Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/352/2025 du 08.05.2025 sur ONMMP/4448/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/11008/2022 ACPR/352/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 8 mai 2025 |
Entre
A______, représentée par Me Isabelle PONCET, avocate, PIRKER & PARTNERS, rue des Maraîchers 36, 1205 Genève,
recourante,
contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 8 octobre 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte expédié le 24 octobre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 8 octobre 2024, notifiée le 14 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte.
La recourante conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de ladite ordonnance et au renvoi de la cause au Ministère public afin qu'il ouvre une instruction et procède à divers actes d'enquête.
b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'200.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 6 mai 2022, A______ a déposé plainte, à Genève, contre B______ et le dénommé C______, tous deux domiciliés en Egypte, pour escroquerie.
Dans le cadre de son métier de chanteuse au Moyen-Orient, elle avait connu, cinq ans auparavant, un journaliste artistique en Egypte. Ce dernier, dont elle ne souhaitait pas divulguer l'identité, lui avait donné plusieurs contacts de personne vivant en Egypte afin qu'elle agrandisse son cercle de connaissances. En mars 2022, il lui avait transmis le numéro d'une personne qu'elle surnommait "M. D______" [patronyme B______ orthographié différemment] et qu'elle pensait être B______. Elle connaissait ce dernier, qui était un homme d'affaires, par les vidéos et interviews de lui publiées sur internet. Le 24 mars 2022, elle avait contacté le numéro donné par son ami. "M. D______" lui avait immédiatement répondu de lui écrire un message sur un deuxième numéro, ce qu'elle avait fait. Tout de suite après, il lui avait donné un troisième numéro appartenant à un ami à lui et lui avait demandé (à elle) d'appeler le numéro en question. Elle s'était exécutée. La personne qui lui avait répondu s'était présentée comme C______. Il lui avait dit travailler pour [la société] "E______" et lui avait posé des questions sur elle. "M. D______" avait demandé à C______ d'enquêter sur elle. Dans un premier temps, les discussions devaient toujours passer par le prénommé qui transmettait les messages à "M. D______". Après deux semaines d'appels quotidien avec C______ et la validation de ce dernier, elle avait commencé à discuter directement avec "M. D______". De son côté, son ami journaliste s'était renseigné sur les numéros de téléphone afin de s'assurer qu'ils étaient valables et appartenaient bien à "l'intéressé". Un jour, C______ lui avait demandé d'acquérir pour lui du matériel électronique en Suisse. Elle avait accepté à condition qu'il lui avance l'argent pour l'acheter, ce que C______ avait refusé. Elle en avait parlé à "M. D______" qui lui avait dit qu'il prendrait en charge les factures. Elle avait alors accepté de rendre ce service et avait acheté les objets demandés en Suisse. Le 29 avril 2022, conformément aux instructions données par "M. D______", elle avait envoyé un ami, F______, en Egypte, afin de remettre les objets à C______ [confirmé par F______ lors de son audition à la police du 18 juillet 2022]. Or, contrairement aux indications de "M. D______", aucune somme n'avait été remise en échange des appareils [confirmé par F______ lors de son audition à la police du 18 juillet 2022]. Malgré la transmission, à "M. D______", des informations bancaires nécessaires, elle n'avait reçu aucun remboursement. Au cours des deux derniers mois et des discussions échangées, des sentiments amoureux s'étaient développés avec "M. D______".
À l'appui de sa plainte, elle a notamment produit des preuves d'achat d'appareils électroniques et leurs accessoires pour un montant total de CHF 6'881.25.-, dans des magasins en Suisse.
b. Les 11 et 17 mai 2022, B______ a déposé plainte pour dénonciation calomnieuse, calomnie, tentative d'extorsion, tentative de contrainte, voire usurpation d'identité notamment contre A______.
Il était un industriel égyptien à la tête du Groupe B______/G______, l'un des plus importants producteurs de ______ du Moyen-Orient et l'un des principaux producteurs mondiaux. Ce groupe était coté à la bourse de Londres et détenait une société affiliée, enregistrée à Zurich, B______/G______ AG. Son avocat égyptien, Me H______, avait été contacté par une personne qui s'était présentée comme I______, mais dont ils avaient compris qu'il s'agissait en réalité de A______. Cette dernière avait indiqué avoir déposé plainte contre lui et contre un autre individu prénommé C______. Elle lui avait réclamé CHF 11'000.-, correspondant à une prétendue commande de téléphones portables. À défaut, elle menaçait de saisir les médias. Il ne connaissait pas A______ ni C______. Il n'avait jamais eu de contact avec eux, a fortiori, ne leur avait pas donné d'instructions pour une quelconque commande, ni n'avait reçu de livraison. Il n'était pas exclu qu'une tierce personne se soit fait passer pour lui afin de profiter de l'apparente crédulité de A______ et ainsi abusé de cette dernière.
c. Par complément de plainte du 31 juillet 2022, B______ a informé le Ministère public que A______ avait, le 13 juin 2022, déposé plainte contre lui et "C______" en Egypte pour des faits identiques à ceux objets de la plainte déposée auprès des autorités suisses.
d. Entendue en qualité de prévenue par la police le 21 juillet 2022, A______ a contesté les faits reprochés. Elle a confirmé sa plainte. Elle ne souhaitait pas divulguer le nom de son ami journaliste l'ayant mise en contact avec "M. D______". Avec ce dernier, ils avaient échangé plus de 500 messages. Il lui avait demandé d'acquérir du matériel électronique, qu'elle avait livré à C______, en assurant qu'il la rembourserait. Elle était sûre d'avoir été en contact avec le véritable B______ car, lors du premier appel téléphonique, son interlocuteur ("M. D______") avait confirmé son identité et lui avait envoyé une photographie de lui [qui représentait B______], qu'elle n'avait pas trouvée sur internet. Elle avait également fait vérifier le numéro de téléphone par une entreprise en Egypte, dont elle ne se souvenait plus du nom. Il lui avait envoyé seulement des mots d'amour, jamais de vidéos et une seule photographie. Elle ne l'avait jamais vu en personne. Sous son nom d'artiste, I______, elle avait contacté Me H______.
e. À l'issue de son audition, le téléphone de A______ a été saisi et les données extraites, mises à disposition pour analyse.
f.a. Le 3 novembre 2022, le Ministère public a adressé une demande d'entraide internationale aux autorités égyptiennes afin que ces dernières l'informent de l'état actuel de la procédure pénale ouverte par-devant elles; lui indiquent à qui appartenaient les deuxième et troisième numéros de téléphone; et lui donnent tout renseignement utile au sujet d'un dénommé C______.
f.b. Par note du 15 mai 2023, les autorités égyptiennes ont répondu que la plainte déposée par A______ en Egypte avait été classée sans suite, les enquêtes menées par la police égyptienne n'ayant pas établi les faits dénoncés.
Par ailleurs, le troisième numéro appartenait à un dénommé J______ [même prénom que C______].
g. Par courrier de son conseil du 7 octobre 2024, A______ a communiqué au Ministère public la traduction de la demande d'actes d'enquête dans la procédure égyptienne.
C. Dans sa décision querellée, le Ministère public, en mentionnant l'art. 310 al. 1 let. a et b CPP, relève que la compétence des autorités suisses sur les faits dénoncés [à savoir de reprocher à des individus de l'avoir incitée (A______), depuis l'Egypte, à leur remettre, en Egypte, divers appareils électroniques, sans être remboursée] n'était nullement établie.
Consciente "du for des faits dénoncés", A______ avait également déposé plainte en Egypte contre B______ et "C______". Cette procédure avait été classée. Selon l'enquête de la police égyptienne, le raccordement téléphonique égyptien attribué par A______ à C______, était en réalité celui d'un certain J______ [même prénom que C______].
Au vu des intérêts en jeu, l'envoi de nouvelles demandes d'entraide internationale en Egypte, seul acte qui permettrait éventuellement de faire avancer les investigations pour chercher à identifier les réels auteurs, était disproportionné, de sorte qu'il y était renoncé.
D. a. Dans son recours, A______ soutient que la décision querellée n'était pas justifiée à plusieurs égards.
D'abord, compte tenu de la demande d'entraide internationale formulée, le Ministère public, n'était plus en mesure de rendre une décision de non-entrée en matière.
En outre, la compétence des autorités suisses était donnée s'agissant de l'infraction d'escroquerie, son erreur [soit sa mise en confiance, la tromperie dont elle avait été victime et la confrontation à son erreur] et le résultat de l'infraction [son appauvrissement lorsqu'elle avait acheté les biens et l'absence de remboursement de ceux-ci] s'étant produits en Suisse.
Par ailleurs, la procédure en Egypte était toujours en cours, bien qu'elle avait "temporairement été classée". D'ailleurs, même si la procédure égyptienne devait être définitivement classée, cela n'impliquerait pas automatiquement l'absence d'infraction.
Enfin, la confrontation des parties était un acte d'instruction simple qui pourrait permettre de faire avancer l'enquête, tout comme l'apport, par elle-même, des pièces/résultats de la procédure égyptienne. Ainsi, la cause devait être renvoyée au Ministère public afin qu'il ouvre une instruction pour escroquerie contre B______ et C______ et procède à l'audition et la confrontation des parties.
b. Dans ses observations, le Ministère public conclut, sous suite de frais, au rejet du recours.
Aucun acte justifiant l'ouverture d'une instruction n'avait été exécuté. Il n'avait renvoyé les plaintes à la police que pour un complément d'enquête, en application de l'art. 309 al. 2 CPP. Le mandat d'actes d'enquête visant l'audition de B______ et l'extraction des données du téléphone de A______ résultaient de la procédure initiée par B______ contre A______ et non en vue d'instruire la plainte de cette dernière. Quant à la demande d'entraide en Egypte, elle visait l'obtention d'informations sur la procédure en cours dans le pays en question que A______ avait initiée pour les mêmes faits mais dont elle s'était gardée de parler, et de l'identité du ou des titulaire(s) des numéros de téléphone égyptiens avec lesquels la prénommée avait communiqué, ce qui était assimilable, pour ce dernier point, à un ordre de dépôt au sens de l'art. 158 CPP. En outre, A______ ne soutenait pas que son droit d'être entendu avait été violé, ni avoir subi un dommage du fait de la non-entrée en matière plutôt que d'un classement.
A______ avait toujours refusé de collaborer à l'établissement des faits objets de sa plainte, en refusant de communiquer les coordonnées de son ami journaliste, sans en expliquer le motif.
La condition de tromperie astucieuse n'était pas réalisée, faute pour A______ d'avoir fait preuve du minimum de prudence exigée. Elle n'avait apporté aucune preuve des vérifications auxquelles elle aurait procédé en lien avec les numéros de téléphone et sa seule certitude d'avoir été en contact avec le véritable B______ résultait du fait que son interlocuteur avait, lors de premier appel téléphonique, confirmé cette identité.
En somme, A______ se plaignait d'avoir acheté des marchandises pour un tiers et de les avoir fait porter en Egypte, sans avoir été remboursée, ce qui revêtait un caractère essentiellement civil.
Si par impossible, l'infraction devait être considérée comme commise et un résultat produit en Suisse, il conviendrait de suspendre la procédure en attente de l'issue de celle en Egypte, dès lors que cette dernière portait sur les mêmes faits, qui avaient été dénoncés par la même personne [A______]. Au vu des intérêts en jeu, ce choix, avec la possibilité, le cas échéant, d'une reprise de la présente procédure en cas d'éléments nouveaux, serait également préférable compte tenu que l'essentiel de l'activité prétendument délictuelle aurait eu lieu en Egypte et que les nombreux échanges entre les parties avaient eu lieu en langue arabe, ce qui risquait d'engendrer des frais de traduction importants.
c. Dans sa réplique, A______ persiste dans son recours. Elle conteste, d'une part, que l'envoi d'une commission rogatoire en Egypte ne présupposait pas l'ouverture formelle d'une instruction et, d'autre part, de ne pas avoir collaboré. Elle avait demandé, à plusieurs reprises, d'être entendue. S'agissant des coordonnées de son ami journaliste, le dossier ne contenait aucune trace d'un refus formel de sa part à la suite d'une demande qui lui aurait été adressée.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. La recourante reproche au Ministère public d'avoir rendu une ordonnance de non-entrée en matière au lieu d'une ordonnance de classement.
2.1. Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police, que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.
Le terme "immédiatement" indique que l'ordonnance de non-entrée en matière doit être rendue à réception de la dénonciation, de la plainte ou du rapport de police avant qu'il ne soit procédé à de plus amples actes d'enquête et qu'une instruction ne soit ouverte selon l'art. 309 CPP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_425/2022 du 15 février 2023 consid. 4.1.1).
2.2. Lorsque le ministère public ouvre – formellement ou matériellement – une instruction (art. 309 al. 1 CPP), il est tenu de la clôturer (art. 318 CPP), puis de rendre un classement (art. 319 CPP).
2.3. Quand il prononce néanmoins une non-entrée en matière, il n’y a pas lieu d'annuler cette décision pour ce seul motif, à moins que le recourant ne subisse un dommage de ce fait (arrêt du Tribunal fédéral 6B_425/2022 du 15 février 2023 consid. 4.1.1).
2.4. In casu, la question de savoir si le Ministère public aurait dépassé le stade des premières investigations, soit de l'art. 309 CPP, notamment en formulant une demande d'entraide internationale aux autorités égyptiennes, souffre de demeurer indécise.
En effet, à supposer que tel eût été le cas, il n'en a résulté aucun préjudice pour l'intéressée, ce que cette dernière ne prétend aucunement au demeurant, le motif ayant présidé à la clôture de la procédure – comme détaillé ci-dessous – étant commun à la non-entrée en matière (art. 310 al. 1 let. a CPP) et au classement (art. 319 al. 1 let. b et d CPP).
Conformément à la jurisprudence précitée, le choix du Ministère public de refuser d'entrer en matière ne portant pas à conséquence, il n'y a donc pas lieu d'annuler l'ordonnance querellée pour ce motif.
3. La recourante estime, d'une part, que les autorités suisses sont compétentes pour traiter de sa plainte et, d'autre part, qu'il existe une prévention suffisante, pour escroquerie, contre B______ et C______.
3.1. L'incompétence des autorités pénales suisses à raison du lieu est constitutive d'un empêchement définitif de procéder au sens de l'art. 310 al. 1 let. b CPP (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1355/2018 du 29 février 2019 consid. 4.5.1; 6B_127/2013 du 3 septembre 2013 consid. 4; ACPR/488/2014 du 31 octobre 2014 consid. 2.1; cf. toutefois l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_1045/2014 du 19 mai 2015 consid. 4.3, non publié in ATF 141 IV 205, qui y voit une condition à l'ouverture de l'action pénale).
Aux termes de l'art. 3 al. 1 CP, le Code pénal suisse est applicable à quiconque commet un crime ou un délit en Suisse. En application de l'art. 8 al. 1 CP, un crime ou un délit est réputé commis tant au lieu où l'auteur a agi ou aurait dû agir qu'au lieu où le résultat s'est produit.
3.2. En matière d'escroquerie (art. 146 CP), le Tribunal fédéral a considéré que cette infraction était un délit matériel à double résultat: le premier était constitué par l'appauvrissement de la victime, le second par l'enrichissement (ATF 109 IV 1 consid. 3c).
À côté du lieu d'appauvrissement de la victime ou de celui de l'enrichissement de l'auteur figurent également le lieu de survenance de l'erreur, soit celui où la dupe est amenée à se forger une représentation erronée de la situation de fait (A. DYENS, Territorialité et ubiquité en droit pénal international suisse, Bâle 2014, p. 282), et le lieu où se trouve l'auteur au moment où il réalise la tromperie astucieuse (arrêt du Tribunal fédéral 6B_635/2018 du 24 octobre 2018 consid. 2.1.3).
3.3. Au moment de statuer sur l'ouverture éventuelle de l'instruction, le ministère public doit examiner si les conditions d'exercice de l'action publique sont réunies, c'est-à-dire si les faits qui sont portés à sa connaissance sont constitutifs d'une infraction pénale et si la poursuite est recevable. Il suffit que l'un des éléments constitutifs de l'infraction ne soit manifestement pas réalisé pour que la non-entrée en matière se justifie (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310).
3.4. Des motifs de fait peuvent justifier la non-entrée en matière. Il s'agit des cas où la preuve d'une infraction, soit de la réalisation en fait de ses éléments constitutifs, n'est pas apportée par les pièces dont dispose le ministère public. Il faut que l'insuffisance de charges soit manifeste. De plus, le ministère public doit examiner si une enquête, sous une forme ou sous une autre, serait en mesure d'apporter des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée. Ce n'est que si aucun acte d'enquête ne paraît pouvoir amener des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée que le ministère public peut rendre une ordonnance de non-entrée en matière. En cas de doute sur la possibilité d'apporter ultérieurement la preuve des faits en question, la non-entrée en matière est exclue (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 9 ad art. 310).
3.5. L'art. 146 CP sanctionne quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, induit astucieusement en erreur une personne et la détermine, de la sorte, à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires.
3.6. Il y a astuce lorsque l'auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu'il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n'est pas possible ou ne l'est que difficilement. Il en va de même quand il dissuade la dupe de procéder à de telles vérifications ou prévoit, en fonction des circonstances, qu'elle renoncera à le faire, en raison, soit d'un rapport de confiance préexistant (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1092/2023 du 24 mai 2024 consid. 2.2), soit de l’état de dépendance, d'infériorité ou de détresse dans lequel elle se trouve (arrêt du Tribunal fédéral 6B_653/2021 du 10 février 2022 consid. 13.2 et 1.3.3), soit encore du fait que l'affaire en cause consiste dans une opération courante, portant sur une faible valeur, pour laquelle une vérification entraînerait des frais et/ou une perte de temps disproportionnés (arrêts du Tribunal fédéral 6B_943/2021 du 2 février 2022 consid. 1.1 et 6S_417/2005 du 24 mars 2006 consid. 1).
L'astuce n'est pas réalisée si la dupe pouvait éviter l'erreur avec le minimum d'attention et de prudence que l'on pouvait attendre d'elle. Il n'est cependant pas nécessaire qu'elle ait fait preuve de la plus grande diligence ou qu'elle ait recouru à toutes les mesures possibles pour éviter d'être trompée. L'astuce n'est exclue que si l'intéressée n'a pas procédé aux vérifications élémentaires qui s’imposaient au vu des circonstances. Une coresponsabilité de la dupe n'exclut toutefois l'astuce que dans des cas exceptionnels (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1092/2023 précité).
3.7. En l'espèce, la compétence des autorités suisses apparaît acquise, dans la mesure où l'infraction d'escroquerie reconnait un for au lieu de la réalisation de l'erreur et de l'appauvrissement de la victime et que la recourante est domiciliée en Suisse, lieu depuis lequel elle a échangé avec les deux individus, qu'elle pensait être B______ et C______, via son téléphone portable [lieu de la survenance de l'erreur] et a acheté les objets litigieux en Suisse, sans remboursement [lieu de l'appauvrissement].
3.8. Cela étant, l'existence d'un for en Suisse ne conduit pas encore à l'ouverture de l'action pénale pour escroquerie, l'élément constitutif de l'astuce faisant manifestement défaut, conformément aux développements qui suivent.
La recourante a payé et remis le matériel électronique commandé, à la demande de C______ tandis que la garantie de remboursement a été émise par un autre individu, "M. D______" [qu'elle pense être B______]. Le véritable B______ a nié connaître la recourante, ainsi que le dénommé C______ et conteste les faits reprochés.
Il ressort des éléments au dossier que la recourante n'a jamais rencontré ses interlocuteurs. Elle a seulement conversé avec eux par téléphone, sans jamais les voir, ne serait-ce qu'en appel vidéo.
Dans les circonstances sus-décrites, on ne peut retenir que la recourante a fait preuve du minimum d'attention et de prudence que l'on pouvait attendre d'elle, en particulier, en lien avec l'identité de ses interlocuteurs.
En effet, le seul fait que l'un d'eux a confirmé, lors de leur première conversation téléphonique, être B______, et lui a envoyé une photographie du véritable B______, que la recourante n'était pas parvenue à retrouver sur internet, n'est manifestement pas suffisant. D'ailleurs, compte tenu de l'identité avancée et des propres déclarations de la recourante, selon lesquelles il s'agissait d'un homme d'affaires dont les vidéos et interviews circulaient sur internet, elle aurait dû se montrer d'autant plus vigilante. La demande formulée [d'achats d'appareils électronique courants pour un ami de [B______] aurait dû apparaître d'autant plus surprenante aux yeux de la recourante et éveiller encore plus de soupçon, au vu de l'aisance financière présentée extérieurement par le véritable B______. On ne voit en effet pas pour quelle raison il n'aurait pas pu lui-même procéder aux achats litigieux, à savoir des produits relativement courants, pour un ami à lui, voire par l'intermédiaire d'une personne en Egypte [les biens devant être utilisés sur ce territoire et dont rien n'indique qu'ils n'étaient pas accessibles sur celui-ci], plutôt que de s'adresser à une personne, en Suisse, qui par la suite a dû les livrer sur le territoire égyptien. La recourante ne l'explique d'ailleurs aucunement.
Dans ce contexte, et à plus forte raison compte tenu du court laps de temps à partir duquel la recourante échangeait avec les deux hommes [selon la plainte, deux mois pour ce qui était de "M. D______"], l'intéressée aurait dû procéder à de plus amples vérifications avant de procéder aux achats litigieux et à leur remise, à une personne jamais rencontrée, sans rien en échange, sauf une promesse, là encore d'une personne jamais vue auparavant. Rien n'empêchait la recourante de contacter, au préalable, l'avocat de B______, comme elle l'a fait par la suite. Des précautions auraient pu également être prises concernant les numéros de téléphone avec lesquels elle avait conversé. Les vérifications qui auraient été faites par la recourante, les concernant, n'apparaissent pas suffisantes. En effet, elle a, d'abord, expliqué que son ami journaliste avait vérifié que les numéros de téléphone appartenaient bien à "l'intéressé", puis a indiqué avoir demandé, à une entreprise égyptienne, dont elle ne se souvenait pas du nom, la confirmation que le numéro utilisé était bien celui de B______. Aucune preuve de ces vérifications ne figure toutefois au dossier et ces explications contredisent les résultats de l'enquête menée par les autorités policières égyptiennes.
Par ailleurs, et quand bien même la recourante a noué des sentiments amoureux à l'égard de son interlocuteur ["M. D______"], on ne saurait retenir, au vu des circonstances précitées, aucun rapport de confiance préexistant, état de dépendance, d'infériorité ou de détresse propre à faire renoncer la recourante à procéder à un minimum de vérifications. D'ailleurs, tant dans son recours que dans sa réplique, elle ne discute aucunement de ces aspects.
Partant, la condition d'astuce fait ici manifestement défaut, de sorte que l'infraction d'escroquerie n'apparaît pas réalisée. C'est ainsi à bon droit que le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur la plainte de la recourante.
Aucun acte d'enquête proportionné ne serait susceptible d'infirmer ce qui précède, en particulier, la confrontation des parties. On ne voit en effet pas pour quelle raison B______, qui conteste connaître la recourante, changerait de version. S'agissant du dénommé C______, il n'a pas été localisé, dans la mesure où le numéro que lui attribuait la recourante appartenait, selon les autorités égyptiennes, à une autre personne. On ne voit pas non plus quel complément pertinent pourraient apporter les pièces/résultats de la procédure égyptienne s'agissant de l'absence du minimum de prudence exigé de la recourante. À cet égard, les documents versés au dossier font état uniquement, d'une part, que l'un des numéros avec lesquels la recourante conversait appartiendrait à un dénommé J______, et d'autre part, du classement de la procédure. Enfin, si la recourante conteste avoir refusé de donner l'identité de son ami journaliste [qui lui avait transmis le contact du dénommé "M. D______"], cette opposition ressort expressément de son dépôt de plainte et de son audition à la police du 21 juillet 2022. D'ailleurs, bien qu'elle conteste ce reproche de la part du Ministère public par-devant la Chambre de céans, dans le cadre du recours, elle ne révèle pas pour autant l'identité du concerné. Ainsi, rien ne laisse supposer qu'elle la communiquerait par la suite.
4. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et le recours rejeté.
5. La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'200.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'200.-.
Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.
Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).
P/11008/2022 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 1'115.00 |
Total | CHF | 1'200.00 |