Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/738/2024 du 15.10.2024 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/15996/2021 ACPR/738/2024 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mardi 15 octobre 2024 |
Entre
A______, domicilié ______, agissant en personne,
recourant,
contre la demande de sûretés rendue par le Ministère public le 13 mai 2024 et pour déni de justice,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte envoyé le 17 mai 2024 [avec le mode d'expédition "confidentiel"] à l'adresse "cjp.securise@justice.ge.ch" sur la plateforme IncaMail de La Poste, et reçu par la Chambre de céans le 21 suivant, A______ recourt contre la décision du 13 précédent (ci-après, décision querellée), communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public l'a astreint à verser la somme de CHF 5'000.- à titre de sûretés.
Il conclut, préalablement, à l'octroi de l'effet suspensif à son recours [accordé par ordonnance OCPR/25/2024 de la Direction de procédure du 22 mai 2024] et, sous suite de frais, à l'annulation de la décision querellée.
b. Par acte envoyé le 29 mai 2024 [avec le mode d'expédition "confidentiel"] à l'adresse "cjp.securise@justice.ge.ch" sur la plateforme IncaMail de La Poste, A______ conclut, sous suite de frais, au constat de la violation du principe de la célérité ainsi que de l'interdiction du déni de justice par le Ministère public.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. B______ et A______ sont les parents d'une fille, née en 2011. Séparés depuis 2016, ils s'opposent depuis lors dans le cadre de diverses procédures civiles et pénales.
b. Par arrêts AARP/403/2020 du 26 novembre 2020 et AARP/93/2024 du 4 mars 2024 de la Chambre pénale d'appel et de révision (ci-après, CPAR) – entrés en force –, B______ a été condamnée, pour diffamation (art. 173 CP), calomnie (art. 174 CP), tentative de contrainte (art. 22 cum 181 CP) et insoumission à une décision de l'autorité (art. 292 CP), par suite de plaintes déposées par son ex-compagnon et les parents de celui-ci.
Elle a également été condamnée, par jugement du Tribunal de police du 31 mai 2023 (P/1______/2020), pour ces mêmes infractions, procédure actuellement pendante devant la CPAR.
c. Par suite de plaintes pénales déposées notamment par A______ et ses parents, le Ministère public instruit, depuis décembre 2021, une procédure pénale contre B______ des chefs de diffamation, calomnie, injure, menaces et contrainte (P/15996/2021).
Il lui est notamment reproché d'avoir publié, depuis 2021, sur les réseaux sociaux des propos à caractère diffamatoires, voire calomnieux, envers les précités, les accusant de différentes infractions pénales en lien avec sa fille.
d. Le Ministère public a requis à quatre reprises [les 11 avril, 15 septembre et 1er novembre 2022, et 3 juillet 2023] la mise en détention provisoire de B______, qui a été libérée sous mesures de substitution consistant notamment en l'interdiction de tenir par écrit ou par oral quelque propos que ce soit à l'encontre des plaignants, de nature à porter atteinte à leur honneur ou se rapportant aux faits faisant l'objet de la présente procédure.
B______ a systématiquement contesté ces mesures, et leur prolongation, devant la Chambre de céans, puis au Tribunal fédéral. Cette dernière autorité a, par arrêt 7B_813/2023 du 9 novembre 2023, estimé que l'"interdiction absolue de procéder à quelque publication que ce soit", ordonnée le 3 juillet 2023 par le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après, TMC), causait à la prévenue une atteinte disproportionnée à ses libertés d'opinion et d'expression.
e. Entendue plusieurs fois par le Ministère public – la dernière fois le 3 juillet 2023, à la suite de nouvelles plaintes déposées à son encontre entre les 3 avril et 26 juin 2023 par A______ et C______ pour, notamment, des infractions contre l'honneur – la prévenue a contesté les faits reprochés, précisant avoir dit la vérité.
f. Entre les 21 juillet 2023 et 15 mai 2024, A______ a déposé vingt-quatre plaintes complémentaires – jointes à la présente procédure – contre son ex-compagne pour des faits similaires.
Les 20 décembre 2023, 4 avril et 1er mai 2024, il s'est également enquis auprès du Ministère public du sort réservé à ses plaintes et de l'état d'avancement de la procédure, précisant que l'instruction connaîtrait des retards injustifiés.
g. Par ordonnance du 5 janvier 2024, le TMC a prolongé jusqu'au 4 juillet 2024 les mesures de substitution à l'encontre de B______.
Dans sa demande de prolongation des mesures, le Ministère public a expliqué que la prévenue serait "prochainement" auditionnée sur les nouveaux faits dénoncés par A______.
C. Dans la décision querellée, le Ministère public, se référant aux "récentes plaintes pénales déposées [par A______] contre B______ pour des infractions contre l'honneur", impartit au plaignant un délai au 14 juin 2024 pour verser la somme de CHF 5'000.-, à titre de sûretés. À défaut, "votre plainte pénale sera réputée retirée".
D. a.a. À l'appui de son recours contre la décision querellée (ci-après, recours du 17 mai 2024), A______ reproche au Ministère public une constatation inexacte des faits et une violation de l'art. 303a CPP. En effet, les faits reprochés à B______ étaient graves et, contrairement à ce que semblait considérer l'autorité précédente, ses plaintes n'étaient pas déposées "dans des situations chargées d'émotion", ni dans un esprit de revanche. Par ailleurs, de nombreuses procédures ouvertes à l'encontre de la prévenue avaient fait l'objet de condamnations pour diffamation et calomnie. En tout état de cause, l'art. 303a CPP n'avait pas d'effet rétroactif. Enfin, la décision querellée était inopportune, car elle n'empêcherait pas la prévenue de continuer ses publications sur les réseaux sociaux.
a.b. Dans son recours pour déni de justice et violation du principe de la célérité (ci-après, recours du 29 mai 2024 ou recours pour déni de justice), A______ fait grief au Ministère public de ne pas avoir instruit la procédure depuis près de onze mois, et ce, malgré ses courriers de relance et les faits nouveaux dénoncés. Le Ministère public ne s'était jamais soucié du suivi des mesures de substitution depuis le 4 juillet 2023. Malgré les nombreux faits nouveaux dénoncés dans ses plaintes complémentaires [des 15 et 27 septembre, 6 octobre, 8 novembre et 20 et 29 décembre 2023, 25 janvier, 1er, 5 et 14 février, 5, 11 et 18 mars, 4, 15, 19, 26, 29 et 30 avril, 1er, 6, 13 et 15 mai 2024], le Ministère public continuait de laisser la prévenue rédiger ses écrits et faire circuler toutes sortes de rumeur à son sujet dans son cercle social et à l'école de leur fille. Il n'avait pas non plus auditionné la prévenue sur les nombreux faits nouveaux dénoncés, contrairement à ce qu'il avait annoncé dans le cadre de la prolongation des mesures de substitution.
Dans sa plainte du 4 avril 2024, il avait informé le Ministère public qu'il serait contraint d'agir en déni de justice s'il devait mener cette procédure pénale avec des délais conséquents et retards importants, sans effet. La seule réaction de la Procureure avait été l'envoi, le 13 mai 2024, de la décision querellée.
Or, les faits reprochés à la prévenue – similaires à ceux ayant conduit à ses précédentes condamnations – ne revêtaient aucune complexité. L'inaction de l'autorité précédente était d'autant plus choquante que les infractions dénoncées étaient graves, au vu de leur accumulation, de leur large diffusion et des répercussions sur lui, ses parents et sa fille.
E. a. Selon le "rapport de validation pour des documents signés qualifiés" du 21 mai 2024, le recours du 17 précédent – [comportant la mention "A______ […] Signature électronique qualifiée - Droit de l'UE Signé sur D______.com] – n'a pas été signé valablement. Au moins une des signatures électroniques sur le document vérifié n'était pas une signature électronique qualifiée équivalant à une signature manuscrite selon la Loi fédérale sur la signature électronique (SCSE, RS 943.03) et l'art. 14 al. 2bis CO.
b. Le second recours, du 29 mai 2024, n'a pas été envoyé avec le mode d'expédition "recommandé". Toutefois, la plateforme sécurisée IncaMail de la Poste a délivré, à 17h20, une quittance de dépôt pour des pièces accompagnant le recours pour déni de justice, lesquelles avaient été envoyées avec le mode d'expédition "recommandé".
F. a. Par courrier du 26 juin 2024, la Direction de la procédure de la Chambre de céans a invité le recourant à se déterminer sur la recevabilité de ses recours.
b. Dans ses observations du 4 juillet 2024, le recourant considère que ses actes ont été formés dans les délais, ce qui ressortait des quittances délivrées par la plateforme IncaMail de la Poste. En tout état de cause, la Chambre de céans avait, par ordonnance du 22 mai 2024 – soit avant l'expiration du délai de dix jours –, octroyé l'effet suspensif à son recours du 17 précédent. De même, le recours pour déni de justice n'était soumis à aucun délai. Enfin, c'était par inadvertance manifeste qu'il avait signé le recours du 17 mai avec une signature électronique qualifiée conforme à l'espace juridique de l'UE, au lieu d'une signature électronique qualifiée selon le droit suisse.
À l'appui de ses observations, il produit notamment:
- des courriels de la plateforme sécurisée IncaMail de la Poste relatifs à ses recours des 17 et 29 mai 2024 et ayant la teneur suivante: "Madame/Monsieur, votre IncaMail ci-dessous a pu être envoyé avec succès au destinataire [cjp.securise@justice.ge.ch]. Message IncaMail concerné: Envoyé le: 17.05.24 16:56:01 CEST Mode d'expédition: Confidentiel […]", respectivement "[…] Message IncaMail concerné: Envoyé le: 29.05.24 17:16:04 CEST Mode d'expédition: Confidentiel […] Destinataire/s concerné/s: cjp.securise@justice.ge.ch […]" ;
- une nouvelle copie du recours du 17 mai 2024 comportant la signature électronique qualifiée selon le droit suisse.
c.a. Dans ses observations, le Ministère public s'en remet à l'appréciation de la Chambre de céans quant à la forme du recours du 17 mai 2024 et, au fond, conclut à son rejet. Les sûretés visaient à couvrir les frais de la procédure en lien avec les dernières plaintes déposées par le recourant. En cas de non-versement, une ordonnance de non-entrée en matière serait prononcée "en lien avec les plaintes déposées depuis l'entrée en vigueur de l'art. 303a CPP".
c.b. Quant au recours du 29 mai 2024, l'autorité précédente s'en rapporte à la justice.
d. Dans sa réplique, le recourant persiste dans les termes de ses recours, précisant que rien ne permettait au Ministère public de fixer arbitrairement le montant des sûretés.
e. Par plis des 25 septembre et 8 octobre 2024, A______ revient sur des faits exposés dans son recours pour déni de justice, précisant avoir déposé des nouvelles plaintes contre la prévenue pour des infractions contre l'honneur.
EN DROIT :
1. Vu leur connexité évidente, les deux recours seront joints et traités en un seul arrêt.
2. 2.1.1. Le recours du 17 mai 2024 concerne une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP; arrêt UH240059 de l'Obergericht Zurich du 4 avril 2024 consid. 1; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Basler Kommentar StPO / JStPO, 3ème éd., Bâle 2023, n. 20 ad art. 303a) et émane du plaignant, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), qui dispose d'un intérêt juridiquement protégé à la modification de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2.1.2. Le recours pour déni de justice émane du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à obtenir une décision de l'autorité sollicitée (art. 382 al. 1 CPP).
2.2. Reste à déterminer si les recours, transmis par voie électronique, ont été formés selon la forme et dans les délais légaux (art. 385 et 396 al. 1 CPP).
2.2.1. Aux termes de l'art. 110 al. 2 CPP, en cas de transmission électronique, la requête doit être munie de la signature électronique qualifiée de l'expéditeur au sens de la SCSE. Cette notion est définie à l'art. 2 let. e SCSE; il s'agit d'une signature électronique réglementée fondée sur un certificat qualifié. Aux termes de l'art. 2 let. c SCSE, une signature électronique réglementée est une signature électronique avancée, créée au moyen d'un dispositif sécurisé de création de signature au sens de l'art. 6 SCSE et fondée sur un certificat réglementé se rapportant à une personne physique et valable au moment de sa création.
À ce jour, aucun accord de reconnaissance mutuelle des signatures électroniques n'a été conclu entre la Suisse et l'Union européenne. En l'absence d'un tel accord, une signature électronique qualifiée basée sur un certificat qualifié selon un droit étranger n'est pas reconnue comme équivalente à une signature électronique qualifiée selon le droit suisse (arrêt du Tribunal fédéral 5A_503/2019 du 20 décembre 2019 consid. 3.3).
2.2.2 L'art. 110 al. 2 2ème phrase CPP précise que le Conseil fédéral règle les modalités de la transmission électronique. Sur la base de cette disposition, l'autorité précitée a édicté l'Ordonnance sur la communication électronique dans le cadre de procédures civiles et pénales et de procédures en matière de poursuite pour dettes et de faillite (OCEI-PCPP; RS 272.1). Conformément aux art. 4 et 6 de l'OCEI-PCPP, les parties qui souhaitent transmettre leur mémoire par voie électronique doivent s'enregistrer sur une plateforme de distribution reconnue, transmettre leur requête sous le format PDF à l'adresse de l'autorité sur la plateforme reconnue et les documents à signer doivent être certifiés par une signature électronique (voir aussi ATF 145 IV 190 consid. 1.3.2).
La plateforme IncaMail de La Poste est reconnue par le Département fédéral de justice et police (ci-après, DFJP) comme plateforme de messagerie sécurisée (Information accessible sur www.bj.admin.ch/bj/fr/home/staat/rechtsinformatik/e-uebermittlung.html, consulté le 17 septembre 2024). Conformément au répertoire publié par la Chancellerie fédérale, les écrits destinés à la Cour de justice pénale doivent être communiqués à l'adresse "cjp.securise@justice.ge.ch".
2.2.3. En cas de dépôt d'un acte non signé, la jurisprudence admet, au regard du principe interdisant le formalisme excessif, l'octroi d'un délai convenable à l'intéressé pour réparer ce vice, assorti de l'avertissement qu'à défaut, l'acte ne sera pas pris en considération (cf. ATF 142 I 10 consid. 2.4; arrêt du Tribunal fédéral 6B_51/2015 du 28 octobre 2015 consid. 2.2). Une telle pratique ne s'impose toutefois que lorsque le défaut de signature est le fait d'une omission involontaire. En revanche, si le recourant dépose un acte dont il connaît l'irrégularité, son comportement – qui tend à l'obtention d'une prolongation de délai pour corriger l'impossibilité de déposer en temps utile son recours – s'apparente à un abus de droit et il ne se justifie pas de le protéger (ATF 142 IV 299 consid. 1.3.4 p. 305; 142 V 152 consid. 4.3; 121 II 252 consid. 4b; arrêt du Tribunal fédéral 6B_51/2015 du 28 octobre 2015 consid. 2.2). De même, lorsque l'entier de l'écrit judiciaire est envoyé uniquement par télécopie ou par courrier électronique, il est irrecevable, à moins que l'irrégularité de la transmission puisse être corrigée dans le délai de recours. En d'autres termes, le vice ne peut pas être réparé après l'échéance du délai par la fixation d'un délai selon l'art. 110 al. 4 CPP ou selon l'art. 385 al. 2 CPP, vu qu'il ne s'agit pas d'une omission involontaire de signature (arrêts du Tribunal fédéral 6B_18/2023 du 3 mars 2023 consid. 3.3.3; 1B_456/2020 du 8 octobre 2020 consid. 2 et 9C_354/2022 du 26 septembre 2022 consid. 3.2).
2.2.4. Selon l'art. 91 al. 3 CPP, en cas de transmission électronique, le moment déterminant pour l'observation d'un délai est celui où est établi l'accusé de réception qui confirme que la partie a accompli toutes les étapes nécessaires à la transmission.
L'art. 8b al. 1 OCEI-PCPP précise que le moment déterminant pour l'observation d'un délai est celui où la plateforme de messagerie utilisée par les parties à la procédure délivre la quittance qui établit qu'elle a reçu l'écrit à l'attention de l'autorité ("quittance de dépôt"). Le DFJP règle la manière de consigner dans la quittance le moment de dépôt (al. 2).
Aux termes du ch. 5.1 de l'annexe de l'Ordonnance du DFJP sur la reconnaissance des plateformes de messagerie (ci-après, annexe de l'Ordonnance du DFJP), une quittance doit notamment contenir les éléments suivants: informations sur la quittance (nom de la plateforme qui délivre la quittance et indication du type de quittance); informations sur le message électronique (informations sur l'expéditeur et le destinataire, le champ « objet » et horodotage); moment où la quittance est délivrée et signature électronique avancée conformément à la SCSE. La quittance est créée par la plateforme sous la forme d'un fichier PDF signé (ch. 5.5 let. a).
2.2.5. La plateforme IncaMail de la Poste prévoit trois modes d'expédition d'un courrier électronique, à savoir "personnel", "confidentiel", ou "en recommandé". L'expéditeur d'un message "personnel" ou "confidentiel" reçoit une confirmation de transmission par courrier électronique. En revanche, en cas de mode d'envoi "en recommandé", il reçoit des quittances en format PDF signées numériquement qui permettent de prouver l'envoi et la réception du message, ou encore l'expiration en cas de non-retrait (www.post.ch/fr/espace-clients/services-en-ligne/incamail/info [Comment fonctionne IncaMail?], consulté le 17 septembre 2024).
Le mode d'envoi "confidentiel" ne donne pas lieu à la délivrance d'une quittance de dépôt au sens des art. 91 al. 3 CPP et 8b al. 1 OCEI-PCPP (cf. arrêt RE220012 de l'Obergericht Zurich du 25 janvier 2023 consid. 4d; P. GUYAN / L. HUBER, Elektronischer Rechtsverkehr nach VeÜ-ZSSchK, in AJP 2011, p. 79).
2.3.1. En l'espèce, les deux recours ont été envoyés sous le format PDF à l'adresse de l'autorité sur la plateforme IncaMail de la Poste, laquelle est reconnue par le DFJP comme plateforme de messagerie sécurisée.
Toutefois, le recours du 17 mai 2024 est muni d'une signature électronique qualifiée conforme au droit de l'Union européenne, ce qui – en l'absence d'un accord de reconnaissance mutuelle – n'est pas valable en droit suisse. Cela étant, et comme le soutient le recourant dans ses observations, le vice semble découler, ici, d'une omission involontaire. Rien ne permet non plus de conclure que le précité aurait déposé l'acte – dont il connaissait l'irrégularité – dans le but d'obtenir une prolongation de délai. Dans la mesure où le recourant a produit, à l'appui de ses observations, une copie du recours litigieux muni d'une signature électronique qualifiée selon le droit suisse, il n'est pas nécessaire de lui octroyer, en sus, un délai convenable pour réparer le vice.
Il s'ensuit que les deux recours ont été déposés selon la forme prescrite (art. 385 CPP).
2.3.2. Il convient également d'examiner si les deux recours ont été expédiés dans les délais prescrits.
In casu, le recourant a utilisé le mode d'envoi "confidentiel" de la plateforme IncaMail de la Poste pour l'envoi de ses recours des 17 et 29 mai 2024. En revanche, le mode d'envoi "en recommandé" n'a été employé que pour les pièces accompagnant le second recours. Contrairement à ce que prétend le recourant, les courriels de confirmation de transmission en cas d'un envoi "confidentiel" ne sauraient être qualifiés de quittances de dépôt au sens de l'art. 8b al. 1 OCEI-PCPP, dès lors qu'ils ne contiennent pas les informations prévues par le ch. 5.1 de l'annexe de l'Ordonnance du DFJP (cf. arrêt RE220012 de l'Obergericht Zurich précité consid. 4). Qui plus est, la plateforme n'a pas délivré de quittance sous la forme d'un fichier PDF signé électroniquement, comme prévu par le ch. 5.2 de l'annexe précité.
Cela étant, le recours du 17 mai 2024 – reçu par la Chambre de céans le 21 suivant – a été déposé dans le délai prescrit, dès lors que le recourant a pu prendre connaissance de la décision querellée – communiquée par pli simple – au plus tôt le 14 précédent.
En outre, le recours pour déni de justice et violation du principe de la célérité n'est soumis à aucun délai.
2.4. Les recours sont, partant, recevables.
3. Le recourant reproche au Ministère public de l'avoir astreint à fournir des sûretés.
3.1. Aux termes de l'art. 303a CPP, entré en vigueur le 1er janvier 2024, en cas de délit contre l'honneur, le ministère public peut astreindre le plaignant à fournir des sûretés dans un délai déterminé pour couvrir les éventuels frais et indemnités (al. 1). Si les sûretés ne sont pas fournies dans le délai imparti, la plainte pénale est réputée retirée (al. 2).
Les sûretés prévues par cette disposition sont justifiées, dans la mesure où, dans les infractions contre l'honneur, la motivation du plaignant n'est bien souvent pas de dénoncer la violation d'un bien juridique, mais plutôt le désir de revanche. Si les motifs prépondérants de la plainte sont de cette nature, il paraît justifié de demander le versement d'une avance avant que la machine judiciaire ne se mette en mouvement. L'art. 303a CPP n'implique aucune obligation de requérir des sûretés. Au contraire, le ministère public disposera d'une marge discrétionnaire pour statuer tant sur la fourniture des sûretés en tant que telle, que sur leur montant. Ce faisant, il doit notamment tenir compte de la portée de la cause et de la situation financière du plaignant (Message du Conseil fédéral du 28 août 2019 [19.048] concernant la modification du code de procédure pénale [mise en œuvre de la motion 14.3383 de la Commission des affaires juridiques du Conseil des États « Adaptation du code de procédure pénale »], FF 2019 6351, pp. 6408 s.; Bulletin officiel de l'Assemblée fédérale, Conseil national [BO CN] 2021, pp. 625 s; N. SCHMID / D. JOSITSCH, Schweizerische Strafprozessordnung : Praxiskommentar, 4ème éd., Zurich 2023, n. 1 ad art. 303a).
L'art. 303a CPP est formulé comme une Kann-Vorschrift et confère au ministère public un large pouvoir d'appréciation (arrêt UH240059 précité consid. 3.2; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), op. cit., n. 13 ad art. 303a). Son champ d'application n'est pas limité aux cas dûment justifiés, contrairement à l'art. 316 al. 4 2ème phrase CPP (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), op. cit., n. 13 ad art. 303a). Plus particulièrement, la motivation du plaignant ne constitue pas une condition à examiner lors de la décision relative à la fourniture des sûretés (arrêt UH240059 précité consid. 4.2). Cela étant, l'autorité doit respecter les dispositions procédurales pertinentes et s'abstenir de tout arbitraire, discrimination ou inégalité de traitement, et user de son pouvoir d'appréciation de manière conforme à ses devoirs, en tenant compte du sens et du but de la disposition (ATF 140 III 159 consid. 4.2; 138 I 305 consid. 1.4.3; 137 V 71 consid. 5.2 et 129 I 232 consid. 3.3).
3.2. En l'espèce, sur le principe de la fourniture de sûretés, le Ministère public jouit d'un important pouvoir d'appréciation. Conformément aux principes sus-énoncés, cette autorité ne doit pas, avant de statuer sur les sûretés, se livrer à un examen des motifs prépondérants de la plainte, puisque l'art. 303a CPP n'est pas limité à certains cas dûment justifiés. Que la prévenue ait été condamnée dans des procédures parallèles, ne prive par ailleurs pas le Ministère public de la possibilité de demander des sûretés. En outre, l'art. 303a CPP s'applique aux plaintes déposées dès l'entrée en vigueur de cette disposition, le 1er janvier 2024, quel que soit le stade d'avancement de la procédure dans laquelle ces plaintes sont déposées. Une demande de sûretés peut ainsi viser de nouvelles plaintes dans une procédure pénale déjà existante. Le recourant ne saurait dès lors se fonder, ici, sur le principe de la non rétroactivité des lois.
On ne voit pas non plus en quoi assortir de sûretés le dépôt de nouvelles plaintes serait inopportun, au sens de l'art. 393 al. 2 let. c CPP, au contraire puisque, dans ce cas, le plaignant pourrait d'autant plus avoir des prétentions civiles contre le mis en cause soupçonné d'être l'auteur d'atteintes à l'honneur (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), op. cit., n. 13 ad art. 303a). L'art. 303a CPP n'a, au demeurant, nullement pour but d'empêcher l'accomplissement de nouvelles infractions, puisqu'il s'adresse au plaignant et non au mis en cause. Il suffit que les conditions d'application de cette disposition soient remplies, comme ici, pour justifier sa mise en œuvre.
Partant, dans son principe, la décision soumettant le recourant à la fourniture de sûretés pour ses nouvelles plaintes contre l'honneur contre la prévenue ne prête pas le flanc à la critique.
Reste à examiner le montant de l'astreinte. En l'occurrence, dans la décision querellée, le Ministère public se réfère aux "plaintes pénales déposées contre [la prévenue] pour des infractions contre l'honneur", sans préciser lesquelles [en se référant, par exemple, à leur date de dépôt], précision qu'il n'a pas apportée dans ses observations sur le recours.
La Chambre de céans n'est dès lors pas en mesure de déterminer si le montant exigé est ou non proportionné.
Le recours sera dès lors admis sur ce point et la cause renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle statue à nouveau.
4. Le recourant reproche encore au Ministère public un déni de justice et un retard injustifié dans l'instruction de la présente procédure.
4.1. Les art. 29 al. 1 Cst féd. et 5 CPP garantissent à toute personne le droit à ce que sa cause soit traitée dans un délai raisonnable; ils consacrent le principe de célérité et prohibent le retard injustifié à statuer. L'autorité viole cette garantie lorsqu'elle ne rend pas une décision qu'il lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou celui que la nature de l'affaire et les circonstances font apparaître comme raisonnable. Le caractère approprié de ce délai s'apprécie selon les circonstances particulières de la cause, eu égard notamment à la complexité de l'affaire, à l'enjeu du litige pour l'intéressé, à son comportement ainsi qu'à celui des autorités compétentes. Des périodes d'activité intense peuvent compenser le fait que le dossier a été laissé momentanément de côté en raison d'autres affaires. Ainsi, seul un manquement particulièrement grave, faisant au surplus apparaître que l'autorité de poursuite n'est plus en mesure de conduire la procédure à chef dans un délai raisonnable, pourrait conduire à l'admission de la violation du principe de la célérité. En cas de retard de moindre gravité, des injonctions particulières peuvent être données, comme par exemple la fixation d'un délai maximum pour clore l'instruction (cf. ATF 128 I 149 consid. 2.2).
L'on ne saurait reprocher à l'autorité quelques temps morts, qui sont inévitables dans une procédure; lorsqu'aucun d'eux n'est d'une durée vraiment choquante, c'est l'appréciation d'ensemble qui prévaut. Selon la jurisprudence, apparaît comme une carence choquante une inactivité de treize ou quatorze mois au stade de l'instruction (arrêt du Tribunal fédéral 6B_172/2020 du 28 avril 2020 consid. 5.1 et les références citées).
4.2. En l'espèce, le recourant reproche au Ministère public son inaction, notamment l'absence de "suivi des mesures de substitution" ordonnées à l'égard de la prévenue. À bien le comprendre, il considère que le Ministère public aurait dû constater que la prévenue n'avait pas respecté les mesures de substitution à elle imposées, et en tirer les conclusions. C'est oublier que le Ministère public a requis, entre avril 2022 et juillet 2023, l'arrestation de la prévenue à quatre reprises, cette dernière ayant été libérée par le TMC avec des mesures de substitution jugées, pour certaines, disproportionnées par le Tribunal fédéral. On ne saurait donc reprocher au Ministère public une inaction sur ce point.
En revanche, depuis l'audition de la prévenue, le 3 juillet 2023, l'autorité précédente n'a pas procédé à de nouveaux actes d'instruction, hormis la demande de la prolongation des mesures de substitution, le 2 janvier 2024, dans laquelle la Procureure a expliqué que la prévenue serait prochainement entendue, ce qui n'a pas été le cas. La magistrate n'a pas expliqué les raisons de ce retard, dans ses observations sur le recours.
En outre, le Ministère public n'a pas réagi aux nombreuses plaintes complémentaires du recourant.
Une telle inaction, sur plus d'une année, ne peut se justifier par une surcharge de travail. La présente cause, bien que difficile à gérer en raison de la quantité d'écrits diffusés par la prévenue – et des très nombreuses plaintes en résultant –, ne présente pas de complexité particulière. En outre, certains faits reprochés à la prévenue sont proches de la prescription (art. 178 CP), ce qui justifie de leur accorder une certaine priorité.
Partant, un déni de justice et un retard injustifié doivent être constatés.
5. En pareil cas, la Chambre de céans peut donner des instructions au Ministère public, lui impartissant un délai pour s'exécuter (art. 397 al. 4 CPP).
Il sera dès lors imparti au Ministère public un délai de trente jours dès réception du présent arrêt pour procéder à l'audition, annoncée, de la prévenue, puis effectuer les actes qu'il estime nécessaire pour clore son instruction.
6. Le recourant, qui n'obtient que partiellement gain de cause, supportera la moitié des frais de la procédure, fixés en totalité à CHF 1'200.- (art. 428 al. 1 CPP; art. 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), soit CHF 600.-, le solde étant laissé à la charge de l'État.
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PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Joint les recours.
Admet partiellement le recours contre la demande de sûretés du 13 mai 2024 et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède, sur ce point, au sens des considérants.
Admet le recours pour déni et justice et violation du principe de la célérité, et impartit au Ministère public un délai de 30 jours à compter de la notification du présent arrêt pour procéder à l'audition de la prévenue et effectuer les actes qu'il estime nécessaires pour clore son instruction.
Condamne A______ à la moitié des frais de la procédure, arrêtés à CHF 1'200.-, soit au paiement de CHF 600.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.
Le greffier : Julien CASEYS |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/15996/2021 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 1'115.00 |
Total | CHF | 1'200.00 |