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C/4972/2023

ACJC/526/2023 du 21.04.2023 sur SQ/421/2023 ( SQP ) , MODIFIE

Normes : LP.271.al1.ch6; LDIP.25; LDIP.27
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/4972/2023 ACJC/526/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU VENDREDI 21 AVRIL 2023

 

Madame A______, domiciliée ______, Etats-Unis, recourante contre une ordonnance de refus partiel de séquestre rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 20 mars 2023, comparant par Me Andrew GARBARSKI, avocat, Bär & Karrer SA, Quai de la Poste 12, Case postale 5056, 1211 Genève 11, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.

 

 


EN FAIT

A. a. Par requête du 20 mars 2023, A______, domiciliée en B______ [État des États-Unis], a requis le séquestre, au préjudice de C______, domiciliée en Russie, à hauteur de 414'158 fr. 95 (contre-valeur de 447'285 USD au cours moyen de 1.08 USD/fr. du 17 mars 2023), plus intérêts à 10% dès le 21 décembre 2022, de toutes espèces, valeurs, titres, créances et autres biens de quelque nature qu'ils soient, en comptes, dépôts ou coffres-forts, appartenant à C______ déposés en mains des [banques] D______ et de E______.

A______ a indiqué fonder son séquestre sur un jugement rendu le 19 décembre 2022 par des tribunaux [de] B______ dans une affaire l'opposant à C______ et à sa fille, F______, dont elle a requis la reconnaissance et l'exécution en Suisse.

Elle a notamment produit les pièces suivantes :

-          Une Trial Brief de A______ contre C______ et F______ dans la cause n° 1______ déposé devant la Superior Court of B______, I______ County, et daté du 28 novembre 2022, qui se réfère à une demande en paiement introduite le 21 juillet 2020. A______ y réclame des dommages-intérêts pour violation d'un contrat conclu avec C______ et sa fille F______ portant sur des cours privés donnés à cette dernière en soutien à ses études à l'Université de K______, à l'issue desquels elle a été diplômée. A______ a réclamé le paiement de 147'285.25 USD, soit 113'295.98 USD correspondant aux honoraires pour les cours donnés en 2019 et 2020, plus les intérêts à 10% du 21 juillet 2020 au 19 décembre 2022 en 27'346.24 USD, et les frais. Elle a aussi réclamé 300'000 USD au titre de dommages-intérêts punitifs, en raison du comportement hautement répréhensible de F______ et C______ et de leur extraordinaire richesse, les intéressées ayant abusé de A______, allant jusqu'à nier l'avoir engagée et en proférant des menaces à son encontre.

-          Copie d'une ordonnance du 17 décembre 2020 de la Superior Court of B______, I______ County rejetant les requêtes des défenderesses en lien avec l'incompétence des juridictions [de] B______.

-          Copie d'un mémoire-réponse daté du 31 janvier 2021 et déposé le 17 mai 2021 par F______ et C______ devant la Superior Court of B______, I______ County, dans la cause n° 1______.

-          Copie d'un jugement de la Superior Court of B______, I______ County, daté du 19 décembre 2022 et filed le 22 décembre 2022 dans la cause n° 1______, accompagné du Statement of Decision. Sur le formulaire de jugement, la case relative au jugement rendu par défaut n'est pas cochée. Le jugement a été rendu par la Cour après audience, à laquelle les parties défenderesses n'ont pas comparu.

Selon ces documents, F______ et C______, qui n'ont pas comparu aux audiences, ont été condamnées solidairement à payer à A______ 113'295.98 USD de dommages-intérêts, 27'346.24 USD d'intérêts moratoires, 960 USD de frais d'avocat et 5'683.03 USD pour d'autres frais, soit un montant total de 147'285.25 USD.

Elles ont aussi été condamnées chacune au paiement de 300'000 USD au titre de dommages-intérêts punitifs. Selon le Statement of Decision, la Cour avait acquis la conviction que F______ et C______ avaient engagé A______, sans avoir l'intention de la payer, agissant de concert et de manière frauduleuse, leur comportement étant d'autant plus répréhensible au vu de leur situation financière très aisée.

-          Copie d'un document intitulé Proof of service, mentionnant la notification du jugement à F______ et C______ par courrier et par e-mail.

-          Copie d'une lettre du conseil de A______ en B______, faisant référence à des informations accessibles notamment sur le site de la Superior Court of B______, I______ County, relatives au caractère définitif et exécutoire du jugement.

b. Par ordonnance SQ/421/2023 du 20 mars 2023, le Tribunal de première instance a admis partiellement le séquestre requis par A______ au préjudice de C______, à hauteur de 104'296 fr. (contre-valeur de 113'295.98 USD), plus intérêts à 10% dès le 22 décembre 2022, et de 31'471 fr. 55 (contre-valeur de 27'346.24 USD + 960 USD + 5'683.03 USD; chiffre 1 du dispositif). Il a mis les frais judiciaires, arrêtés à 750 fr., à la charge de C______ (ch. 2) et condamné cette dernière à payer à A______ 2'000 fr. à titre de dépens (ch. 3).

Le Tribunal a retenu que les documents produits par A______ en lien avec le jugement étranger étaient suffisants pour admettre, sous l'angle de la vraisemblance, la créance de 147'285.25 USD, soit les dommages-intérêts, plus intérêts et frais. Il était en revanche exclu de retenir le montant de 300'000 USD de punitive damages fixé en raison du comportement "fraudulent, oppressive and malicious" de la citée et de sa fortune extraordinaire. Le montant et le principe de ces montants accordés aux termes d'un jugement prononcé in absentia dans un contexte strictement contractuel posait la question de leur compatibilité avec l'ordre public suisse, que le Tribunal fédéral n'avait jamais tranchée.

B. Par acte déposé au greffe de la Cour de justice le 31 mars 2023, A______ recourt contre cette ordonnance, dont elle sollicite l'annulation en tant qu'elle refuse le séquestre en rapport aux punitive damages retenus dans le jugement prononcé par la Superior Court of B______ dans la cause n° 1______ l'opposant à C______ et à F______. Elle conclut, sous suite de frais judiciaires et de dépens, à ce que la Cour reconnaisse et déclare exécutoire, à titre incident, l'intégralité du jugement précité et ordonne le séquestre à concurrence d'un montant supplémentaire de 277'913 fr. 60 (contre-valeur de 300'000 USD, au cours moyen de 1.08 USD=fr. du 20 mars 2023), avec suite d'intérêts à 10% l'an à compter du 22 décembre 2022. Subsidiairement, elle conclut au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision.

A l'appui de son recours, A______ produit la décision attaquée, la requête de séquestre et ses annexes, ainsi qu'une pièce nouvelle, à savoir un courrier de la Banque D______ du 21 mars 2023 adressé à l'Office cantonal des poursuites.

EN DROIT

1. 1.1 En matière de séquestre, la procédure sommaire est applicable (art. 251 let. a CPC).

Contre une décision refusant un séquestre, qui est une décision finale en tant qu'elle met fin à l'instance d'un point de vue procédural, seul le recours est ouvert (art. 309 let. b ch. 6 et 319 let. a CPC; arrêt du Tribunal fédéral 5A_508/2012 du 28 août 2012 consid. 3.2; HOHL, Procédure civile, tome II, 2ème éd., 2010, n. 1646).

1.2 Le recours, écrit et motivé, doit être formé dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision (art. 321 al. 1 et 2 CPC).

Déposé selon la forme et le délai prescrits, le recours est recevable.

2. 2.1 Le recours est recevable pour violation du droit et pour constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC). L'instance de recours examine les questions de droit avec le même pouvoir d'examen que l'instance précédente, y compris en ce qui concerne l'appréciation des preuves administrées (art. 157 CPC) et l'application du degré de preuve (cf. JEANDIN, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 2 ad art. 320 CPC; Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006 relatif au Code de procédure civile suisse (CPC), FF 2006 6841, p. 6984).

2.2 La procédure de séquestre est soumise dans toutes ses phases à la maxime de disposition et à la maxime des débats (art. 58 al. 2 CPC; art. 255 CPC a contrario).

2.3 Au stade de la requête et de l'ordonnance de séquestre, la procédure est unilatérale et le débiteur n'est pas entendu (art. 272 LP; ATF 133 III 589 consid. 1).

Dans le cadre du recours contre l'ordonnance de refus de séquestre, la procédure conserve ce caractère unilatéral, car, pour assurer son efficacité, le séquestre doit être exécuté à l'improviste; partant, il n'y a pas lieu d'inviter C______ à présenter ses observations, ce qui ne constitue pas une violation de son droit d'être entendu (ATF 107 III 29 consid. 2 et 3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_344/2010 du 8 juin 2010 consid. 5, in RSPC 2010 p. 400, et 5A_279/2010 du 24 juin 2010 consid. 4).

3. Dans le cadre du recours, les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables (art. 326 al. 1 CPC).

En l'espèce, la pièce nouvelle produite à l'appui du recours est irrecevable, étant précisé qu'elle n'est pas déterminante pour la solution du litige.

4. 4.1.1 Aux termes de l'art. 272 al. 1 LP, le séquestre est autorisé à condition que le créancier rende vraisemblable que sa créance existe (ch. 1), qu'on est en présence d'un cas de séquestre (ch. 2) et qu'il existe des biens appartenant au débiteur (ch. 3).

Comme cas de séquestre, l'art. 271 al. 1 ch. 6 LP prévoit notamment que le créancier d'une dette échue et non garantie par gage peut requérir le séquestre des biens du débiteur qui se trouvent en Suisse lorsque le créancier possède contre le débiteur un titre de mainlevée définitive. La loi vise un titre de mainlevée définitive au sens de l'art. 80 LP (ATF 139 III 135 consid. 4.2). Toute décision étrangère portant condamnation à payer une somme d'argent ou à constituer des sûretés (art. 38 al. 1 LP) et exécutable en Suisse selon une convention internationale ou à défaut, selon la LDIP, constitue un titre de mainlevée définitive.

S'il invoque posséder un titre de mainlevée définitive contre le débiteur (art. 271 al. 1 ch. 6 LP), il doit rendre vraisemblable, dans le cas d'une décision étrangère, que rien ne s'oppose, à première vue, à la reconnaissance et à l'exécution de ce titre étranger. Le juge du séquestre peut statuer à titre incident sur le caractère exécutoire d'un jugement "non Lugano", à la suite d'un examen sommaire du droit et sur la base des faits rendus simplement vraisemblables (ATF 139 III 135 consid. 4.5.2). Tout au long de la procédure d'autorisation de séquestre, le juge examine la force exécutoire de la décision invoquée par le créancier séquestrant comme motif de séquestre au sens de l'art. 271 al. 1 ch. 6 LP, uniquement sous l'angle de la vraisemblance. Il suffit donc que, s'appuyant sur des éléments objectifs, il acquière l'impression que les faits pertinents se sont produits, sans qu'il doive exclure pour autant la possibilité qu'ils se soient déroulés autrement (ATF 138 III 232 consid. 4.1.1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_151/2020 du 13 mai 2020 consid. 5.1.3; 5A_828/2015 du 23 février 2016 consid. 3; 5A_832/2015 précité, ibid.). Le point de savoir si le degré de vraisemblance requis par le droit fédéral est atteint dans le cas particulier ressortit à l'appréciation des preuves (ATF 130 III 321 consid. 5 et les arrêts cités; arrêt du Tribunal fédéral 5A_807/2016 précité consid. 3.1.3).

L'examen plus approfondi des conditions des art. 25 ss LDIP aura lieu ultérieurement dans la procédure d'opposition à l'ordonnance de séquestre (art. 278 LP).

Le créancier qui invoque le cas de séquestre de l'art. 271 al. 1 ch. 6 LP n'a pas à rendre vraisemblable sa créance, laquelle découle du titre produit (arrêts du Tribunal fédéral 5A_824/2020 du 12 février 2021 consid. 3.4.2.2; 5A_521/2018 du 12 août 2019 consid. 3.3).

Le juge du séquestre qui, saisi d’une requête fondée sur l’art. 271 al. 1 ch. 6 LP, statue sur le caractère exécutoire d’un jugement « non Lugano» ne peut le faire qu’à titre incident (art. 271 al. 3 LP a contrario), en sorte que le juge de la mainlevée saisi ultérieurement n’est pas lié par cette décision (Abbet, Décisions étrangères et mainlevée définitive, SJ 2016 II 325, p. 342).

4.1.2 Selon l'art. 25 LDIP, une décision étrangère est reconnue en Suisse si la compétence des autorités judiciaires de l'Etat dans lequel la décision a été rendue était donnée (let. a) si décision n'est plus susceptible de recours ordinaire ou si elle est définitive (let. b), ce qui doit être documenté par une attestation (art. 29 al. 1 let. b LDIP), et s'il n'y a pas de motif de refus au sens de l'art. 27 LDIP (let. c).

La reconnaissance et l'exécution d'un jugement étranger doivent être refusées si elles sont manifestement incompatibles avec l'ordre public matériel suisse (art. 27 al. 1 LDIP). L'examen du juge suisse ne doit pas constituer une révision de la décision sur le fond (art. 27 al. 3 LDIP); il ne doit s'agir que d'une comparaison du résultat concret de la reconnaissance avec le résultat qu'aurait entraîné une décision rendue par un juge suisse (Abbet, op.cit., p. 344; ATF 126 III 101 consid. 3b - JdT 2000 II 41; arrêts du Tribunal fédéral 4A_8/2008 du 5 juin 2008 consid. 3.1; 5A_267/2007 du 30 septembre 2008 consid. 4.2; 5A_697/2017 du 5 mars 2018 consid. 3.3).

L'interdiction de la révision au fond de la décision étrangère par le juge suisse signifie que ce dernier ne peut pas refuser la reconnaissance et l'exécution du jugement étranger, au motif qu'il considère qu'un point quelconque, de fait ou de droit, a été mal jugé par son collègue étranger. Pas davantage, le juge suisse ne pourra reprocher à son collègue étranger de n'avoir pas appliqué la loi désignée par le droit international privé de l'Etat de reconnaissance ou d'exécution du jugement (Dutoit, Droit international privé suisse, 5ème éd. 2016, n. 13 ad art. 28 LDIP).

4.1.3 S'agissant des punitives damages du droit américain, la jurisprudence n'a pas définitivement tranché la question de la conformité ou non à l’ordre public suisse (cf. arrêt du Tribunal fédéral 4A_16/2012 du 2 mai 2012 consid. 4.3; Abbet, op. cit., p. 344).

Selon une partie de la doctrine, en matière de punitive et d’exemplary damages, les décisions étrangères devraient en principe, sous réserve de montants exorbitants, pouvoir être reconnues à concurrence des éléments dont le demandeur peut prouver qu’ils ont été accordés à titre de dommages-intérêts ou de réparation morale en vertu du droit de l’État de condamnation (cf. Däppen/Mabillard, BSK IPRG, n° 75 ad art. 27 LDIP).

Selon Müller-Chen, une violation de l'ordre public devrait être admise lorsque l'examen révèle que la fonction des punitive damages revêt dans un cas concret essentiellement un aspect pénal, ou lorsque les punitive damages, combinés avec les dommages-intérêts, conduisent à une prétention excessivement élevée, de sorte que l'on ne peut plus parler globalement d'une indemnisation équitable. Si les punitives damages visent (aussi) la réparation d'un dommage, le prélèvement d'un bénéfice ou une réparation morale du lésé, le jugement peut en principe être reconnu, car le droit suisse connaît aussi ces possibilités (Müller-Chen, Zürcher Kommentar zum IPRG, Tome I, 2018, n° 40 ss ad art. 27 LDIP).

Pour Schramm/Buhr, le fait que les punitive damages contiennent une certaine composante pénale n'est généralement pas considéré comme une contradiction intolérable avec les conceptions fondamentales du droit suisse, pour autant que l'aspect punitif ne constitue pas le but prédominant dans le cas concret. En effet, le droit suisse connaît, avec la peine conventionnelle (art. 160 – 163 CO) et les indemnités de droit du travail (art. 336a CO, 337c CO et 5 LEg), des instruments juridiques qui contiennent également des composantes punitives. Le fait que les punitive damages permettent d'aller au-delà de la réparation du pur dommage matériel ne constitue pas automatiquement une violation de l'ordre public. En effet, en droit suisse aussi, la réparation morale (art. 49 CO) va au-delà du dommage matériel, quand bien même elle est soumise à des conditions strictes  (Schramm/Buhr, Internationales Privatrecht Art. 1-200 IPRG, in Handkommentar zum Schweizer Privatrecht, Band 9, 2016, n° 15 et ss ad art. 27 IPRG).

Dans un arrêt du 1er février 1989, la Cour d'appel de Bâle-Ville a confirmé un jugement de première instance reconnaissant une sentence américaine allouant notamment des punitive damages (dont le montant était inférieur à celui des dommages-intérêts; cf. Basler Juristische Mitteilungen (BJM) 1991, p. 31 ss, consid. 4c), en sus de dommages-intérêts. Dans cet arrêt, il a été considéré que le jugement étranger n'était pas contraire à l'ordre public suisse.

Selon le Tribunal fédéral, l'ordre public suisse n'est pas violé du seul fait qu'un jugement étranger applique des conceptions juridiques éloignées du droit suisse. La question de savoir si un jugement étranger allouant des dommages-intérêts punitifs est manifestement incompatible avec l'ordre public suisse mérite un examen approfondi en fonction des faits de la cause (arrêt du Tribunal 5A_1015/2021 du 4 août 2022 cons. 6.2.2; arrêt 4A_536/2016 du 26 octobre 2016 consid. 4.3.2).

Au cas où l’ordre public est heurté uniquement par une partie des effets de la décision, la reconnaissance et l’exécution peuvent être admises partiellement. Au lieu de refuser purement et simplement de tels jugements, il convient de réduire le montant réclamé jusqu’à un niveau tolérable sous l’angle de l’ordre public (Bucher, CR LDIP, n. 15 ad art. 27 LDIP).

4.2.1 En l'espèce, le Tribunal a en substance considéré à juste titre que la force probante des titres produits était suffisante, sous l'angle de la vraisemblance et compte tenu du stade de la procédure, pour retenir que le jugement rendu par la Superior Court of B______, I______ County était une décision pouvant être reconnue en Suisse. Il n'y a pas lieu de revenir sur cette appréciation. Il sera précisé à cet égard que le jugement n'est pas qualifié de jugement par défaut, quand bien même les parties défenderesses n'ont pas comparu aux audiences.

Le Tribunal a toutefois écarté une partie des créances constatées dans le jugement étranger, soit celles allouées au titre de punitive damages, au motif de leur incompatibilité avec l'ordre public suisse.

Or, conformément à la doctrine et la jurisprudence évoquées ci-dessus, un jugement étranger qui alloue des punitive damages n'est pas automatiquement incompatible avec l'ordre public suisse. Ce n'est qu'après analyse approfondie des faits de la cause que la question de la compatibilité d'un tel jugement avec l'ordre public suisse peut être tranchée de manière définitive.

Il y a donc lieu de considérer, sous l'angle de la vraisemblance et au terme d'un examen prima facie, que l'ordre public suisse ne s'oppose pas en l'espèce à la reconnaissance et à l'exécution du jugement prononcé par la Superior Court of B______, I______ County, dans la mesure où le montant des punitive damages alloués, environ trois fois supérieur à celui des dommages-intérêts, n'est pas démesuré et totalement extravagant au point de justifier le rejet pur et simple de la décision étrangère. La question d'une éventuelle reconnaissance partielle du jugement étranger sur ce point, qui pourra être tranchée au terme d'une analyse plus détaillée de cette décision, est exorbitante au présent recours.

Aussi, statuant à titre incident (cf. art. 271 al. 3 LP a contrario), la Cour de céans retient que le jugement rendu par la Superior Court of B______, I______ County permet d'obtenir le séquestre aussi s'agissant du montant de 300'000 USD alloué à la recourante à titre de punitive damages.

Le recours est donc fondé.

4.2.2 Dans la mesure où la cause est en état d'être jugée (art. 327 al. 3 let. b CPC), le séquestre requis sera ordonné.

L'ordonnance attaquée sera complétée en ce sens que le séquestre sera aussi ordonné pour les punitive damages à hauteur de 277'913 fr. 60 (contrevaleur de 300'000 USD au cours moyen de 1.08 USD=1fr. du 20 mars 2023), hors intérêts, conformément au jugement du 19 décembre 2022.

Par souci de clarté, l'ordonnance querellée, y compris l'ordonnance de séquestre, seront annulées, et une nouvelle ordonnance, reprenant également les points non contestés, rendue.

Toutes les indications prévues par l'art. 274 al. 2 LP et le formulaire 45 "ordonnance de séquestre" figurent dans la présente décision, étant souligné que l'utilisation du formulaire précité n'est pas obligatoire pour les autorités cantonales (art. 2 al. 3 Oform).

4.3 En l'état, il ne se justifie pas de condamner la recourante à verser des sûretés selon l'art. 273 al. 1 in fine LP.

5. 5.1 Lorsque l'instance de recours rend une nouvelle décision, elle se prononce sur les frais de première instance (art. 318 al. 3 CPC par analogie; Jeandin, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 9 ad art. 327 CPC).

Le montant des frais judiciaires de première instance sera arrêté à 750 fr., en conformité avec l'art. 48 de l'Ordonnance sur les émoluments perçus en application de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (OELP).

Compte tenu du caractère unilatéral de la procédure d'autorisation de séquestre, le débiteur ne peut être assimilé à une partie qui succombe au sens de l'art. 106 al. 1 CPC (arrêts du Tribunal fédéral 5A_508/2012 du 28 août 2012 consid. 3.1 et 5A_344/2010 du 8 juin 2010 consid. 5, in RSPC 2010 p. 400). Cela étant, dans la mesure où la recourante obtient gain de cause sur les conclusions de sa requête de séquestre, il serait inéquitable de lui faire supporter les frais judiciaires de première instance. Ces frais seront par conséquent mis à la charge du débiteur séquestré en application de l'art. 107 al. 1 let. f CPC. Ils seront compensés avec l'avance de frais opérée en première instance par la recourante, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC et 68 al. 1 LP).

C______ sera par conséquent condamnée à verser à la recourante la somme de 750 fr. à ce titre (art. 111 al. 2 CPC).

Elle sera également condamnée à lui payer à titre de dépens 2'000 fr., débours inclus mais sans TVA, la recourante étant domiciliée à l'étranger (arrêt du Tribunal fédéral 4A_623/2015; art. 85, 88 et 89 RTFMC; art. 25 et 26 LaCC).

5.2 Les frais judiciaires du recours seront arrêtés à 3'000 fr. (art. 48 et 61 OELP) et laissés à la charge de l'Etat de Genève en application de l'art. 107 al. 2 CPC (Tappy, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème édition 2019, n. 37 ad art. 107 CPC). L'avance de frais de 3'125 fr. fournie par la recourante lui sera restituée.

Il ne sera pas alloué de dépens de recours, l'art. 107 al. 2 CPC ne permettant pas de mettre des dépens à la charge de l'Etat de Genève.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté par A______ contre l'ordonnance SQ/421/2023 de refus partiel de séquestre rendue par le Tribunal de première instance le 20 mars 2023 dans la cause C/4972/2023-12 SQP.

Au fond :

L'admet.

Annule l'ordonnance querellée.

Cela fait, statuant à nouveau :

Ordonne le séquestre, au profit de A______, domiciliée ______ 2______ Ave, #______, J______, [code postal] B______, Etats-Unis, au préjudice de C______, à concurrence des montants suivants :

- 104'296 fr. plus intérêts à 10% dès le 22 décembre 2022

- 31'471 fr. 55

- 277'913 fr. 60

De toutes espèces, valeurs, titres, créances et autres biens de quelque nature qu’ils soient, en comptes, dépôts ou coffres-forts, appartenant à Madame C______, sous son nom propre, désignation conventionnelle ou numérique, déposés en mains de :

- D______, sise route 3______ no. ______, [code postal] Genève, que ce soit au siège de cette banque à Genève ou après de sa succursale de G______ [VS], notamment (mais pas uniquement) les comptes portant IBAN CH4______ et CH5______, y compris tous comptes et sous-comptes qui y sont liés ;

- E______, sise boulevard 6______ no. ______, [code postal] Genève, que ce soit au siège de cette banque à Genève ou auprès de ses succursales à Zurich ou H______ [GR].

Arrête les frais judiciaires de première instance à 750 fr., les met à la charge de C______ et les compense avec l'avance de frais, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne C______ à verser à A______ 750 fr. à titre de remboursement des frais judiciaires de première instance et 2'000 fr. à titre de dépens de première instance.

Sur les frais du recours :

Arrête les frais judiciaires du recours à 3'000 fr. et les met à la charge de l'Etat de Genève.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer 3'150 fr. à A______.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens de recours.

Siégeant :

Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, présidente ad interim ; Monsieur
Laurent RIEBEN et Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Laura SESSA, greffière.

La présidente ad interim : La greffière :

Verena PEDRAZZINI RIZZI Laura SESSA

 

 

 

 

 

Observations

 

1. Effets du séquestre

 

Il est interdit au débiteur, sous menace des peines prévues par la loi (art. 169 CP), de disposer des biens séquestrés sans la permission du préposé (art. 275 et 96 LP).

 

L'office des poursuites peut prendre les objets sous sa garde ou les placer sous celle d'un tiers.

 

Il peut cependant les laisser à la libre disposition du débiteur, à charge pour celui-ci de fournir des sûretés par un dépôt, un cautionnement solidaire ou une autre sûreté équivalente

(art. 277 LP).

 

2. Voies de droit

 

a) Opposition (art. 278 LP)

 

Celui dont les droits sont touchés par un séquestre peut former opposition auprès du juge du séquestre dans les dix jours dès celui où il en a eu connaissance. Le juge entend les parties et statue sans retard. La décision sur opposition peut faire l'objet d'un recours au sens du code de procédure civile (CPC). Les parties peuvent alléguer des faits nouveaux.

 

L'opposition et le recours n'empêchent pas le séquestre de produire ses effets.

 


 

b) Plainte (art. 17 ss LP)

 

Les objets insaisissables (art. 92 LP) ne peuvent pas non plus être séquestrés. Les art. 91 à 109 LP relatifs à la saisie s'appliquent par analogie à l'exécution du séquestre. Tous les revenus du travail, les usufruits et leurs produits, les rentes viagères, de même que les contributions d'entretien, les pensions et prestations de toutes sortes qui sont destinés à couvrir une perte de gain ou une prétention découlant du droit d'entretien, en particulier les rentes et les indemnités en capital qui ne sont pas insaisissables en vertu de l'art. 92 LP, peuvent être séquestrés, déduction faite de ce que le préposé estime indispensable au débiteur et à sa famille.

 

3. Validation du séquestre (art. 279 LP)

 

Le créancier qui a fait opérer un séquestre sans poursuite ou action préalable doit requérir la poursuite ou intenter action dans les dix jours à compter de la réception du procès-verbal.

 

Si le débiteur forme opposition, le créancier doit requérir la mainlevée de celle-ci ou intenter action en reconnaissance de la dette dans les dix jours à compter de la date à laquelle le double du commandement de payer lui a été notifié. Si la requête de mainlevée est rejetée, le créancier doit intenter action dans les dix jours à compter de la notification de cette décision.

 

Si le débiteur n'a pas formé opposition ou si celle-ci a été écartée, le créancier doit requérir la continuation de la poursuite dans les vingt jours à compter de la date à laquelle le double du commandement de payer lui a été notifié. Si l'opposition a été écartée, le délai commence à courir à l'entrée en force de la décision écartant l'opposition. La poursuite est continuée par voie de saisie ou de faillite, suivant la qualité du débiteur.

 

Si le créancier a intenté l'action en reconnaissance de dette sans poursuite préalable, il doit requérir la poursuite dans les dix jours à compter de la notification du jugement.

 

Les délais prévus par le présent article ne courent pas :

 

1. pendant la procédure d'opposition ni pendant la procédure de recours contre la décision sur opposition;

 

2. pendant la procédure de constatation de la force exécutoire relevant de la Convention du 30 octobre 2007 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ni pendant la procédure de recours contre la constatation de la force exécutoire.

 

4. Caducité du séquestre (art. 280 LP)

 

Les effets du séquestre cessent lorsque le créancier :

 

1. laisse écouler les délais qui lui sont assignés à l'article 279;

 

2. retire ou laisse périmer son action ou sa poursuite;

 

3. voit son action définitivement rejetée.

 

5. Participation provisoire à des saisies (art. 281 LP)

 

Lorsque les objets séquestrés viennent à être saisis par un autre créancier avant que le séquestrant ne soit dans les délais pour opérer la saisie, ce dernier participe de plein droit à la saisie à titre provisoire.

 

Les frais du séquestre sont prélevés sur le produit de la réalisation.

 

Le séquestre ne crée par d'autres droits de préférence.

 

La suspension des délais prévue par l'art. 145 al. 1 CPC ne s'applique pas.

 

 


 

Voie de recours sur les frais

 

Conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), la décision sur les frais peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours constitutionnel subsidiaire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF inférieure à 30'000 fr.

 

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