Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/319/2025 du 30.04.2025 sur OMP/6291/2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/4578/2023 ACPR/319/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mercredi 30 avril 2025 |
Entre
A______, représenté par Me B______, avocat,
recourant,
contre l'ordonnance de refus de retrait immédiat de preuves rendue le 12 mars 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 14 mars 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 12 mars 2025, notifiée le 14 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé de retirer du dossier le rapport de renseignements de la police du 20 avril 2023 et son annexe.
Le recourant conclut au constat du caractère inexploitable desdites pièces, à leur retrait du dossier, à leur conservation à part jusqu'à la clôture définitive de la procédure, et à leur destruction.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 6 mars 2023, le Ministère public a ouvert une instruction contre A______ du chef de contrainte sexuelle (art. 189 CP) notamment.
En substance, il lui est reproché d'avoir, le 7 novembre 2022, alors qu'il se trouvait avec C______ (née le ______ 2005) dans sa voiture, stationnée à proximité du domicile de celle-ci, et de manière à empêcher l'ouverture des portières à droite, forcé la précitée à subir plusieurs actes d'ordre sexuel, en particulier, de l'avoir saisie par les cheveux pour l'obliger à lui prodiguer une fellation.
C______ a déposé plainte pour ces faits le 10 février 2023.
b. A______ conteste ces accusations. Il a notamment déclaré que deux semaines avant les faits dénoncés, il avait rencontré C______ aux alentours du domicile de cette dernière et qu'elle lui avait prodigué – de manière consentante – une fellation dans sa voiture.
c. Par mandat d'actes d'enquête du 24 mars 2023, le Ministère public a chargé la police d'identifier le lieu où s'étaient déroulés les faits dénoncés, le cas échéant en présence de C______, d'établir un cahier photographique et de rédiger un rapport.
d. À teneur du rapport de renseignements du 20 avril 2023 (ci-après: premier rapport), la police s'était rendue la veille [le 19 avril 2023] sur les lieux, accompagnée de C______.
Un cahier photographique est joint, dans lequel figurent des clichés du chemin où se seraient déroulés les faits, avec l'utilisation d'un véhicule témoin pour marquer l'emplacement, ainsi que des photographies de l'espace entre ledit véhicule et la clôture adjacente se situant à droite.
La légende de la photographie n. 5 précise "Vue rapprochée sur le côté droit du véhicule. C'est à cet endroit que la lésée a quitté le véhicule".
e. Par courrier du 2 juin 2023, A______ a sollicité du Ministère public une décision formelle de constat du caractère inexploitable du rapport précité et son retrait de la procédure. L'acte d'enquête avait été effectué en la seule présence de C______, sans qu'il n'en soit informé, ce qui était contraire à son droit de participer à l'administration des preuves. L'acte devait être réitéré en sa présence, "moyennant les mesures de protection adéquates inhérentes à la qualité de plaignante en procédure" [qui ne sont pas détaillées].
f. Lors de l'audience du 6 juin 2023, le Ministère public a informé A______, en référence au courrier du 2 précédent, que le rapport du 20 avril 2023 et son annexe n'étaient pas inexploitables et qu'ils ne seraient en conséquence pas retirés du dossier. L'acte d'instruction serait répété en sa présence et celle de son conseil, mais hors la présence de la partie plaignante, à l'exception de son conseil, au motif que celle-ci était mineure et que les mesures de protection que le Ministère public était invité à prendre ne pouvaient être mises en œuvre (procès-verbal d'audience du 6 juin 2023, page 6).
g. Par arrêt du 19 mars 2024 (ACPR/205/2024), la Chambre de céans a constaté un déni de justice s'agissant de la promesse du Ministère public de répéter l'acte d'enquête effectué le 19 avril 2023 et a enjoint à ce dernier de rendre des décisions notamment sur la requête visant le constat de l'inexploitabilité, ainsi que le refus de retrait, du rapport de renseignements du 20 avril 2023.
h. Par mandat d'actes d'enquête, le Ministère public a, en particulier, chargé la police de répéter l'acte d'enquête querellé, dans un premier temps en présence de A______ et de son conseil, ainsi que de celui du conseil de C______, puis, dans un second temps, en présence de C______ et de son conseil ainsi que de celui de A______, mais hors la présence de ce dernier, aucune mesure de protection suffisante ne pouvant être mise en place.
i. Selon le rapport de renseignements du 24 avril 2024 (ci-après: second rapport), la police y a procédé le 18 mars 2024, selon les modalités prescrites par le Ministère public.
Un cahier photographique est annexé, qui comprend des clichés du lieu où se seraient déroulés les faits, avec l'utilisation d'un véhicule témoin pour marquer l'emplacement, ainsi que des photographies de l'espace entre ledit véhicule et la clôture adjacente se situant à droite, aussi bien selon C______, que selon A______.
La légende des photographies n. 4 de l'emplacement du véhicule selon C______, et n. 10 selon A______ précise "Vue rapprochée sur le côté droit du véhicule avec la portière fermée. C'est à cet endroit que la lésée a quitté le véhicule".
C. Dans sa décision querellée, le Ministère public relève que A______ demandait le retranchement du premier rapport aux motifs que l'acte d'enquête avait été effectué en la seule présence de C______ et sans qu'il n'en fût informé. Or, conformément à ce qu'il avait sollicité, l'acte litigieux avait été répété, en sa présence, le 18 mars 2024.
Pour le surplus, les arguments soulevés relevaient de la libre appréciation des preuves et de la possibilité pour le juge [du fond] de ne pas tenir compte du premier rapport, conformément à la jurisprudence sur l'exploitation des preuves découlant de l'art. 141 CPP.
Les conditions au constat immédiat du caractère inexploitable de la preuve et, partant, à son retranchement, n'étaient pas réalisées.
D. a. Dans son recours, A______ soutient que l'acte d'enquête litigieux [soit celui effectué le 19 avril 2023 et faisant l'objet du premier rapport] ne constituait pas une mesure strictement technique, telle une observation policière d'un lieu ou d'un objet. À cette occasion, C______ avait été invitée non seulement à participer, mais également à s'exprimer et à renseigner la police. Ses déclarations avaient été résumées dans le rapport comme des faits établis. Or, on ne lui avait pas offert les mêmes possibilités, ce qui contrevenait au principe de l'égalité des armes et à l'art. 147 CPP.
Par ailleurs, des mesures de protection auraient été possibles, comme celles mises en place lors de la répétition de l'acte d'instruction [objet du second rapport], de sorte que le caractère illicite du premier rapport s'imposait d'emblée. En outre, le résultat de l'acte d'enquête répété ne guérissait en rien le vice entachant le premier rapport et son annexe, qui étaient manifestement illicites.
b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. Le recourant reproche au Ministère public une violation de son droit de participer à l'administration des preuves en lien avec l'acte d'enquête objet du rapport de renseignements de la police du 20 avril 2023.
3.1. L'art. 147 CPP consacre le principe de l'administration des preuves en présence des parties durant la procédure d'instruction et les débats. Il en ressort que les parties ont le droit d'assister à l'administration des preuves par le ministère public et les tribunaux et de poser des questions aux comparants (al. 1). Les preuves administrées en violation de l'art. 147 CPP ne sont pas exploitables à la charge de la partie qui n'était pas présente (al. 4; ATF 143 IV 457 consid. 1.6.1; 140 IV 172 consid. 1.2.1).
3.2. Avant l'ouverture d'une instruction, le droit de participer à l'administration des preuves ne s'applique en principe pas (art. 147 al. 1 CPP a contrario).
En revanche, après l’ouverture de celle-ci, lorsque le ministère public charge la police d’investigations complémentaires, notamment d'effectuer des interrogatoires, les participants à la procédure jouissent des droits accordés dans le cadre des auditions effectuées par le ministère public (art. 312 al. 1 et 2 CPP).
Autrement dit, les règles de l'art. 147 al. 1 CPP, qui consacrent le principe de l'administration des preuves en présence des parties durant la procédure d'instruction et les débats, s'appliquent alors (ATF 139 IV 25 consid. 5.4.3 = JdT 2013 IV 226). Il en ressort que les parties ont le droit d'assister à l'administration des preuves par le ministère public et les tribunaux, et de poser des questions aux comparants. Ce droit spécifique de participer et de collaborer découle du droit d'être entendu (art. 107 al. 1 let. b CPP). Il ne peut être restreint qu'aux conditions prévues par la loi (cf. art. 108, 146 al. 4 et 149 al. 2 let. b CPP).
3.3. Les déclarations recueillies au cours d'une audition à laquelle il n'a pas été offert au prévenu de participer, sans motif justifié, sont inexploitables au sens de l'art. 147 al. 1 CPP, même si ce dernier a pu, par la suite, faire entendre la personne en contradiction (ATF 150 IV 345 consid. 1.6.7.1-1.6.7.4; D. KINZER / A. GUISAN, Délimitation entre le droit de participer (art. 147 CPP) et le droit à la confrontation (art. 3 §3 let. d CEDH), in crimen.ch, 22 août 2024).
3.4. Au stade de l'instruction, la question de la légalité et de l'exploitabilité des moyens de preuve doit en principe être laissée à l'appréciation du juge du fond (art. 339 al. 2 let. d CPP), autorité dont il peut être attendu qu'elle soit en mesure de faire la distinction entre les moyens de preuve licites et ceux qui ne le seraient pas, puis de fonder son appréciation en conséquence (ATF 144 IV 127 consid. 1.3.1; 143 IV 387 consid. 4.4). Cette approche se justifie également au regard du principe "in dubio pro duriore", lequel interdit au ministère public, confronté à des preuves non claires, d'anticiper sur l'appréciation des preuves par le juge du fond (ATF 143 IV 241 consid. 2.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_127/2019 du 9 septembre 2019 consid. 4.1.2 non publié aux ATF 145 IV 462).
Cette règle comporte toutefois des exceptions. Tel est le cas lorsque la loi prévoit expressément la restitution immédiate, respectivement la destruction immédiate, des preuves illicites (cf. notamment l'ancien art. 248 CPP dans sa teneur en vigueur au 31 décembre 2023 [RO 2010 1881], art. 271 al. 3, 277 et 289 al. 6 CPP). Il en va de même quand, en vertu de la loi ou de circonstances spécifiques liées au cas d'espèce, le caractère illicite des moyens de preuve s'impose d'emblée (ATF 143 IV 475 consid. 2.7).
Un intérêt juridiquement protégé particulièrement important est cependant nécessaire pour conduire à un constat immédiat de ce caractère inexploitable (ATF 144 IV 127 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_859/2023 du 17 juillet 2024 consid. 1.3.2).
3.5. En l'espèce, le recourant est soupçonné notamment de contrainte sexuelle sur une mineure âgée de 16 ans au moment des faits. Le 19 avril 2023, la police a effectué un premier transport sur les lieux où se seraient déroulés les faits dénoncés, en présence de la plaignante uniquement, cette dernière étant, à ce moment-là, âgée de 17 ans. Cet acte d'instruction est l'objet du premier rapport de police, contenant en annexe un cahier photographique des lieux. Un an plus tard, le 18 mars 2024, un nouveau transport sur place a été organisé, en présence du recourant, acte d'instruction retranscrit dans un second rapport, contenant également un cahier photographique. À cette occasion, des mesures de protection ont été prises afin que la plaignante – devenue majeure entre temps – ne soit pas mise en présence du recourant.
Ce dernier, qui considère que le premier rapport est inexploitable, demande le constat de l'inexploitabilité, et le retrait du document du dossier de la procédure.
La Chambre de céans considère toutefois, nonobstant la jurisprudence récente du Tribunal fédéral (ATF 150 IV 345 susmentionné) qu'il convient, au stade de l'instruction, de faire preuve d'une certaine retenue (arrêt du Tribunal fédéral 1B_485/2021 du 26 novembre 2021 consid. 2.4.2) et de réserver cette question au juge du fond, qui, s'il est saisi d'un acte d'accusation à l'encontre du recourant, pourra examiner la problématique à la lumière de l'ensemble des preuves disponibles, et de la situation particulière eu égard à l'âge de la plaignante au moment du premier transport sur place.
Cette approche ne contrevient pas à celle adoptée dans le cadre de l'ACPR/98/2025 du 31 janvier 2025 [cité dans le recours], dans la mesure où le cas présent diffère de celui de cet arrêt où l'inexploitabilité a été constatée d'emblée en raison d'une violation de l'art. 108 CPP (consid. 2.4).
Par ailleurs, le recourant ne fait valoir aucun intérêt juridiquement protégé au constat immédiat du caractère inexploitable du premier rapport et ne prétend en particulier pas que soumettre la question de sa légalité au juge du fond le priverait d'un procès équitable.
4. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et le recours rejeté.
5. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 600.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03). En effet, l'autorité de recours est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).
6. L'indemnité du défenseur d'office sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 600.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Valérie LAUBER et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).
P/4578/2023 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 515.00 |
Total | CHF | 600.00 |