/2023
Normes : CPC.253; CPC.235; CST.29.al2; CPC.326.al1; LP.82.al1; LP.82.al2
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/18858/2022 ACJC/634/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 9 MAI 2023

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], recourante contre un jugement rendu par la 12ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 6 février 2023, comparant par Me Patrick MOUTTET, avocat, ATHENA Avocats, boulevard des Tranchées 16, 1206 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

et

B______ SPA, sise ______, Chili, intimée, comparant par Me Xavier-Romain RAHM, avocat, CieLex Sàrl, cours de Rive 4, 1204 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/2588/2023 du 6 février 2023, reçu le 28 février 2023 par A______SA, le Tribunal de première instance, statuant par voie de procédure sommaire, a prononcé la mainlevée provisoire de l'opposition formée par celle-ci au commandement de payer, poursuite n° 1______ qui lui avait été notifié sur réquisition de B______ SPA (chiffre 1 du dispositif), arrêté les frais judiciaires à 750 fr., compensés avec l'avance effectuée (ch. 2) et mis à la charge de A______SA, condamnée ainsi à verser à B______ SPA ce montant (ch. 3) ainsi que 1'620 fr. à titre de dépens (ch. 4).

B. a. Par acte déposé le 10 mars 2023 à la Cour de justice, A______SA forme recours contre le jugement précité, dont elle requiert l'annulation. Elle conclut, avec suite de frais, principalement, au rejet de la requête de mainlevée de sa partie adverse et, subsidiairement et nouvellement, au prononcé de cette requête à concurrence de 129'907 fr.

A______SA produit un chargé comprenant, dans un ordre différent, les mêmes pièces qu'elle avait déposées en première instance, ainsi qu'une pièce visée par sa requête préalable en octroi de l'effet suspensif.

L'acte de recours comprend une partie "En fait" composée de 42 allégués, pour l'essentiel non formés en première instance, à teneur du procès-verbal de l'audience tenue par le Tribunal. En particulier, A______SA fait valoir pour la première fois "la compensation avec le dommage découlant des pièces 18, 19 et 20" (correspondant aux pièces 19, 20 et 24 qu'elle a produites en première instance). Elle allègue nouvellement, en relation avec sa conclusion subsidiaire nouvelle et en se référant à ses pièces 23 à 25 (correspondant aux pièces 16 à 18 qu'elle a produites en première instance), que le montant réclamé de 147'720.90 USD devrait "être réduit des trois versements en faveur de l'intimée concernant les factures n° 2______ et 3______, à savoir un versement de USD 15'000.- le 1er mars 2021, un deuxième de USD 10'000.- le 19 mars 2021 et un troisième de USD 10'000.- le 10 février 2022, soit un total de USD 35'400.-".

b. Par arrêt du 20 mars 2023, la Cour a rejeté la requête de A______SA tendant à la suspension de l'effet exécutoire attaché au jugement attaqué et statué sur les frais.

c. Dans sa réponse du 24 mars 2023, B______ SPA conclut, préalablement, à l'irrecevabilité "de toutes les pièces rédigées en anglais, en espagnol et dans l'alphabet cyrillique produites par A______SA dans la présente procédure, les 6 février 2023 et 10 mars 2023, en particulier les pièces n° 1 à n° 8, n° 10, n° 11, n° 16 à n° 24 du 6 février 2023 et les pièces n° 2 à n° 11, n° 13 à n° 16, n° 18 et n° 23 à n° 26 du 10 mars 2023". Principalement, elle conclut au rejet du recours, avec suite de frais judiciaires et de 10'488 fr. 50 TTC à titre de dépens.

d. Les parties ont été informées le 25 avril 2023 de ce que la cause était gardée à juger, A______SA n'ayant pas fait usage de son droit de répliquer.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier de première instance.

a. Sur réquisition du 7 avril 2022 de B______ SPA, société sise au Chili, l'Office des poursuites a notifié le 28 avril 2022 à A______SA, sise à Genève, un commandement de payer, poursuite n° 1______, portant sur les montants de 62'446 fr. 60 plus intérêts à 5 % dès le 26 février 2021, 50'351 fr. 30 plus intérêts à 5 % dès le 15 mars 2021 et 50'285 fr. 30 plus intérêts à 5 % dès le 30 mars 2021, dus sur la base d'une "reconnaissance de dette du 8 février 2021".

La poursuivie y a formé opposition.

b. Par acte du 28 septembre 2022, B______ SPA a requis du Tribunal la mainlevée provisoire de ladite opposition, avec suite de frais judiciaires et de 9'738 fr. 60 (+ 7,7 % de TVA) de dépens.

Elle a produit, outre un extrait du registre du commerce de la poursuivie, la réquisition de poursuite et le commandement de payer, un courrier daté du 8 février 2021, rédigé en anglais et adressé à B______ SPA, portant le timbre de A______SA et la signature de C______, administrateur avec signature individuelle de cette société de septembre 2009 à février 2022, puis directeur de février à décembre 2022. Selon la traduction libre proposée par la poursuivante, non contestée par la poursuivie, ce document a la teneur suivante:

"( ) A ce jour, il existe un solde de dette en souffrance entre nos sociétés de 174,725.90 $. Le 16 décembre 2020, nous vous avons écrit une lettre, avec la demande de reporter la date de paiement à la fin du mois de janvier 2021 et nous avons expliqué les raisons.

Notre société n'a pas été en mesure de respecter la date de paiement indiquée en raison de problèmes de fermentation du produit, selon ce que nous ont dit les clients ayant reçu la marchandise. A cette occasion, contrairement au cas précédent de fermentation des 4 conteneurs correspondant à la facture 4______, auquel nous avons apporté une solution commune, ils nous ont dit avoir eu une période de fermentation beaucoup plus longue (environ 3 mois ou plus) que la normale (10-15 jours). Cela a entraîné un retard dans les chaînes tout au long du processus de production-vente-paiement.

Le paiement total du montant de la dette et inconditionnel ["unconditional"], mais nous vous demandons d'être patients pour la solution. Nous sommes en pourparlers avec nos clients pour établir un plan de paiement ["a payment chart"] pour rembourser la dette. Dans tous les cas, avant le 30 mars 2021, elle sera résolue, ayant un plan préliminaire ["In any of the cases, before March 30, 2021, it will be solved, having a preliminary chart"] comme indiqué ci-dessous :

1)      jusqu'au 26.02.2021 – 66971,70 USD;

2)      jusqu'au 15.03.2021 – 54000 USD;

3)      jusqu'au 30.03.2021 – 53929,20 USD ( )"

B______ SPA a allégué, extrait du site Internet www.oanda.com à l'appui, que les trois montants figurant dans le commandement de payer représentaient la contre-valeur des trois montants sus-indiqués au taux du 7 avril 2022, soit 1 USD = 0.93243 CHF.

c. Lors de l'audience du Tribunal du 6 février 2023, B______ SPA a persisté dans sa requête.

A______SA (ci-après aussi la poursuivie), représentée par son conseil, a déposé deux chargés de pièces (pièces 0 à 19 et pièces 20 à 24, dont certaines étaient rédigées en anglais et russe (bilingue) et d'autres en espagnol (celles-ci étant accompagnées d'une traduction en français), les factures émanant de B______ SPA (ci-après aussi la poursuivante) étant rédigées en anglais et espagnol (bilingue).

Les chargés comprennent les pièces suivantes, les seules auxquelles les parties se sont référées lors de l'audience:

-          pièce 1: contrat du 19 juin 2021 relatif à la vente par la poursuivante à la poursuivie de jus de raisin concentré;

-          pièce 4: facture n° 4______ du 31 juillet 2020 de 148'631.90 USD établie par la poursuivante et adressée à la poursuivie;

-          pièce 5: facture n° 2______ du 5 septembre 2020 de 107'929.20 USD établie par la poursuivante et adressée à la poursuivie;

-          pièce 6: facture n° 3______ du 7 septembre 2020 de 66'791.70 USD établie par la poursuivante et adressée à la poursuivie;

-          pièce 9: courrier du 30 octobre 2020 de la poursuivie à la poursuivante, avec traduction libre en français; selon la poursuivie, le produit faisant l'objet de la facture n° 4______ était fermenté, ce qui avait conduit à l'explosion de trois des quatre conteneurs;

-          pièce 10: note de crédit n° 5______ du 20 novembre 2020 de 45'268 USD établie par la poursuivante et adressée à la poursuivie;

-          pièce 19: tableau "résumant les transactions effectuées" établi par la poursuivie le 19 juin 2021;

-          pièce 24: désignée par la poursuivie comme une "Réclamation D______ LLC du 14 juin 2021".

A______SA a déclaré que les parties avaient noué des relations commerciales pour l'achat de jus de raisin concentré sur la base d'un contrat cadre (pièce 1 poursuivie). Le litige portait sur les factures n° 2______ et n° 3______ (pièces 5 et 6 poursuivie). Il n'y avait pas de reconnaissance de dette. S'agissant du règlement global de toutes les commandes, elle avait établi un tableau récapitulatif, produit sous pièce 19, document à usage interne. Il y avait eu un problème avec la facture n° 4______ (pièce 4 poursuivie); le raisin était fermenté. Il y avait eu d'abord un accord de remise (pièce 10 poursuivie), mais finalement le client avait élevé une contestation (pièce 24 poursuivie).

B______ SPA a déclaré qu'il n'y avait pas eu d'accord de remise (pièce 9 poursuivie). La reconnaissance de dette invoquée comme titre de mainlevée était d'ailleurs postérieure aux pièces 9 et 10 de la poursuivie. En outre, il ressortait de la pièce 19 de la poursuivie que A______SA reconnaissait devoir les montants correspondants aux factures n° 2______ et n° 3______. B______ SPA a contesté les compensations et les problèmes de qualité de la marchandise évoqués par sa partie adverse.

Il ne ressort pas du procès-verbal d'audience que B______ SPA se serait opposée au dépôt par sa partie adverse de pièces non rédigées en français ou qu'elle aurait sollicité le dépôt de traductions. Il n'en résulte pas non plus que A______SA aurait indiqué au Tribunal que le procès-verbal ne résumait pas correctement et/ou exhaustivement ses allégués, ses arguments ou ses conclusions.

Le Tribunal a gardé la cause à juger à l'issue de l'audience.

d. Dans le jugement attaqué, le Tribunal a considéré que le litige portait sur l'achat et la livraison de jus de raisin sur la base d'un contrat cadre et que les montants déduits en poursuite se référaient aux factures n° 2______ et 3______ des 5 et 7 septembre 2020. Le 8 février 2021, A______SA avait écrit à B______ SPA que la dette était inconditionnelle et avait proposé un calendrier de paiement, dont les montants et échéances avaient été repris dans le commandement de payer. Ce document valait reconnaissance de dette. La poursuivie faisait toutefois valoir qu'il fallait prendre en compte l'entier de la relation commerciale entre les parties en vue d'un règlement global des commandes et litiges en cours. En effet, une livraison précédente, facturée le 31 juillet 2022, avait fermenté, entraînant un litige avec le client final. Toutefois, à teneur de la pièce 19 de la poursuivie, les comptes entre les parties en lien avec cette livraison défectueuse étaient soldés au 9 décembre 2021 et la poursuivie restait devoir les montants des factures n° 2______ et 3______, ce qu'elle avait confirmé dans la reconnaissance de dette du 8 février 2021. En conséquence, sur la base d'un examen fondé sur la vraisemblance, il fallait faire droit aux conclusions de la poursuivante.

EN DROIT

1. En matière de mainlevée d'opposition, seule la voie du recours est ouverte (art. 309 let. b ch. 3 et 319 let. a CPC).

La décision - rendue par voie de procédure sommaire (art. 251 let. a CPC) - doit être attaquée dans un délai de dix jours dès sa notification (art. 321 al. 2 CPC), par un recours écrit et motivé (art. 130 et 131 CPC), adressé à la Cour de justice.

Interjeté dans le délai et les formes prévus par la loi, le recours est en l'espèce recevable.

2. La recourante soutient que le procès-verbal de l'audience du Tribunal ne mentionne pas de manière claire ses arguments. Elle fait valoir que la compensation y est "brièvement évoquée, tandis qu'il n'est fait aucune mention des trois versements effectués". La motivation du jugement serait "manifestement très lacunaire", puisque le Tribunal n'a pas discuté "les moyens libératoires soulevés et rendus vraisemblables, pièces à l'appui".

2.1

2.1.1 En procédure sommaire, lorsque la requête ne paraît pas manifestement irrecevable ou infondée, le tribunal donne à la partie adverse l'occasion de se déterminer oralement ou par écrit (art. 253 CPC). Le caractère écrit ou oral de la procédure est laissé à la libre appréciation du tribunal, ce qui permet de tenir compte du cas d'espèce (arrêt du Tribunal fédéral 5A_403/2014 du 19 août 2014 consid. 4.1). Le juge rend à cet égard une ordonnance de conduite de la procédure. S'il choisit de convoquer une audience, il doit veiller à ce que l'intéressé dispose de suffisamment de temps pour se préparer (arrêt du Tribunal fédéral 5A_120/2012 du 21 juin 2012 consid. 3).

Lorsqu'il choisit la procédure orale, le tribunal tient un procès-verbal, dans lequel les allégués des parties qui ne se trouvent pas dans leurs actes écrits sont consignés dans leur substance (art. 235 al. 2 CPC).

Le tribunal statue sur les requêtes de rectification du procès-verbal (art. 235 al. 3 CPC). Le principe de la bonne foi (art. 52 CPC) implique des limitations temporelles à la requête de rectification du procès-verbal. Il n'y a en tout cas pas de formalisme excessif à admettre que la requête de rectification doit être déposée immédiatement après connaissance de l'erreur prétendue (arrêt du Tribunal fédéral 4A_160/2013 du 21 août 2013 consid. 3.4).

Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. confère aux parties le droit d'obtenir que leurs déclarations qui sont importantes pour l'issue du litige soient consignées dans un procès-verbal, tout au moins dans leur teneur essentielle; la consignation des déclarations dans une note du dossier ou dans les considérants de la décision ne saurait pallier l'absence de procès-verbal. La verbalisation des déclarations pertinentes vise à donner l'occasion aux parties de participer à l'administration des preuves et de se prononcer effectivement sur leur résultat. Elle doit aussi permettre à l'autorité de recours de contrôler, s'il y a lieu, que les faits ont été constatés correctement par l'autorité inférieure (ATF 131 II 670 consid. 4.3; 126 I 15 consid. 2a/aa; arrêt du Tribunal fédéral 1C_82/2008 du 28 mai 2008 consid. 5.2, non publié in ATF 134 II 117).

2.1.2 La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) également le devoir pour le juge de motiver sa décision, afin que le justiciable puisse la comprendre, la contester utilement s'il y a lieu et exercer son droit de recours à bon escient. Pour répondre à ces exigences, le juge doit mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. Il n'a toutefois pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige (ATF 134 I 83 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 9C_3/2011, 9C_51/2011 du 8 juin 2011 consid. 4.1). Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (arrêt du Tribunal fédéral 2C_23/2009 du 25 mai 2009 consid. 3.1, publié in RDAF 2009 II p. 434; 9C_3/2011, 9C_51/2011 précité ibidem). En revanche, une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 2 Cst. si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre (cf. ATF 133 III 235 consid. 5.2; 126 I 97 consid. 2b; arrêts du Tribunal fédéral 9C_3/2011, 9C_51/2011 précité ibidem).

Il n'y a en particulier pas de violation du droit d'être entendu sous l'angle d'une motivation lacunaire lorsque le recourant est en mesure d'attaquer le raisonnement de l'arrêt attaqué, ce qui démontre qu'il l'a saisi (arrêt du Tribunal fédéral 5A_134/2013 du 23 mai 2013 consid. 4.2).

En procédure sommaire, la motivation peut être plus succincte qu'en procédure ordinaire (Mazan, Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2ème éd., 2013, n. 7 ad art. 256 CPC).

2.1.3 Les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables dans une procédure de recours (art. 326 al. 1 CPC).

2.2

2.2.1 En l'espèce, le premier juge n'ayant pas invité la poursuivie à se déterminer par écrit, celle-ci, qui était assistée d'un avocat, devait nécessairement comprendre que la procédure était orale et qu'il lui incombait en conséquence d'alléguer oralement tous les faits qu'elle estimait pertinents et dont elle entendait se prévaloir, afin qu'ils soient consignés au procès-verbal. Il appartenait à la recourante - qui prétend que le Tribunal n'aurait pas consigné un moyen libératoire invoqué et la conclusion y relative - de demander un complément au procès-verbal à l'issue de l'audience ou de requérir, immédiatement après, la rectification de celui-ci. Ne l'ayant pas fait, elle n'est pas légitimée à se prévaloir devant la Cour du caractère prétendument incomplet du procès-verbal.

Ainsi, les allégations nouvelles de la recourante ne sont pas recevables et la Cour examinera le litige sur la base du dossier de première instance, notamment sur la base des allégations formées par la poursuivie lors de l'audience du Tribunal du 6 février 2023 et des pièces qu'elle a choisi d'évoquer à cette occasion. La conclusion subsidiaire de la recourante est également irrecevable, puisqu'elle n'a pas été formulée en première instance.

Le moyen libératoire de l'extinction partielle de la dette (chiffre 3 du mémoire de recours, pp. 16-17) ne sera donc pas examiné.

2.2.2 Au vu de ce qui précède, les griefs relatifs à la tenue incorrecte du procès-verbal et à la motivation insuffisante du jugement se révèlent infondés. La recourante a été en mesure de comprendre et de critiquer le raisonnement du Tribunal.

2.2.3 La conclusion préalable de l'intimée, qui n'a pas été présentée en première instance, n'est pas recevable. Il sera souligné que ni le premier juge ni la poursuivante n'ont réagi à la production par la poursuivie de titres en langue étrangère et que l'intimée elle-même, société chilienne, établissait ses factures en anglais et espagnol.

3. La recourante fait grief au Tribunal d'avoir qualifié le document daté du 8 février 2021 de reconnaissance de dette et d'avoir écarté le moyen libératoire de la compensation.


 

3.1

3.1.1 Conformément à l'art. 82 al. 1 LP, le créancier dont la poursuite se fonde sur une reconnaissance de dette constatée par acte authentique ou sous seing privé peut requérir la mainlevée provisoire.

Par reconnaissance de dette au sens de cette disposition, il faut entendre notamment l'acte sous seing privé, signé par le poursuivi - ou son représentant (ATF 130 III 87 consid. 3.1) -, d'où ressort sa volonté de payer au poursuivant, sans réserve ni condition, une somme d'argent déterminée, ou aisément déterminable, et exigible (ATF 136 III 624 consid. 4.2.2; 136 III 627 consid. 2). Cette volonté doit résulter clairement des pièces produites et non d'actes concluants; à défaut, elle ne peut être déterminée que par le juge du fond et la mainlevée doit être refusée. Cela étant, il n'est pas nécessaire que le titre contienne une promesse de payer la dette; il suffit qu'il atteste du fait que le poursuivi se considère obligé de payer cette dette. Il en va ainsi de la lettre par laquelle le débiteur sollicite la remise de tout ou partie de sa dette ou un délai de paiement sans contester la dette elle-même. Le fait de proposer au créancier un plan de paiement revient également à reconnaître que le montant en cause est dû. Les expressions par lesquelles le débiteur s'engage à payer « aussitôt que possible » ou «selon mes possibilités» doivent être aussi considérées comme une reconnaissance de dette. (ABBET/VEUILLET, La mainlevée de l'opposition, 2ème éd. 2022, n. 36 et 37 ad art. 82 LP et les références citées; cf. également arrêt du Tribunal fédéral 5A_896/2017 du 7 février 2018 consid. 4.3).

Une réserve doit figurer expressément dans l'acte lui-même, à défaut de quoi le document invoqué vaut comme reconnaissance pure et simple (ABBET/VEUILLET, op.cit., n. 40 ad art. 82 LP et les références citées).

Lorsque le débiteur reconnaît une dette en précisant la manière dont il envisage de la rembourser (notamment par acomptes ou par compensation), il s'agit d'une modalité de paiement, indépendante de la reconnaissance ; le titre doit être ainsi considéré comme une reconnaissance pure et simple. Le refus par le créancier d'accepter les modalités de remboursement n'affecte pas la reconnaissance en tant que telle. La créance est alors immédiatement exigible (art. 75 CO) (ABBET/VEUILLET, op. cit., n. 40a ad art. 82 LP et les références citées), cette dernière disposition prévoyant qu'à défaut de terme stipulé ou résultant de la nature de l'affaire, l'obligation peut être exécutée et l'exécution peut en être exigée immédiatement.

3.1.2 La procédure de mainlevée provisoire est une procédure sur pièces (Urkundenprozess), dont le but n'est pas de constater la réalité de la créance en poursuite, mais l'existence d'un titre exécutoire. Le juge de la mainlevée provisoire examine seulement la force probante du titre produit par le créancier, sa nature formelle - et non la validité de la créance - et lui attribue force exécutoire si le débiteur ne rend pas immédiatement vraisemblables ses moyens libératoires (ATF 145 III 160 consid. 5.1 et la référence). Il doit notamment vérifier d'office l'existence d'une reconnaissance de dette, l'identité entre le poursuivant et le créancier désigné dans ce titre, l'identité entre le poursuivi et le débiteur désigné et l'identité entre la prétention déduite en poursuite et la dette reconnue (ATF
142 III 720 consid. 4.1 et la référence). Le juge de la mainlevée n'a pas en revanche à revoir ou à interpréter le titre qui lui est produit; il ne lui appartient pas non plus de trancher de délicates questions de droit matériel ou pour la solution desquelles le pouvoir d'appréciation joue un rôle important, la décision sur de telles questions étant réservée au juge du fond (ATF 140 III 180 consid. 5.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_824/2015 du 18 mars 2016 consid. 2.2).

3.1.3 Le poursuivi peut faire échec à la mainlevée en rendant immédiatement vraisemblable sa libération (art. 82 al. 2 LP). Il peut se prévaloir de tous les moyens de droit civil – exceptions ou objections - qui infirment la reconnaissance de dette (ATF 145 III 20 consid. 4.1.2 et la référence; 131 III 268 consid. 3.2).

Lorsque le poursuivi se prévaut de la compensation au sens des art. 120 ss CO dans une procédure de mainlevée provisoire, il doit établir, au degré de la vraisemblance et par titre au sens de l'art. 177 CPC, le principe, l'exigibilité et le montant de la créance compensante (arrêts du Tribunal fédéral 5A_476/2015 du 25 août 2016 consid. 3.2, SJ 2016 I 481; 5A_83/2011 du 2 septembre 2011 consid. 6.1; Abbet/Veuillet, op. cit., n. 126 et 129 ad art. 82 LP).

Le débiteur poursuivi ne peut pas se contenter d'alléguer l'existence d'une créance envers le poursuivant pour rendre vraisemblable cette prétention et opposer valablement l'objection de compensation; de simples affirmations ne sont pas suffisantes. Le poursuivi n'a cependant pas à apporter la preuve absolue (ou stricte) de ses moyens libératoires, mais seulement à les rendre vraisemblables, en principe par titre (art. 254 al. 1 CPC; ATF 145 III 20 consid. 4.1.2 et la référence). Le juge n'a pas à être persuadé de l'existence des faits allégués; il doit, en se fondant sur des éléments objectifs, avoir l'impression qu'ils se sont produits, sans exclure pour autant la possibilité qu'ils se soient déroulés autrement (ATF
142 III 720 consid. 4.1 et la référence).

Le fait que la créance compensante soit contestée n'implique pas que la compensation soit exclue : si le juge de la mainlevée provisoire considère la créance comme vraisemblable malgré sa contestation, il peut refuser la mainlevée provisoire (Abbet/Veuillet, op. cit., n. 126 et 127 et 129 ad art. 82 LP).


 

3.2

3.2.1 En l'espèce, dans le document du 8 février 2021, la recourante admet devoir à l'intimée la somme de 174'720.90 USD; celle-ci correspond à l'addition des montants des factures n° 2______ et 3______ que l'intimée avait fait parvenir à la recourante les 5 et 7 septembre 2020 (107'929.20 USD + 66'791.70 USD). La recourante indique dans le document litigieux qu'elle avait demandé, par lettre du 16 décembre 2020 (non produite dans la procédure, alors que cette lettre est censée indiquer les raisons de cette demande), à l'intimée un délai de paiement au mois de janvier 2021. Dans le paragraphe suivant, la recourante expose les motifs pour lesquels elle n'a pas été en mesure de respecter le délai précité. Dans le dernier paragraphe, elle affirme clairement que le paiement total de la dette est inconditionnel, qu'elle demande à l'intimée d'être patiente et qu'elle s'engage à rembourser sa dette avant le 30 mars 2021. Elle propose des modalités de remboursement.

La recourante exprime ainsi sa volonté de payer, sans réserve ni condition, la somme en souffrance. Compte tenu de la structure du document et des termes utilisés, l'opinion de la recourante - selon laquelle "il s'agissait à l'évidence de prévoir un échéancier de paiements provisoires, qui était susceptible d'être modifié en fonction de la résolution du problème posé par la marchandise défectueuse" faisant l'objet de la facture n° 4______ du 31 juillet 2020 - ne peut être suivie. Il est rappelé qu'une éventuelle réserve devrait figurer expressément dans l'acte lui-même et qu'il n'y a donc pas lieu de la rechercher dans le contrat-cadre ou dans les factures, comme le fait la recourante. Par ailleurs, le fait que le document ne soit pas intitulé "Reconnaissance de dette" n'est pas pertinent.

C'est ainsi à juste titre que le Tribunal a qualifié le document litigieux de reconnaissance de dette. Le premier grief de la recourante est donc infondé.

3.2.2 L'intimée ne saurait être suivie lorsqu'elle soutient que la recourante n'aurait "clairement pas invoqué la compensation", alors que, d'une part, lors de l'audience du Tribunal elle a elle-même déclaré qu'elle contestait "les compensations et les problèmes de qualité" de la marchandise évoqués par sa partie adverse et que, d'autre part, le Tribunal a examiné ces arguments de la recourante.

Cela étant, en première instance, la recourante a allégué qu'ensuite d'un problème de qualité de la marchandise visée par la facture n° 4______ du 31 juillet 2020, il y avait d'abord eu un accord de remise, qui s'était concrétisé par la note de crédit émise le 20 novembre 2020 par l'intimée, mais que finalement le client final destinataire de la marchandise avait élevé une contestation. Elle s'est référée à cet égard, sans autres explications, à une réclamation du 14 juin 2021 d'une (ou deux) société(s) russe(s). Elle ne s'est exprimée ni sur le principe, ni sur l'exigibilité, ni sur le montant de la créance compensante. Sur la base des affirmations vagues de la poursuivie, le Tribunal ne pouvait que considérer que le moyen libératoire de la compensation n'était pas rendu vraisemblable.

Le second grief de la recourante est donc aussi infondé.

3.2.3 Le recours sera par conséquent intégralement rejeté.

4. Les frais judiciaires de recours, arrêtés à 1'125 fr. (art. 48 et 61 OELP), seront laissés à la charge de la recourante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC) et compensés avec l'avance fournie, qui demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Compte tenu de l'importance de la cause, de ses difficultés et de l'ampleur du travail du conseil de l'intimée qui n'a pas déposé de note de frais, les dépens de recours seront fixés conformément aux art. 84, 85, 89 et 90 RTFMC à 2'000 fr. débours compris (art. 25 LaCC), mais sans la TVA, l'intimée étant sise à l'étranger (arrêt du Tribunal fédéral 4A_623/2015 du 3 mars 2016).

L'intimée sera condamné à verser ce montant à la recourante.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 10 mars 2023 par A______ SA contre le jugement JTPI/2588/2023 rendu le 6 février 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/18858/2022-12 SML.

Au fond :

Le rejette.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours à 1'125 fr., les met à la charge de A______ SA et les compense avec l'avance fournie, qui demeure acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ SA à verser à B______ SPA 2'000 fr. à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Laura SESSA, greffière.

 

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Laura SESSA

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile. Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.