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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/9166/2022

ACPR/800/2022 du 14.11.2022 sur ONMMP/2530/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ;INFRACTIONS CONTRE LA VIE ET L'INTÉGRITÉ CORPORELLE;LÉSION CORPORELLE PAR NÉGLIGENCE
Normes : CPP.310; CP.125

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/9166/2022 ACPR/800/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 14 novembre 2022

 

Entre

 

A______, domicilié ______[GE], comparant par Me Sandy ZAECH, avocate, TerrAvocats Genève, rue Saint-Joseph 29, case postale 1748, 1227 Carouge,

recourant,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 22 juillet 2022 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 2 août 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 22 juillet 2022, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte.

Le recourant conclut, avec suite de frais et une équitable participation aux honoraires de son avocat, principalement, à l'annulation de ladite ordonnance, au renvoi de la cause au Ministère public pour qu'il ouvre une instruction et procède à une audience de confrontation et à l'audition de B______.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 8 novembre 2021, vers 15h30, un accident a eu lieu entre un automobiliste, C______, circulant sur la rue des Vollandes en direction du quai Gustave-Ador, et un cycliste, A______, au moment où celui-ci traversait la chaussée. Ce dernier arrivait du trottoir de droite pour se rendre sur celui de gauche de la rue précitée, au niveau du quai Gustave-Ador. Malgré le freinage de la voiture, une collision s'est produite entre l'avant droit de celle-ci et le flanc gauche du vélo, provoquant la chute du cycliste et lui occasionnant diverses blessures.

b. Les deux parties ont rempli et signé un constat amiable. Sous la rubrique "circonstances", est cochée la case "n'avait pas observé un signal de priorité ou un feu rouge" pour l'automobiliste, avec l'ajout manuscrit, en dessous, "a coupé le stop". B______ est mentionné comme témoin et, sur le croquis dessiné, l'accident s'est produit après le signal "stop", de la rue des Vollandes, sur le quai Gustave-Ador.

c. En raison de ces faits, le 8 février 2022, A______ a déposé plainte contre C______ pour lésions corporelles par négligence.

Il a précisé que, selon lui, l'automobiliste n'avait pas respecté le signal "stop". Il ignorait sa propre vitesse mais ne circulait pas vite. Il avait essayé de freiner lorsqu'il avait vu la voiture sur sa gauche mais cela n'avait pas suffi. Au moment du choc, il était tombé et avait terminé sous la voiture. B______ avait assisté à la scène et l'avait aidé à s'extraire de sous le véhicule.

À l'appui de sa plainte, il a produit divers documents médicaux attestant de ses blessures.

d. Entendu par la police, le 10 mars 2022, C______ a expliqué qu'il n'avait pas vu le cycliste arriver. Le jour en question, la place de parking pour handicapés se trouvant sur la droite juste avant le signal "stop" de la rue des Vollandes, était occupée par une voiture et avait masqué le vélo. Arrivant au "stop", il roulait à basse vitesse. Au moment où il avait vu le cycliste sur la route, il avait effectué un freinage d'urgence mais n'avait pas réussi à éviter le choc.

e. Selon le rapport de renseignements du 28 mars 2022, le cycliste avait profité du rabaissement du trottoir pour traverser la chaussée. La police tenait à disposition les photographies prises sur les lieux ainsi que le croquis effectué.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a retenu que C______ circulait à faible allure et que sa vision était obstruée par un véhicule garé sur la place pour handicapés. A______, quant à lui, roulait sans droit sur le trottoir et avait traversé la route, sans précaution et hors passage pour piétons, entre cette place et le "stop". Au vu de la configuration des lieux, notamment du manque de visibilité, l'automobiliste n'avait pas vu le cycliste tout de suite. Celui-là avait toutefois freiné immédiatement après avoir aperçu celui-ci, sans réussir à éviter le choc.

Aucune faute ne pouvait être reprochée à C______, qui avait respecté les règles en matière de circulation routière et fait preuve d'une attention suffisante eu égard aux autres usagers de la route et à la configuration des lieux. Le prénommé s'était donc conformé aux règles de prudence que les circonstances lui imposaient. Faute de responsabilité dans l'accident, les lésions subies par A______ ne pouvaient être imputées à l'automobiliste, qui ne pouvait s'attendre à voir surgir un cycliste à l'endroit du heurt.

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir retenu les faits de manière erronée et incomplète. Il contestait formellement: la présence d'un quelconque véhicule sur la place de parc pour handicapés; que C______ roulait "à faible allure"; que lui-même avait traversé la route sans précaution et hors passage pour piétons, le rabaissement du trottoir et les marques au sol à l'endroit en question indiquant aux usagers l'autorisation de traverser en toute sécurité. Par ailleurs, le procès-verbal de son audition à la police était incomplet, ne mentionnant pas que, dans la voiture, au moment de l'accident, se trouvaient deux grands chiens en liberté; que C______ était au téléphone; et que lorsque ce dernier était sorti de son véhicule il chancelait, comme s'il était pris de boisson. Il avait également expliqué à la police que, lors du heurt, divers biens matériels lui appartenant avaient été endommagés.

Par ailleurs, un constat amiable avait été établi, selon lequel C______ avait violé un "stop", et un témoin avait assisté aux faits. C'était ainsi sans preuve que le Ministère public avait retenu qu'une voiture bloquait la visibilité de l'automobiliste et que ce dernier roulait à une vitesse faible, ce qui était contesté. Selon toute vraisemblance, l'automobiliste roulait à vive allure et était distrait par les chiens dans sa voiture et son téléphone portable. Il existait ainsi des soupçons suffisants de la commission d'infractions nécessitant une instruction, en particulier, l'audition du témoin et la confrontation des parties.

À l'appui de son recours, il produit une capture d'écran "Google Maps" des lieux de l'accident.

b. Le Ministère public conclut à la confirmation de son ordonnance querellée. Il ajoute que C______ aurait pu s'attendre à voir arriver un piéton mais qu'il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir vu le cycliste, qui ne devait pas se trouver à cet endroit et arrivait à une allure supérieure à celle d'un piéton. Au demeurant, l'automobiliste avait immédiatement freiné lorsqu'il avait aperçu le vélo, malheureusement trop tard pour éviter le choc.

Par ailleurs, s'agissant de son procès-verbal d'audition à la police, si A______ s'était aperçu que des informations manquaient, c'était au moment de sa signature qu'il aurait pu y remédier.

c.A______ rappelle que C______ avait pour obligation d'être attentif à l'ensemble des usagers de la route, conformément à l'art. 26 al. 2 LCR, de sorte que la distinction entre un piéton et un cycliste n'était pas pertinente quant à l'attention à apporter au trafic. Le choc s'était produit en raison du manque d'attention et de la vitesse de C______ qui arrivait de la rue des Vollandes pour entrer rapidement sur le quai Gustave-Ador en obliquant à droite.

Quant au procès-verbal, il s'était présenté seul à la police, n'était pas rompu à l'exercice et la modification dudit procès-verbal n'apparaissait pas envisageable.

 

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Les faits nouveaux sont recevables, la jurisprudence admettant leur production en deuxième instance (arrêts du Tribunal fédéral 1B_368/2014 du 5 février 2015, consid. 3.1 et 3.2 et 1B_768/2012 du 15 janvier 2013, consid. 2.1).

3.             Le recourant reproche, en premier lieu, une constatation erronée et incomplète des faits (art. 393 al. 2 let. b CPP).

Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP) (ATF 137 I 195 consid. 2.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1.), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes du Ministère public auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-devant.

Partant, ce grief sera rejeté.

4.             Le recourant fait grief, en second lieu, à l'autorité précédente de ne pas avoir ouvert instruction.

4.1. Le ministère public ouvre une instruction lorsqu'il ressort du rapport de police, des dénonciations ou de ses propres constatations des soupçons suffisants laissant présumer qu'une infraction a été commise (art. 309 al. 1 let. a CPP).

Le ministère public renonce à ouvrir une instruction lorsqu'il rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière ou une ordonnance pénale (art. 309 al. 4 CPP).

4.2. Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore" (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1456/2017 du 14 mai 2018 consid. 4.1 et les références citées). Celui-ci découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies (ATF 146 IV 68 consid. 2.1). Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1.2 et les références citées).

Des motifs de fait peuvent justifier la non-entrée en matière. Il s'agit des cas où la preuve d'une infraction, soit de la réalisation en fait de ses éléments constitutifs, n'est pas apportée par les pièces dont dispose le ministère public. Il faut que l'insuffisance de charges soit manifeste. De plus, le procureur doit examiner si une enquête, sous une forme ou sous une autre, serait en mesure d'apporter des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée. Ce n'est que si aucun acte d'enquête ne paraît pouvoir amener des éléments utiles que le Ministère public peut rendre une ordonnance de non-entrée en matière. En cas de doute sur la possibilité d'apporter ultérieurement la preuve des faits en question, la non-entrée en matière est exclue (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 9 ad art. 310).

4.3. L'art. 125 CP réprime le comportement de celui qui, par négligence, aura fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé.

4.4. En l'espèce, les faits retenus par le Ministère public ne concordent pas avec ceux figurant dans le constat amiable, rempli et signé par les protagonistes, à teneur duquel l'automobiliste paraît responsable de l'accident.

À ce stade de la procédure, alors que les faits retenus par le Ministère public sont contestés par le recourant, on ne peut exclure la commission de l'infraction à l'art. 125 CP. Il convient dès lors de confronter les parties et procéder à l'audition du témoin ayant assisté à l'accident, dont les coordonnées figurent sur le constat amiable, le précité étant susceptible d'éclairer sur les circonstances du heurt. Les photographies des lieux prises par la police et le croquis effectué par les agents peuvent également apporter un élément complémentaire probant, notamment s'agissant du point de choc.

Dans ces circonstances, et sans même tenir compte des faits nouvellement soulevés par le recourant, le Ministère public n'était pas autorisé à rendre la décision querellée, dès lors qu'il n'apparaît pas clairement que les faits ne sont pas punissables.

Partant, la cause lui sera renvoyée afin qu'il procède aux actes d'instructions précités.

5. Fondé, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour l'ouverture d'une instruction.

6. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP). Les sûretés versées par le recourant lui seront donc restituées.

7. Le recourant, partie plaignante, assisté d'un avocat, n'a ni chiffré ni a fortiori justifié sa demande d'équitable indemnité pour ses frais d'avocat, de sorte qu'il ne lui en sera point allouée (art. 433 al. 2 cum 436 al. 1 CPP).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours et annule l'ordonnance querellée.

Renvoie la cause au Ministère public pour instruction au sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ les sûretés versées en CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).