Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/130/2025 du 19.02.2025 sur OCL/395/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/17158/2020 ACPR/130/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mercredi 19 février 2025 |
Entre
A______, représentée par Me Robert ASSAEL, avocat, c/o MENTHA Avocats, rue de l'Athénée 4, case postale 330, 1211 Genève 12,
recourante,
contre l'ordonnance de classement rendue le 21 mars 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte expédié le 4 avril 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 21 mars 2024, notifiée le 25 suivant, par laquelle le Ministère public a classé sa plainte contre B______ concernant les infractions de tentative de lésions corporelles simples et de contrainte.
La recourante conclut à l'annulation de ladite ordonnance et au renvoi de la cause au Ministère public afin qu'il poursuive de ces chefs B______.
b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 21 septembre 2020, A______ a déposé plainte contre son ancien compagnon, B______, pour, "entre autres", tentative de lésions corporelles simples et contrainte.
Ils s'étaient rencontrés en décembre 2018 et avaient entretenu des contacts régulièrement. À deux reprises, respectivement en novembre et décembre 2019, il l'avait rejointe à C______ [Portugal], où elle effectuait un stage. Le second séjour s'était mal passé; une dispute avait éclaté entre eux, lors de laquelle il lui avait donné une gifle. En raison de ces faits, le 14 décembre 2019, elle avait déposé plainte auprès des autorités portugaises. Par la suite, il s'était excusé de son comportement. De retour dans la région genevoise, ils s'étaient mis en couple au début janvier 2020.
À une date indéterminée, à fin février 2020, alors qu'elle habitait temporairement chez lui, il l'avait attendue à l'arrêt de tram de "D______" et l'avait forcée à le suivre alors qu'il "tenait un couteau à la main, rangé dans son fourreau", tout en la traitant de "pute", "salope" et "manipulatrice". Arrivés dans l'appartement, il avait sorti son couteau et l'avait lancé, à deux reprises, sur le tatami près d'elle, la ratant de peu, tout en l'insultant, afin de la forcer à effacer toutes les données de son téléphone portable. Ensuite, elle avait pris ses affaires et était partie. Elle n'avait plus eu de ses nouvelles durant environ une semaine. En mars 2020, au début du confinement, ils s'étaient réconciliés et s'étaient installés dans une maison appartenant au père de B______, près du lac de E______. Lors de ce séjour, ils s'étaient fréquemment disputés. Deux semaines après leur arrivée, il avait cuisiné des "spaces cakes" à base de cannabis. Elle avait d'abord refusé d'y goûter mais sur l'insistance de son compagnon avait cédé. Elle avait fait un "bad trip" et s'était évanouie. Elle s'était réveillée allongée au sol, B______ lui donnant des claques sur le visage. Il l'avait aidée à se mettre au lit, s'était mis sur elle, l'avait embrassée de force et touché les seins sous ses vêtements, sans son consentement. Elle ne pouvait plus bouger ni parler et avait eu des spasmes musculaires. Elle ne voulait pas qu'il la touche mais n'était pas parvenue à se défaire de son étreinte. Elle avait mis deux jours à récupérer ses facultés psychiques et physiques. Ils s'étaient séparés le 4 août 2020.
À l'appui de sa plainte, elle a annexé celle déposée auprès des autorités portugaises, ainsi que la photographie d'un couteau similaire à celui que possédait B______.
b. Par courriers reçus par le Ministère public les 24 septembre et 19 octobre 2020, d'anciennes fréquentations de B______ ont souhaité apporter leur témoignage.
La première avait entretenu une relation avec le prénommé, de manière irrégulière entre le 1er janvier 2018 et fin décembre 2019, durant laquelle il s'était montré jaloux, condescendant, voire insultant envers elle.
La seconde avait eu une relation difficile avec le concerné, voire violente, au cours de laquelle elle aurait subi des actes sexuels violents.
c. Entendue par le Ministère public le 12 novembre 2020, A______ a confirmé sa plainte.
d. Entendu également à cette occasion, B______ a contesté les faits reprochés. Fin février 2020, il avait attendu A______ chez lui. Extrêmement énervé, il avait sorti son couteau de son fourreau et avait "tapé" son tatami avec. A______ ne se trouvait pas à proximité. Il n'avait eu aucune intention d'utiliser son couteau sur qui que ce soit, raison pour laquelle il l'avait lancé sur le tatami. Il ne s'en était pas non plus servi pour menacer "explicitement" A______. Son couteau ne lui avait jamais échappé des mains et il ne l'avait pas lancé en direction de la prénommée. "L'épisode D______ – couteau" avait eu lieu en fin d'après-midi à 15h – 16h ou plus tôt. Il n'avait pas forcé A______ à manger un "space cake" mais lui en avait proposé. Même si à l'époque ils entretenaient des relations sexuelles fréquentes, il avait pris conscience qu'elle n'était pas bien après en avoir consommé, raison pour laquelle il avait renoncé à avoir un rapport sexuel avec elle.
e. À la suite de l'avis de prochaine clôture informant les parties que le Ministère public entendait rendre une ordonnance de classement, A______ s'y est opposée et a produit une attestation du 24 juin 2022, à teneur de laquelle F______, psychologue, certifiait l'avoir reçue en consultation, à dix reprises, depuis le 7 décembre 2020. Au cours des séances, elle avait clairement exposé les difficultés qu'elle éprouvait, faisant état de manifestations émotionnelles intenses, qui généraient un état de stress et de tensions impactant son quotidien. Selon le praticien, le retentissement sur le fonctionnement psychologique de la patiente avait pu altérer profondément sa qualité de vie. Un suivi régulier semblait nécessaire pour l'accompagner dans la gestion émotionnelle et traumatique "des faits".
Elle n'a pas sollicité d'acte d'instruction complémentaire.
C. Dans sa décision querellée, le Ministère public considère qu'il existe un empêchement de procéder s'agissant des injures, dès lors que cette infraction était poursuivie sur plainte et que celle déposée le 21 septembre 2020, pour des faits s'étant produits en février 2020, était tardive.
Pour les infractions de tentative de lésions corporelles simples et contrainte, l'ensemble des évènements dénoncés s'étaient déroulés à huis clos, les versions des parties étaient contradictoires et aucun élément de preuve objectif, y compris les courriers d'anciennes fréquentations du prévenu, ne permettait de favoriser une des versions. Compte tenu du doute subsistant sur le déroulement des faits, il n'existait pas de prévention pénale suffisante à l'encontre de B______.
D. a. Dans son recours, A______ considère que les infractions de tentative de lésions corporelles simples et de contrainte étaient réalisées s'agissant des faits qui s'étaient produits fin février 2020.
Elle avait été constante dans ses déclarations, notamment sur le fait que B______ l'avait contrainte avec son couteau à venir chez lui, faits qui avait été reconnus par le concerné. En effet, à la question de savoir "à quelle heure a[vait] eu lieu l'épisode D______- couteau?", il n'avait pas contesté ces faits mais les avait situés dans l'après-midi. Ce faisant, B______ s'était contredit, puisqu'auparavant il avait expliqué l'avoir attendue chez lui. En outre, il avait admis lui avoir ordonné de supprimer toutes les données de son téléphone, en plantant son couteau dans le tatami. Elle avait eu peur et s'était exécutée.
Par ailleurs, la tentative de lésions corporelles simples par dol éventuel devait être retenue, dans la mesure où elle se trouvait à côté du tatami au moment où B______ y avait lancé le couteau, extrêmement énervé, et qu'il ne pouvait être que conscient du risque de la blesser dont il s'était accommodé.
b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. La recourante circonscrit explicitement son recours aux évènements de fin février 2020, qu'elle considère réaliser les infractions de tentative de lésions corporelles simples et de contrainte, de sorte que seules celles-ci seront discutées ci-après.
3.1. Conformément à l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure notamment lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let. a) ou que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).
3.2. Cette disposition s'interprète à la lumière du principe "in dubio pro duriore", selon lequel un classement ne peut être prononcé que quand il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables. Ainsi, la procédure doit se poursuivre quand une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou que les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'infractions graves. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, à ce sujet, d'un certain pouvoir d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 du 10 juin 2021 consid. 2.1).
Dans les procédures où l'accusation repose essentiellement sur les déclarations de la victime, auxquelles s'opposent celles du prévenu, le principe précité impose, en règle générale, que ce dernier soit mis en accusation. Cela vaut en particulier lorsqu'il s'agit de délits commis "entre quatre yeux" pour lesquels il n'existe souvent aucune preuve objective. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation, mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1.2). L'autorité de recours ne saurait ainsi confirmer un classement au seul motif qu'une condamnation n'apparaît pas plus probable qu'un acquittement (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1381/2021 du 24 janvier 2022 consid. 2; 6B_258/2021 du 12 juillet 2021 consid. 2.2). Il peut néanmoins être renoncé à une mise en accusation si la victime fait des dépositions contradictoires, rendant ses accusations moins crédibles, lorsqu'une condamnation apparaît, au vu de l'ensemble des circonstances, a priori improbable pour d'autres motifs, ou lorsqu'il n'est pas possible d'apprécier l'une ou l'autre des versions opposées des parties comme étant plus ou moins plausible et qu'aucun résultat n'est à escompter d'autres moyens de preuve (arrêt du Tribunal fédéral 6B_957/2021 du 24 mars 2022 consid. 2.3).
3.3. L'art. 123 al. 1 CP réprime les lésions corporelles simples, c'est-à-dire des atteintes physiques, voire psychiques, qui revêtent une certaine importance (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1064/2019 du 16 janvier 2020 consid. 2.2).
3.4. Se rend coupable de contrainte selon l'art. 181 CP quiconque, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d'un dommage sérieux, ou en l'entravant de quelque autre manière dans sa liberté d'action, l'oblige à faire, ne pas faire ou à laisser faire un acte.
3.5. En l'espèce, les versions des deux protagonistes s'opposent. Le prévenu explique avoir attendu la recourante à son appartement et conteste ainsi s'être rendu à l'arrêt de tram. Contrairement à ce que prétend la recourante, la réponse du prévenu à la question de savoir "à quelle heure a[vait] eu lieu l'épisode D______ - couteau" – soit, en fin d'après-midi, 15h – 16h ou plus tôt –, sans contester alors cet épisode, ne saurait remettre en question ses dénégations précédentes et signifier une quelconque reconnaissance des faits précités, niés par ailleurs.
Les parties s'accordent sur la suite des évènements, en tant que le prévenu avait, dans l'appartement, sorti son couteau et l'avait lancé sur le tatami. Cela étant, elles s'opposent sur l'emplacement de la recourante à ce moment-là. Cette dernière déclare qu'elle était assise sur le tatami, ce que le prévenu conteste, affirmant n'avoir eu aucune intention d'utiliser son arme contre elle.
Par ailleurs, l'attestation médicale produite par la recourante fait essentiellement état de son ressenti, lequel "a[vait] pu altérer profondément sa qualité de vie". Un suivi d'accompagnement dans la gestion émotionnelle et traumatique "des faits" était préconisé. Cela étant, faute d'autre précision, on ignore quelle serait l'origine des troubles évoqués. S'agissant des courriers d'anciennes fréquentations du prévenu, seuls y sont évoqués des sentiments – négatifs – relatifs à leur propre expérience avec celui-ci. Les jeunes femmes en question n'ont toutefois pas assisté aux faits dénoncés, de sorte que leurs témoignages n'apparaissent pas propres, à eux seuls, à corroborer la version de la recourante. De plus, on ne voit pas quel acte d'enquête apporterait un élément complémentaire, la recourante n'en sollicitant au demeurant aucun.
Dans ces circonstances – des faits "entre quatre yeux" avec des versions contradictoires des parties, dont aucune apparaît moins crédible que l'autre, et en l'absence d'élément de preuve objectif permettant de corroborer l'une d'elles –, il n'existe pas de prévention suffisante à l'égard du prévenu des chefs de lésions corporelles simples, même sous la forme de la tentative, ou de contrainte.
Partant, le classement était justifié.
4. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et le recours rejeté.
5. La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.‑.
Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.
Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Valérie LAUBER et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Sandro COLUNI, greffier.
Le greffier : Sandro COLUNI |
| Le président : Christian COQUOZ |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).
P/17158/2020 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 915.00 |
Total | CHF | 1000.00 |