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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/10337/2021

ACPR/568/2024 du 02.08.2024 sur ONMMP/2588/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : VIOLATION DE DOMICILE;ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE
Normes : CP.186; CPP.310.al1.leta

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10337/2021 ACPR/568/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 2 août 2024

 

Entre

A______ SA,

B______ SA,

représentées par Me Fabien RUTZ, avocat, PYXIS LAW, rue de Hesse 16, case postale 1970, 1211 Genève 1,

recourantes,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 13 juin 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 27 juin 2024, A______ SA et B______ SA recourent contre l'ordonnance du 13 juin 2024, notifiée le 17 suivant, par laquelle le Ministère public a classé leur plainte contre C______ et D______.

Les recourantes concluent à l'annulation de ladite ordonnance, au renvoi de la procédure au Ministère public afin qu'il ouvre une instruction contre C______ et D______, et à la condamnation de ces derniers et de l'État à leur verser une indemnité de CHF 5'000.- à titre de dépens.

b. Les recourantes ont versé les sûretés en CHF 2'000.- qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 16 juin 2021, A______ SA et B______ SA ont déposé plainte pénale à l'encontre de C______ et D______ du chef de violation de domicile (art. 186 CP).

C______ avait, durant de nombreuses années, rendu divers services aux sociétés du groupe B______, sur la base d'un rapport de mandat. Ledit mandat avait été résilié en février 2020. C______ avait toutefois été vu sporadiquement errer dans les locaux de B______ SA, encore en décembre 2020. E______, administrateur délégué de B______ SA, l'avait alors formellement et fermement prié de ne plus se présenter dans les bâtiments des sociétés du groupe. Malgré cela, C______ y était venu à l'improviste dans l'après-midi du 30 avril 2021, en compagnie d'un huissier judiciaire, D______.

Tous deux étaient entrés dans les locaux de B______ SA sans autorisation.

À l'appui de la plainte ont été notamment déposées:

·      une "Attestation" signée le 31 mai 2021 par F______, en sa qualité de directeur de B______ SA, à teneur de laquelle il confirmait qu'en décembre 2020, E______ avait enjoint à C______ de ne plus se présenter dans les locaux de G______ [GE] et des sociétés du groupe B______, "puisque les relations contractuelles avec sa société étaient terminées depuis longtemps";

·      une copie des deux premières pages d'un "Work for hire/consulting agreement", effectif dès le 1er février 2002, entre B______ B. V. et H______, une société française, représentée par C______.

b. C______ et D______ ont de leur côté déposé plaintes pénales les 18 et 27 mai 2021 en lien avec ces événements du 30 avril 2021, au cours duquel ils ont indiqué en substance avoir été menacés, conduits manu militari hors de la propriété du groupe B______ à G______, et blessés. Ils ont été entendus par le Ministère public en cette qualité.

c. Lors de ses auditions par la police et le Ministère public, C______ a déclaré qu'il était employé depuis 24 ans en qualité de cadre dirigeant au sein du groupe B______. A ce titre, il disposait d'un bureau personnel à G______ dans les locaux de A______ SA, où il s'était rendu quotidiennement jusqu'au 30 avril 2021, n'ayant reçu aucune instruction de ne plus se rendre sur le site. Il n'y avait pas de contrôle de sécurité à l'entrée et il n'avait pas besoin de clé.

Le 30 avril 2021, vers 7h30, il s'était aperçu que son bureau avait été vidé. Quatre employés de la société lui avaient dit être étonnés de le voir et avoir reçu pour instruction de vider son bureau, ce qu'ils avaient commencé à faire la veille. Il avait alors fait appel à D______, pour qu'il constate les faits. Ce dernier l'avait rejoint sur place. E______ et F______, ainsi que I______, J______ et K______, employés du groupe B______, étaient à leur tour entrés dans le bureau et les avaient expulsés de force de la propriété.

Il n'avait pas pensé à prévenir la police au moment des faits et ne s'était plus rendu dans les locaux de A______ SA à compter du 30 avril 2021.

C______ a produit à l'appui de sa plainte notamment:

·      une "Attestation" datée du 16 octobre 2020 et signée par le chef comptable de B______ SA, aux termes de laquelle C______ avait son bureau au sein de ladite société au no. ______, route 1______ à G______;

·      une "Attestation", accompagnée de photographies, établie et signée par D______, à teneur de laquelle son mandant, C______, lui avait dit être employé dans l'entreprise "B______" et le priait de constater l'état de son bureau. Il s'y était rendu le 19 janvier 2021 et avait constaté que le "bureau était saccagé". Les téléphones fixes et portable du bureau étaient en fonction [on voit sur les photographies qu'ils portent l'inscription "L______"];

·      la photographie d'un courriel adressé le 29 avril 2021 à 18h05 par F______ à "*B_______M______ [liste de distribution selon localisation de l'entreprise]", ainsi qu'à trois personnes en copie, informant ses destinataires que "L______" ne travaillait plus dans l'entreprise et que, de ce fait, il n'avait "rien à faire" sur la propriété sans avoir, au préalable, pris rendez-vous avec la direction;

·      sa lettre du 6 mai 2021 signifiant à A______ SA son "congé avec effet immédiat pour justes motifs";

·      des photographies, de son bureau vidé et de D______, entouré des personnes citées dans la plainte, en train de sortir des locaux de la société, l'une d'elles le tenant par l'arrière de la veste.

d. D______ a déclaré devant la police puis le Ministère public que C______ avait sollicité ses services d'huissier, le 19 janvier 2021, pour faire un constat, lequel s'était déroulé sans encombres. Le 30 avril 2021, C______ l'avait à nouveau sollicité pour un constat, car son bureau avait été entièrement vidé. Il s'était rendu au siège de A______ SA dans l'après-midi. À l'entrée, il n'y avait pas de barrière et il avait garé son véhicule sur une place "visiteurs", où l'attendait C______. Tous deux avaient pénétré dans le bâtiment et lui-même avait constaté que le bureau de l'intéressé avait été vidé. Plusieurs personnes étaient arrivées. E______ lui avait demandé ses papiers et il s'était exécuté. Il avait peut-être indiqué qu'il était un huissier âgé, mais pas retraité. Il avait, avec C______, été expulsé de force de la propriété par plusieurs personnes de l'entreprise pour une raison qu'il ne pouvait pas s'expliquer. Il n'avait jamais vécu cela de toute sa carrière et été profondément choqué par les méthodes des trois personnes qui l'avaient sorti manu militari.

e. Entendu par la police, F______ a indiqué que C______ travaillait pour une société basée sur l'île de Man, faisant partie du groupe B______ SA. Ce dernier venait de temps en temps dans les locaux de G______ pour voir la marchandise que la société exportait. Dans un courriel adressé en 2020, il avait été informé que ses services n'étaient plus nécessaires.

Lui-même avait informé l'ensemble du personnel par courriel du 29 avril 2021 qu'il fallait le prévenir si C______ venait sur le site. Le 30 avril 2021 au matin, on lui avait signalé la présence de C______ dans son bureau, après quoi il avait été décidé d'en vider le contenu, car "les informations présentes concern[ai]ent l'entreprise et [étaient] confidentielles". C______ n'avait aucun droit d'avoir accès à ces informations.

Ce dernier était revenu dans l'après-midi avec D______, sans rendez-vous. Ils ne s'étaient pas présentés à la réception. Lui-même leur avait demandé de quitter les lieux, car ils n'avaient "rien à y faire". Il n'avait pas fait usage de la force et les intéressés avaient accepté de quitter les lieux.

f. Devant la police puis le Ministère public, E______ a expliqué que C______ était un mandataire indépendant par le biais de la société H______. L'intéressé n'avait aucun rapport contractuel avec les sociétés suisses. Il disposait d'un petit bureau de 6 m2 dans les locaux de A______ SA. Ses activités avaient définitivement cessé huit à neuf mois avant le 30 avril 2021, de sorte qu'il n'était plus payé. Environ deux mois avant les faits, lui-même avait notifié à C______, via F______, qu'il n'avait plus besoin de ses services. C______ ne devait donc plus se présenter dans les locaux.

Le 30 avril 2021, l'intéressé s'était néanmoins directement rendu dans son ancien bureau sans s'annoncer à la réception, en compagnie de D______ qui n'avait pas de mandat. E______ avait été averti de cette présence et était allé à leur rencontre, avec F______. D______ lui avait montré sa carte et dit qu'il était un huissier retraité. Il avait invité les deux intéressés à quitter les locaux de la société, ce qu'ils avaient refusé de faire. Il avait, avec plusieurs employés, formé un "cordon" ou un "barrage" afin de les amener vers la porte de la sortie. C______ et D______, en colère et agressifs, avaient opposé une résistance à quitter les lieux. Lui-même n'avait pas usé de la force, ni frappé ou bousculé quiconque à cette occasion.

g. Il ressort d'un arrêt de la Chambre des prud'hommes de la Cour de justice du 19 décembre 2023 que C______ requérait la condamnation de A______ SA à lui verser CHF 625'000.- à titre de salaire pour la période de janvier 2015 à mai 2021, après que l'existence d'un contrat de travail le liant à cette société aurait été constatée. Il avait allégué durant la procédure qu'après la fin des rapports contractuels, en avril 2020, il était resté "fidèle au poste", bien que plus aucun salaire ne lui soit versé.

A______ avait de son côté admis que certaines prestations avaient été fournies par H______, dans ses locaux, et qu'une ligne téléphonique ainsi qu'une adresse électronique avaient été mises à disposition de C______. Les derniers contrats de consultant avaient été résiliés en février 2020. C'était par erreur que l'adresse électronique avait été laissée à la disposition de l'intéressé et n'avait pas été désactivée, ni retirée de la liste de distribution.

L'arrêt de la Cour de justice a confirmé l'incompétence ratione materiae de la juridiction des prud'hommes pour trancher le litige.

h. Le 12 janvier 2024, faisant suite à l'avis du Ministère public de prochaine clôture de l'instruction du 27 novembre 2023, annonçant qu'il entendait rendre une ordonnance de non-entrée en matière à l'égard de C______ et D______, A______ SA a notamment produit une vue du ciel de sa propriété et des plans issus du site du système d’information du territoire genevois (ci-après, SITG), ainsi que diverses photographies faisant notamment apparaître des panneaux signifiant qu'il s'agissait d'une propriété privée et qu'il était interdit d'y entrer. Elle s'est par ailleurs exprimée sur le litige civil et a produit l'arrêt du 19 décembre 2023 précité, ainsi que le jugement de première instance des Prud'hommes du 19 décembre 2022.

Elle sollicitait l'audition de F______ pour le confronter à D______ en lien avec les voies de fait reprochées à E______.

i. Par ordonnance du 13 juin 2024, le Ministère public a classé la procédure ouverte à l'encontre de J______, I______, K______ et F______ des chefs de lésions corporelles simples, menaces et contrainte en lien avec les plaintes déposées par C______ et D______.

Le Ministère public a retenu que les versions des parties étaient contradictoires, de sorte qu'il n'avait pas été possible d'établir que E______ aurait adopté une attitude menaçante ou bousculé D______, au point de le faire chuter au sol et de lui causer des hématomes, ce dernier ayant d'ailleurs indiqué ne pas savoir qui l'avait empoigné. C______ et D______ avaient déclaré qu'ils s'étaient uniquement sentis menacés par l'attitude des employés. Il n'était pas établi que E______ aurait tenté de contraindre C______ et D______ à quitter les lieux à pied, en les empêchant d'accéder à leurs voitures respectives. E______ avait dit aux employés de la société de bloquer la voiture de D______ uniquement dans le cadre d'un appel simultané à la police pour régler la situation, étant relevé que la voiture n'avait finalement pas été bloquée ni la police appelée.

j. Par ordonnance pénale du 13 juin 2024 également, le Ministère public a en revanche reconnu E______ coupable de voies de fait pour avoir, à cette même occasion, asséné un coup de pied au genou de C______ et lui avoir ainsi causé une contusion sur la face externe du genou avec contusion musculaire des insertions tendineuses du quadriceps.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a retenu que les versions des parties divergeaient sur le point de savoir si les sociétés plaignantes avaient expressément demandé à C______ de ne plus se rendre dans son bureau personnel à G______ suite à la fin de leur collaboration. En tout état, il ressortait des éléments du dossier que C______ s'estimait en droit de pénétrer dans les locaux de la société A______ SA où il avait l'habitude de venir travailler, ayant d'ailleurs sollicité la présence d'un huissier judiciaire pour constater que son bureau avait été vidé. C______ n'avait donc pas la conscience ni la volonté de pénétrer sans droit dans les locaux de cette société.

A fortiori, D______, mandaté par C______ en qualité d'huissier judiciaire pour faire un constat dans les locaux de cette société, n'avait pas la conscience ni la volonté d'y pénétrer sans droit.

D. a. À l'appui de leur recours, de 43 pages, les recourantes font valoir une violation des art. 309 cum 310 al. 1 let. a CPP, de la maxime in dubio pro duriore, de la maxime d'instruction et du principe du droit d'être entendu.

Il ne ressortait nullement de la décision attaquée que le Ministère public aurait pris en compte leur courrier du 12 janvier 2024, l'ayant au contraire même ignoré. Ainsi, cette autorité n'avait nullement tenu compte de leurs allégués liés à la présence de panneaux signifiant une propriété privée, au trajet effectué par les deux intéressés, très profondément à l'intérieur de leur propriété, puis dans des locaux fermés, ainsi qu'au litige civil ayant exclu l'existence de tout rapport de travail entre elles et établi que C______ avait bien été remercié au mois d'avril 2020 déjà.

Bien que les relations contractuelles avec C______ fussent terminées depuis le mois de février 2020, ce qui découlait notamment des décisions des juridictions civiles produites, ce dernier, qui refusait de l'entendre, s'était présenté à plusieurs reprises, en général le matin, dans leurs locaux, sans leur autorisation. E______ l'avait formellement et fermement prié de ne plus se présenter. C'était malgré cette injonction claire qu'il s'était présenté à l'improviste le 30 avril 2021, tout en sachant que son bureau avait été vidé à tout le moins depuis le 19 janvier 2021, date de la première venue de D______ pour ce motif. C'était de plus en toute connaissance de cause et sans chercher à annoncer ou à régulariser sa présence qu'il était resté sans droit et avait "divagué à son aise" dans les locaux après qu'il lui eut été rappelé le jour-même, par E______ et F______, que sa présence était interdite. De plus, après être sorti des locaux pour accueillir D______ à l'entrée, il s'y était encore réintroduit, toujours sans droit.

Seul comptait le fait qu'il ressortait clairement des circonstances – et qu'il l'avait compris – que l'autorisation de pénétrer et a fortiori de demeurer dans les locaux, non accessibles au public, lui avait été retirée.

Le recours à un huissier ne légitimait en aucun cas la commission des infractions de violation de domicile et démontrait que C______ savait la situation litigieuse, ce qui caractérisait encore plus cette infraction sous l'angle du dol éventuel.

D______ ne disposait pas de plus de droit que quiconque d'entrer sur leur fonds privé sans leur consentement exprès, quand bien même le portail d'entrée était ouvert. Il avait franchi deux signaux évidents de "propriété privée". Il était allé jusqu'à s'introduire dans une zone de bureaux parfaitement reconnaissable comme telle, sans se justifier d'un mandat valable. Il était de son devoir de vérifier les dires de son mandant avant de se rendre sur la propriété d'un tiers pour dresser un constat et obtenir de ce tiers un consentement ou au moins qu'il ne s'y oppose pas.

L'infraction de violation de domicile était caractérisée pour C______ et D______. Des motifs d'opportunité ne pouvaient pour le surplus justifier la décision attaquée. Il était insoutenable de retenir en l'état du dossier qu'un acquittement aurait plus de chances d'aboutir qu'un verdict de condamnation.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner des plaignantes qui, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Les recourantes se plaignent d'une violation de leur droit d'être entendues, dans la mesure où le Ministère public aurait nullement tenu compte de leurs réquisitions de preuves présentées le 12 janvier 2024, ni discuté dans son ordonnance des allégations formulées à cette occasion.

3.1.       Le droit d'être entendu, garanti à l'art. 29 al. 2 Cst., implique pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse la comprendre, l'attaquer utilement s'il y a lieu et afin que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle. L'autorité doit ainsi mentionner, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 143 IV 40 consid. 3.4.3 p. 46; 142 I 135 consid. 2.1).

3.2.       La motivation peut également être implicite et résulter des différents considérants de la décision. Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté, même si la motivation présentée est erronée (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1)..

3.3.       En l'espèce, à la lecture du courrier des recourantes du 12 janvier 2024, on ne trouve pas de réquisition de preuve en lien avec la plainte pour violation de domicile déposée à l'encontre de C______ et D______. La seule réquisition qui y est formulée vise l'audition de F______ en audience contradictoire, en lien avec les voies de fait reprochées à E______ sur la personne de C______. Cette demande d'acte d'enquête ne concerne donc pas l'ordonnance querellée, objet du litige.

Quant aux diverses pièces accompagnant ce courrier, elles ont été versées à la procédure par le Ministère public, qui en a donc eu connaissance pour rendre sa décision.

Enfin, la motivation de la décision querellée est suffisante, dans la mesure où elle permet de comprendre les motifs pour lesquels cette autorité a considéré que ni C______ ni D______ n'avaient la conscience et la volonté de pénétrer sans droit dans la propriété des recourantes. Il sera rappelé que l'autorité n'a pas l'obligation de discuter tous les allégués des parties. Les recourantes ont manifestement pu attaquer l'ordonnance de non-entrée en matière en toute connaissance de cause, puisqu'elles ont été en mesure de développer leur argumentation dans un recours de 43 pages.

Ce grief est infondé et sera rejeté.

4.             Les recourantes considèrent que c'est à tort que le Ministère public n'est pas entré en matière sur leur plainte pour violation de domicile.

4.1. Au moment de statuer sur l'ouverture éventuelle de l'instruction, le ministère public doit examiner si les conditions d'exercice de l'action publique sont réunies, c'est-à-dire si les faits qui sont portés à sa connaissance sont constitutifs d'une infraction pénale et si la poursuite est recevable. Il suffit que l'un des éléments constitutifs de l'infraction ne soit manifestement pas réalisé pour que la non-entrée en matière se justifie (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310).

4.2.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

4.2.2. Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. Les indices relatifs à la commission d'une infraction impliquant l'ouverture d'une instruction doivent être importants et de nature concrète. De simples rumeurs ou de simples suppositions ne suffisent pas. Le soupçon initial doit au contraire reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1; arrêts du Tribunal fédéral 6B_488/2021 du 22 décembre 2021 consid. 5.3; 6B_212/2020 du 21 avril 2021 consid. 2.2; 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1).

4.3. Se rend coupable de violation de domicile quiconque, d’une manière illicite et contre la volonté de l’ayant droit, pénètre dans une maison, dans une habitation, dans un local fermé faisant partie d’une maison, dans un espace, cour ou jardin clos et attenant à une maison, ou dans un chantier, ou y demeure au mépris de l’injonction de sortir à lui adressée par un ayant droit (art. 186 CP).

4.3.1. L'auteur pénètre dans le domicile dès qu'il s'introduit dans l'espace protégé contre la volonté de l'ayant droit (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Il faut que l'auteur ait agi de manière illicite. Cette exigence a pour but d'exclure l'infraction lorsque l'auteur est lui-même un ayant droit (B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. I, Berne, 2010, n. 41-42).

4.3.2. La violation de domicile n'est punissable que si elle est commise intentionnellement. L'intention comprend la conscience du fait que l'on pénètre contre la volonté de l'ayant droit (ATF 90 IV 74 consid. 3). Le dol éventuel suffit (ATF 108 IV 33 consid. 5c) JdT 1983 IV 74 et A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), op. cit., n. 44 ad art. 186).

4.4. Il y a dol éventuel lorsque l'auteur, qui ne veut pas le résultat dommageable pour lui-même, envisage le résultat de son acte comme possible et l'accepte au cas où il se produirait, mais également lorsque le résultat dommageable s'impose à l'auteur de manière si vraisemblable que son comportement ne peut raisonnablement être interprété que comme l'acceptation de ce résultat (ATF 137 IV 1 consid. 4.2.3; 133 IV 9 consid. 4.1; 131 IV 1 consid. 2.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_718/2017 du 17 janvier 2018 consid. 2.1).

4.5. En l'espèce, il est constant que les recourantes et C______ ont été liés par un contrat civil, peu important qu'il doive être qualifié de contrat de travail ou de mandat. Il ressort de même de la procédure que ledit contrat a pris fin au plus tôt en février 2020, selon les recourantes, au plus tard le 6 mai 2021, selon C______, qui a alors indiqué le résilier avec effet immédiat pour justes motifs à la suite de l'épisode du 30 avril 2021. Les parties se sont opposées dans un litige civil après que C______ avait porté l'affaire devant la juridiction des prud'hommes, se prévalant d'un contrat de travail pour réclamer des salaires impayés de CHF 625'000.-, juridiction qui, par jugement du 19 décembre 2022, confirmé par la chambre civile de la Cour de justice dans un arrêt du 19 décembre 2023, a déclaré sa demande en paiement irrecevable, faute de compétence rationae materiae. Devant les juges civils, C______ a allégué qu'après la fin des rapports contractuels, en avril 2020, il était resté "fidèle au poste", bien que plus aucun salaire ne lui soit versé.

Nul ne remet en cause le fait qu'un petit bureau ait été mis à disposition de l'intéressé sur le site du groupe B______ à G______, pour développer son activité, ce qui a encore été attesté le 16 octobre 2020 par le chef comptable de B______ SA.

Le 19 janvier 2021, tant C______ que D______, huissier judiciaire, se sont trouvés sur la propriété des recourantes et ont pénétré dans ledit bureau où le second a dressé un constat, photographies à l'appui. Il en ressort que ce "bureau était saccagé". Les téléphones fixes et portable du bureau étaient en fonction, portant tous deux sur leur écran l'inscription "L______".

Les recourantes ont indiqué que depuis la résiliation du mandat de l'intéressé en février 2020, ce dernier avait été vu sporadiquement dans leurs locaux, encore en décembre 2020, et que E______, l'avait alors formellement et fermement prié de ne plus s'y présenter. Ils ne produisent toutefois aucun document permettant d'étayer cette affirmation, comme un courriel qui lui aurait été adressé dans ce sens. L'"Attestation" émise le 31 mai 2021 seulement, soit plus d'un mois après l'incident du 30 avril 2021 et 17 jours avant le dépôt de plainte pour violation de domicile, signée qui plus est par F______, qui était présent et impliqué dans l'incident du 30 avril 2021, censée démontrer cette mise en garde faite par l'un de leurs employés, n'est d'aucun secours aux recourantes. Elle ne suffit pas à établir que C______ se serait vu expressément interdire, plusieurs mois plus tôt, l'accès au site et à son bureau. C'est d'ailleurs à cette date également, en début de soirée, que F______ a adressé à la liste de distribution "*B_______M______", ainsi qu'à trois personnes en copie, un courriel selon lequel "L______" ne travaillait plus dans l'entreprise et que, de ce fait, il n'avait "rien à faire" sur la propriété sans avoir, au préalable, pris rendez-vous avec la direction. Il n'est pas davantage démontré que ce dernier se serait vu à cette date signifier cette interdiction de se présenter dans son bureau.

Le 30 avril 2021 vers 7h30, C______ s'est rendu dans ce qu'il considérait encore être son bureau. F______ a indiqué à la police que sa présence lui avait été signalée, après quoi il avait été décidé de vider le contenu de ce bureau, car "les informations présentes concern[ai]ent l'entreprise et [étaient] confidentielles". C'est dire qu'à ce moment-là encore, quand bien même C______ devait se sentir malvenu vu le "saccage" de son bureau – dont il dit avoir été victime – qui n'était donc pas encore vidé, il pouvait s'estimer en droit de pénétrer sur un site et dans des locaux où il avait l'habitude de venir travailler. Comme justement retenu par le Ministère public, il a d'ailleurs sollicité la présence d'un huissier judiciaire pour constater que son bureau avait été vidé.

C'est donc conformément au droit que le Ministère public a considéré que C______ n'avait ni la conscience ni la volonté de pénétrer sans droit dans les locaux des recourantes.

Ce constat vaut effectivement a fortiori pour l'huissier judiciaire, mandaté par celui-là pour procéder à un constat, étant rappelé que ni son mandant ni lui-même n'ont été avisés formellement que l'entrée sur le site et les locaux des recourantes leur aurait été interdite après qu'ils y étaient venus le 19 janvier 2021, sans que cela ne suscite de réaction.

5.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et le recours rejeté.

6.             Les recourantes, qui succombent, supporteront, conjointement et solidairement, les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 2'000.-, au vu de la tâche nécessaire pour un recours prolixe (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ SA et B______ SA, conjointement et solidairement, aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 2'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux recourantes, soit pour elles leur conseil, et au
Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président ; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/10337/2021

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'915.00

Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9)

CHF

2'000.00