Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/340/2025 du 07.05.2025 sur OPMP/1126/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/15845/2017 ACPR/340/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mercredi 7 mai 2025 |
Entre
A______, avocat, domicilié ______, agissant en personne,
recourant,
contre l'ordonnance pénale rendue le 5 février 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte expédié le 17 février 2025, A______, avocat, recourt contre l'ordonnance du 5 février 2025, notifiée le jour-même, par laquelle le Ministère public l'a indemnisé à hauteur de CHF 3'372.71, TVA comprise, pour son activité de défenseur d'office dans le cadre de la présente procédure.
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens chiffrés, à l'annulation de l'ordonnance et à ce qu'un montant total de CHF 3'500.- lui soit octroyé pour son activité de défenseur d'office, auquel devaient s'ajouter CHF 700.- de forfait courriers et téléphones (20%) et CHF 300.- pour les déplacements.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 16 janvier 2025, Me B______ a été nommée d'office pour la défense de C______, prévenu dans la procédure P/15845/2017, mais, lors de l'audience du même jour, A______ l'y a assisté.
b. Par ordonnance du 21 janvier 2025, le Ministère public a révoqué le mandat de l'avocate précitée et nommé A______ en remplacement.
c. Le 4 février 2025, A______ a fait parvenir au Ministère public un état de frais de CHF 4'200.- pour 17h30 d'activité, décomposée comme suit: 3h00 de visite à Champ-Dollon (2 x 1h30), 3h00 d'étude de dossier du Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) (344 pages), 2h30 de préparation de l'audience du TMC (incluant les recherches juridiques, de pièces et la production d'un bordereau à l'audience), 15 minutes d'analyse des chances de succès du recours contre l'ordonnance de mise en détention provisoire, 1h30 de recherches juridiques (lex mitior, vol, escroquerie, circonstance aggravante du métier, expulsion), 1h30 d'étude de dossier, et deux fois trente minutes de préparation aux rendez-vous client. En sus, il s'était rendu à deux audiences au Ministère public (3h20 le 16 janvier 2025, la durée de celle du 5 février 2025 restant à déterminer), et à une audience au TMC (1h25). À cela, s'ajoutaient deux vacations de 30 minutes pour se rendre aux audiences du Ministère public. Le montant total comprenait CHF 700.- forfaitaire pour les courriers et les téléphones (20%).
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a retenu, sans la détailler, 12h10 d'activité, au tarif horaire de CHF 200.-, la durée des activités exposées étant excessive compte tenu des démarches nécessaires à l'exercice raisonnable des droits de procédure du prévenu.
D. a. Dans son recours, A______ soutient que l'ordonnance querellée était insuffisamment motivée. Faute de détail, il lui était en effet impossible d'identifier les activités considérées comme excessives et d'apprécier l'opportunité de la décision, ce qui violait son droit d'être entendu.
Le montant facturé n'était au demeurant pas excessif, dans la mesure où les postes décrits dans l'état de frais correspondaient à l'activité réellement effectuée. Les deux visites à Champ-Dollon de 1h30 (soit 3h00 au total) étaient incompressibles. Le temps d'audience total était de 6h05, l'audience du 5 février 2025 devant le Ministère public ayant duré 1h30. La durée totale de 8h45 pour le poste "procédure" était justifiée, compte tenu des faits reprochés au client, étant précisé que grâce à son travail fourni en amont (recherches juridiques), la procédure avait trouvé une issue plus rapide. Enfin, les trois vacations (et non deux, comme indiqué dans son état de frais du 4 février 2025) pour se rendre aux audiences devaient être indemnisées au total à CHF 300.-, selon le forfait. Ainsi résumée, son indemnité totale, qui n'était pas soumise à TVA, s'élevait à CHF 4'500.- HT, correspondant à CHF 3'500.- ("17h50" d'activité), plus CHF 700.- (forfait courriers et téléphones), plus CHF 300.- de déplacements.
b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours et confirme sa décision. Le dossier ne présentait aucune complexité particulière, avait duré moins d'un mois d'instruction pénale et n'avait nécessité que deux audiences.
Les visites à Champ-Dollon (3h00) avaient été admises.
Le temps d'étude du dossier du TMC (3h00) avait par contre été réduit à 1h30, A______ ayant déjà pris connaissance d'une partie des pièces essentielles en sa qualité d'avocat de la première heure et n'ayant ainsi dû consulter que le reste, soit 288 pages, pièces de forme comprises.
Conformément à la jurisprudence, seules 30 minutes devaient être retenues s'agissant de la préparation de l'audience du TMC (ACPR/678/2016 du 24 octobre 2016). Les recherches juridiques et l'étude du dossier (3h00) devaient être réduits à 1h15 vu l'absence de complexité du cas d'espèce, étant rappelé que la procédure pénale n'avait pas pour vocation à servir de formation à l'avocat. La préparation des rendez-vous client était incluse dans ce poste.
Ensuite, A______, en sa qualité d'avocat de la première heure, n'avait pas produit le formulaire de décompte d'heures. Il n'était ainsi pas possible de retenir qu'il serait arrivé le 16 janvier 2025 à 11h10 dans les locaux de police et qu'il aurait eu un parloir de 1h18 avec le prévenu, alors que la norme voulait qu'un tel entretien ne dure qu'une dizaine de minutes. Une durée totale d'audience de 2h00 devait dès lors être retenue pour le jour en question. Les autres audiences (TMC et Ministère public) totalisaient 2h55 (1h25 + 1h30 le 5 février 2025).
Enfin, deux vacations de 30 minutes chacune avaient été retenues, comme demandé dans l'état de frais. Le fait que l'avocat omette une vacation dans celui-ci n'était pas de la responsabilité du Ministère public. Le recours n'avait pas pour objectif de corriger de telles erreurs.
c. Dans sa réplique, A______ persiste dans ses conclusions. Il ajoute qu'il pensait intervenir, le 16 janvier 2025, en qualité d'avocat de permanence, mais tel n'avait pas été le cas, de sorte qu'il n'avait pas pu être indemnisé à ce titre, conformément au courrier du 20 février 2025 de la Commission du barreau qu'il produit en annexe. Une durée d'audience de 3h20 devait dès lors être retenue. Les autres postes qu'il réclamait étaient également justifiés.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 2, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. b CPP) et émaner du défenseur d'office, qui a qualité pour recourir (art. 135 al. 3 et 382 al. 1 CPP).
2. Le recourant se plaint d'une violation de son droit d'être entendu.
2.1. Le droit d’être entendu, ancré aux art. 29 al. 2 Cst féd. et 3 al. 2 let. c CPP, impose au magistrat de motiver sa décision afin, d’une part, que son destinataire puisse l'attaquer utilement s’il y a lieu et, d’autre part, que la juridiction de recours soit en mesure d’exercer son contrôle. Le juge est ainsi tenu de mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé son prononcé (arrêt du Tribunal fédéral 6B_425/2024 du 17 janvier 2025 consid. 2.1).
2.2. Une violation de ce droit peut être réparée. En effet, le Tribunal fédéral admet la guérison – devant l'autorité supérieure qui dispose d'un plein pouvoir d'examen – de l'absence de motivation, pour autant que l'autorité intimée ait justifié et expliqué sa décision dans un mémoire de réponse et que le recourant ait eu la possibilité de s’exprimer sur ces points dans une écriture complémentaire; il ne doit toutefois en résulter aucun préjudice pour ce dernier (ATF 125 I 209 consid. 9a et 107 Ia 1 consid. 1; arrêt du Tribunal pénal fédéral R.R.2019.70 du 3 septembre 2019, consid. 3.1 in fine). Cela vaut y compris en présence d'un vice grave, lorsqu’un renvoi à l'instance inférieure constituerait une vaine formalité, respectivement aboutirait à un allongement inutile de la procédure, incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 145 I 167 consid. 4.4; arrêt du Tribunal fédéral 1B_539/2019 du 19 mars 2020 consid. 3.1).
2.3. En l'espèce, le Ministère public a, dans l'ordonnance litigieuse, retenu 12h10 d'activité de l'avocat, sans la détailler, se contentant d'indiquer que la durée des activités exposées était excessive compte tenu des démarches nécessaires à l'exercice raisonnable des droits de procédure du prévenu.
Il convient d'admettre, avec le recourant, que cette motivation est insuffisante.
En effet, il appartenait au Ministère public de désigner les raisons pour lesquelles il entendait s'écarter de la note de frais du 4 février 2025 et quels étaient les postes admis.
Le grief est, partant, admis.
Ces précisions sont toutefois intervenues à l'occasion de ses observations sur le recours, auxquelles le recourant a pu répliquer. Il y a ainsi lieu d'admettre que la violation du droit d'être entendu a été réparée en instance de recours et qu'un renvoi de la cause au Ministère public pour ce motif constituerait une vaine formalité.
3. Le recourant reproche au Ministère public de ne pas avoir pris en compte l'entier de son activité consacrée à l'étude et au traitement du dossier.
3.1. L'art. 135 al. 1 CPP prévoit que le défenseur d'office est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. À Genève, ce tarif est édicté à l'art. 16 RAJ et s'élève à CHF 200.- de l'heure pour un chef d'étude (al. 1 let. c).
Seules les activités nécessaires sont retenues. Elles sont appréciées en fonction, notamment, de la nature, de l'importance et des difficultés de la cause, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu (art. 16 al. 2 RAJ).
Le temps consacré à la procédure ne doit être pris en considération que dans la mesure où il apparaît raisonnablement nécessaire à l'accomplissement du mandat par un avocat expérimenté. On exige du défenseur d'office qu'il soit expéditif et efficace dans son travail et qu'il concentre son attention sur les points essentiels. Des démarches superflues ou excessives n'ont pas à être indemnisées (ATF 117 Ia 22 consid. 4b; arrêt du Tribunal fédéral 6B_129/2016 du 2 mai 2016 consid. 2.2).
3.2. Le travail consistant en des recherches juridiques, sauf questions particulièrement pointues, n'est pas indemnisé, l'État ne devant pas assumer la charge financière de la formation continue de l'avocat breveté (AARP/2/2025 du 7 janvier 2025 consid. 6.1.4 et les références citées; ACPR/538/2023 du 18 juillet 2023 consid. 3.2.2).
3.3. La durée nécessaire de préparation des audiences devant le Ministère public dépend du cas d'espèce; toutefois, en moyenne, une trentaine de minutes suffisent (ACPR/560/2020 du 21 août 2020 consid. 3.2).
3.4. Le temps dédié à l'étude du dossier doit être indemnisé en fonction de la durée effectivement consacrée, pour autant que l'activité soit nécessaire (ACPR/180/2024 du 12 mars 2024 consid. 4.2 ; ACPR/617/2023 consid. 3.1 ; ACPR/896/2021 consid. 2.2).
Il ne saurait être question d'indemniser toutes les démarches souhaitables ou envisageables. Le mandataire d'office doit en effet gérer son mandat conformément au principe d'économie de procédure (décision de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral BB.2013.22 du 31 octobre 2013 consid. 5.2.3). Les autorités cantonales jouissent d'une importante marge d'appréciation lorsqu'elles fixent, dans la procédure, la rémunération du défenseur d'office (ATF 141 I 124 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_856/2014 du 10 juillet 2015 consid. 2.3).
3.5. Dans le cas des prévenus en détention provisoire, une visite par mois jusqu'au prononcé du jugement est admise, indépendamment des besoins de la procédure, pour tenir compte de la situation particulière de la personne détenue ; le temps compté pour les visites dans les établissements du canton est de 1 heure et 30 minutes pour les avocats, ce qui comprend le temps de déplacement (ACPR/420/2019 du 6 juin 2019 et les références citées).
3.6. En l'espèce, le Ministère public a admis 12h10 d'activité, soit 3h00 de visite à Champ-Dollon; 1h30 d'étude du dossier du TMC; 30 minutes de préparation de l'audience du TMC; 1h15 de recherches juridiques et d'étude de dossier; 4h55 de temps d'audience et 1h00 de vacation. Le recourant conteste certaines réductions opérées et réclame une indemnisation correspondant à "17h50" d'activité, en réalité 17h30 selon son décompte.
S'agissant de la réduction opérée par le Ministère public pour le poste "étude du dossier" du TMC (de 3h00 à 1h30), elle n'est pas critiquable, dans la mesure où le dossier est composé d'un unique classeur fédéral, lequel comprend notamment les pièces de forme. L'on doit pouvoir attendre du défenseur d'office qu'il identifie, parmi ces documents, ceux essentiels.
Le temps consacré à la préparation de l'audience, réduit à 30 minutes, semble également adéquat, au vu de la seule question juridique soulevée (maintien de la détention provisoire).
Les recherches juridiques sur la lex minor, le vol, l'escroquerie, les circonstances aggravantes par métier et l'expulsion ne doivent pas être indemnisées, dans la mesure où il ne s'agit pas de questions particulièrement pointues pour un avocat breveté. Cela étant, le Ministère public a admis 1h15 à ce titre et pour l'étude du dossier, qu'il y a lieu de confirmer.
Le Ministère public ne s'est pas prononcé, dans ses observations, sur les 15 minutes réclamées pour l'analyse des chances de succès d'un recours contre l'ordonnance du TMC, de sorte que ce poste sera alloué.
L'audience du 16 janvier 2025 doit par contre être indemnisée pour la totalité de sa durée, soit 3h20, ressortant du décompte d'heure produit pour l'intervention de l'avocat de permanence, dûment rempli et envoyé par le recourant à la Commission du barreau et dont il n'y a pas lieu de s'écarter. Les deux audiences qui suivent totalisent une durée de 2h55. C'est ainsi au total 6h15 d'audience qui devront être indemnisés pour le poste "audiences".
Enfin, s'agissant des vacations, le Ministère public a relevé, à raison, que seuls deux déplacements avaient été inclus dans la note de frais du 4 février 2025. Il appartenait au recourant de faire valoir la vacation supplémentaire en temps voulu devant le Ministère public et non au stade du recours, de sorte que seules les deux vacations ressortant de l'état de frais seront retenues (CHF 200.-).
Le temps raisonnablement nécessaire à la procédure totalise dès lors 12h45 d'activité – hors vacations et forfait – (au lieu des 12h10 retenues par le Ministère public).
Partant, l'indemnité due serait de CHF 3'260.- [CHF 2'550.- + CHF 510.- (forfait courriers et téléphones) + CHF 200.- de vacations], la TVA ayant expressément été écartée par l'avocat.
Le Ministère public a toutefois alloué au défenseur CHF 3'372.71, TVA comprise, soit davantage. En raison du principe de l'interdiction de la reformatio in pejus, ce montant ne saurait toutefois être revu à la baisse.
4. Le recours sera donc rejeté.
5. Quand bien même le recourant succombe, la décision attaquée a été rendue en violation du droit d'être entendu, de sorte que sa contestation était justifiée (cf. arrêt du Tribunal fédéral 7B_512/2023 du 30 septembre 2024 consid. 3.1). Il en résulte que les frais de l'instance de recours ne seront pas mis à sa charge.
6. Corrélativement, le recourant a droit à des dépens (cf. ATF 125 II 518 consid. 5; arrêt du Tribunal fédéral 6B_439/2012 du 2 octobre 2012 consid. 2).
Il conclut à cet égard à une indemnité de CHF 800.- TTC pour le recours, correspondant à quatre heures d'activité.
Compte tenu de l'admissibilité de la seule violation du droit d'être entendu et des développements du recourant à cet égard tenant sur environ deux pages, une juste indemnité de CHF 400.- TTC lui sera allouée.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.
Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 400.- TTC pour la procédure de recours.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.
Le greffier : Julien CASEYS |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).