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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/9815/2023

ACPR/614/2025 du 07.08.2025 sur OPMP/5332/2025 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : AUDITION OU INTERROGATOIRE;POLICE;PREUVE ILLICITE
Normes : CPP.158; CPP.141; CPP.142

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/9815/2023 ACPR/614/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 7 août 2025

 

Entre

A______, représentée par Me Romain CANONICA, avocat, CANONICA VALTICOS CARNICÉ & Ass., rue de la Synagogue 31, case postale 214, 1211 Genève 8,

recourante,

 

contre la décision de refus d'écarter des pièces du dossier rendue par le Ministère public le 11 juin 2025,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 23 juin 2025, A______ recourt contre l'ordonnance pénale du Ministère public du 11 juin 2025, notifiée le 13 suivant, en cela qu'elle rejette sa demande de retirer du dossier le rapport de renseignements du 17 novembre 2023 et le procès-verbal d'audition du 6 mai 2023, ainsi que toute pièce en faisant mention (ch. 1 du dispositif).

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, principalement à l'annulation de cette décision de refus, à ce qu'il soit ordonné au Ministère public, respectivement au Tribunal de police [dans la mesure où à la suite de son opposition à l'ordonnance pénale précitée, le Ministère public l'a maintenue le 20 juin 2025] de retirer définitivement du dossier un passage du rapport de renseignements du 17 novembre 2023, qu'elle retranscrit, ainsi que le procès-verbal d'audition du 6 mai 2023, subsidiairement, s'agissant de ce second document, d'en retirer un passage, qu'elle retranscrit, plus subsidiairement encore, de renvoyer la cause à ces autorités dans le sens des considérants.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Il est reproché à A______ d'avoir, à Genève, le 5 mai 2023 vers 23h00, à tout le moins sur la rue 1______, à B______ [GE], à la hauteur du numéro 26, circulé au volant du véhicule C______/2______ [marque/modèle], immatriculé GE 3______, en état d'ébriété qualifié (taux d'alcool entre 1.48 g/kg et 2.29 g/kg au "moment critique", selon le rapport d’analyses effectuées par le Centre Universitaire Romand de Médecine Légale [ci-après : CURML] du 15 mai 2023).

b. Il ressort du rapport de renseignements du 17 novembre 2023 que la police était intervenue avant 22h55, à la hauteur du 26, rue 1______, à B______, à la suite d'un appel passé à sa centrale pour un accident de la circulation dont le véhicule fautif avait quitté les lieux. Sur place, les agents avaient été mis en présence de D______ qui leur avait expliqué avoir entendu un bruit correspondant à un accident de la circulation. Son attention s'était portée sur un véhicule C______/2______, dont il avait retenu l'immatriculation, en train de quitter une place de livraison pour se diriger en direction de la place 4______, à B______. Lors de sa manœuvre, l'automobiliste avait heurté un véhicule [de marque] E______. Le témoin avait indiqué qu'il s'agissait d'une conductrice d'environ 50 ans avec des cheveux blancs, se trouvant seule dans le véhicule et qu'elle avait une attitude et la conduite d'une personne avinée. À l'aide de leur outil informatique, les policiers avaient été en mesure de déterminer que A______ avait été contrôlée par le passé au volant de ce même véhicule, propriété de la société F______ Sàrl, de sorte qu'ils s'étaient rendus à son domicile au 39, rue 5______ à Genève. Ils avaient constaté la présence du véhicule en cause stationné à la rue 6______. Son moteur était encore chaud et de légères rayures étaient visibles sur le pare-chocs arrière.

Au domicile de l'intéressée, celle-ci avait expliqué avoir regagné son domicile au volant dudit véhicule, sans avoir consommé d'alcool de toute la soirée. Après que les policiers lui avaient exposé la version du témoin, elle avait changé la sienne à plusieurs reprises, expliquant finalement qu'un certain G______ avait conduit le véhicule et qu'elle avait consommé de l'alcool uniquement après être rentrée chez elle, soit avant l'arrivée de la police. Par la suite, elle n'avait cessé de crier et n'avait pas collaboré.

Au vu des faits, la police avait appelé la procureure de permanence qui avait délivré un mandat d'amener oral et ordonné une prise de sang. Avisée de cette décision, A______ avait accepté de suivre les policiers, mais refusé de se prêter à l'éthylotest. Au poste, elle avait refusé de se prêter à l'éthylomètre. Alors qu'elle se trouvait en salle d'audition, elle n'avait eu de cesse de crier "aiuto". Lorsqu'un agent était allé la voir, elle avait dit n'être ni une délinquante ni un animal et avait tenté à plusieurs reprises de sortir de la salle d'audition, malgré les demandes réitérées des agents de reculer. Les policiers avaient dû la repousser à deux reprises au niveau des épaules afin de fermer la porte.

Selon le formulaire ad hoc, la prise de sang est intervenue le 6 mai 2023 à 2h10.

c. A______ a été entendue par la police le 6 mai 2023, de 3h08 à 4h21. Il ressort du procès-verbal que Me H______ avait été avisée "par fax" de la tenue de l'audition. La prévenue s'était vu notifier ses droits et obligations, dont le formulaire lui avait été remis et dont elle avait bien compris le contenu. Après que les faits qui lui étaient reprochés lui avaient été communiqués, elle avait demandé la présence d'un conseil de choix pour l'assister, à savoir l'avocate précitée. La police lui ayant dit que cette dernière n'avait pas pu être contactée, A______ avait renoncé à sa présence et indiqué être d'accord de s'exprimer hors la présence d'un avocat. Elle a signé chaque page dudit procès-verbal, de même que le formulaire de renonciation à un avocat lors de la première audition, attestant également la remise de ses droits.

Elle a déclaré que ce n'était pas elle qui conduisait au moment des faits et qu'elle se trouvait sur la place passager avant. "On" avait quitté la place de livraison sans avoir heurté de véhicule. Son ami, I______, conduisait. Tous deux se trouvaient seuls dans la voiture, avec deux chiens.

Sur remarque de la police lui rappelant qu'elle avait indiqué à son domicile qu'ils étaient trois dans le véhicule dont le conducteur était un certain G______, elle a précisé que tel était le cas, à savoir I______ qui conduisait, une prénommée "J______" – dont elle ne connaissait pas l'identité complète ni le numéro de téléphone – et elle-même. Elle était en fait assise à l'arrière et "J______" sur le siège passager avant. Elle avait donné le nom de G______, "au hasard".

Elle contestait les déclarations du témoin D______ (cf. let. B.d) qui mentionnait une femme "blonde" seule au volant. Elle avait commencé à consommer de l'alcool vers 19h00. Elle avait bu deux bières pression et trois à quatre verres de Prosecco, le dernier aux environs de 23h. Elle avait encore bu un Spritz, juste avant l'arrivée de la police. Elle n'avait pas pris de médicaments ni de stupéfiant. Elle était fatiguée mais n'avait pas conduit. À l'issue de son audition, elle a ajouté qu'elle ne comprenait pas pourquoi elle était enfermée alors qu'elle n'avait rien fait.

d. Entendu par la police le 9 juin 2023, D______ a confirmé son appel à la police du 5 mai précédent. Il se trouvait sur la terrasse du restaurant "K______" lorsqu'il avait entendu le bruit de deux voitures qui se percutaient. Il avait alors aperçu une femme seule, au volant du véhicule de marque C______/2______, immatriculée GE 3______, au regard hagard. Celle-ci avait l'attitude et la conduite d'une personne avinée. Elle semblait avoir environ 50 ans et avait les cheveux "blonds".

e. Par avis de prochaine clôture de l'instruction du 9 février 2024, le Ministère public a informé A______ de ce qu'il entendait rendre une ordonnance pénale s'agissant de l'infraction de conduite en état d'ébriété qualifié et une ordonnance de classement partiel pour le surplus.

f. Par courrier de son conseil du 29 février 2024, A______ a sollicité le "retranchement" pour cause d'inexploitabilité de certains passages du rapport de renseignements de la police du 17 novembre 2023 (page 3), de l'intégralité du procès-verbal de son audition à la police du 6 mai 2023 (page 3) ainsi que de toute pièce qui reprendrait les déclarations ou passages litigieux, dès lors qu'ils concernaient des déclarations qui avaient été faites avant que ses droits lui soient notifiés, soit en violation de l'art. 158 al. 1 CPP. Elle avait été auditionnée par la police immédiatement après son interpellation, sans être assistée d'un avocat, alors qu'elle présentait une alcoolémie comprise entre 1.48g/kg et 2.29 g/kg et qu'elle était donc en incapacité personnelle d'être auditionnée. Elle sollicitait qu'il soit procédé une nouvelle fois à son audition ainsi qu'à celle de son compagnon, I______.

g. En audience de confrontation devant le Ministère public :

g.a. A______ a répété ne pas avoir conduit le véhicule en rentrant à son domicile le 5 mai 2023, dès lors qu'elle avait bu deux verres de vin en dînant. Elle avait continué à consommer de l'alcool une fois rentrée à son domicile. En sortant du restaurant, I______ et elle avaient marché jusqu'à la voiture. Celui-là avait déverrouillé la porte du côté conducteur avec la clé. Elle s'était installée de même que ses deux chiens pendant que son copain était allé cadenasser son vélo. I______ s'était ensuite installé côté conducteur et elle du côté passager avant, en passant par l'extérieur de la voiture. Son compagnon avait pour habitude de conduire la voiture lorsqu'elle consommait de l'alcool car il n'en consommait pas.

g.b. D______ a réaffirmé que la conductrice, une femme blonde, seule dans le véhicule n'était pas apte à conduire. La conductrice avait soit bu soit était très énervée, car elle était sortie de la place de stationnement de "manière énergique" et avait poursuivi sa route avec une forte accélération, alors que la vitesse était limitée à 30 km/h. Il n'y avait aucun passager dans le véhicule. A______ ressemblait à la conductrice. Il n'y avait eu aucun changement de conducteur.

g.c. Selon I______, le 5 mai 2023, vers 22h00, il avait ouvert la voiture avec la télécommande et A______ s'y était installée du côté conducteur. Il avait attaché son vélo et avait ouvert la portière du côté conducteur. Il avait demandé à A______ de changer de place, ce qu'elle avait fait en passant par l'intérieur de la voiture. Il avait démarré la voiture et ils avaient quitté les lieux. Il avait ouvert la porte à la police avant de retourner au salon avec leurs invités. Il avait entendu A______ s'exciter avec les policiers; elle était très énervée et criait. Il avait demandé ce qu'il se passait. Comme elle ne l'écoutait pas, il avait "laissé tomber pour éviter de [s]e faire engueuler".

g.d. Suite aux propos de I______, A______ a indiqué qu'il était possible qu'elle fût passée par l'intérieur de la voiture pour changer de place. Elle avait refusé de se prêter au test de l'alcoolémie.

g.e. L______, policier, a indiqué être intervenu à la rue 1______ le 5 mai 2023 à 22h55 suite à l'appel d'un requérant qui avait indiqué qu'un véhicule, conduit par une femme qui était seule, avait quitté les lieux en heurtant un autre véhicule stationné. L'immatriculation du véhicule en question avait permis aux policiers de se présenter au domicile de A______. Cette dernière avait refusé de les suivre et ils avaient été contraints de faire appel à la procureure de permanence pour obtenir un mandat d'amener. L'homme présent dans l'appartement ne s'était pas particulièrement manifesté. Lui-même avait apprécié la capacité de A______ à être entendue sans connaître son taux d'alcoolémie, dès lors que les résultats de la prise de sang n'étaient pas encore connus.

g.f. Sa collègue, M______, a confirmé que A______ avait refusé de se prêter au test d'alcoolémie et de les suivre. Elle-même n'avait pas pu juger de son taux d'alcoolémie rien qu'en la voyant. L'intéressée avait les pupilles un peu dilatées et parlait au ralenti. Une évaluation avait lieu au cas par cas pour savoir si une personne était auditionnée malgré un état d'alcoolémie. En cas de doute sur la capacité d'une personne à être entendue, les policiers pouvaient faire appel au commissaire.

h. Par avis de prochaine clôture de l'instruction du 28 février 2025, le Ministère public a informé A______ de ce qu'il entendait rendre une ordonnance pénale s'agissant de l'infraction de conduite en état d'ébriété qualifié et qu'une ordonnance de classement partiel serait rendue pour le surplus.

i. Le 10 mars 2025, la précitée a sollicité l'audition de J______ et de N______, tous deux présents au restaurant "le soir du 6 mai 2024" et l'ayant attendue, avec son compagnon, devant son domicile sis rue 5______ 39. Ils pourraient se prononcer sur la question de savoir qui était au volant du véhicule.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a condamné A______ pour conduite en état d'ébriété avec un taux qualifié à une peine pécuniaire de 55 jours-amende, sous déduction d'un jour-amende avant jugement, à CHF 230.- l'unité, assortie du sursis pendant 3 ans, ainsi qu'à une amende de CHF 2'530.- (peine privative de liberté de substitution de 11 jours).

S'agissant de l'exploitabilité du rapport de renseignements du 17 novembre 2023 et du procès-verbal d'audition du 6 mai 2023, il a retenu qu'au moment de l'intervention de la police au domicile de la prévenue, l'instruction n'avait pas encore été ouverte. Les actes des policiers s'étaient ainsi déroulés durant la phase de l'investigation policière, au sens de l'art. 299 al. 1 CPP. Or, la police pouvait entamer des discussions informelles avec les personnes soupçonnées d'infractions, en vue de clarifier les faits, en l'espèce s'agissant d'éclaircir le point de savoir qui était au volant du véhicule au moment des faits. Les policiers n'avaient dès lors en aucun cas procédé à l'audition de la prévenue, sans lui avoir préalablement communiqué ses droits au sens de l'art. 158 CPP. Ce n'était qu'une fois informés de l'implication de la prévenue dans les faits dénoncés par le requérant que les policiers l'avaient emmenée au poste, non sans mal puisqu'il avait fallu un mandat d'amener. Au poste, ils avaient procédé à une audition formelle en conformité avec l'art. 158 CPP.

La prévenue avait été entendue le 6 mai 2023 à 3h08, soit plus de quatre heures après les faits dénoncés vers 23h00. Les policiers avaient estimé que son état était compatible avec son audition, dès lors que s'ils avaient eu le moindre doute, ils auraient fait appel au commissaire. Le fait que la prévenue fût alors certainement encore un peu alcoolisée ne rendait pas son audition illégale, étant encore relevé que son taux d'alcool à ce moment-là était loin du seuil à partir duquel la concentration d'alcool dans le sang peut entraîner une présomption de diminution de responsabilité. Les policiers n'auraient assurément pas procédé à l'audition de la prévenue sur-le-champ s'ils avaient perçu chez elle un quelconque signe d'incapacité de discernement ou un motif permettant de remettre en question sa rationalité.

Partant, tant le rapport de renseignements du 17 novembre 2023 que le procès-verbal d'audition du 6 mai 2023 étaient exploitables. Il en allait de même de toute pièce faisant mention de ces documents.

D. a. À l'appui de son recours, A______ fait valoir une constatation incomplète des faits ainsi qu'une violation des art. 158 al. 1 et 2 CPP, et 130 lit. c cum 131 al. 3 CPP.

Le Ministère public avait grossièrement minimisé les procédés de la police afin d'avaliser un modus operandi contraire à l'art. 158 CPP. Vu la description du témoin, la police s'était rendue à son domicile pour l'interroger et l'arrêter le cas échéant. Les policiers savaient alors, provisoirement à tout le moins, qu'elle revêtirait la qualité de prévenue d'infractions à la LCR. Il n'était donc pas question de simples contacts informels mais bien de recueillir sa version des faits. Ils lui avaient d'ailleurs demandé d'emblée, sur le pas de la porte, si elle avait conduit en état d'ébriété. Ils s'étaient aussi référés à ses propos dans les questions posées lors de son interrogatoire.

La prise de sang était intervenue à 2h10 du matin et son audition avait débuté moins d'une heure plus tard. Le rapport du 17 novembre 2023 indiquait de plus qu'elle n'avait pas cessé de crier "à l'aide" en italien, avait dit n'être ni une délinquante ni un animal et avait tenté à plusieurs reprises de sortir de la salle d'audition, malgré les demandes réitérées de policiers de reculer. Elle avait dû être repoussée à deux reprises au niveau des épaules afin de fermer la porte. Ce comportement traduisait son incapacité à comprendre la situation, ses droits et ses devoirs en tant que prévenue, au beau milieu de la nuit, ce qui était renforcé par sa demande d'être assistée par Me H______, qui n'avait pu être jointe. Le Ministère public minimisait faussement son état d'ébriété, tant s'agissant de son taux d'alcoolémie – qu'il arrêtait "souverainement" à 1.48g/kg –, que son état général et sa capacité à comprendre la situation ainsi que ses droits. Or, selon le rapport du CURML, il était compris entre 1.48 et 2.29g/kg à 2h10 du matin, moins d'une heure avant son audition, et son comportement au poste illustrait son état d'ébriété et son incapacité totale à être entendue, a fortiori sans avocat nommé d'office, alors qu'elle était innocente. Un avocat d'office aurait pu lui expliquer ses droits, notamment celui de refuser de collaborer, et permis d'être entendue à une heure décente.

b. A réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 2, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans – s'agissant uniquement du refus du Ministère public de retirer des pièces du dossier – (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la prévenue qui, partie à la procédure, a qualité pour agir (art. 104 al. 1 let. a CPP), ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             La recourante se plaint d'une violation de l'art. 158 CPP en lien avec ses propos mentionnés dans le rapport de renseignements, lesquels avaient été recueillis oralement par la police, alors qu'elle n'avait pas été préalablement informée de ses droits.

3.1. La procédure préliminaire se compose de la procédure d'investigation de la police et de l'instruction conduite par le ministère public (art. 299 al. 1 CPP).

3.2. Lors de ses investigations, la police établit les faits constitutifs de l’infraction; ce faisant, elle se fonde sur les dénonciations, les directives du ministère public ou ses propres constatations (art. 306 al. 1 CPP). La police doit notamment : a. mettre en sûreté et analyser les traces et les preuves ; b. identifier et interroger les lésés et les suspects ; c. appréhender et arrêter les suspects ou les rechercher si nécessaire (al. 2). Sous réserve de dispositions particulières, la police observe dans son activité les dispositions applicables à l’instruction, aux moyens de preuves et aux mesures de contrainte (al. 3).

3.3. L'art. 142 al. 2 CPP prévoit que la police peut entendre les prévenus et les personnes appelées à donner des renseignements.

Au début de l'audition, le comparant, dans une langue qu'il comprend, est avisé de façon complète de ses droits et obligations (art. 143 al. 1 let. c CPP).

3.4. Selon l'art. 158 al. 1 CPP, au début de la première audition, la police ou le ministère public informent le prévenu dans une langue qu’il comprend : a. qu’une procédure préliminaire est ouverte contre lui et pour quelles infractions ; b. qu’il peut refuser de déposer et de collaborer ; c. qu’il a le droit de faire appel à un défenseur ou de demander un défenseur d’office ; d. qu’il peut demander l’assistance d’un traducteur ou d’un interprète. Les auditions effectuées sans que ces informations aient été données ne sont pas exploitables (al. 2).

3.5.1. L'art. 158 al. 1 CPP s'applique à la première audition formelle, consignée dans un procès-verbal, au sens des art. 142 et suivants CPP. Les interrogatoires informels de la police, par exemple des personnes présentes sur les lieux d'un crime ou d'un accident, n'entrent pas dans cette catégorie. De tels interrogatoires informels ne sont toutefois admissibles qu'au stade initial de l'enquête policière. Dès que la répartition des rôles est claire, la personne qui apparaît comme pénalement responsable doit être traitée comme un prévenu et être informée conformément à l'art. 158 al. 1 CPP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_525/2024 du 15 janvier 2025 consid. 2.4.5 et les références citées). Les interrogatoires de la police doivent être compris dans un sens formel, conformément à l'art. 142 al. 2 CPP et ils englobent aussi les discussions informelles. La police (et non le ministère public ou les tribunaux) peut entamer des discussions informelles avec les personnes prévenues dans le but de clarifier les faits et de déterminer les infractions qui ont été commises (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, CPP, Code de procédure pénale, 2ème éd., Bâle 2016, n. 14 ad art. 306 CPP, et les références citées).

La doctrine mentionne également le cas de déclarations spontanées, qui n'ont pas été provoquées par l'autorité, comme des plaintes pénales, des appels d'urgence ou des aveux ad hoc (cf. A. DONATSCH / V. LIEBER / S. SUMMERS / W. WOHLERS [éds], Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung, 3ème éd., Zurich 2020, n. 6 ad art. 142 ; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE [éds], Commentaire romand, Code de procédure pénale, 2ème éd., Bâle 2019, n. 4a ad art. 142).

Toutefois, cette première prise de contact ne devrait pas déboucher sur une audition avant l'heure des personnes concernées. Ces dernières peuvent tout au plus être appelées à décliner leur identité et, succinctement, leurs liens avec les parties ou l'état de fait à élucider, de manière à ce que le ministère public soit en mesure de se prononcer sur la pertinence de l'audition et/ou leur statut lors de celle-ci (A. GUISAN, La violation du droit de participer [art. 147 CPP], PJA 2019 337 ss, p. 340).

De tels interrogatoires – aussi dits "de porte à porte" ("Klinkenputzen" cf. L. BÜRGE, Polizeiliche Ermittlung und Untersuchung, 2018, p. 196 nbp 1142) ou "auditions ad hoc" (cf. Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE [éds], op. cit., n. 4a ad art. 142) – doivent être interrompus aussitôt qu'il est établi que l'intéressé dispose d'éléments utiles à l'enquête, pour ne reprendre que lors d'une audition formelle, en présence des parties (B. A. TANNER, Das Teilnahmerecht der Privatklägerschaft nach Art. 147 StPO und seine Grenzen, Zurich 2018, p. 141 ; N. SCHMID / D. JOSITSCH, Handbuch des schweizerischen Strafprozessrechts, 3ème éd., Zurich 2017, n. 1233 nbp 81; D. BONIN / G. MÜNCH, note sur l'arrêt UH130204 de l'Obergericht Zurich, forumpoenale 4/2014 214 ss, p. 217).

On rappellera que la Chambre de céans a admis à plusieurs reprises le bien-fondé de discussions informelles entre la police et le prévenu, lorsque celle-ci est dépêchée sur les lieux d'une intervention (cf. ACPR/226/2022 du 4 avril 2022; ACPR/651/2023 du 17 août 2023; ACPR/1005/2023 du 29 décembre 2023; ACPR/116/2024 du 15 février 2024).

3.6. En l'espèce, il ressort du rapport de renseignements que la mise en cause veut voir écartée du dossier la mention que la police a été requise par sa centrale d'alarme, le 5 mai 2023 avant 23h, dans une rue à B______, à la suite de l'appel d'un homme qui avait vu une voiture C______/2______, dont il avait donné l'immatriculation, quitter une place de livraison et heurter un autre véhicule pendant sa manœuvre. Selon ce témoin, la C______/2______ était conduite par une femme aux cheveux blancs (ou blonds), seule dans le véhicule, qui avait une attitude et la conduite d'une personne avinée. Les policiers, qui s'étaient rendus sur place, avaient pu trouver dans leur outil informatique la détentrice du véhicule, une société, et le fait que la mise en cause avait par le passé été contrôlée à son volant, de sorte qu'ils s'étaient rendus à son domicile, [dans le quartier] O______. Dans la rue, à proximité, ils avaient vu la voiture en cause, le moteur chaud et présentant de légères rayures sur le pare-chocs arrière. La mise en cause leur avait ouvert la porte de son domicile qu'elle avait regagné au volant, sans avoir bu d'alcool. Après avoir eu connaissance, par les agents, des dires du témoin, elle avait impliqué un "certain" G______ comme ayant été au volant, alors qu'elle-même n'avait consommé de l'alcool qu'en rentrant chez elle, peu avant l'arrivée de la police.

Vu ce contexte, la manière de faire de la police ne sortait pas du cadre de discussions informelles, autorisées au moment de l'interpellation d'un suspect, en vue notamment de clarifier les faits avant de décider de son éventuelle conduite au poste de police.

Il ne ressort pas du rapport en question que les policiers se seraient livrés à une véritable audition, lors de laquelle la recourante aurait été invitée à s'exprimer sur les faits et aurait répondu aux questions des policiers (cf. art. 143 al. 4 et 5 CPP).

La brève mention de l'échange informel dans le rapport montre que celui-ci n'a pas été au-delà des investigations policières autorisées et ne saurait ainsi être qualifié d'audition au sens des art. 142 ss CPP.

Par conséquent, l'art. 158 CPP ne trouvait pas application à ce stade.

Le grief d'inexploitabilité de l'échange informel mentionné dans le rapport précité et dans les pièces subséquentes qui y feraient référence doit ainsi être rejeté (art. 158 al. 2 CPP).

4. La recourante conteste la validité de son audition par la police le 6 mai 2025 dès 3h08, alors qu'elle était en état d'ébriété, et qu'un avocat d'office aurait dû être nommé pour l'assister.

4.1. De jurisprudence constante, en principe, une concentration d'alcool de 2 à 3 g ‰ entraîne une présomption de diminution de responsabilité, alors qu'une concentration inférieure à 2 g ‰ induit la présomption qu'une diminution de responsabilité n'entre pas en ligne de compte (ATF 122 IV 49 consid. 1b; arrêt du Tribunal fédéral 6B_136/ 2016 du 23 janvier 2017 consid. 2.3).

4.2. Selon l'art. 130 let. c CPP, le prévenu doit avoir un défenseur notamment lorsqu'en raison de son état physique ou psychique ou pour d'autres motifs, il ne peut suffisamment défendre ses intérêts dans la procédure et si ses représentants légaux ne sont pas en mesure de le faire.

4.2.1. La question de la capacité de procéder doit être examinée d'office (ATF 131 I 350 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_318/2014 du 27 octobre 2014 consid. 2.2). Cependant, des indices de limitation ou d'absence d'une telle capacité doivent exister pour qu'il puisse être attendu de l'autorité qu'elle obtienne des éclaircissements à ce sujet. Une incapacité de procéder n'est ainsi reconnue que très exceptionnellement, soit en particulier lorsque le prévenu se trouve dans l'incapacité de suivre la procédure, de comprendre les accusations portées à son encontre et/ou de prendre raisonnablement position à cet égard (arrêts du Tribunal fédéral 1B_279/2014 du 3 novembre 2014 consid. 2.1.1 in SJ 2015 I p. 172; 1B_318/2014 du 27 octobre 2014 consid. 2.1; 1B_332/2012 du 15 août 2012 consid. 2.4).

4.2.2. Selon la doctrine, l'hypothèse prévue à l'art. 130 let. c CPP est notamment réalisée lorsque le prévenu n'est plus à même d'assurer, intellectuellement ou physiquement, sa participation à la procédure, à l'image des cas visés par l'art. 114 al. 2 et 3 CPP (L. MOREILLION / A. PAREIN-REYMOND, Code de procédure pénale – Petit commentaire, Bâle 2016, n. 15 ad art. 130). À titre d'incapacités personnelles, il peut s'agir de dépendances à l'alcool, aux stupéfiants, à des médicaments susceptibles d'altérer les capacités psychiques (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, op. cit., n. 17 ad art. 130; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRäCHTIGER (éds), Strafprozessordnung – Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2ème éd., Bâle, n. 30 ad art. 130). La direction de la procédure dispose d'une marge d'appréciation pour déterminer si le prévenu frappé d'une incapacité personnelle peut suffisamment se défendre ou non ; au vu du but de protection visé par le cas de défense obligatoire, l'autorité devra cependant se prononcer en faveur de la désignation d'un défenseur d'office en cas de doute ou lorsqu'une expertise psychiatrique constate l'irresponsabilité du prévenu, respectivement une responsabilité restreinte de celui-ci (arrêt du Tribunal fédéral 1B_318/2014 du 27 octobre 2014 consid. 2.1).

4.3. Dans les cas d'une défense obligatoire, la direction de la procédure pourvoit à ce que le prévenu soit assisté aussitôt d'un défenseur (art. 131 al. 1 CPP). Si les conditions d'une telle défense sont remplies lors de l'ouverture de la procédure préliminaire, la défense doit être mise en œuvre avant la première audition exécutée par le ministère public ou, en son nom, par la police (art. 131 al. 2 CPP).

4.4. Conformément à l'art. 131 al. 3 CPP, les preuves administrées avant qu'un défenseur d'office ait été désigné, alors même que la nécessité d'une défense aurait dû être reconnue, ne sont exploitables qu'à la condition que le prévenu renonce à en répéter l'administration.

4.5.1. En l'occurrence, la prévenue a certes été entendue par la police environ une heure après la prise de sang effectuée pour déterminer son alcoolémie. Toutefois, son alcoolémie a été déterminée par le CURML entre 1.48 g/kg et 2.29 g/kg au "moment critique", soit avant 23h00 le 5 mai 2023, correspondant à l'incident de la circulation qui a mené à la conduite de l'intéressée au poste. Dans la mesure où celle-ci a été entendue dès 3h08 le 6 mai 2023, un laps de temps de plus de quatre heures s'est donc écoulé à compter du "moment critique", pendant lequel son taux d'alcool dans le sang a inévitablement diminué. Aussi, la concentration d'alcool à prendre en considération au début de son audition se situait largement en-deçà du taux de 3 g ‰ permettant de présumer une irresponsabilité et même inférieur au taux de 2 g ‰ induisant la présomption d'une diminution de responsabilité et donc de capacité de discernement.

Par ailleurs et surtout, si son comportement a certes été extravagant et colérique, la recourante a néanmoins été en mesure de reconnaître les policiers comme tels à leur arrivée à son domicile, près de quatre heures avant son audition, et d'interagir avec eux. Le fait qu'elle ait pu agir différemment de son habitude n'est pas un critère suffisant pour retenir une réduction de sa capacité de discernement au moment de répondre aux questions de la police, quand bien même ce fut au petit matin, après que quatre heures environ s'étaient écoulées depuis la dernière ingestion d'alcool. La recourante a au demeurant répondu aux questions de la police de manière cohérente. Une modification de sa version des faits après coup n'y change rien.

4.5.2. Quant à sa déposition devant la police hors la présence d'un avocat, la recourante, nonobstant le taux d'alcool encore présent dans son sang (cf. consid. 4.5.1), a été capable de s'exprimer de manière compréhensible sur les faits reprochés, même sans l'assistance d'un conseil. Elle ne prétend au demeurant pas avoir mal compris certains éléments du dossier ou certaines questions qui lui ont été posées.

Elle ne se trouvait dès lors pas en situation de défense obligatoire au sens de l'art. 130 let. c CPP, étant relevé qu'elle ne soutient à juste titre pas qu'un autre cas de cette disposition trouverait application.

L'audition de la recourante par la police a donc été effectuée conformément à ses droits – qu'elle s'est vu remettre et a signés – après avoir renoncé, en connaissance de cause, à la présence d'un avocat de choix. Quoiqu'il en soit, faute d'ouverture de l'instruction, le fait que le premier interrogatoire ait été mené sans avocat ne le rendrait pas pour autant inexploitable (cf. ACPR/427/2025 consid. 3.2.)

5. Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté.

6.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

7.             Corrélativement, aucun dépens ne lui sera alloué (ATF 144 IV 207, consid. 1.8.2).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.- .

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Valérie LAUBER et Catherine GAVIN, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/9815/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

00.00

- délivrance de copies (let. b)

CHF

00.00

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00