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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/3819/2019

ACPR/617/2025 du 07.08.2025 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL

Descripteurs : RETARD INJUSTIFIÉ;REFUS DE STATUER;PRINCIPE DE LA CÉLÉRITÉ
Normes : CPP.5; Cst.29.al1; Cst.29.al2

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/3819/2019 ACPR/617/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 7 août 2025

 

Entre

A______, représentée par Me B______, avocat,

recourante,

 

pour déni de justice et retard injustifié,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 6 juin 2025, A______ recourt pour déni de justice et violation du principe de célérité, qu'elle impute au Ministère public.

La recourante conclut, sous suite de frais et extension du mandat de défense d'office à la procédure de recours, au constat desdits déni et violation et à ce qu'il soit ordonné au Ministère public de (i) prononcer un classement en sa faveur ou, subsidiairement, (ii) retirer du dossier le procès-verbal d'audition du 6/7 novembre 2018 et ses annexes, ainsi que le rapport de la police du 25 mars 2019 ou, plus subsidiairement, (iii) entendre sans délai le Sergent-chef C______ et le Caporal D______, obtenir sans délai et verser au dossier les Directives de la police sur l'établissement des planches photographiques et le "listing des noms" non caviardé correspondant à la planche photographique CICOP du 2 novembre 2018 ou, plus subsidiairement, (iv) statuer sans délai sur l'ensemble des réquisitions de preuve formées les 7 juin 2021, 5 octobre 2021, 25 juillet 2023, 29 septembre 2023 et 8 mai 2025.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 30 octobre 2018, E______, né le ______ 1999, et sa sœur F______, née le ______ 2004, ont déposé plainte, suite à une agression qu'ils avaient subie le jour même, devant l'entrée de leur domicile, de la part de quatre individus – trois hommes et une femme – et lors de laquelle le précité avait été roué de coups, subissant ainsi diverses lésions, les deux plaignants ayant par ailleurs été aspergés au moyen d'un spray au poivre. Lors de leurs auditions, ces derniers ont fourni des informations en vue de l'identification des assaillants, F______ ayant déclaré pouvoir reconnaître la femme impliquée sur photographie.

b. Les 31 octobre et 6 novembre 2018, F______ a contacté la police afin de leur fournir des renseignements complémentaires au sujet des personnes impliquées. Lors de son audition, le 7 novembre 2018, elle a expliqué avoir identifié la femme présente au moment des faits – dont elle avait vu le visage, qui n'était pas masqué – au moyen de son compte Facebook ouvert au nom de "A______". Sur la planche photographique CICOP établie le 2 novembre 2018, elle a désigné la photographie n° 4, correspondant à A______.

c. Entendus par la police le 25 mars 2019, en qualité de prévenus, G______ et H______ se sont refusés à toute déclaration.

d. Egalement entendue en qualité de prévenue, le surlendemain, A______ a contesté les faits.

e. Les 28 février, 26 mars et 4 avril 2019, le Ministère public a ouvert une instruction contre H______, G______ et A______, du chef d'agression (art. 134 CP), leur reprochant d'avoir, le 30 octobre 2018, de concert avec une quatrième personne non identifiée, violenté physiquement E______, en le rouant de coups, lui occasionnant de la sorte diverses lésions. Il est à cet égard plus particulièrement reproché à A______ de s'être, dans le cadre de cette agression, servie d'un spray au poivre à l'encontre de E______ et de F______.

f. Diverses audiences d'instruction ont eu lieu, lors desquelles étaient présents: (i) le 26 mars 2019, H______ et G______, en qualité de prévenus, (ii) le 12 avril 2019, H______, G______, A______ et I______, en qualité de prévenus; E______ et J______, en qualité de plaignants, (iii) le 14 octobre 2020, H______, G______, A______, F______ et J______.

g. Le 4 avril 2019, le Ministère public a ordonné la perquisition de deux téléphones portables – l'un ayant été laissé sur place par une personne non identifiée, l'autre retrouvé au domicile de A______ –, ainsi que le séquestre de tout élément pouvant être utilisé comme moyen de preuve.

Le même jour, le Ministère public a ordonné la surveillance rétroactive des télécommunications du raccordement utilisé par A______, mesure validée le lendemain par le Tribunal des mesures de contrainte.

Selon le rapport de renseignements du 29 avril 2019, l'enquête liée à l'appareil téléphonique de cette dernière – effectuée sur la base d'un mandat d'actes d'enquête du 4 avril 2019 – n'avait pas permis de déterminer avec précision où elle se trouvait le jour et à l'heure de l'agression.

h. Entendu par la police, le 5 avril 2019, en qualité de prévenu, pour avoir participé à l'altercation du 30 octobre 2018, I______ – dont le logement a été perquisitionné et le raccordement téléphonique fait l'objet d'une surveillance rétroactive des télécommunications – a contesté les faits.

i. Les analyses des divers prélèvements effectués sur les lieux de l'agression n'ont pas permis d'établir de correspondances avec l'ADN de A______.

j. Par courrier de son conseil du 29 janvier 2020, A______ a sollicité le classement de la procédure dirigée à son encontre. Il n'existait aucun élément concret et crédible l'incriminant, la surveillance rétroactive et les analyses d'ADN l'ayant mise hors de cause. Quant à sa désignation par F______ sur la planche photographique, elle n'avait aucune valeur probante – ce qu'elle s'efforçait de démontrer –, ce d'autant que ladite planche avait "curieusement été établie le 2 novembre 2018 par la police", alors que personne n'avait mentionné son nom auparavant, ce qui laissait penser qu'elle avait été assemblée sur la base d'éléments ne figurant pas au dossier. À défaut d'un classement, elle sollicitait l'apport au dossier des éléments ayant servi à l'établissement de la planche précitée, faute de quoi celle-ci et tous les autres moyens de preuve administrés sur cette base devraient être retirés. Elle sollicitait enfin une indemnité sur la base de l'art. 429 CPP.

k. Par courrier de son conseil du 16 avril 2020, A______ s'est référée à son courrier du 29 janvier 2020, "resté sans réponse", sollicitant une nouvelle fois le classement de la procédure d'ici au 15 mai 2020.

l. Par avis de prochaine clôture de l'instruction du 13 mai 2020, le Ministère public a informé les parties qu'il entendait rendre deux ordonnances de classement – l'une s'agissant des faits reprochés à I______, l'autre en lien avec un cambriolage reproché à H______ –, et des ordonnances pénales pour le surplus, un délai au 22 juin 2020 leur étant imparti pour présenter d'éventuelles réquisitions de preuve.

m. Par courrier de son conseil du 25 mai 2020, A______ s'est opposée au prononcé d'une ordonnance pénale, se référant aux motifs invoqués dans son courrier du 29 janvier 2020 à l'appui d'un classement. Elle sollicitait en outre la levée du séquestre ordonné sur son téléphone portable.

n. Par courrier de son conseil du 22 juin 2020, A______ a réitéré sa demande de classement, déniant une nouvelle fois toute valeur probante à l'identification "plus que douteuse faite par des contacts de E______". Dans la mesure où le Ministère public entendait retenir ce moyen de preuve, il convenait qu'il enjoignît les plaignants à fournir le nom des personnes l'ayant identifiée au moyen de son profil Facebook, puis qu'il les entendît, en contradictoire. Elle réitérait sa demande d'indemnisation.

o. Par courrier de son conseil du 21 août 2020, A______ a déploré qu'aucune suite n'ait été donnée à son envoi du 22 juin 2020 et priait le Ministère public de bien vouloir y donner suite.

p. Par courrier de son conseil du 8 septembre 2020, A______ a réitéré les réquisitions de preuves formulées dans son courrier du 22 juin 2020.

q. À teneur des rapports de renseignements des 27 octobre et 19 novembre 2020 – reçus le 3 décembre suivant par le Ministère public –, les analyses effectuées par la police sur le téléphone abandonné sur les lieux des faits, sur la base d'un mandat d'actes d'enquête du 14 octobre précédent, avaient permis de révéler qu'il pourrait appartenir à une certaine K______, laquelle connaîtrait G______ et A______.

r. Par courrier de son conseil du 7 juin 2021, A______ a une nouvelle fois critiqué les circonstances dans lesquelles son identification avait eu lieu. Elle s'étonnait que la police eût pu anticiper son identification, survenue "spontanément" le 6 ou le 7 novembre 2019, en préparant 4 ou 5 jours plus tôt une planche photographique avec sa photo, d'une part, et que sa photo se trouvât dans une base de données servant au suivi de la délinquance à caractère sériel et itinérant, alors qu'elle n'avait pas le moindre antécédent, d'autre part, et s'interrogeait sur le respect du cadre légal applicable. Elle réitérait sa demande de classement, subsidiairement, sollicitait l'obtention des directives de la police sur l'établissement des planches photographiques, ainsi que la réglementation visée par l'art. 14 al. 2 du Concordat du 3 avril 2014 réglant la coopération en matière de police en Suisse romande (CCPSR), l'obtention du "Listing des noms" non caviardé correspondant à la planche photographique CICOP du 2 novembre 2018, ainsi que l'audition du Sergent-chef C______ et du Caporal D______.

s. Par courrier de son conseil du 5 octobre 2021, A______ a déploré qu'aucune suite n'ait été donnée à ses demandes de classement, respectivement, à ses réquisitions de preuve sollicitées dans son courrier du 7 juin 2021. Invoquant le principe de la célérité, elle les réitérait.

t. Par avis de prochaine clôture de l'instruction du 21 décembre 2022, le Ministère public a informé les parties qu'il envisageait de rendre, (i) s'agissant des faits reprochés à H______, une ordonnance de classement partiel et une ordonnance pénale, (ii) s'agissant de ceux reprochés à G______, une ordonnance pénale et, enfin, (iii) s'agissant des actes dont était soupçonnée A______, une ordonnance de classement, un délai au 23 janvier 2023 – ultérieurement prolongé au 20 février, puis au 10 mars suivants – leur étant imparti pour présenter leurs éventuelles réquisitions de preuve.

u. Par ordonnance du 24 juillet 2023, le Ministère public a rejeté la réquisition de preuve présentée de manière commune par J______ et E______, ainsi que leur demande tentant à la "mise en prévention" de L______ et de M______, tout en annonçant son intention de faire entendre K______ – dont la "mise en prévention" était aussi sollicitée – par voie de commission rogatoire internationale.

v. Par courrier de son conseil du 26 juillet 2023, A______ a déploré que le Ministère public eût renoncé à procéder immédiatement à un classement. Au vu de ce "revirement", elle réitérait, à défaut du prononcé d'un classement, sa demande de retrait d'éléments du dossier, ainsi que ses réquisitions de preuves formées le 7 juin 2021 et demeurées sans suite. Elle dénonçait une violation du principe de la célérité et un déni de justice.

w. Par courrier de son conseil du 29 septembre 2023, A______ a réitéré sa demande de classement, rien ne justifiant selon elle qu'elle attendît l'issue de la commission rogatoire. Elle persistait à dénoncer une violation du principe de la célérité, ainsi qu'un déni de justice, le Ministère public n'ayant donné aucune suite à sa demande de retrait d'éléments du dossier et ses réquisitions de preuve formulées le 7 juin 2021, reprenant des demandes déjà faites le 29 janvier 2020, puis encore réitérées le 26 juillet 2023. Elle l'enjoignait à prononcer immédiatement un classement, subsidiairement, à statuer sans délai sur ses requêtes, réitérant en outre sa demande tendant à l'audition du Sergent-chef C______ et du Caporal D______, moyen de preuve mis en péril par l'écoulement du temps. Elle avisait enfin le Ministère public que, faute de déterminations de sa part d'ici au 9 octobre 2024, elle envisagerait le dépôt d'un recours pour déni de justice.

x. Le 28 juin 2024, le Ministère public a adressé une demande d'entraide internationale au Procureur général près la Cour de N______ [France], le priant de bien vouloir procéder à l'audition de K______, en qualité de prévenue, en lien avec les faits survenus le 30 octobre 2018.

y. Par courrier de son conseil du 8 mai 2025, A______ s'est une nouvelle fois plainte que ses réquisitions de preuves et autres requêtes fussent demeurées sans suite depuis le 7 juin 2021, quand bien même elle les avait réitérées, notamment, les 5 octobre 2021, 26 juillet 2023 et 29 septembre 2023. Elle "sommait" le Ministère public de statuer et renouvelait l'intégralité de ses demandes pendantes – réquisitions de preuve et demande de retrait du procès-verbal du 6/7 novembre 2018 de F______. Se fondant sur le Règlement d'exploitation et fiche technique relatif à la base de données CICOP PICAR, qu'elle produisait en annexe, elle dénonçait une nouvelle fois la présence "inexplicable et illicite", en mains de la police, d'une photographie sur laquelle elle n'avait aucune raison de figurer. Elle invitait le Ministère public à statuer d'ici au 20 mai 2025.

C. a. Dans son recours, A______ rappelle avoir réclamé, à maintes reprises depuis 2021, soit le classement de la procédure dirigée à son encontre, soit l'administration des preuves nécessaires à constater l'illicéité du seul moyen de preuve encore "à charge", en retirant du dossier ceux ayant été acquis de manière illicite. Les soupçons, initialement dirigés contre elle, s'étaient déplacés vers une autre prévenue. Aucun élément probatoire n'avait été recueilli à sa charge, les tests d'ADN et la surveillance rétroactive téléphonique ayant permis d'écarter son implication. Sa prétendue "reconnaissance" – seul élément susceptible de la mettre en cause – était manifestement inexploitable. En effet, la police avait présenté à F______ une planche préparée 4 à 5 jours plus tôt, en utilisant une photo "qui semblait avoir été enregistrée hors base légale dans une base de donnée CICOP visant à lutter contre la délinquance à caractère sériel et itinérant". Le Ministère public avait par ailleurs écarté toute possibilité de confirmer dite "reconnaissance" lors d'une audience contradictoire, invoquant des motifs de protection de la victime mineure. Alors qu'il avait annoncé un classement en sa faveur en décembre 2022, le Ministère public avait ensuite renoncé à la prononcer et repris l'instruction, refusant "inexplicablement" de statuer ou répondre sur ses requêtes réitérées. En refusant de statuer sur ses requêtes justifiées, cette autorité avait commis un déni de justice, lequel était aggravé par le risque de mise en péril, avec l'écoulement du temps, des explications susceptibles d'être fournies par les auteurs du rapport de police. Le Ministère public avait par ailleurs violé le principe de la célérité, les quelques actes qu'il avait effectués ne suffisant pas à justifier la durée excessive de la procédure, qui durait depuis plus de six ans.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours, sans formuler d'observations.

c. A______ n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours, formé pour déni de justice et violation du principe de la célérité, soit des griefs invocables en tout temps (art. 396 al. 2 CPP), a été interjeté selon la forme prescrite (art. 393 et 396 al. 1 CPP), par la prévenue, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), qui dispose d'un intérêt juridiquement protégé à ce qu'il soit statué sur ses requêtes, et ce dans un délai raisonnable (art. 382 CPP).

2.             2.1. Une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 2 Cst. lorsqu'elle refuse de statuer sur une requête qui lui a été adressée, soit en l'ignorant purement et simplement, soit en refusant d'entrer en matière, ou encore omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à prendre (ATF 138 V 125 consid. 2.1; ATF 135 I 6 consid. 2.1; arrêts du Tribunal fédéral 6B_868/2016 du 9 juin 2017 consid. 3.1, 5A_578/2010 du 19 novembre 2010 et 5A_279/2010 du 24 juin 2010 consid. 3.3; G. PIQUEREZ/ A. MACALUSO, Procédure pénale suisse : Manuel, 3e éd., Zurich 2011, n. 187).

2.2. À teneur de l'art. 5 al. 1 CPP, les autorités pénales engagent les procédures pénales sans délai et les mènent à terme sans retard injustifié. Cette disposition concrétise le principe de la célérité, et prohibe le retard injustifié à statuer, posé par l'art. 29 al. 1 Cst., qui garantit notamment à toute personne, dans une procédure judiciaire ou administrative, le droit à ce que sa cause soit traitée dans un délai raisonnable. Comme on ne peut pas exiger de l'autorité pénale qu'elle s'occupe constamment d'une seule et unique affaire, il est inévitable qu'une procédure comporte quelques temps morts. Lorsqu'aucun d'eux n'est d'une durée vraiment choquante, c'est l'appréciation d'ensemble qui prévaut; des périodes d'activités intenses peuvent donc compenser le fait que le dossier a été laissé momentanément de côté en raison d'autres affaires. Selon la jurisprudence, apparaît comme une carence choquante une inactivité de treize ou quatorze mois au stade de l'instruction (arrêt du Tribunal fédéral 6B_172/2020 du 28 avril 2020 consid. 5.1). Le principe de la célérité peut être violé même si les autorités pénales n'ont commis aucune faute; elles ne sauraient exciper des insuffisances de l'organisation judiciaire (ATF 130 IV 54 consid. 3.3.3). Seul un manquement particulièrement grave, faisant au surplus apparaître que l'autorité de poursuite n'est plus en mesure de conduire la procédure à chef dans un délai raisonnable, pourrait conduire à l'admission de la violation du principe de célérité. En cas de retard de moindre gravité, des injonctions particulières peuvent être données, comme par exemple la fixation d'un délai maximum pour clore l'instruction (cf. ATF 128 I 149 consid. 2.2, rendu en matière de détention préventive).

2.3. Si le justiciable veut pouvoir ensuite soulever ce grief devant l'autorité de recours, il lui appartient toutefois d'entreprendre ce qui est en son pouvoir pour que l'autorité fasse diligence, par exemple en l'invitant à accélérer la procédure et à statuer à bref délai (ATF 130 I 312 consid. 5.2 ; 126 V 244 consid. 2d). Il serait en effet contraire au principe de la bonne foi, qui doit présider aux relations entre organes de l'État et particuliers en vertu de l'art. 5 al. 3 Cst., qu'un justiciable se plaigne d'un déni de justice devant l'autorité de recours, alors qu'il n'a entrepris aucune démarche auprès de l'autorité concernée pour remédier à la situation (ATF 149 II 476 consid. 1.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_4/2023 du 27 février 2023 consid. 2.2).

2.4. La recourante se plaint d'un déni de justice, le Ministère public ayant omis de statuer sur diverses demandes qu'elle lui avait adressées, malgré ses nombreuses relances.

2.4.1. La recourante fait tout d'abord grief au Ministère public de n'avoir toujours pas rendu d'ordonnance de classement en lien avec les faits qui lui étaient reprochés, bien qu'elle l'eût sollicité à maintes reprises, la première fois le 29 janvier 2020. Ce reproche doit être écarté. En effet, dans la mesure où le Procureur avait dans un premier temps estimé que la recourante devait être poursuivie en raison de ces faits – ce qui ressort du premier avis de prochaine clôture de l'instruction du 13 mai 2020 –, c'est en toute logique qu'il n'a pas donné suite à ces demandes. Certes, le Ministère public a ultérieurement annoncé, dans le cadre de son second avis de prochaine clôture de l'instruction du 21 décembre 2022, qu'il entendait désormais classer ces faits, chose qu'il n'a toujours pas faite à ce jour. Cela s'explique toutefois par le fait que des actes d'instruction sont actuellement en cours – plus particulièrement la demande d'entraide internationale tendant à l'audition de K______ –, lesquels pourraient révéler une responsabilité pénale de la recourante. Le prononcé d'une ordonnance de classement s'avère ainsi prématuré à ce stade de l'instruction, de sorte qu'aucun reproche ne saurait à cet égard être fait au Ministère public. Un tel constat s'impose d'autant plus qu'il n'existe aucune obligation pour cette autorité de rendre une ordonnance de classement avant la clôture de la procédure préliminaire.

2.4.2. Dans un autre grief, la recourante reproche au Procureur de ne pas avoir donné suite à ses réquisitions de preuve, de même que d'avoir omis de statuer sur sa demande tendant au retrait de moyens de preuve qu'elle juge avoir été obtenus illicitement, malgré ses nombreuses demandes en ce sens. Force est d'admettre, avec la recourante, que le Ministère public n'a donné aucune suite à ses requêtes, malgré les nombreuses relances qu'elle lui avait adressées. Peu importe à cet égard que le Procureur n'entendît pas y réserver une suite favorable, il se devait de prendre position sur celles-ci, afin de permettre à la recourante, le cas échéant, de recourir contre les décisions y relatives.

Bien qu'il ne saurait toutefois, à ce stade, être donné suite aux demandes de la recourante tendant au retrait de certaines pièces du dossier, d'une part, et à la mise en œuvre de divers actes d'instruction, d'autre part, faute précisément de décisions rendues par le Ministère public à cet égard, le silence de cette autorité consacre un déni de justice, lequel sera constaté. Un délai de trois semaines dès réception du présent arrêt lui sera dès lors imparti afin qu'il se détermine sur les réquisitions de preuve de la recourante, d'une part, ainsi que sur sa demande tendant au retrait de certaines pièces du dossier, d'autre part.

2.5. La recourante reproche également au Ministère public la durée excessive de la procédure – plus de six ans –, lui faisant ainsi grief d'avoir violé le principe de la célérité.

En l'espèce, à réception des plaintes de E______ et F______, fin 2018, le Ministère public a ouvert une instruction, le 28 février 2019, diverses auditions ayant par la suite eu lieu, tant devant la police (les 25 et 27 mars 2019, puis le 5 avril 2019) que le Ministère public (les 26 mars 2019, 12 avril 2019 et 14 octobre 2020). Parallèlement, le 4 avril 2019, le Procureur a ordonné la perquisition d'un logement et de deux téléphones et ordonné la surveillance rétroactive de raccordements téléphoniques, ainsi que l'établissement d'un rapport à cet égard, lequel a été rendu le 29 suivant. Le 13 mai 2020, le Ministère public a rendu un premier avis de prochaine clôture de l'instruction, avant d'ordonner, par mandat d'actes d'enquête du 14 octobre 2020, l'analyse du téléphone abandonné sur les lieux des faits. Le 3 décembre 2020, le Ministère public a reçu les rapports de renseignements y relatifs – établis les 27 octobre et 19 novembre précédents –, lesquels ont permis de porter des soupçons sur K______ et de mettre en lumière que cette dernière connaîtrait la recourante. Le Ministère public ne semble ensuite plus rien avoir entrepris jusqu'au 21 décembre 2022, date à laquelle il a rendu son nouvel avis de prochaine clôture de l'instruction, un délai au 23 janvier 2023 – ultérieurement prolongé au 20 février 2023, puis au 10 mars 2023 – ayant alors été imparti aux parties pour présenter leurs réquisitions de preuve. À réception de celles-ci, il a rendu, le 24 juillet 2023, une ordonnance de refus partiel d'administration de preuves, après avoir entre-temps adressé, le 28 juin 2024, une demande d'entraide internationale aux autorités françaises – en vue de l'audition de K______ –, dont il attend désormais le retour.

Bien que le Procureur ait omis de statuer sur certaines des requêtes de la recourante – omissions pour lesquelles un déni de justice a dû être constaté (cf supra consid. 2.4.2) – et qu'il n'ait pas instruit sans désemparer, l'instruction de la cause n'a pas connu d'inactivité choquante pour autant. Certes, deux temps morts d'une durée non négligeable, plus particulièrement entre le 3 décembre 2020 et le 21 décembre 2022, puis entre le 24 juillet 2023 et le 28 juin 2024, sont à déplorer. Au regard de l'ensemble des actes accomplis au cours de l'instruction, ceux-ci ne sauraient toutefois emporter une violation du principe de la célérité, faute d'avoir été d'une durée véritablement choquante, d'une part, et dans la mesure où ces périodes, pendant lesquelles le dossier semble avoir été laissé de côté, ont été compensées par d'autres périodes d'activité plus intense.

Considérée dans son ensemble, la durée globale de l'enquête, initiée en octobre 2018, ne dépasse pas les limites admissibles, ce d'autant que l'instruction suit actuellement son cours, une demande d'entraide internationale – dont il convient d'attendre l'issue – ayant été adressée à la France le 28 juin 2024. Le Ministère public sera toutefois enjoint à faire diligence, en relançant l'autorité étrangère requise, puis, une fois que cette dernière lui aura adressé les pièces pertinentes en retour de sa demande d'entraide, en accomplissant sans tarder les autres actes qu'il jugera alors pertinents d'effectuer.

Il s'ensuit que le grief de violation du principe de la célérité doit être, à ce stade, rejeté.

3.             En conclusion, le recours sera partiellement admis.

4.             La recourante, qui obtient partiellement gain de cause, mais succombe pour le surplus, sera condamnée à la moitié des frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03), soit au paiement de CHF 500.-. En effet, l'autorité de recours est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).

Le solde de ces frais (CHF 500.-) sera laissé à la charge de l'État.

5.             Il sera statué sur l'indemnité du défenseur d'office à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Admet partiellement le recours.

Constate un déni de justice en tant que le Ministère public a omis de statuer sur les réquisitions de preuve de A______ et ses demandes tendant au retrait de certaines pièces du dossier, et invite le Ministère public à statuer sur ces questions dans un délai de trois semaines dès réception du présent arrêt.

Rejette le recours pour le surplus.

Met à la charge de A______ la moitié des frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-, soit CHF 500.-.

Laisse le solde des frais de la procédure de recours (CHF 500.-) à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Valérie LAUBER, présidente; Madame Catherine GAVIN et Monsieur
Vincent DELALOYE, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Valérie LAUBER

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF.
Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à
La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/3819/2019

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

00.00

- délivrance de copies (let. b)

CHF

00.00

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00