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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/26422/2024

ACPR/401/2025 du 23.05.2025 sur ONMMP/5343/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;DÉLÉGATION DE LA POURSUITE PÉNALE;ORDONNANCE DE CLASSEMENT;MESURE DE CONTRAINTE(PROCÉDURE PÉNALE)
Normes : CPP.309; CPP.310; CPP.319; CPP.320; CEEJ.21; CPP.263

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/26422/2024 ACPR/401/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 23 mai 2025

 

Entre

A______, représenté par Me B______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière partielle rendue le 2 décembre 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 16 décembre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 2 précédent, notifiée le surlendemain, par laquelle le Ministère public, après avoir décidé de ne pas entrer en matière sur les faits en lien avec les pièces saisies à son domicile français dans la procédure P/2______/2024 (inventaire n° 45391020240416 du 16 avril 2024; ci-après: l'inventaire) (chiffre 1 du dispositif), a maintenu le séquestre sur les objets figurant sous les chiffres 1 à 25 dudit inventaire (ch. 2).

Le recourant conclut, sous suite de frais, à l'annulation du chiffre 2 du dispositif de cette ordonnance et à la levée du séquestre, avec restitution des objets saisis.

b. Par ordonnance du 19 décembre 2024 (OCPR/66/2024), la Direction de la procédure de la Chambre de céans a accordé l'effet suspensif au recours et dit que les valeurs et objets figurant à l'inventaire susmentionné devaient rester en mains du Ministère public.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Avec d'autres prévenus, A______ a été interpellé le 11 avril 2024, donnant lieu à l'ouverture de la procédure P/2______/2024.

Il lui était reproché d'avoir, à Genève, entre mars et avril 2024 à tout le moins, participé à un trafic de haschich et de cocaïne et d'avoir détenu, au moment de son arrestation, une arme à feu dans son véhicule.

b. Le même jour, le Ministère public a adressé aux autorités françaises une demande d'entraide urgente pour procéder à la perquisition d'un gîte, "C______", sis route 1______ no. ______, [code postal] D______, en France, lieu de résidence de A______, même si ce dernier était officiellement domicilié à Genève.

c. Le lendemain, la police genevoise, avec l'appui de la Gendarmerie nationale française, s'est rendue dans ledit gîte, où ont été retrouvés:

- plusieurs armes à feu, avec chargeurs et munitions;

- "12.71 grammes de poudre blanche pouvant être de la cocaïne"; et

- des liasses de billets, pour un total de EUR 92'640.- et CHF 1'000.-.


 

d. À la police et par-devant le Ministère public, les 12, respectivement 13 avril 2024, A______, mis au bénéfice d'une défense d'office, a contesté les faits reprochés, confirmant néanmoins vivre dans le gîte "C______". Interrogé sur la présence d'armes chez lui, il a expliqué en être un "grand fan". Il n'était toutefois pas au bénéfice de permis pour en détenir et n'était d'ailleurs pas censé en posséder, ayant des antécédents judiciaires en France. Les sommes retrouvées constituaient ses économies.

e. Le 15 avril 2024, le Ministère public a demandé – et obtenu, le 22 suivant – des autorités françaises la confirmation de la demande d'entraide judiciaire simplifiée formée en urgence le 11 avril 2024, par laquelle il avait requis la perquisition du lieu de résidence de A______ et la saisie de toutes les pièces utiles.

Les objets saisis ont été acheminés en Suisse et portés à l'inventaire, sous les chiffres 1 à 25.

f. Le 31 mai 2024, le Ministère public a joint les procédures P/3______/2024 et P/2______/2024, sous ce dernier numéro. Dans le cadre de la première, A______ est soupçonné d'avoir mis à disposition d'un tiers un véhicule sous défaut d'assurance responsabilité civile et d'avoir omis de restituer les plaques de contrôle malgré des sommations de l'autorité.

g. Le 18 novembre 2024, le Ministère public a disjoint les faits reprochés à A______ de la procédure P/2______/2024 et a ouvert la présente procédure contre ce dernier.

h. Le 2 décembre 2024, le Ministère public a, dans la présente procédure:

- condamné, par ordonnance pénale, A______ pour mise à disposition d'un véhicule non-couvert par l'assurance responsabilité civile (art. 96 al. 3 LCR) et infraction à l'art. 33 al. 1 let. a LArm; et

- ordonné le classement partiel de la procédure s'agissant des soupçons de trafic de stupéfiants.

i. A______ a formé opposition à l'ordonnance pénale. La cause est pendante devant le Ministère public.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public estime que les armes à feu et l'argent retrouvés chez A______, en France, pouvaient être constitutifs de délits à la LArm et de blanchiment d'argent. En l'absence de compétence à raison du lieu, il n'était pas entré en matière sur ces faits, lesquels allaient faire l'objet d'une dénonciation aux autorités françaises au sens de l'art. 21 ch. 1 de la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 (CEEJ - RS 0.351.1). Dans cette perspective, le séquestre sur les biens saisis et portés à l'inventaire était maintenu.

D. a. Dans son recours, A______ souligne que, par l'ordonnance querellée, le Ministère public avait décidé de ne pas entrer en matière sur les faits relatifs aux biens saisis chez lui, en France. Ce faisant, l'autorité intimée était tenue, par la loi, de lever toutes les mesures de contrainte, soit le séquestre ordonné. Cette mesure n'était, en outre, pas justifiée par les règles applicables à l'entraide internationale en matière pénale, dès lors qu'aucune requête n'avait encore été adressée à la Suisse par une autorité étrangère. Le séquestre était dès lors illicite, puisqu'il était dépourvu de base légale. Partant, il devait être levé.

b.a. Dans ses observations, le Ministère public soutient que la situation d'espèce était particulière, en ce sens que la procédure prenait fin en Suisse mais devait se poursuivre en France. Dans un tel cas, pour mener à bien la poursuite de l'instruction, les autorités pénales du pays saisi devaient disposer de toutes les pièces à conviction utiles.

b.b. Le Ministère public a fait suivre à la Chambre de céans sa dénonciation aux fins de poursuite (art. 21 CEEJ) du 23 janvier 2025 à l'attention des autorités pénales françaises.

c. Dans sa réplique, A______ constate que ladite dénonciation ne palliait pas l'absence de demande d'entraide émanant des autorités françaises, pouvant justifier une quelconque mesure de contrainte.

EN DROIT :

1.             Le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), par le prévenu, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), contre le maintien d'un séquestre, soit une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al.1 let. a CPP), contre laquelle il dispose d'un intérêt juridiquement protégé (art. 382 al. 1 CPP).

Partant, le recours est recevable.

2.             Le recourant reproche au Ministère public de ne pas avoir levé le séquestre querellé.

2.1. Le ministère public ouvre une instruction notamment lorsqu'il ordonne des mesures de contrainte (art. 309 al. 1 let. b CPP), comme par exemple un séquestre (ATF 136 IV 92 consid. 2.2).

2.2. Le ministère public ne peut plus rendre une ordonnance de non-entrée en matière lorsqu'il a ouvert une instruction. Si une instruction a été ouverte, formellement ou matériellement, il doit la classer conformément aux art. 319 ss CPP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_425/2022 du 15 février 2023 consid. 4.1.1).

2.3. À teneur de l'art. 320 al. 2 CPP – applicable aussi à l'ordonnance de non-entrée en matière, par renvoi de l'art. 310 al. 2 CPP –, le ministère public lève dans l'ordonnance de classement les mesures de contrainte en vigueur. Il peut ordonner la confiscation d'objets et de valeurs patrimoniales, en application des art. 69 à 72 CP (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Code de procédure pénale – Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2016, n. 7 ad art. 320).

Depuis le 1er janvier 2024, il peut être formé opposition contre une décision de confiscation prononcée dans le cadre de l'ordonnance de classement. La procédure d'opposition est régie par les dispositions sur l'ordonnance pénale. Le tribunal statue sous la forme d'une décision ou d'une ordonnance (art. 322 al. 3 CPP).

2.4. Le prononcé (art. 263 CPP) et le maintien (267 al. 1 CPP) d'un séquestre supposent que des soupçons suffisants laissent présumer la commission d'une infraction (art. 197 al. 1 let. b CPP) et qu'il est probable que les objets ou valeurs concernés par la saisie seront, au terme de la procédure, confisqués (art. 263 al. 1 let. d CPP) ou utilisés pour couvrir une créance compensatrice (art. 263 al. 1 let. e CPP).

Le séquestre doit être maintenu tant que subsiste la probabilité du prononcé d'une mesure fondée sur les art. 70 ou 71 CP, l'intégralité des objets/valeurs concernés devant demeurer à disposition de la justice aussi longtemps qu'il existe un doute sur la part de ceux-ci qui pourrait provenir d'une activité criminelle (arrêt du Tribunal fédéral 7B_191/2023 précité, consid. 3.1).

2.5. En l'espèce, l'ordonnance de non-entrée en matière rendue par le Ministère public en vue de la dénonciation et délégation de la poursuite à la France (conformément à l'art. 21 CEEJ, et non par suite d'une demande d'entraide émanant de la France) est problématique à plusieurs égards.

Premièrement, le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur les infractions pénales liées aux armes à feu et aux valeurs saisies au domicile français du recourant, alors que la perquisition et le séquestre des biens saisis n'avaient été rendus possibles qu'après l'ouverture préalable d'une instruction, conformément aux principes sus-rappelés. Dès lors, si le Ministère public souhaitait mettre fin à la procédure en lien avec ces saisies, il ne pouvait plus prononcer d'ordonnance de non-entrée en matière, mais aurait dû rendre une ordonnance de classement, ce qu'il a du reste fait mais en lien avec les infractions à la LStup.

Deuxièmement, la Chambre de céans a déjà retenu que lorsque le Ministère public envisage de déléguer la poursuite à une autorité étrangère, le classement ne peut pas intervenir tant que la délégation n'est pas réalisée, car la condition de l'art. 8 al. 3 in fine CPP n'est pas remplie (ACPR/81/2020 du 30 janvier 2020 consid. 2.4). Dans cette éventualité, il appartient à l'autorité d'attendre, avant de classer, que la délégation ait abouti.

Qui plus est, lorsque le Ministère public entend classer la procédure – après avoir, comme ici, ordonné des saisies –, il doit lever les mesures de contrainte en vigueur ou prononcer une confiscation des biens et des valeurs patrimoniales saisies (art. 320 al. 2 CPP). Or, une confiscation ne paraît pas indiquée lorsque les biens et valeurs séquestrés doivent être conservés en vue de leur remise à l'autorité étrangère à laquelle est déléguée la poursuite pénale.

Troisièmement, en cas de délégation de la poursuite, ni la CEEJ ni la loi fédérale sur l'entraide internationale en matière pénale (EIMP), applicables à l'entraide judiciaire entre la République française et la Confédération suisse (cf. ACPR/768/2022 du 7 novembre 2022 consid 1.2), ne règlent la question du sort des biens séquestrés. À teneur de la jurisprudence du Tribunal fédéral, l'Office fédéral de la justice (OFJ) est compétent pour statuer sur les demandes de levée de séquestre après que la délégation de la poursuite a été acceptée par l'autorité étrangère (cf. ATF 129 II 449 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 1C_177/2008 du 21 mai 2008 consid. 2.2). Dans l'intervalle, le Ministère public demeure compétent.

In casu, la décision du Ministère public de ne pas entrer en matière sur les faits en lien avec les armes et valeurs saisies au lieu de résidence français du recourant [la situation aurait été identique s'il avait prononcé une ordonnance de classement] est définitive, dès lors que le recourant, prévenu, n'a pas d'intérêt juridique à la contester puisqu'elle lui est favorable (arrêt du Tribunal fédéral 6B_155/2014 du 21 juillet 2014 consid. 1.1; ACPR/150/2022 du 3 mars 2022 consid. 2.3) et il ne l'a du reste pas fait. La Chambre de céans ne peut donc pas l'annuler, contrairement à la situation qui prévalait dans l'ACPR/81/2020 susmentionné.

Le Ministère public aurait dû, conformément aux principes sus-rappelés, lever les séquestres et statuer sur l'éventuelle confiscation.

Cela étant, que l'autorité intimée ait rendu une ordonnance de non-entrée en matière ne rend toutefois pas pour autant illicite le maintien du séquestre, qui était fondé à l'origine – ce que le recourant ne conteste pas – et justifié pour préserver les biens et valeurs saisis en vue de leur remise à l'autorité étrangère auprès de laquelle il a – désormais – entamé les démarches de dénonciation aux fins de poursuite. Si la France venait à accepter cette délégation de la poursuite, les valeurs et armes pourraient lui être transmises. Dans le cas contraire, le Ministère public devrait statuer sur leur sort, c'est-à-dire ordonner la levée du séquestre sur celles-ci, ou confisquer les biens.

En l'état, dans la mesure où le soupçon des infractions ayant conduit à la saisie des armes et valeurs, soit le blanchiment d'argent (art. 305bis CP) et un délit à l'art. 33 al. 1 let. a LArm, ne s'est pas amoindri – les faits ayant d'ailleurs été dénoncés à l'autorité de poursuite pénale étrangère –, le maintien du séquestre reste fondé.

Partant, la décision querellée doit être confirmée.

3.             Le recours sera ainsi rejeté.

4.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 500.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03). En effet, l'autorité de recours est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).

5.             L'indemnité du défenseur d'office sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 500.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Monsieur Sandro COLUNI, greffier.

 

Le greffier :

Sandro COLUNI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).


 

P/26422/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

415.00

Total

CHF

500.00