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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/11678/2023

ACPR/330/2024 du 06.05.2024 sur OMP/20833/2023 ( MP ) , IRRECEVABLE

Recours TF déposé le 05.06.2024
Descripteurs : SÉQUESTRE(MESURE PROVISIONNELLE);SUPPRESSION(EN GÉNÉRAL);PARTIE À LA PROCÉDURE;LÉSÉ;TRUST;AYANT DROIT ÉCONOMIQUE;INTÉRÊT JURIDIQUEMENT PROTÉGÉ;CONFISCATION(DROIT PÉNAL);CRÉANCE;GESTION DÉLOYALE
Normes : CPP.115; CPP.118; CPP.382; CPP.263; CP.70; CP.71; CP.158

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/11678/2023 ACPR/330/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 6 mai 2024

Entre

A______, représentée par Mes Saverio LEMBO et Abdul CARRUPT, avocats, quai de la Poste 12, 1211 Genève 3,

B______, C______, D______ et E______, représentés par Mes Stefan LEIMGRUBER et Paul GULLY-HART, avocats, rue des Alpes 15bis, case postale 2088, 1211 Genève 1,

recourants,


contre l'ordonnance de levée de séquestres rendue le 7 novembre 2023 par le Ministère public,

et

F______ LTD et G______, représentées par Mes Albert RIGHINI et François ROD, avocats, rue Gourgas 5, case postale 31, 1211 Genève 8,

H______, représenté par Me I______, avocat,

J______, représenté par Me K______, avocat,

L______, représenté par Me M______, avocat,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par actes séparés, expédiés le 20 novembre 2023, A______, d'une part, et B______, C______, D______ ainsi que E______, d'autre part, recourent contre l'ordonnance du 7 précédent, notifiée le lendemain, à teneur de laquelle le Ministère public a levé les séquestres ordonnés sur les comptes bancaires nos 1______ et 2______, ouverts aux noms de, respectivement, F______ LTD et G______, dans les livres de [la banque] N______, à Zürich.

Ils concluent, sous suite de frais et dépens non chiffrés, à l'annulation de cette décision.

b. Par ordonnances des 21 (OCPR/72/2023) et 23 (OCPR/73/2023) novembre 2023, la Chambre de céans a admis les requêtes d'effet suspensif assortissant les recours, les saisies étant, en conséquence, maintenues jusqu'à droit jugé sur ces actes.

c. Les recourants ont versé les sûretés en CHF 3'000.- qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. O______ a placé l'essentiel de sa fortune, évaluée à plus d'USD 500 millions, dans une structure composée de diverses entités.

b.a. Il a ainsi constitué, en mai 2013, un trust irrévocable, P______, incorporé au Liechtenstein; dans ce contexte, il a transféré à des trustees la propriété de nombre de ses biens pour qu'ils les gèrent, de façon discrétionnaire, en faveur de membres de sa famille, bénéficiaires dont font partie A______, B______, C______, D______ et E______ (ci-après : les consorts A___/B___/C___/D___/E______).

La fonction de trustees est exercée conjointement par trois sociétés, également situées au Liechtenstein. H______, J______ et L______ administrent chacun l'une d'elles.

b.b. P______ est l'unique actionnaire de F______ LTD, laquelle possède, à son tour, la société G______.

Ces deux dernières entités – qui sont localisées aux îles Caïmans et administrées par d'autres personnes que les trustees sus-évoqués – détiennent des comptes bancaires (nos 1______ et 2______) auprès de N______, à Zürich.

c.a. Depuis le décès de O______, intervenu en 2015, les trustees du P______ et certains bénéficiaires de celui-ci sont en conflit.

En substance, les seconds reprochent aux premiers de ne pas respecter la volonté du de cujus, laquelle était que sa fortune leur soit distribuée, attitude qui les privait indûment de leurs droits. Selon les trustees, l'intention du défunt était, au contraire, de soustraire le contrôle de ladite fortune à certains des membres de sa famille, pour éviter qu'ils ne se l'accaparent au détriment des autres ayants droit, vu la mésentente entre les intéressés.

c.b.a. En raison de ce conflit, les trustees et bénéficiaires concernés se sont opposés, et s'opposent encore, dans de nombreuses procédures, civiles et pénales, tant à l'étranger qu'en Suisse.

c.b.b. En particulier, certains desdits bénéficiaires – parmi lesquels B______ –, ont déposé, en septembre 2017, aux îles Caïmans, une action contre les trustees, notamment.

Ils y contestaient le droit de ces derniers de détenir, pour le compte du P______, l'unique part sociale de F______ LTD, au motif que ce droit leur conférerait, de facto, la mainmise sur la quasi-totalité des actifs du trust.

Les défendeurs ont conclu au rejet de cette action.

Des mesures provisoires, applicables durant la procédure, ont été ordonnées; il a ainsi été fait interdiction aux trustees, dès octobre 2017, de disposer de ladite part sociale; par ailleurs, deux administrateurs judiciaires ont été désignés, en avril 2018, pour veiller aux intérêts et assurer la gestion indépendante de F______ LTD ainsi que de sa filiale, G______.

Par jugement du 9 juin 2023, la plus haute instance des îles Caïmans a définitivement rejeté l'action et levé les mesures provisoires.

c.c. Parallèlement, les 11 juin 2018 et 26 mars 2021, les trustees du P______ ont conclu, en leurs noms personnels, deux accords avec un bailleur de fonds, destinés à financer l'ensemble des procédures les opposant aux bénéficiaires du trust.

Le premier (Litigation Financing Agreement) accordait aux intéressés une ligne de crédit d'USD 27 millions pour leurs frais de défense (Claimant Costs) et de conseil (Advisory Costs). Le second (Deed of Variation) augmentait d'USD 10 millions cette ligne de crédit.

Lesdits accords stipulaient que les sommes à rembourser au bailleur de fonds pourraient, dans certaines circonstances, s'élever à 1.8, 2 ou 2.5 fois les montants empruntés.

Le Deed of Variation stipulait, en outre, que les trustees s'engageaient à accorder au prêteur un ou plusieurs droits de gage sur les actifs de F______ LTD et G______, en garantie de la ligne de crédit; cet engagement était soumis à la condition que les mesures provisoires ordonnées par les juridictions des îles Caïmans soient levées avant la fin du litige devant ces juridictions.

d.a. Le 26 mai 2023, les consorts A___/B___/C___/D___/E______ ont déposé une plainte pénale, à Genève, du chef de gestion déloyale (art. 158 CP) contre les trustees du P______, représentés par H______, J______ et L______.

Les mis en cause ayant choisi de se livrer à une "guerre judiciaire" contre eux, ils dilapidaient indûment la fortune de feu O______, plutôt que de la leur remettre. Pour financer cette "guerre", ils avaient conclu deux accords, les Litigation Financing Agreement et Deed of Variation, à des conditions usuraires. La dette contractée par les trustees s'élevait actuellement – selon des renseignements dont eux-mêmes disposaient depuis peu – à USD 118 millions, somme que les intéressés entendaient rembourser au moyen des valeurs déposées sur les comptes bancaires (nos 1______ et 2______) de F______ LTD et G______, valeurs qu’ils s'étaient engagés à nantir au profit du bailleur de fonds. De tels actes mettaient manifestement en danger le patrimoine du P______, de sorte qu'ils portaient atteinte aux intérêts aussi bien de cette entité que de ses bénéficiaires.

Eux-mêmes venaient d'apprendre que les juridictions des îles Caïmans s'apprêtaient à lever les mesures provisoires ordonnées en faveur de F______ LTD et G______. Les mis en cause récupéreraient donc bientôt la libre disposition des fonds de ces sociétés, qu'ils affecteraient au paiement du montant précité. Il convenait donc d'ordonner, pour éviter que la mise en danger sus-évoquée ne se concrétise, le séquestre des deux comptes bancaires concernés.

Ils se constituaient parties plaignantes, qualité qui devrait leur être reconnue, dès lors que les trustees, en tant que propriétaires du patrimoine du P______, ne pouvaient être à la fois les lésés et les auteurs de l'infraction à l'art. 158 CP; cette configuration justifiait qu'eux-mêmes puissent défendre les intérêts du trust.

d.b. Le 31 mai suivant, le Ministère public a ordonné, d'une part, l'ouverture d'une instruction contre H______, J______ et L______ pour gestion déloyale et, d'autre part, la saisie des relations ouvertes par F______ LTD et G______ dans les livres de N______.

d.c.a. Par missives des 14 juillet et 23 octobre 2023, F______ LTD et G______, considérant que les conditions matérielles d'une future confiscation/créance compensatrice n'étaient pas réalisées, ni susceptibles de l'être, ont requis la levée de ces saisies, aux motifs notamment que : les valeurs séquestrées leur appartenaient, les bénéficiaires du P______ ne jouissant d'aucune prérogative (directe) sur celles-ci; ces valeurs étaient d'origine licite, puisqu'elles provenaient de la fortune de feu O______; elles-mêmes n'étaient impliquées, ni dans la conclusion des Litigation Financing Agreement et Deed of Variation, ni dans les faits reprochés aux prévenus; les actifs saisis avaient été gérés, entre avril 2018 et juin 2023, par des administrateurs judiciaires indépendants, de sorte qu'ils n’avaient pas pu faire l’objet d’une utilisation illicite; les conditions de l'art. 158 CP n'étaient pas réunies, dès lors que les mis en cause n'avaient eu d'autre choix, au vu des mesures provisoires ordonnées par les juridictions des îles Caïmans, que de faire appel à un bailleur de fonds pour financer leur défense dans le cadre de la procédure devant ces juridictions, et dès lors également que les intéressés semblaient avoir négocié l'obtention du financement litigieux aux meilleures conditions possibles.

d.c.b. Nantis du pli du 14 juillet 2023, les consorts A___/B___/C___/D___/E______ se sont opposés à la levée des saisies, arguant entre autres que : si l'origine des fonds séquestrés n'était point illicite, leur gestion par les trustees l'était; peu importait que F______ LTD et G______ – de facto gérées et instrumentalisées par les mis en cause – ne soient pas directement impliquées dans les faits dénoncés, leurs actifs étant l'objet d'une infraction "en cours" de commission; les prévenus avaient violé l'art. 158 CP en contractant une dette personnelle, critiquable tant dans son principe que dans sa quotité, qu'ils entendaient faire supporter au P______. À cette aune, eux-mêmes pourraient prétendre, à la fin de la présente procédure, à se voir restituer les fonds séquestrés, en rétablissement de leurs droits.

Les consorts ne se sont pas déterminés sur la missive du 23 octobre 2023 de F______ LTD et G______, laquelle ne leur a pas été communiquée.

C. Dans sa décision déférée, le Ministère public a nié l'existence d'un lien de connexité entre les valeurs saisies et les faits imputés aux prévenus, à défaut, pour celles-là, d'être le produit d'une infraction, respectivement d'avoir servi, ou de devoir servir de manière imminente, à en commettre une.

D. a. À l'appui de leurs recours ainsi que répliques respectifs, les consorts A___/B___/C___/D___/E______ s’estiment habilités à quereller l'ordonnance susvisée, aux motifs qu’ils revêtaient le statut de partie plaignante et disposaient d'un intérêt juridiquement protégé à ce que leurs expectatives liées à la restitution/allocation des sommes bloquées, en fin de procédure, soient garanties. À ce dernier égard, les conditions de l’art. 70/71 CP étaient a priori réalisées, puisque les valeurs séquestrées étaient "l'objet de la mise en danger [dénoncée] (…) et[,] par conséquent, de la gestion déloyale" imputée aux prévenus; subsidiairement, ces valeurs étaient destinées à commettre l'infraction à l'art. 158 CP, laquelle serait alors réalisée "non pas au titre d'une mise en danger [du patrimoine]" mais "sous la forme d'une perte éprouvée".

Sur le fond, ils se prévalent, notamment, d’une violation de leur droit d'être entendus, le Procureur ayant omis de leur transmettre le pli de F______ LTD et G______ du 23 octobre 2023.

b. Invité à se déterminer, le Ministère public n'a pas formulé d'observations.

c. F______ LTD et G______ concluent, principalement, à l'irrecevabilité des recours, au motif qu'aucun des consorts n'était directement atteint dans ses droits par la décision entreprise, subsidiairement, à leur rejet, pour des raisons similaires à celles exposées lors de l'instruction.

Elles requièrent le versement d'une juste compensation de CHF 15'000.-, fondée sur l'art. 434 CPP, eu égard à l'activité déployée par leurs conseils devant le Procureur (25 heures de travail), puis la Chambre de céans (20 heures).

d. H______, J______ et L______ formulent, dans une écriture conjointe datée du 23 janvier 2024, des conclusions identiques à celles des deux sociétés précitées.

Ils n’expliquent toutefois pas pourquoi ils estiment les recours irrecevables. La problématique du séquestre est traitée dans deux paragraphes de leur mémoire (nos 104 et 105). Sur le fond, ils réfutent les allégués de la plainte pénale, niant avoir commis une quelconque infraction.

Ils sollicitent l'octroi de dépens totalisant CHF 10'701.90, TVA à 8.1% incluse [étant relevé que seul L______ semble être domicilié en Suisse, à teneur des éléments du dossier], correspondant à 22 heures d'activité de chefs d'étude, au tarif horaire de CHF 450.-.

e. Les recourants ont spontanément adressé à la Chambre de céans, en avril 2024, une écriture supplémentaire, faisant état d'éléments nouveaux, aptes, selon eux, à étayer l'infraction reprochée aux trustees.

Celle-ci n'a pas été transmise aux parties, pour les raisons qui seront exposées ci-après (cf. consid. 2.3). Elle leur sera communiquée, pour information, avec le présent arrêt.

EN DROIT :

1. Les deux recours étant dirigés contre la même ordonnance et soulevant des griefs identiques, ils seront joints et traités par un seul arrêt.

2. 2.1. Ces actes ont été interjetés selon la forme (art. 385 al. 1 CPP) et dans le délai (art. 90 al. 2 cum 396 al. 1 CPP) prescrits, contre une décision de levée de séquestres sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP; ACPR/481/2023 du 26 juin 2023, consid. 1.1).

2.2. Il convient de déterminer si leurs auteurs disposent de la qualité de partie plaignante (art. 104 al. 1 let. b CPP), respectivement d’un intérêt juridiquement protégé à l’annulation de cette décision (art. 382 CPP), réquisits nécessaires afin d’admettre leur qualité pour agir.

2.2.1. On entend par partie plaignante le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale (art. 118 al. 1 CPP). Le lésé est la personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction (art. 115 al. 1 CPP), c’est-à-dire le titulaire du bien juridique protégé par la disposition qui a été enfreinte (ATF
147 IV 269 consid. 3.1).

i. Quand une infraction est commise au détriment du patrimoine d'un trust – entité qui est dénuée de personnalité juridique –, c'est en principe le trustee – lequel bénéficie de prérogatives identiques à celles d'un propriétaire – qui revêt le statut de lésé, à l'exclusion des bénéficiaires dudit trust (arrêts du Tribunal fédéral 7B_167/2023 du 28 juillet 2023 consid. 4.3.2 et 1B_319/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.2).

ii. Lorsque le trustee est impliqué dans la commission de l'infraction concernée, deux options sont envisageables.

Si un nouveau trustee a été désigné par la suite, seul ce dernier est habilité à se constituer partie plaignante (arrêt du Tribunal fédéral 1B_319/2022 précité, consid. 2.3).

Dans la négative, se pose alors la question de savoir s'il y lieu d'élargir le cercle des lésés aux bénéficiaires du trust. Cette question a reçu une réponse affirmative de la part du Tribunal pénal fédéral et de certaines cours cantonales; elle n'a toutefois jamais été tranchée, à ce jour, par le Tribunal fédéral (arrêts du Tribunal fédéral 7B_167/2023 précité, consid. 4.3.2 et 1B_319/2022 précité, consid. 2.2).

2.2.2. L'existence d'un intérêt juridiquement protégé, au sens de l'art. 382 CPP, est admise, lorsque le recourant est directement et immédiatement touché dans ses droits par l’ordonnance attaquée (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1004/2022 du 23 mai 2023 consid. 3.1.1).

i. Dispose d'un tel intérêt, en matière de séquestre d'un compte bancaire, le titulaire de cette relation, à l'exclusion de l'ayant droit économique des fonds qui y sont déposés, atteint par ricochet (arrêts du Tribunal fédéral 1B_354/2020 du 26 octobre 2020 consid. 4.1 et 1B_21/2010 du 25 mars 2010 consid. 2).

ii. Quand un séquestre (art. 263 CPP) est levé, la partie plaignante peut contester cette décision, pour autant qu'elle mette en danger ses expectatives tendant à se voir, en fin de procédure, soit allouer les valeurs patrimoniales confisquées (art. 263 al. 1 let. d CPP cum 70 al. 1 CP et 73 CP) ou restituer directement celles-ci (art. 263 al. 1 let. c CPP cum 70 al. 1 CP), soit attribuer la créance compensatrice ordonnée en faveur de l'État (art. 263 al. 1 let. e CPP cum art. 71 al. 1 et 73 CP; arrêts du Tribunal fédéral 6B_900/2018 du 27 septembre 2019 consid. 2.2.3 et 1B_100/2019 du 28 mars 2019 consid. 1.2).

Cela implique que le prononcé d'une future confiscation/restitution (cf. ii.a ci-après), respectivement d'une éventuelle créance compensatrice (cf. ii.b infra), entre en considération.

ii.a. Selon l'art. 70 al. 1 CP, le juge prononce la confiscation des valeurs patrimoniales qui sont le résultat d’une infraction, si elles ne doivent pas être restituées au lésé en rétablissement de ses droits.

Cette norme suppose la réalisation des conditions suivantes, notamment :

ii.a.a. Une infraction doit avoir été commise ou, à tout le moins, tentée (ATF
125 IV 4 consid. 2b/aa).

En effet, le législateur a entendu opérer une "séparation nette" entre, d'une part, la mesure de sécurité préventive que constitue la confiscation d'objets dangereux au sens de l'art. 69 CP – norme qui autorise une telle confiscation lorsque ces objets doivent servir à la commission d'une future infraction – et, d'autre part, la confiscation de valeurs patrimoniales au sens de l'art. 70 al. 1 CP, mesure qui vise à absorber des profits illicites (Message du Conseil fédéral concernant la modification du code pénal suisse et du code pénal militaire [Révision du droit de la confiscation, punissabilité de l'organisation criminelle, droit de communication du financier] du 30 juin 1993, in FF 1993 III 297).

ii.a.b. Les valeurs à confisquer/restituer doivent provenir de cette infraction, c'est-à-dire s'inscrire dans un rapport de causalité avec le comportement incriminé (arrêt du Tribunal fédéral 7B_191/2023 du 14 mars 2024 consid. 2.3.3).

Il faut, par conséquent, que l'obtention de celles-là apparaisse comme la conséquence directe et immédiate de celui-ci (ibidem).

ii.a.c. Pour être restituées au lésé, les sommes séquestrées doivent avoir été soustraites à ce dernier du fait de l’infraction (arrêt du Tribunal fédéral 6B_17/2011 du 18 juillet 2011 consid. 2).

ii.b. Selon l'art. 71 al. 1 CP, lorsque les montants à confisquer ne sont plus disponibles, le juge ordonne leur remplacement par une créance compensatrice de l’État d’un montant équivalent.

En raison de son caractère subsidiaire, cette mesure ne peut être ordonnée que si, dans l'hypothèse où les valeurs patrimoniales auraient été disponibles, leur confiscation eût été prononcée; elle est donc soumise aux mêmes conditions qu'une telle confiscation (arrêt du Tribunal fédéral 7B_191/2023 du 14 mars 2024 précité, consid. 2.3.4).

2.2.3. En l'espèce, les recourants, bénéficiaires du P______, imputent aux trustees une violation de leurs devoirs de gestion à l'égard de celui-ci (art. 158 CP).

Si cela s'avérait, les prévenus, seuls propriétaires légaux du patrimoine du trust, ne seraient pas à même de défendre les intérêts de cette entité, étant (potentiellement) impliqués dans la commission des faits dénoncés.

La question de savoir s'il se justifie, en conséquence, de reconnaître aux recourants le statut de lésé (art. 115 CPP) pour faire valoir les droits du P______ – interrogation qui n'a, à ce jour, ni été tranchée, sur le plan théorique, par le Tribunal fédéral, ni fait l'objet, ici, d'une décision préalable du Ministère public – souffre de demeurer indécise.

2.2.4. En effet, à supposer que ce soit le cas, les intéressés ne disposeraient alors pas d’un intérêt juridiquement protégé (art. 382 CPP) au maintien des séquestres litigieux, pour les cinq raisons qui suivent.

Premièrement, F______ LTD et G______ sont seules titulaires des comptes bancaires saisis et, comme telles, directement touchées dans leurs droits par les mesures querellées. P______ n’est atteint que médiatement, en sa qualité d’actionnaire unique de F______ LTD, société qui détient, à son tour, G______.

Deuxièmement, une confiscation/restitution fondée sur l'art. 70 CP suppose qu’une infraction ait été commise ou tentée, cette disposition n’ayant pas pour finalité de prévenir la commission d’un futur acte illicite. Or, les montants que les recourants souhaitent voir conservés sous main de justice n'ont pas (encore) fait l'objet d'une utilisation, ou d'un début d'utilisation, indue par les trustees; que cette impossibilité d'utilisation puisse (éventuellement) résulter des mesures ordonnées sur les actifs de F______ LTD et G______ par les juridictions des îles Caïmans, puis par le Ministère public, n'y change rien.

Troisièmement, une confiscation/restitution ne peut en aucun cas porter sur "l’objet" d’une infraction (comme l’estiment les recourants), mais uniquement sur les valeurs qui en sont le résultat. Dans la mesure où les sommes ici litigieuses ne proviennent pas d’un acte illicite, leur saisie conservatoire n’a point lieu d’être.

Quatrièmement, les fonds concernés n’ont (en l’état) nullement été soustraits au trust, de sorte qu’ils ne sauraient lui être restitués au terme de la présente procédure.

Cinquièmement, le prononcé d’une future créance compensatrice (art. 71 CP) ne peut être envisagé, à défaut pour les conditions de l’art. 70 CP d’être réunies.

À cette aune, la qualité pour agir doit être déniée aux recourants.

2.3. Il s’ensuit que le recours est irrecevable.

Dans ces circonstances, point n’est besoin d’examiner si, d'une part, les conditions de l'art. 158 CP sont prima facie réalisées – raison pour laquelle le mémoire déposé par les consorts en avril 2024 (lequel traite exclusivement de cette problématique) n’a pas été soumis aux intimés – et, d'autre part, le Ministère public a violé le droit d'être entendus des recourants, en omettant de leur transmettre la missive de
F______ LTD et G______ du 23 octobre 2023 – étant relevé que les consorts se sont longuement exprimés, devant la Chambre de céans, sur les considérations utiles au sort de la cause –.

3. Les recourants succombent (art. 428 al. 1, 2ème phrase, CPP).

Partant, ils assumeront solidairement (art. 418 al. 2 CPP) les frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 3'000.- (art. 3 cum 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03), somme qui sera prélevée sur les sûretés versées.

4. Les intimés, qui obtiennent gain de cause, sollicitent l'octroi de dépens.

4.1. F______ LTD et G______, tiers saisis, chiffrent à CHF 15'000.- l'activité déployée par leurs conseils devant le Ministère public, puis la juridiction de recours.

4.1.1. Les tiers qui, par le fait d'actes de procédure, subissent un dommage ont droit à une juste compensation (art. 434 al. 1 CPP), notion qui inclut les frais de défense engagés par leurs soins (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1210/2017 du 10 avril 2018 consid. 4.1).

Pareille prétention se règle dans le cadre de la décision finale ou, si le cas est clair, par le ministère public pendant la procédure préliminaire (art. 434 al. 2 CPP).

Se fondant sur cette dernière norme, la Chambre de céans n'entre en principe pas en matière sur les conclusions tendant à l’octroi de dépens pour la procédure de recours (cf. ACPR/859/2022 du 9 décembre 2022, consid. 6; ACPR/957/2019 du 4 décembre 2019, consid. 5.2; ACPR/620/2019 du 15 août 2019, consid. 5 et ACPR/119/2019 du 11 février 2019, consid. 6).

4.1.2. In casu, les sociétés précitées n'ont pas requis du Procureur l'allocation d'une indemnité pour les prestations accomplies par leurs avocats durant l'instruction. Aussi la Chambre de céans ne peut-elle traiter cette problématique, pour la première fois, au stade du recours.

S'agissant des dépens engagés pour la procédure de deuxième instance, il appartiendra aux intéressées d’en solliciter le défraiement, le moment venu, auprès du Ministère public ou du juge du fond, conformément aux réquisits de l'art. 434 al. 2 CPP.

Il ne sera donc pas entré en matière sur leur requête.

4.2. Les prévenus réclament le versement de CHF 10'701.90, correspondant à 22 heures d'activité de chefs d'étude.

Les deux recours comportent une quarantaine de pages chacun, d'une teneur quasiment identique; deux classeurs de pièces y sont annexés.

La détermination des prévenus, acte de vingt-deux pages, ne contient presqu'aucun développement sur la recevabilité desdits recours, non plus que sur la réalisation des conditions des art. 70 et 71 CP.

En conséquence, une indemnité de CHF 1'350.- sera allouée à chacun d'eux, correspondant à trois heures d’activité – temps nécessaire à la prise de connaissance, par leurs conseils respectifs, des recours et de leurs annexes, respectivement à la rédaction des quelques passages topiques de leur mémoire conjoint –, au tarif horaire de CHF 450.- (ACPR/137/2024 du 22 février 2024, consid. 4.2), et mise à la charge de l'État.

Seule la somme octroyée à L______ sera majorée de la TVA à 8.1%, équivalant à CHF 109.35, H______ et J______ ne semblant pas résider en Suisse (ATF
141 IV 344).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Joint les recours interjetés par A______, d'une part, et B______, C______, D______ ainsi que E______, d'autre part.

Les déclare irrecevables.

Condamne solidairement les recourants aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 3'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Alloue à H______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'350.-, pour la procédure de recours.

Alloue à J______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'350.-, pour la procédure de recours.

Alloue à L______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'459.35, TVA à 8.1% incluse, pour la procédure de recours.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, B______, C______, D______, E______, F______ LTD, G______, H______, J______ et L______, soit pour eux leurs conseils respectifs, ainsi qu'au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Valérie LAUBER, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 


 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).


 

P/11678/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

60.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

2'865.00

Total

CHF

3'000.00