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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/5763/2025

ACPR/640/2025 du 13.08.2025 sur ONMMP/1866/2025 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;ESCROQUERIE;CHOSE CONFIÉE;ABUS DE CONFIANCE;DOMMAGES À LA PROPRIÉTÉ(DROIT PÉNAL)
Normes : CPP.310; CP.146; CP.138; CP.144; CC.715; CC.714

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/5763/2025 ACPR/640/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 13 août 2025

 

Entre

A______ AG, représentée par Me Michael ZIMMERMANN, avocat, ANWALTS. GRISCHOTT-DOMANIG AG, Maurerstrasse 8, 8500 Frauenfeld,

recourante,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 14 avril 2025 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 28 avril 2025, A______ AG recourt contre l'ordonnance du 14 avril 2025, notifiée le 16 suivant, aux termes de laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public afin qu'il ouvre une instruction contre B______ et procède à l'audition de ce dernier.

b. Par ordonnance du 1er juillet 2025 (OCPR/33/2025), la Direction de la procédure de la Chambre de céans a rejeté la demande de mesures provisionnelles assortissant le recours, visant à ce qu'il soit ordonné au Ministère public de procéder à la saisie conservatoire, subsidiairement à la confiscation, de deux locomotives et six wagons dont les caractéristiques ont été énumérées.

c. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'800.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ AG est une société anonyme inscrite au registre du commerce du canton de Thurgovie, notamment active dans le commerce de véhicules ferroviaires. C______ en est l'administrateur-président avec signature individuelle.

b. Par contrat du 8 juillet 2024, C______ a cédé à B______ l'intégralité de ses parts sociales dans la société D______ GMBH (ci-après, D______) pour un prix de CHF 30'000.-, montant dont l'acquéreur s'est acquitté.

c. Le même jour, A______ AG et B______ ont conclu un contrat intitulé "contrat de vente" ("Kaufvertrag"), aux termes duquel ce dernier a acquis six wagons et quatre locomotives pour un prix de CHF 2'670'070.- TTC.

Le contrat comportait une clause intitulée "Prix de vente et modalités de paiement" ("Kaufpreis und Zahlungsmodalitäten"), prévoyant que le prix devait être acquitté par tranches, conformément à un plan de paiement s'échelonnant du 31 juillet 2024 au 30 septembre 2027 (ch. 8). Ces versements étaient qualifiés de "redevances leasing" (ch. 9). L'acquéreur avait la possibilité d'effectuer des paiements supplémentaires en tout temps (ch. 10).

Selon les ch. 13 et 15 du contrat, les "profits et les risques" liés aux objets de la vente passaient à l'acquéreur dès leur remise, intervenue le 26 juin 2024 à la gare de E______ (Thurgovie). La venderesse en conservait la propriété jusqu'au paiement intégral du prix (ch. 21).

L'acquéreur était autorisé à aliéner les biens à des tiers, pour autant qu'il leur transférât l'ensemble des droits et obligations découlant du contrat (ch. 27), la venderesse demeurant propriétaire jusqu'au paiement complet du prix (ch. 28).

En cas de demeure portant sur un montant supérieur à CHF 100'000.- TTC, le contrat était réputé "résilié ex nunc". L'acquéreur était alors tenu de restituer les biens dans un délai de dix jours, les sommes déjà versées restant acquises à la venderesse à titre de "redevances leasing" (ch. 29).

d.a. Le 14 février 2025, A______ AG a déposé plainte auprès du Ministère public du canton de Berne contre B______ pour escroquerie (art. 146 CP), abus de confiance (art. 138 CP), subsidiairement vol (art. 139 CP), soustraction d'une chose mobilière (art. 141 CP) et dommages à la propriété (art. 144 CP).

Elle lui reprochait de n'avoir respecté aucune des échéances prévues dans le cadre du contrat conclu le 8 juillet 2024, malgré plusieurs relances restées sans effet, ainsi que d'avoir refusé de restituer les véhicules ferroviaires après la résiliation dudit contrat, intervenue le 4 décembre 2024. Selon elle, l'intéressé l'avait trompée sur sa réelle intention de s'acquitter du prix de vente, n'ayant en réalité jamais eu la volonté de le payer. Après avoir présenté des excuses destinées à la faire patienter, il avait même cessé de répondre à ses sollicitations. Il avait profité de leurs relations d'affaires préexistantes (cf. let. B. b. supra) pour instaurer un climat de confiance et donner l'illusion d'une activité commerciale sérieuse, agissant ainsi dans le dessein de s'enrichir illégitimement en s'appropriant les véhicules concernés, lesquels avaient été transférés ou revendus à des tiers. Deux locomotives avaient en outre été livrées à la société de recyclage F______ AG I______ [BE], en vue d'être mises à la ferraille. Or, B______ n'avait jamais acquis la propriété de ces biens, le transfert de celle-ci étant expressément subordonné au paiement intégral du prix de vente, lequel n'était toutefois jamais intervenu.

Par ailleurs, elle nourrissait des soupçons quant à une possible implication de G______. Celui-ci entretenait des relations d'affaires avec le précité et assumait la fonction d'administrateur-président de la société H______ SA, laquelle figurait, dans le registre des véhicules ferroviaires tenu par l'Office fédéral des transports (OFT), comme détentrice des quatre locomotives litigieuses.

d.b. À l'appui, A______ AG a produit un bordereau comprenant nonante-six pièces, parmi lesquelles figurent notamment les deux contrats susmentionnés (cf. B. b. et c. supra), ainsi que divers échanges de courriels intervenus entre elle, B______ et G______.

Il en ressort qu'entre les 28 septembre et 8 octobre 2024, plusieurs courriels ont été adressés à B______ afin d'obtenir le paiement des montants échus. Par e-mails des 30 septembre et 7 octobre 2024, l'intéressé a indiqué à la plaignante qu'il rencontrait des difficultés financières, tout en réaffirmant sa volonté de "régler leur engagement au plus vite" et en se présentant comme un "homme de parole". À compter du 6 novembre 2024, la plaignante a réitéré ses demandes par courriels, demeurés sans réponse. Elle a alors sollicité G______ afin d'obtenir l'adresse de B______, requête restée également sans suite. Par courriel du 4 décembre 2024, elle a notifié à ce dernier la résiliation immédiate du contrat et requis la restitution des véhicules ferroviaires au plus tard le 18 décembre suivant. Cette demande est restée sans effet.

e. Le 7 mars 2025, le Ministère public bernois a formé une demande de reprise de for auprès de son homologue genevois, qui a été acceptée le 8 avril 2025. La procédure a été inscrite sous le présent numéro de procédure.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public considère que les éléments constitutifs de l'infraction d'escroquerie (art. 146 CP) n'étaient pas réunis, en raison de l'absence de tromperie astucieuse. Les pièces versées au dossier ne permettaient pas d'établir que B______ aurait construit un édifice de mensonges difficilement décelable. Le fait que ce dernier et le président du conseil d'administration de A______ AG aient entretenu antérieurement des relations d'affaires ne suffisait pas à démontrer l'existence d'un rapport de confiance particulier – le contrat de vente litigieux n'ayant, au demeurant, pas été contracté entre les mêmes parties – susceptible de dissuader la plaignante de procéder aux vérifications usuelles, notamment quant à la capacité du mis en cause d'honorer un engagement dépassant CHF 2'000'000.-.

Les éléments constitutifs de l'infraction d'abus de confiance (art. 138 CP) n'étaient pas davantage réalisés, en l'absence de chose confiée. Le contrat de vente susmentionné prévoyait un pacte de réserve de propriété, qui n'était toutefois pas valable, faute d'avoir été inscrit au registre prévu à cet effet (art. 715 CC). La propriété des véhicules litigieux avait dès lors été transférée au mis en cause. Bien que le terme "leasing" fût mentionné à plusieurs reprises dans le contrat, celui-ci ne revêtait pas les caractéristiques propres à un contrat de leasing.

Les infractions de vol (art. 139 CP) et de soustraction d'une chose mobilière (art. 141 CP) n'étaient pas non plus réalisées. La possession des biens litigieux ayant été transférée par la plaignante au mis en cause, et le contrat lui conférant le droit d'usage, voire celui d'aliéner ces biens à des tiers, aucun acte de soustraction ne pouvait lui être imputé, y compris postérieurement à la résiliation du contrat intervenue le 4 décembre 2024.

En outre, les éléments constitutifs de l'infraction de dommages à la propriété (art. 144 CP) n'étaient pas réunis. Le pacte de réserve de propriété étant demeuré sans effet juridique, les véhicules litigieux ne constituaient ni des choses mobilières appartenant à autrui, ni des biens grevés d'un droit d'usage ou d'usufruit en faveur d'un tiers. Au surplus, il était difficile de déterminer quel acte précis le mis en cause aurait pu accomplir pour endommager lesdits véhicules, étant au demeurant autorisé à en faire usage dès leur prise de possession.

Quant à la commission d'infractions potentiellement commises par d'autres personnes, telles que G______ – vaguement évoqué dans la plainte –, elle ne serait pas examinée, faute d'éléments probants suffisants.

Pour le surplus, le litige relevait essentiellement du droit civil, ce qui justifiait de ne pas entrer en matière sur la plainte.

D. a. Dans son recours, A______ SA dénonce, en premier lieu, une appréciation inexacte des faits [dans un grief qu'elle intitule "constatation erronée des faits"], le Ministère public ayant retenu à tort que la propriété des véhicules litigieux avait été transférée à B______. Le contrat conclu le 8 juillet 2024 comportait en effet une clause de réserve de propriété prévoyant que le transfert de propriété n'interviendrait qu'après le paiement intégral du prix. Or, à ce jour, seul un montant de CHF 20'000.- avait été versé par l'intéressé. L'ordonnance querellée ne mentionnait pas davantage que ce contrat avait été valablement résilié, le 4 décembre 2024, pour retard de paiement, ni la demande de restitution des véhicules litigieux qui en avait résulté. Pour le surplus, le contrat présentait, selon elle, les caractéristiques d'un contrat de leasing, la qualification formelle ne pouvant prévaloir sur la nature juridique réelle (art. 18 CO). La position adoptée par l'autorité précédente était dès lors juridiquement infondée.

Elle invoque ensuite une violation des art. 310 CPP, 714 et ss CC, ainsi que des art. 138, 144 et 146 CP. Le Ministère public ne pouvait pas retenir que les conditions d'une non-entrée en matière étaient réunies, ayant omis de procéder à son audition et à celle du mis en cause. Il avait, à tort, renoncé à ouvrir une instruction contre ce dernier, qui s'était rendu coupable d'escroquerie. Des indices suffisants laissaient en effet présumer qu'il était dépourvu de toute intention de paiement dès la conclusion du contrat. Leur relation d'affaires préexistante (cf. let. B. b. supra) avait instauré un climat de confiance l'ayant incitée à signer le contrat litigieux. Les modalités convenues, comprenant des paiements échelonnés et une clause de réserve de propriété, l'avaient par ailleurs confortée dans l'idée que l'intéressé honorerait ses engagements. Le fait que les véhicules eussent été remis sans paiement anticipé ne permettait pas pour autant d'exclure la responsabilité pénale du mis en cause.

L'infraction d'abus de confiance était également réalisée, l'intéressé s'étant abstenu de restituer les véhicules litigieux malgré la résiliation du contrat et persistant à se comporter en propriétaire. De plus, les éléments constitutifs de l'infraction de dommages à la propriété étaient réunis, deux locomotives ayant été endommagées sur le site de la société de recyclage F______ AG I______.

Par ailleurs, une "éventuelle implication" de G______, dont le nom figurait à plusieurs reprises dans la correspondance versée au dossier, devait également être examinée.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             La recourante ne revient pas sur les préventions de vol (art. 139 CP) et de soustraction d'une chose mobilière (art. 141 CP), évoquées dans sa plainte, dès lors qu'elle ne développe aucun grief en lien avec ces infractions. Ces points n'apparaissant plus litigieux, ils ne seront pas examinés plus avant dans le présent arrêt (art. 385 al. 1 let. a CPP).

4.             Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP; ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes du Ministère public auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-devant.

Partant, ce grief sera rejeté.

5.             La recourante estime qu'il existe une prévention suffisante, contre B______, d'abus de confiance, de dommages à la propriété et d'escroquerie.

5.1.  Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le Ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière lorsqu'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; ATF 138 IV 86 consid. 4.1).

La non-entrée en matière peut également résulter de motifs juridiques. La question de savoir si les faits qui sont portés à sa connaissance constituent une infraction à la loi pénale doit être examinée d'office par le ministère public. Des motifs juridiques de non-entrée en matière existent lorsqu'il apparaît d'emblée que le comportement dénoncé n'est pas punissable (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 10 ad art. 310).

Une non-entrée en matière s'impose lorsque le litige est de nature purement civile (ATF 137 IV 285 consid. 2.3).

5.2.  Se rend coupable d'abus de confiance quiconque, pour se procurer ou procurer à un tiers un enrichissement illégitime, s'approprie une chose mobilière appartenant à autrui et qui lui a été confiée (art. 138 ch. 1 al. 1 CP), ou emploie à son profit ou au profit d’un tiers des valeurs patrimoniales qui lui ont été confiées (art. 138 ch. 1 al. 2 CP).

Sur le plan objectif, cette infraction suppose qu'une valeur ait été confiée, autrement dit que l'auteur ait acquis la possibilité d'en disposer, mais que, conformément à un accord (exprès ou tacite) ou un autre rapport juridique, il ne puisse en faire qu'un usage déterminé, en d'autres termes, qu'il l'ait reçue à charge pour lui d'en disposer au gré d'un tiers, notamment de la conserver, de la gérer ou de la remettre (ATF 143 IV 297 consid. 1.3; 133 IV 21 consid. 6.2). Le comportement délictueux consiste à utiliser la valeur patrimoniale contrairement aux instructions reçues, en s'écartant de la destination fixée (ATF 129 IV 257 consid. 2.2.1; arrêt 6B_972/2022 du 12 janvier 2024 consid. 3.1.1).

5.3.  L'art. 144 al. 1 CP punit quiconque, sans droit, endommage, détruit ou met hors d'usage une chose appartenant à autrui ou frappé d'un droit d'usage ou d'usufruit au bénéfice d'autrui.

5.3.1. Déterminer qui est le propriétaire d'une chose se résout à la lumière du droit civil (ATF 132 IV 5 consid. 3.3; arrêt du Tribunal fédéral 6B_524/2019 du 24 octobre 2019 consid. 3.1). Le contrat conclu entre les parties est déterminant pour l'examen des rapports de propriété (ATF 118 II 150 c. 6c et les références citées).

5.3.2. Selon l'art. 18 al. 1 CO, pour apprécier la forme et les clauses d'un contrat, il y a lieu de rechercher la réelle et commune intention des parties, sans s'arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention.

5.3.3. En matière de vente mobilière, l'obtention de la propriété suppose, outre l'existence d’une convention valable, une opération d'acquisition, elle-même constituée d'un acte de disposition et du transfert de la possession de l'objet concerné (art. 714 al. 1 CC; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1056/2018 du 29 janvier 2019 consid. 2.3.4). L'acte de disposition est un contrat réel, par lequel l'aliénateur et l'acheteur manifestent leur volonté de transférer (hic et nunc) la propriété de la chose, en exécution de la convention de vente (P.-H. STEINAUER, Les droits réels, tome I, 6ème éd., Berne 2019, n. 2959 ainsi que 2997 et s.). Ce contrat peut être conditionnel. Ainsi en va-t-il quand le vendeur se réserve la propriété de la chose jusqu'au règlement du prix convenu (P.-H. STEINAUER, op. cit., n. 2959 ainsi que 2997 et s.). Pour être valable, ce pacte dit de réserve de propriété doit être inscrit dans le registre public ad hoc (art. 715 al. 1 CC). Avant cette inscription, il ne sortit aucun effet réel, que ce soit entre les parties ou envers les tiers; l'acquéreur peut donc valablement disposer de l'objet, même en faveur d’une personne qui connaît l’existence du pacte (P.-H. STEINAUER, op. cit., n. 3010).

En application de ces principes, le Tribunal fédéral a jugé, dans trois arrêts publiés aux ATF 106 IV 254 (consid. 2), 90 IV 190 (consid. 1) et 90 IV 180 (consid. 1), que l'acheteur qui revendait un bien à un tiers avant, d'une part, que la réserve de propriété prévue dans le contrat de vente initial n'ait été inscrite au registre topique et, d'autre part, qu'il n'ait lui-même payé l'intégralité du prix convenu, ne pouvait se rendre coupable d'abus de confiance, faute d'avoir disposé d'une "chose appartenant à autrui", étant devenu propriétaire dudit bien dès sa remise.

5.4.1. Aux termes de l'art. 146 ch. 1 CP, commet une escroquerie quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, induit astucieusement en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou la dissimulation de faits vrais ou la conforte dans son erreur et détermine de la sorte la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers.

5.4.2. Pour qu'il y ait escroquerie, une simple tromperie ne suffit pas. Il faut encore qu'elle soit astucieuse. Il y a tromperie astucieuse, au sens de l'art. 146 CP, lorsque l'auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu'il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n'est pas possible, ne l'est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l'auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu'elle renoncera à le faire en raison d'un rapport de confiance particulier (ATF 147 IV 73 consid. 3.2; 142 IV 153 consid. 2.2.2; 135 IV 76 consid. 5.2).

5.4.3. L'astuce n'est toutefois pas réalisée si la dupe pouvait se protéger avec un minimum d'attention ou éviter l'erreur avec le minimum de prudence que l'on pouvait attendre d'elle. Il n'est cependant pas nécessaire qu'elle ait recouru à toutes les mesures possibles pour éviter d'être trompée. L'astuce n'est exclue que si la dupe n'a pas procédé aux vérifications élémentaires que l'on pouvait attendre d'elle au vu des circonstances, notamment compte tenu de son degré d'expérience dans le domaine concerné (ATF 135 IV 76 consid. 5.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_977/2018 du 27 décembre 2018 consid. 1.1). Une coresponsabilité de la dupe n'exclut toutefois l'astuce que dans des cas exceptionnels, soit lorsque son imprudence fait passer le comportement frauduleux de l'auteur au second plan (ATF 147 IV 73 consid. 3.2; 142 IV 153 consid. 2.2.2; 135 IV 76 consid. 5.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_212/2020 du 21 avril 2021 consid. 2.4).

5.4.4. Une tromperie au sens de l'art. 146 CP peut notamment se rapporter à la volonté d'exécuter un contrat. Une telle tromperie n'est toutefois pas astucieuse dans tous les cas. Il est trop schématique d'affirmer que la volonté affichée est un phénomène intérieur invérifiable et qu'une tromperie relative à cette volonté est toujours astucieuse (ATF 118 IV 359 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_584/2018 du 30 août 2018 consid. 2.1). L'astuce est exclue lorsqu'on aurait raisonnablement pu exiger de la dupe qu'elle vérifie la capacité de l'auteur de fournir sa prestation, et qu'un tel examen, s'il avait été fait, aurait permis de constater que cette capacité faisait effectivement défaut (ATF 147 IV 73 consid. 3.3). Tel peut notamment être le cas lorsque la dupe a déjà eu une mauvaise expérience avec l'auteur par le passé (ATF 118 IV 359 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_440/2008 du 11 novembre 2008 consid. 4.1) ou encore en présence de modalités contractuelles risquées, par exemple la vente sur internet d'un produit de valeur, livré contre une facture (ATF 142 IV 153 consid. 2.2.4).

5.5.1. En l'espèce, la recourante reproche au mis en cause de ne pas s'être acquitté du prix de vente des véhicules ferroviaires litigieux et, malgré la résiliation du contrat intervenue le 4 décembre 2024, d'avoir persisté à les conserver et à en disposer indûment. Elle l'accuse en outre d'avoir volontairement endommagé deux locomotives, lesquelles auraient été placées à la ferraille.

Il est constant que les parties ont convenu que la propriété des biens concernés ne serait transférée au mis en cause qu'une fois le prix de vente intégralement acquitté, instituant ainsi une condition suspensive au contrat conclu entre elles, à savoir une clause de réserve de propriété. Cela étant, ce pacte ne produit effet qu'à compter de son inscription au registre tenu par l'Office des poursuites, inscription revêtant un effet constitutif. Avant cette formalité, le pacte ne produit aucun effet réel, ni entre les parties, ni à l'égard des tiers. Or, rien n'indique qu'une telle inscription ait été réalisée, ce que la recourante ne prétend d'ailleurs pas.

Cette dernière soutient avoir en réalité conclu un contrat de leasing avec le mis en cause, de sorte qu'elle aurait, en tout état de cause, conservé la propriété des véhicules litigieux. Force est cependant de constater que la relation contractuelle liant les parties présente non pas les caractéristiques d'un contrat de leasing, mais bien celles d'un contrat de vente (art. 214 et ss CO et 715 CC). En effet, le contrat litigieux, expressément intitulé "contrat de vente", prévoit la remise des véhicules ferroviaires au mis en cause avant paiement intégral, ainsi qu'une clause de réserve de propriété et le transfert à ce dernier des risques et profits dès la remise des biens concernés. Il lui confère en outre la faculté de les aliéner à des tiers, sous réserve de céder les droits et obligations découlant du contrat. La qualification des paiements comme "redevances leasing" est dès lors sans portée, dans la mesure où l'intention des parties, clairement exprimée dans le contrat, était de transférer la propriété des véhicules litigieux au mis en cause après le paiement intégral du prix, et non de lui conférer un simple droit d'usage temporaire. À l'inverse, le leasing se caractérise par un contrat de durée qui, en lieu et place de l'obligation de transfert de propriété (art. 184 CO), ne prévoit généralement ni transfert effectif de la propriété, ni faculté pour le preneur d'en devenir propriétaire (arrêt du Tribunal fédéral 4A_404/2008 du 18 décembre 2008 c. 4.1.4 i.f.).

Il s'ensuit que, faute d'inscription de la réserve de propriété au registre ad hoc, le mis en cause est devenu propriétaire des véhicules ferroviaires dès leur transfert de possession, indépendamment du paiement du prix de vente. Il était ainsi libre d'en disposer, y compris en faveur de tiers, de sorte qu'aucune infraction aux art. 138 et 144 CP ne pouvait lui être imputée – ni, a fortiori, à G______ –, les biens mobiliers n'appartenant plus "à autrui".

5.5.2. Concernant l'escroquerie alléguée, quand bien même le mis en cause aurait d'emblée eu l'intention de se soustraire à ses obligations – cette volonté étant un fait interne, par essence difficile à prouver –, la recourante n'en aurait, quoi qu'il en soit, pas été dupe. En effet, elle n'allègue pas avoir procédé à la moindre vérification quant à la situation financière ou à la solvabilité du mis en cause, bien que la vente portât sur un montant conséquent (CHF 2'670'070.-). Elle a pourtant estimé que le risque que l'intéressé ne s'acquittât pas du prix, ou ne disposât pas des moyens nécessaires pour ce faire, était suffisamment concret pour intégrer au contrat une clause de réserve de propriété en sa faveur, jusqu'au paiement intégral du prix (cf. ch. 21 et 28). Le fait que C______, son administrateur-président, ait conclu le même jour un contrat avec le mis en cause portant sur l'acquisition de parts sociales dans une société tierce – pour un montant notablement inférieur (CHF 30'000.-) – ne suffit pas à établir l'existence d'un lien de confiance suffisamment fort pour la dispenser de toute vérification préalable. Il convient en outre de relever que les véhicules ferroviaires litigieux ont été remis au mis en cause le 26 juin 2024 – sans qu'aucune garantie effective n'eût préalablement été exigée – et ce, avant même la signature des deux contrats précités.

L'existence d'une tromperie (astucieuse) doit donc être niée.

C'est ainsi à bon droit que le Ministère public n'est pas entré en matière sur la plainte et aucune mesure d'instruction, en particulier l'audition des parties, ne paraît être à même de modifier ce constat. La décision querellée ne prête dès lors pas le flanc à la critique.

6.            Justifiée, elle sera donc confirmée.

7.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 1'800.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03), qui seront prélevés sur les sûretés versées.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ AG aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'800.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Valérie LAUBER, présidente; Madame Catherine GAVIN et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Valérie LAUBER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/5763/2025

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

00.00

- délivrance de copies (let. b)

CHF

00.00

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'715.00

Total

CHF

1'800.00