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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/10477/2020

ACPR/650/2022 du 23.09.2022 sur OCL/267/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;VIOL;CONTRAINTE SEXUELLE;IN DUBIO PRO DURIORE
Normes : CPP.319; CP.189; CP.190

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10477/2020 ACPR/650/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 23 septembre 2022

Entre

A______, domiciliée c/o Madame B______, ______, comparant par Me C______, avocate,

recourant,

contre l'ordonnance de refus de réquisitions de preuves et de classement partiel rendue le
7 mars 2022 par le Ministère public,

et

D______, domicilié ______, comparant par Me E______, avocate,

F______, domicilié ______, comparant par Me N______, avocat,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 18 mars 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 7 mars 2022, notifiée le 8 suivant, par laquelle le Ministère public a rejeté ses réquisitions de preuves et classé sa plainte pénale (chiffres 1 et 2 du dispositif).

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, chiffrés à CHF 4'000.-, principalement, à l'annulation de cette décision et au renvoi de la procédure au Ministère public pour reprise de l'instruction afin qu'il procède aux auditions de témoins sollicitées, puis subsidiairement, qu'il établisse un acte d'accusation contre D______ et F______ des chefs de viol et contrainte sexuelle.

b. A______, qui plaide au bénéfice de l'assistance juridique, a été exonérée de l'avance de sûretés (art. 136 al. 1 et al. 2 let. a, et art. 383 al. 1 CPP).

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 21 mai 2020, A______ s'est présentée au poste de police G______ afin de dénoncer D______ et F______ pour des viols qui seraient survenus le jour même. Elle a été entendue par la Brigade des mœurs le 25 mai 2020, accompagnée d'une personne de confiance, H______, son compagnon.

En substance, elle a exposé avoir rencontré "D______", soit D______, ainsi que F______, durant la nuit du 20 au 21 mai 2020, au bord du lac, par le biais d'une connaissance commune, I______, avec qui elle avait passé la soirée. Elle avait consommé de l'alcool et de la cocaïne avant de se rendre au bord du lac, puis avait continué ses consommations sur place. Ils s'étaient ensuite tous rendus chez une connaissance, J______, pour un "after" jusqu'aux alentours de 9h00. D______ lui avait alors proposé d'aller chez lui, en compagnie de F______ et de I______. Elle avait accepté et ils avaient, tous les quatre, quitté l'appartement en direction de la gare. I______ avait finalement changé d'avis et était rentrée chez elle. De son côté, elle avait pris le bus avec les deux hommes. Ils étaient arrivés chez D______ vers 09h10. Sur place, ils s'étaient assis sur le canapé du salon et avaient bu du vin rouge. Elle avait fini de consommer la cocaïne qu'elle possédait. Ils avaient joué à "action ou vérité". Au départ, les actions étaient ordinaires, telles que devoir danser. Puis, F______ avait déclaré: "maintenant, c'est 10h00, il est tard, faut qu'on en vienne aux faits". Il avait de la sorte sous-entendu "un ménage à trois". Elle avait répondu ne pas être venue pour entretenir une relation sexuelle avec eux et s'était dirigée vers la porte pour quitter les lieux. D______ l'avait rattrapée et lui avait dit: "laisse tomber, il est bourré, écoute pas". Elle était donc restée. Ils avaient continué à discuter et à jouer au jeu précité. À un certain moment, D______ lui avait demandé de le "sucer", ce à quoi elle avait répondu par la négative. Puis, durant ce même jeu, D______ lui avait embrassé les seins et elle l'avait repoussé. Soudainement, les deux individus avaient baissé son justaucorps et lui avaient embrassé les seins, chacun d'un côté. Elle avait tenté de les repousser. D______ lui avait ensuite introduit violemment deux doigts dans le vagin et elle avait hurlé de douleur. Il lui avait décroché le justaucorps à l'entrejambe avant de l'enlever. Elle avait crié et leur avait demandé de la laisser partir. Elle s'était levée et D______ l'avait projetée sur le canapé avant de lui enlever son pantalon. F______ les regardait. Elle avait essayé de se rhabiller, en vain. D______ avait pris un préservatif et l'avait placé sur son sexe. Elle s'était relevée mais il l'avait rejetée sur le canapé. Il s'était mis sur elle, alors qu'elle était sur le dos, et l'avait pénétrée vaginalement avec son sexe. Il disait: "viens" à F______ mais ce dernier avait répondu ne pas avoir de préservatif. Puis, F______ les avait finalement rejoints. Les deux hommes étaient nus lorsqu'ils la pénétraient. D______ lui avait dit à plusieurs reprises: "tu vois, il ne fallait pas m'énerver". Ces actes sexuels avaient duré environ une heure. Elle avait été positionnée en levrette. Pendant que l'un la pénétrait, l'autre lui mettait son pénis dans la bouche. Elle avait essayé de les repousser. Lorsqu'elle se levait pour se rendre vers la porte, ils lui disaient: "non tu vas nulle part". D______ avait joui et retiré son préservatif. Il avait néanmoins continué à la pénétrer vaginalement sans protection. Ils avaient ensuite tenté de la pénétrer ensemble, l'un vaginalement et l'autre analement, mais elle s'était débattue et ils n'y étaient pas parvenus. Elle avait ensuite cessé de lutter car elle voulait en finir. Elle n'avait aucune chance de résister face à deux hommes. À force de lui répéter: "tu sais pourquoi t'es venue", c'était comme si c'était elle qui avait voulu ce qui lui arrivait et elle avait fini par y croire.

À ce stade de son audition, son compagnon a quitté la salle d'audition à sa demande.

Elle a poursuivi son récit, expliquant que durant le jeu "action ou vérité", elle avait, au départ, été consentante pour qu'ils s'embrassent tous les trois. D______ était ensuite devenu violent et agressif lors des actes sexuels. F______ était tranquille et il lui avait déclaré: "c'est comme ça que tu préfères, quand c'est tout doux". À son avis, il n'avait pas éjaculé. Lorsque les rapports sexuels s'étaient terminés, elle s'était rhabillée et était partie avec F______. Ils s'étaient rendus à l'arrêt de bus. Elle avait pleuré et il s'était excusé. F______ lui avait proposé de venir chez lui pour consommer de la cocaïne et elle avait accepté. Elle l'avait suivi car il avait été doux et semblait regretter ce qu'il s'était passé. En outre, il lui avait proposé de la cocaïne et elle était dépendante à cette drogue. Elle n'avait pas d'argent pour s'en procurer et en avait vraiment besoin après ce qui venait de se passer. Ils étaient arrivés au domicile de F______ vers 14h00. Elle avait consommé de la cocaïne. Ils avaient eu une relation sexuelle consentie sans préservatif. Elle avait quitté son logement vers 21h00. Il avait voulu la revoir. Si elle n'avait pas eu de compagnon, elle l'aurait possiblement revu. Ils s'étaient ensuite échangés des messages Whatsapp, mais elle les avait effacés avant de bloquer son numéro.

En parallèle, son compagnon avait vu D______, à une fête, lequel lui avait tenu les propos suivants: "désolé, j'ai baisé ton bail, mais je ne savais pas qu'elle était avec toi". H______ lui avait alors écrit pour l'informer que leur relation était terminée. Elle avait pris connaissance de ce message alors qu'elle était encore chez F______. Elle avait ensuite retrouvé son compagnon et lui avait raconté s'être fait agresser sexuellement par les deux hommes. En revanche, elle ne lui avait pas dit avoir été ensuite de son plein gré chez F______. Elle ne se serait pas rendue à la police si son ami intime ne l'avait pas persuadée de le faire. Elle ne voulait pas déposer plainte pour le moment et se réservait le droit de le faire ultérieurement.

b. Le 22 mai 2020, A______ a été examinée aux urgences de la maternité des Hôpitaux Universitaires de Genève (ci-après: HUG). Elle a expliqué que les deux hommes lui avaient donné des frappes sur les fesses. Elle avait été fermement saisie au niveau de la jambe gauche. L'"homme A", soit D______, l'avait mordue au niveau vulvaire. Le dernier rapport sexuel entrepris avec F______ au domicile de ce dernier avait été avec pénétration vaginale et anale. A posteriori, elle réalisait avoir agi sous son influence et que ce rapport sexuel n'était pas consenti non plus. Par la suite, elle avait aussi eu ce même jour un rapport sexuel avec son ami intime, avec une pénétration vaginale et un cunnilingus.

Il ressort du rapport d'expertise établi par le Centre universitaire romand de médecine légale (ci-après: CURML) du 7 août 2020 que le dosage de l'alcool éthylique effectué le 22 mai 2020, dès 16h20, sur A______ était négatif mais que le dépistage toxicologique était positif, notamment pour la cocaïne et la MDMA. L'examen clinique, avait mis en évidence des lésions traumatiques, soit trois ulcérations blanchâtres de la muqueuse buccale, trois ecchymoses au niveau de la face antérieure du bras droit, de la cuisse droite et de la face médiale de la jambe gauche, et une dermabrasion linéaire au niveau du dos (région scapulaire droite). Les ecchymoses et dermabrasion constatées étaient trop peu spécifiques pour pouvoir se prononcer quant à leur origine précise. Néanmoins l'ecchymose constatée au niveau de la jambe gauche était compatible avec une préhension ferme à ce niveau, tel que rapporté par la plaignante. L'examen gynécologique avait révélé la présence d'une fissure au niveau du sillon inter-labial gauche, à proximité du clitoris. Cette lésion était trop peu spécifique pour pouvoir se déterminer quant à son origine précise. Néanmoins, elle pouvait être le résultat d'un traumatisme à caractère contendant, tel qu'une pénétration digitale ou pénienne, ou causée par une "morsure", comme relaté par la plaignante. Les lésions constatées étaient ainsi compatibles avec les déclarations de A______.

c. Par pli du 3 juin 2020, A______ s'est constituée partie plaignante et a confirmé son dépôt de plainte du 25 mai 2020.

d. Entendu par la police le 8 juin 2020, D______ a catégoriquement contesté les faits qui lui étaient reprochés. Il n'avait jamais forcé A______ à entretenir une relation sexuelle avec lui. Il l'avait rencontrée le jour des faits et ne l'avait jamais vue auparavant. Durant l'"after" se déroulant chez une amie de A______, il avait dansé avec l'intéressée, puis avait annoncé continuer la soirée chez lui en compagnie de F______. Elle avait voulu se joindre à eux mais avait fait croire à sa copine, I______, qu'elle allait rentrer chez elle. Il savait qu'il allait avoir un rapport sexuel avec elle car elle le lui avait fait comprendre par son comportement. Elle était plus avec lui qu'avec les autres. Il ne savait pas si elle voulait "quelque chose" avec F______ ou pas. Par contre, il savait que le précité voulait avoir une relation sexuelle avec elle. Lorsqu'ils étaient arrivés chez lui, A______ l'avait embrassé avec la langue. F______ avait proposé un jeu nommé "action" et ils avaient tous été d'accord d'y jouer. A______ avait dû l'embrasser, ce qu'elle avait fait. Elle avait dû ensuite embrasser F______, ce qu'elle avait aussi fait. Ils étaient montés "crescendo" dans ce jeu, lequel avait duré environ une heure. Ils avaient continué à boire de l'alcool. De son côté, il n'en avait pas consommé beaucoup car il n'aimait pas vraiment le vin. A______ avait pris de la cocaïne. Ils s'étaient retrouvés au fur et à mesure du jeu en sous-vêtements. A______ avait demandé à chacun d'entre eux de lui embrasser un sein à même la peau. À la fin du jeu, ils s'étaient retrouvés nus. Il l'avait embrassée, puis masturbée. Elle lui avait demandé s'il avait un préservatif. Il était le seul à en avoir un. Il lui avait demandé une fellation et elle avait accepté. Il avait eu une relation sexuelle avec elle sur le canapé du salon. Elle était couchée sur le dos et il était sur elle. Il lui avait pris les jambes sur ses épaules. Il l'avait ensuite pénétrée en levrette dans le vagin et elle avait fait en parallèle une fellation à F______. À un certain moment, A______ lui avait dit qu'il allait "un peu fort". Il était donc allé plus doucement. L'acte sexuel entre eux avait duré une vingtaine de minutes environ. Elle avait insisté pour avoir un cunnilingus après ce rapport sexuel et il avait fini par accepter car elle avait été d'accord de tout faire avec lui. Après ça, ça avait été au tour de F______. Il s'était alors levé et avait jeté le préservatif à la poubelle car il avait éjaculé à l'intérieur. Il s'était ensuite nettoyé le sexe aux toilettes.

Quand il était revenu au salon, F______ était en train de pénétrer A______ sans préservatif. Celui-là était allongé sous celle-ci. C'est elle qui faisait tout, elle faisait l'effort. À un autre moment, elle était allongée sur le dos et F______ s'était positionné sur elle. Alors que F______ la pénétrait, il avait introduit son propre sexe dans la bouche de A______. Elle avait accepté et n'avait rien dit. Il ignorait si F______ avait éjaculé. Ce rapport avait duré une vingtaine de minutes. Ils avaient fait une pause et elle avait repris de la cocaïne, dont elle voulait encore car elle n'en avait plus. F______ lui avait dit qu'il avait de l'argent chez lui si elle en voulait. Ensuite, ils avaient entrepris à nouveau des rapports sexuels. Il l'avait pénétrée sans préservatif et elle n'avait rien dit. À aucun moment elle n'avait manifesté un quelconque refus. Il avait éjaculé dans sa propre main. F______ avait aussi eu une seconde relation sexuelle avec elle. Celui-ci l'avait pénétrée vaginalement mais il ne se souvenait plus de leurs positions. Ensuite, il avait demandé à F______ et A______ de quitter l'appartement car il avait un anniversaire à 15h00. Avant de quitter son domicile, A______ voulait consommer de la cocaïne mais il n'avait pas d'argent à lui donner pour ce faire. Par la suite, F______ lui avait raconté être rentré chez lui avec A______ et avoir eu un dernier rapport sexuel avec elle.

Il avait effectivement vu l'ami intime de A______ lors de l'anniversaire précité. Celui-ci lui avait posé des questions étranges. Il ignorait que cet individu était en couple avec A______. Il ne lui avait pas parlé du "plan à trois".

Après les faits, il en avait reparlé avec F______, lequel l'avait informé du dépôt de plainte de A______, ce dont il avait eu connaissance par l'intermédiaire de I______. Ils n'avaient plus reparlé de ces évènements par la suite.

e. Interrogé par la police le même jour, F______ a contesté les faits qui lui étaient reprochés, déclarant être choqué par ces accusations. D______, A______ et lui-même avaient débuté un jeu "action ou vérité" chez le premier cité. Ils avaient bu et A______ avait, en plus, consommé de la cocaïne. Ils s'étaient embrassés tous les trois. A______ avait ensuite prodigué une fellation à D______, puis à lui-même. D______ s'était déshabillé et avait entretenu des relations sexuelles avec la plaignante. De son côté, il était assis sur une chaise et les avait regardés. Alors qu'elle avait un rapport sexuel avec D______, elle lui avait fait une fellation en même temps. À un certain moment, elle avait dit à D______ avoir mal et il avait arrêté. Elle n'avait rien dit d'autre. Puis, il avait eu, à son tour, une relation sexuelle avec A______. Ils s'étaient embrassés et il l'avait pénétrée. Elle avait déclaré préférer être avec lui car il était plus doux. Il avait mis un préservatif. Pendant qu'ils avaient un rapport sexuel, elle avait fait en parallèle une fellation à D______. Il était finalement rentré chez lui avec A______ et ils avaient discuté. A______ était triste vis-à-vis de son ami intime. Il l'avait consolée et lui avait donné des conseils. Elle ne voulait pas que cette histoire se sache et il lui avait promis de ne pas en parler. Il détenait de la cocaïne à son domicile et il lui en avait proposé. Ils avaient eu un dernier rapport sexuel ensemble, sans préservatif. Il avait éjaculé et elle lui avait dit avoir un anneau contraceptif. Ils avaient échangé leur numéro. Le même soir, il l'avait contactée. Elle lui avait répondu être au bord du lac avec son compagnon et avoir apprécié sa compagnie. Il avait supprimé ces messages car il avait une relation avec une autre fille. Il n'avait plus eu de nouvelles de A______ depuis lors. Son amie, I______, l'avait appelé pour l'avertir que A______ avait déposé plainte contre lui et D______. Il avait alors contacté ce dernier pour l'en informer. Il n'avait rien à se reprocher.

Confrontés aux déclarations de A______, F______ a contesté tout acte de violence. D______ avait bien dit à la plaignante "tu m'as fâché, tu m'as fâché" durant l'acte sexuel, mais pour rire. Ce dernier était probablement allé "un peu fort", soit un peu vite, dès lors qu'elle avait dit avoir eu mal. Dans tous les cas, A______ racontait des bêtises. Elle avait été consciente de ses actes et n'y avait pas été contrainte. Elle s'était sentie mal vis-à-vis de son compagnon parce que c'était la première fois qu'elle entretenait un rapport à trois. Après réflexion, il n'était plus certain d'avoir mis un préservatif chez D______ mais il savait ne pas avoir éjaculé.

f. À teneur des images de vidéosurveillance des Transports publics genevois (ci-après: TPG) versées à la procédure, A______ et F______ sont, le 21 mai 2020, à 12:56:15, montés dans un bus de la ligne 5 et se sont installés sur une banquette l'un à côté de l'autre. Les deux individus ont discuté durant l'intégralité du trajet et semblaient calmes et décontractés. A______ s'est mouchée à deux reprises. Ils sont descendus du bus à 13:04:39.

g. Le 21 juillet 2020, le Ministère public a ouvert une instruction pénale contre D______ et F______ pour viol et contrainte sexuelle.

h. Une audience de confrontation s’est tenue devant le Ministère public.

h.a. A______ a confirmé ses précédentes déclarations, précisant que, le jour des faits, elle avait été paniquée et avait tenté de se lever pour partir. Elle avait dit à diverses reprises "je veux pas". À son avis, D______ et F______ ne comprenaient pas ses refus. Ils semblaient ne pas la prendre au sérieux et voir cette situation comme un jeu. Elle était tétanisée et n'avait pas osé crier. F______ n'avait de son côté pas éjaculé, car, à son sens, il avait réalisé qu'elle n'était pas consentante. Lorsque D______ lui avait mis son sexe dans la bouche, il n'avait pas eu de geste violent et elle avait fait ce qu'ils demandaient. Ils étaient deux et elle ignorait ce qu'ils étaient capables de faire. À un certain moment, D______ l'avait mordue au niveau du clitoris et elle avait crié de douleur. Elle n'avait jamais sollicité ce cunnilingus. S'agissant de la "double pénétration", ils en avaient parlé entre eux lorsqu'ils alternaient. Elle avait sursauté et dit que c'était hors de question. Ils y avaient donc renoncé. Elle était complètement alcoolisée et avait pris de la cocaïne. Cela étant, elle avait été en état de dire "non" et c'est ce qu'elle avait fait. Lorsqu'elle était sortie de l'appartement, elle était anéantie. Elle avait voulu en finir avec la vie et prendre de la cocaïne. F______ avait joué sur cette faiblesse et lui avait proposé d'aller chez lui. Elle était en pleurs à l'arrêt de bus et il l'avait prise dans les bras en s'excusant. Elle avait continué à pleurer dans le bus. Confrontée aux images de vidéosurveillances des TPG, A______ a expliqué avoir pleuré à l'arrêt de bus et lorsqu'elle était montée dans le véhicule. Elle était détendue, soit "molle", en raison de l'alcool ingéré et du fait qu'elle allait prendre de la cocaïne. Elle avait honte d'avoir entretenu un rapport sexuel avec F______ après ces faits. Cela étant, elle avait eu l'impression de devoir le payer pour la cocaïne consommée chez lui. Elle s'était sentie comme un "déchet" et voulait juste "sniffer" le plus de cocaïne possible. Plus tard, elle s'était rendue chez son ami intime. Ce dernier avait croisé au préalable D______, lequel lui avait dit avoir "baisé" sa compagne. Elle lui avait alors raconté avoir été victime d'un viol. Elle n'avait pas eu de rapport sexuel avec son compagnon mais ce dernier lui avait fait un cunnilingus. Confrontée au fait qu'elle eût indiqué au médecin légiste avoir entretenu une relation sexuelle avec lui, elle a exposé qu'à son avis, il s'agissait juste d'un cunnilingus. S'agissant des messages échangés par la suite avec F______, ce dernier lui avait proposé de sortir. Elle avait refusé et lui avait dit avoir un compagnon. Elle lui avait peut-être écrit avoir apprécié sa compagnie car elle avait aimé consommer de la cocaïne chez lui. À la suite de ces évènements, elle avait essayé de mettre fin à ses jours mais sa mère l'en avait empêchée. Elle avait suivi une cure en Tunisie et ne consommait plus de stupéfiants. Cela avait changé ses rapports avec les hommes. Son ex-compagnon, H______, ne pouvait plus la toucher, même pour lui faire un câlin ou un geste tendre. Deux semaines après les faits, elle avait croisé F______ à une fête et l'avait confronté. Celui-ci était parti en baissant les yeux, sans contester les faits.

h.b. F______ a confirmé ses déclarations faites à la police. Il a ajouté avoir bien dit à A______, le jour des faits, qu'elle était "là" pour une raison, c'est-à-dire pour jouer et boire. Celle-ci s'était levée pour partir et D______ l'avait retenue et convaincue de rester. Il s'était ensuite excusé auprès d'elle et ils avaient continué à jouer ainsi que boire de l'alcool. Elle avait enlevé ses vêtements au fur et à mesure du jeu. Puis, D______ l'avait embrassée. Ils avaient alors commencé les rapports sexuels, en alternance. À aucun moment, ils ne l'avaient forcée durant les actes sexuels et elle ne s'était jamais levée pour partir. Il n'y avait pas eu de tentative de double pénétration. Il n'avait pas suivi A______ jusqu'à l'arrêt de bus puisqu'ils avaient convenu ensemble, lorsqu'ils étaient chez D______, de se rendre à son domicile. À l'arrêt de bus, elle était triste et lui avait dit avoir un compagnon. Elle avait peur que celui-ci soit informé de ce qu'il s'était passé. Dans ses souvenirs, A______ n'avait jamais été sur lui lors du rapport sexuel chez D______, contrairement aux dires de ce dernier. Lors d'une fête, A______ avait effectivement menacé de le détruire. Il n'avait pas réagi et s'était éloigné d'elle.

h.c. D______ a expliqué avoir pensé que A______ voulait un "truc" avec lui car ils avaient dansé de façon rapprochée et qu'elle prenait sa cocaïne sur son téléphone. Il était certain que A______ était sur F______ lors de l'un de leurs rapports sexuels. Il ne lui avait pas retiré son body. Le seul vêtement qu'il lui avait enlevé était son pantalon dans le cadre d'une "action". Elle n'était au demeurant pas partie de chez lui en larmes et ils n'avaient pas envisagé une double pénétration. Elle avait effectivement dit quelque chose qui l'avait énervé et il était alors allé "un peu plus fort" durant l'acte sexuel. En revanche, il n'avait pas voulu lui faire du mal. C'était une réaction parce qu'elle l'avait énervé. Durant leurs rapports sexuels, elle n'avait pas été proactive avec lui comme elle l'avait été avec F______. Elle n'avait pas eu de réaction pendant les rapports, mais elle les voulait, car elle ne s'était jamais débattue. À la question de savoir si A______ avait éprouvé du plaisir, il avait répondu qu'elle ne s'était jamais débattue ni n'avait pleuré. Après les faits, il n'avait jamais dit au compagnon de A______ qu'il avait fait l'amour avec elle.

i. L'analyse des téléphones portables des prévenus par la Brigade de criminalité informatique (ci-après: BCI) a mis en évidence les échanges suivants :

- le numéro de téléphone de D______ a contacté celui de F______, le 21 mai 2020, à 13:05:43, par message WhatsApp ayant la teneur suivante "Appel des que tu peux loco";

- le numéro de téléphone de D______ a contacté celui de F______, le 21 mai 2020, à 20:25:00, pour un appel WhatsApp d'une durée de 00:02:30;

- le numéro de téléphone de F______ a contacté celui de D______, le 21 mai 2020, à 22:37:37, pour un appel WhatsApp d'une durée de 00:00:11;

- le numéro de téléphone de F______ a contacté celui de D______, le 21 mai 2020, à 22:38:13, pour un appel WhatsApp d'une durée de 00:00:00;

- le numéro de téléphone de D______ a contacté celui de F______, le 21 mai 2020, à 23:41:02, pour un appel WhatsApp d'une durée de 00:00:07;

- le numéro de téléphone de F______ a contacté celui de D______, le 22 mai 2020, à 19:49:55, pour un appel WhatsApp d'une durée de 00:07:12;

- le numéro de téléphone de F______ a contacté celui de D______, le 22 mai 2020, à 20:53:09, pour un appel WhatsApp d'une durée de 00:03:35;

- le numéro de téléphone de A______ a contacté celui de F______ le 21 mai 2020, à 02:02:55, pour un appel d'une durée de 00:00:00.

j. Le 9 février 2021, I______ a été auditionnée en qualité de témoin par le Ministère public. Elle a expliqué que F______ était un ami qu'elle connaissait depuis une dizaine d'années. Elle avait connu A______ par le biais d'une amie commune, J______, environ trois ou quatre ans auparavant et l'avait vue à trois ou quatre reprises au total. Quant à D______, elle l'avait rencontré le jour des faits. Le 20 mai 2020, elle était chez J______. A______ les avait rejointes. Elles avaient retrouvé le compagnon de A______ et d'autres personnes au parc K______. Elle avait vu F______ et avait discuté avec lui. A______ parlait avec J______ et D______. En revanche, A______ avait peu parlé avec son compagnon. Ce dernier s'était comporté comme un "goujat" avec celle-ci et l'avait ignorée. Dans ses souvenirs, A______ lui avait mentionné une dispute avec lui au préalable. Ils étaient ensuite tous allés chez J______. Elle avait aperçu A______ et D______ discuter sur le balcon. Ils avaient tous consommé beaucoup d'alcool mais personne ne semblait ivre au point de perdre connaissance ou de ne plus savoir se tenir. Elle ne se rappelait pas d'avoir vu A______ danser avec un garçon. Elle avait quitté l'appartement en compagnie de A______, D______ et F______. Ils s'étaient dirigés vers la gare. L'ambiance était amicale. Il ne lui semblait pas que quelqu'un avait dragué qui que ce soit durant cette soirée. Elle avait proposé de raccompagner A______ à son arrêt de bus mais celle-ci avait refusé, expliquant ne pas être fatiguée. Par la suite, J______ lui avait raconté ce qu'il s'était passé. Elle avait été choquée et avait eu du mal à croire que F______ eût pu faire une telle chose. Elle ne pouvait néanmoins pas réfuter les accusations de A______ car celles-ci étaient graves. Elle avait alors appelé F______ pour l'informer des accusations formulées par A______ à son encontre. Il ne lui avait pas mentionné un acte sexuel entre A______ et D______. Depuis, elle l'avait croisé dans la rue et il l'avait informée qu'il l'avait citée comme témoin.

k. Au cours de cette audience, D______ a souhaité compléter ses précédentes déclarations. Il a notamment admis que A______ ne s'attendait peut-être pas à être pénétrée vaginalement avec ses doigts mais elle ne lui avait, à aucun moment, dit d'arrêter. Elle s'était allongée et il s'était mis sur elle et lui avait prodigué un cunnilingus. Il était ensuite allé chercher un préservatif et ils avaient eu une relation sexuelle.

l. l.a. Le 16 juin 2021, H______ a été entendu comme témoin par le Ministère public.

l.b. Il a notamment déclaré avoir eu une relation amoureuse avec A______ durant les mois de mars à juin 2020. Leur histoire s'était terminée d'un commun accord. Le 21 mai 2020, il avait retrouvé des amis au bord du lac. A______ et les prévenus étaient là mais ils n'avaient pas interagi. Il avait quitté les lieux vers 02h30. A______ était restée. Il l'avait revue vers 21h00. Elle lui avait raconté avoir été agressée sexuellement et s'était effondrée en larmes. Il lui avait dit qu'elle devait porter plainte. Il n'avait pas eu besoin de la convaincre pour se rendre au poste de police. A______ et lui-même avaient entretenu un rapport sexuel complet. Elle avait beaucoup de remords – c’est-à-dire qu'elle regrettait d'être allée avec les prévenus – et était "plus affaiblie que d'habitude, assez inquiète, fragilisée et qu'elle n'était pas dans son assiette". Il l'avait trouvée changée durant la période qui avait suivi les faits. Ils parlaient des faits une fois par jour et à chaque fois, il voyait la même tristesse et des larmes. Elle ne lui avait pas dit avoir quitté l'appartement de D______ en compagnie de F______, ni être allée chez ce dernier. Il ne voyait pas pourquoi elle serait allée chez lui après l'agression, se demandant si elle avait été contrainte à s'y rendre. Cela lui paraîtrait étrange si elle y était allée de son plein gré. Il ne se souvenait pas de s'être disputé avec elle avant les faits, plus tôt dans la soirée, ni de lui avoir écrit que leur relation était terminée. Il n'aurait pas été particulièrement énervé si elle avait eu un rapport consenti avec l'un des prévenus car leur relation n'était pas exclusive. Il n'avait pas pensé que A______ aurait pu finir la soirée avec les prévenus, dès lors qu'il ne l'imaginait pas "comme ça", soit facile. D______ lui avait dit plusieurs semaines après les faits qu'il avait "baisé" sa copine mais pas lorsqu'il l'avait croisé à un anniversaire le jour des faits. Celui-ci s'en vantait largement et était au courant qu'une plainte pénale avait été déposée. Il était arrivé que A______ s'effondre en larmes au cours d'un rapport sexuel mais pas le jour où elle lui avait raconté les évènements litigieux. Elle avait, rapidement, entamé un suivi auprès d'une psychologue.

l.c. D______ a confirmé avoir dit à H______ avoir entretenu une relation sexuelle avec A______ plusieurs jours après les faits. Il avait tenu ces propos car il était énervé que H______ ait encouragé la précitée à déposer plainte.

m. m.a. Par avis de prochaine clôture de l'instruction, le Ministère public a informé les parties qu'une ordonnance de classement serait prononcée s'agissant des faits dénoncés dans la plainte de A______.

m.b. Dans le délai imparti, D______ a indiqué n'avoir aucune réquisition de preuves à formuler et a sollicité une juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure.

m.c. F______ a également renoncé à solliciter des réquisitions de preuves complémentaires.

m.d. Quant à A______, elle a contesté le classement de sa plainte pénale, au regard du principe "in dubio pro duriore". Elle a sollicité l'audition de L______ en qualité de témoin, dès lors que F______ aurait tenu à celle-ci "une autre version des faits et émis des regrets". Elle se réservait au demeurant le droit de demander l'audition de sa psychologue, M______.

À l'appui, A______ a transmis une attestation établie le 10 juin 2021 par sa psychologue. La plaignante avait entrepris un suivi psychologique du 24 juin 2020 au 17 novembre 2020, à raison de deux à trois fois par mois. Lors de la première séance, A______ avait présenté des troubles anxieux et un état dépressif se traduisant par des larmes, des phrases entrecoupées, une très faible estime d'elle-même, des troubles du sommeil et une perte d'appétit. Elle avait eu de la peine à comprendre pourquoi elle avait été dans un tel état de sidération et de peur le soir de l'agression, l'empêchant de se défendre avec plus de véhémence bien qu'elle ait dit non. Elle souffrait encore de troubles anxieux à ce jour.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public a considéré que, même si la plaignante était alcoolisée et sous l'emprise de cocaïne au moment des faits, son intoxication n'était pas sévère. Elle était capable de percevoir le caractère attentoire d'un acte à son intégrité sexuelle et, cas échéant, de s'y opposer, les images de vidéosurveillance des TPG allant du reste en ce sens. L'état de la plaignante ne pouvait, de plus, pas laisser penser aux prévenus qu'elle était totalement incapable de discernement ou de résistance. L'élément subjectif de l'infraction à l'art. 191 CP faisait ainsi également défaut. Les éléments constitutifs de cette infraction n'étaient donc pas réunis.

S'agissant des infractions de viol et de contrainte sexuelle, les déclarations des parties étaient contradictoires et il n'existait aucune raison légitime de considérer la version de la plaignante comme étant la plus crédible. En effet, aucun élément objectif n'avait permis d'appuyer les déclarations de A______, à commencer par les images de vidéosurveillance des TPG sur lesquels la victime ne montrait aucun signe de détresse ou de peur face à "son prétendu violeur", alors même que les viols auraient eu lieu quelques minutes avant. L'expertise du CURML ne corroborait pas non plus les faits dénoncés par la plaignante. Les lésions établies étant trop peu spécifiques pour permettre aux médecins légistes de se prononcer quant à leur origine précise. En revanche, un faisceau d'indices convergents permettait de corroborer les déclarations des prévenus, notamment le fait que l'intéressée se soit rendue chez l'un d'eux et ait entretenu un rapport sexuel consenti avec lui juste après les faits. Dans ces circonstances, une situation de pression psychologique d'une intensité comparable à l'usage de la violence ou de la menace qui rendait sa soumission compréhensible n'était pas établie. Il n'existait aucun historique entre A______ et F______ qui permettait d'expliquer qu'elle ait choisi d'aller chez lui malgré les viols allégués. Partant, les probabilités d'acquittement apparaissaient bien plus vraisemblables qu'une condamnation, de sorte que le classement des faits dénoncés par la plaignante devait être prononcé.

Par ailleurs, les auditions requises par la plaignante n'étaient pas pertinentes pour l'issue du litige. Elles étaient donc rejetées.

D. a. À l'appui de son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir violé le principe "in dubio pro duriore". Toutes les conditions pour une mise en accusation étaient réunies. Les versions des prévenus étaient divergentes sur de nombreux points. Les propos tenus au cours de leurs auditions respectives étaient troublants. Ces derniers évoquaient avoir été violents avec elle, mais également l'avoir convaincue de rester alors qu'elle avait clairement manifesté son souhait de partir et de ne pas entretenir de rapports sexuels avec eux. Les intimés n'expliquaient, de plus, pas pour quelles raisons ils avaient pensé qu'elle était consentante. Au vu des lésions physiques relevées sur son corps, il était établi que les rapports sexuels étaient d'une certaine violence, ce d'autant qu'il était extrêmement rare de constater des lésions gynécologiques sur les victimes d'agression sexuelle et que ses lésions pouvaient être compatibles avec ses déclarations. Sa capacité de résistance était réduite par l'influence de l'alcool et de la cocaïne. Dans ce contexte, la contrainte était réalisée.

En tout état, le Ministère public ne pouvait, à ce stade de la procédure, établir de manière indubitable que les infractions n'étaient pas réalisées. D'autres actes d'instruction auraient pu être effectués, notamment les auditions sollicitées par ses soins. L'autorité intimée n'avait ainsi pas la qualité pour juger de la qualification des faits et de l'issue de la procédure, laquelle aurait dû se conclure par une mise en accusation.

b. Dans ses observations, le Ministère public persiste dans ses précédents développements et conclut au rejet du recours. Au vu des éléments au dossier, les probabilités d'acquittement étaient bien supérieures à celles d'une condamnation, et ceci peu importe l'acte d'instruction entrepris. Sa décision de classement était par conséquent justifiée.

c. F______ conclut au rejet du recours et à l'octroi d'une juste indemnité à titre de participation aux frais d'avocat dans le cadre de la procédure de recours, chiffrée à CHF 3'140.-. Il avait soutenu de manière concordante tout au long de la procédure que la recourante avait consenti à leurs rapports sexuels. Les déclarations de celle-ci sur ce point étaient en revanche contradictoires, de sorte qu'il convenait de se rallier au Ministère public lorsqu'il inférait du faisceau d'indices convergents que la recourante avait non seulement pleinement consenti à ces actes mais encore avait la capacité de discernement requis pour ce faire. C'était donc à juste titre que le Ministère public avait décidé de classer la procédure et de ne pas donner suite aux réquisitions de preuves sollicitées par la recourante, celles-ci n'étant pas pertinentes, étant relevé qu'il ne connaissait la dénommée L______ que de vue et qu'il ne s'était jamais entretenue des faits avec elle.

d. Pour sa part, D______ conclut au rejet du recours et à la condamnation de la recourante aux frais de la procédure de recours. Les déclarations de A______ n'étaient pas claires et contradictoires tandis que les siennes ainsi que celles de F______ étaient très précises, la version des faits tels qu'allégués par chacun d'eux coïncidant, à quelques détails près, à la version des faits allégués par l'autre. Il était évident que le comportement de la recourante consistant à suivre son prétendu agresseur et à entretenir volontairement des rapports sexuels avec ce dernier alors même qu'elle aurait tout juste été violée était tout à fait incohérent avec la version des faits allégués par elle. Son comportement était par conséquent incompatible avec les faits dont elle accusait les prévenus. Elle n'était pas crédible. Par ailleurs, elle avait forcément été active durant leurs rapports sexuels, dès lors qu'elle avait prodigué des fellations aux prévenus.

e. Dans sa réplique, A______ persiste dans les termes de son recours, relevant qu'il a déjà été jugé que le fait de prodiguer une fellation était constitutif de contrainte sexuelle. La contrainte ne devait pas nécessairement être violente. Vu le contenu des observations déposées par les prévenus, le principe "in dubio pro duriore" imposait que cette affaire soit renvoyée devant un juge.


 

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la partie plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à voir poursuivre les auteurs des prétendues infractions commises contre son intégrité sexuelle (art. 115 et 382 al. 1 CPP).

2.             À titre liminaire, la Chambre de céans constate que la recourante ne revient pas sur la prévention d'actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP), écartée par le Ministère public dans l'ordonnance querellée. Ce point n'apparaissant plus litigieux, il ne sera pas examiné ici (art. 385 al. 1 let. a CPP).

3.             La recourante estime qu’il existe contre les intimés une prévention suffisante de contrainte sexuelle et de viol.

3.1. Aux termes de l'art. 319 al. 1 let. b CPP, le ministère public ordonne le classement de la procédure lorsque les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis.

Cette disposition doit être interprétée à la lumière du principe "in dubio pro duriore", selon lequel un classement ne peut être prononcé que quand il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables. Ainsi, la procédure doit se poursuivre quand une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou que les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'infractions graves. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, à ce sujet, d'un pouvoir d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 du 10 juin 2021 consid. 2.1).

Dans les procédures où l'accusation repose essentiellement sur les déclarations de la victime, auxquelles s'opposent celles du prévenu, le principe "in dubio pro duriore" impose, en règle générale, que ce dernier soit mis en accusation. Cela vaut en particulier lorsqu'il s'agit de délits commis typiquement "entre quatre yeux" pour lesquels il n'existe souvent aucune preuve objective (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 précité, consid. 2.2). Concernant plus spécialement la poursuite des infractions contre l'intégrité sexuelle, les déclarations de la partie plaignante constituent un élément de preuve qu'il incombe au juge du fond d'apprécier librement, dans le cadre d'une évaluation globale de l'ensemble des éléments probatoires figurant au dossier (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 précité, consid. 3.2 in fine).

Il peut toutefois être renoncé à une mise en accusation si : la victime fait des dépositions contradictoires, rendant ses accusations moins crédibles; une condamnation apparaît, au vu de l'ensemble des circonstances, a priori improbable pour d'autres motifs; il n'est pas possible d'apprécier l'une ou l'autre des versions opposées des parties comme étant plus ou moins plausible et aucun résultat n'est à escompter d'autres moyens de preuve (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 précité, consid. 2.2).

3.2.1. Enfreint l’art. 189 CP celui qui, notamment en usant de menace ou de violence envers une personne, en exerçant sur elle des pressions d’ordre psychique ou en la mettant hors d’état de résister l’aura contrainte à subir un acte analogue à l’acte sexuel ou un autre acte d’ordre sexuel.

Se rend coupable de viol (art. 190 CP), quiconque, notamment en usant de menace ou de violence, en exerçant sur sa victime des pressions d’ordre psychique ou en la mettant hors d’état de résister, aura contraint une personne de sexe féminin à subir l’acte sexuel.

3.2.2. Sur le plan objectif, il faut, pour qu'il y ait contrainte, que la victime ne soit pas consentante, que le prévenu le sache ou accepte cette éventualité et que celui-ci déjoue, en utilisant un moyen efficace, la résistance que l’on peut attendre de celle-là (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 précité, consid. 3.1).

La violence suppose un emploi de la force physique sur la victime (afin de la faire céder) plus intense que ne l'exige l'accomplissement de l'acte dans les circonstances ordinaires. Selon les cas, un déploiement de force relativement faible peut suffire, tel que maintenir la victime avec la force de son corps, la renverser à terre, lui arracher ses habits ou lui tordre un bras derrière le dos (arrêt du Tribunal fédéral 6B_116/2019 du 11 mars 2019 consid. 2.2.1).

En introduisant la notion de "pressions psychiques", le législateur a voulu viser les cas où l'auteur provoque chez la victime des effets tels que la surprise, la frayeur ou le sentiment d'une situation sans espoir, propres à la faire céder, sans pour autant recourir à la force physique ou à la violence (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 précité). Pour être qualifiées de contrainte, ces pressions doivent atteindre une intensité particulière (ATF 131 IV 167 consid. 3.1) et rendre la soumission de la victime compréhensible (arrêt du Tribunal fédéral 6B_159/2020 du 20 avril 2020 consid. 2.4.3).

3.3. Les infractions aux art. 189 et 190 CP sont intentionnelles, mais le dol éventuel suffit (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1306/2017 du 17 mai 2018 consid. 2.1.2 in fine et 6B_1175/2017 du 11 avril 2018 consid. 1.1 in fine). L'auteur doit savoir que la victime n'est pas consentante ou en accepter l'éventualité (arrêt du Tribunal fédéral 6B_643/2021 du 21 septembre 2021 consid. 3.3.4). L'élément subjectif se déduit d'une analyse des circonstances permettant de tirer, sur la base des éléments extérieurs, des déductions sur les dispositions intérieures de l'auteur. S'agissant de la contrainte en matière sexuelle, l'élément subjectif est réalisé lorsque la victime donne des signes évidents et déchiffrables de son opposition, reconnaissables pour l'auteur, tels des pleurs, des demandes d'être laissée tranquille, le fait de se débattre, de refuser des tentatives d'amadouement ou d'essayer de fuir (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1285/2018 du 11 février 2019 consid. 2.2).

3.4. En l'espèce, les parties s’accordent à dire qu’elles ont entretenu, le 21 mai 2020, des rapports intimes lors desquels les prévenus ont pénétré vaginalement la recourante, avec leur sexe, à plusieurs reprises, et avec leurs doigts pour l'un d'eux, à une reprise, rapports lors desquels celle-ci leur a prodigué des fellations et lors desquels l'un d'eux lui a fait un cunnilingus.

En revanche, leurs déclarations sont irréductiblement contradictoires sur la question décisive du consentement de la recourante avec lesdits actes et de la conscience des prévenus de l'éventuelle existence d'une situation de contrainte.

Lorsqu'il s'agit d'un délit commis "entre quatre yeux", pour lequel il n'existe souvent aucune preuve objective, comme c'est le cas en l'occurrence – aucun témoin n'ayant assisté à la scène – la jurisprudence impose la mise en accusation du prévenu, sauf si les déclarations de la partie plaignante sont contradictoires au point de les rendre moins crédibles.

Or, s'il faut admettre avec les intimés que la recourante a varié dans certains de ses propos, cette dernière est toutefois demeurée constante sur les points essentiels de ses accusations, à savoir que les actes sexuels sus-décrits étaient intervenus contre son gré et sous la contrainte; cela suffit, à ce stade de la procédure, régi par la maxime "in dubio pro duriore", pour ne pas dénier toute crédibilité à ses déclarations. Elle affirme en effet ne pas avoir consenti aux actes (d’ordre) sexuels litigieux et avoir fait part de son désaccord aux prévenus, tant oralement que gestuellement (tentative de les repousser, en se débattant et en essayant de quitter les lieux, au début des rapports). Elle soutient encore avoir été projetée sur le canapé, à chaque fois qu'elle tentait de se lever, à tour de rôle, par chacun des intimés, avant d'être tétanisée et "d'attendre que ça passe".

Certes, il est troublant que la plaignante se soit rendue au domicile de F______ directement après les faits litigieux et qu'ils aient, à cette occasion, entretenu une relation sexuelle consentie. La plaignante s'est néanmoins montrée cohérente en déclarant ces faits lors de son audition à la police et en ne déposant pas plainte pour cet acte. Il convient également de ne pas perdre de vue le contexte dans lequel cet évènement s'est déroulé, à savoir que la plaignante apparaissait dépendante à la cocaïne, qu'elle souhaitait consommer davantage de cette drogue – dont elle était sous l'emprise – et que le susnommé avait promis de lui donner. En ce sens, elle a déclaré lors de son audition à la police: "Il est vrai que c'est paradoxal d'aller au domicile de F______, après ce que j'ai subi. Je ne sais pas comment l'expliquer". Puis: "Il avait l'air de vraiment regretter ce qu'il avait fait. Je l'ai suivi après l'agression parce qu'il avait quand même été relativement doux. Je dois vous dire qu'il m'avait proposé de la cocaïne, drogue à laquelle je suis addict. Je n'avais pas d'argent pour m'en procurer et j'en avais vraiment besoin après ce qui venait de m'arriver".

Le rapport d'expertise établi par le CURML, le 7 août 2020, fait, en outre, état de lésions physiques pouvant être compatibles avec les déclarations de la recourante. Tout en étant trop peu spécifiques pour pouvoir se prononcer quant à leur origine précise, l'ecchymose constatée au niveau de la jambe gauche de la recourante et la fissure observée au niveau du sillon inter-labial gauche, à proximité du clitoris, de la susnommée pouvaient être compatibles avec ses allégations. Ces éléments permettent, de surcroît, d'établir que les rapports sexuels étaient d'une certaine violence. L'attestation établie par la psychologue de la recourante fait état des conséquences médicales et psychiatriques des actes qu'elle prétend avoir subis, notamment des troubles anxieux et un état dépressif, en lien avec les abus sexuels dénoncés. Le témoignage de son ancien petit ami relate aussi un changement dans l'attitude de la plaignante à la suite des actes dénoncés. Celle-ci était triste et avait beaucoup de remords.

Ainsi, compte tenu de ces éléments corroboratifs indirects, il ne paraît guère possible de dénier d'entrée de cause toute crédibilité aux accusations de la recourante ou de leur conférer un crédit moindre qu'à celles des intimés.

Au contraire, il paraît, en l'état, difficile de suivre les intimés lorsqu'ils affirment que la recourante aurait eu peur que son ex-partenaire soit informé de ce qu'il s'était passé entre eux et se serait sentie mal vis-à-vis de lui, dans la mesure où celui-ci a déclaré que cela ne lui aurait pas posé de problème que sa compagne ait des rapports sexuels avec d'autres personnes durant leur relation, dès lors que cette relation n'était pas exclusive. Il n'a, de plus, pas appris par l'un des intimés que la plaignante avait eu des relations intimes avec eux avant que celle-ci lui annonce spontanément avoir été victime d'une agression sexuelle.

Il convient également de relativiser le "faisceau d'indices convergents" retenu par le Ministère public, dès lors que les intimés ont eu l'occasion de se mettre d'accord sur une version commune, leur audition à la police n'étant intervenue qu'une quinzaine de jours après les faits et alors qu'ils avaient déjà eu connaissance du dépôt de plainte de la recourante, ce qui n'est pas contesté.

Quoiqu'il en soit, les versions des prévenus restent divergentes sur certains points notamment sur les positions de la plaignante durant ses rapports avec F______, ce dernier affirmant – avec la recourante – qu'elle n'avait jamais été sur lui, contrairement aux allégations de D______.

Pour le surplus, D______ admet lui-même que la recourante ne s'attendait pas à être pénétrée vaginalement, avec ses doigts. Elle ne lui avait cependant pas dit d'arrêter. À un certain moment, il avait mis plus de force dans leurs rapports intimes car elle l'avait énervé – fait corroboré par son acolyte –, ce qui tendrait plutôt à confirmer une certaine violence, telle que rapportée par la plaignante. Il soutient encore qu'il savait qu'il allait se passer quelque chose de sexuel avec la recourante, ce qui n'est confirmé par aucun des protagonistes ni des témoins. Il l'a du reste convaincue de rester alors qu'elle avait clairement manifesté son souhait de partir et de ne pas entretenir de rapports sexuels avec eux. Il ressort, de plus, des propos des intimés que la recourante ne participait pas activement à leurs ébats, D______ ayant même répondu, à la question de savoir si la recourante avait pris du plaisir, qu'elle ne s'était jamais débattue ni n'avait pleuré et qu'elle avait repris de la cocaïne.

Dans de telles circonstances, il n'est pas possible de nier d'emblée l'existence d'une contrainte physique et/ou psychique d'une intensité suffisante à rendre compréhensible la soumission de la partie plaignante, d'autant que ces évènements ont eu lieu alors que la précitée était sous l'emprise de substances et de l'alcool, ce que les intimés savaient.

En tout état, pour en décider, il convient de procéder à une appréciation globale des circonstances concrètes déterminantes, prérogative qui appartient au juge du fond.

Par ailleurs, dans l'hypothèse où la recourante aurait manifesté son opposition de façon perceptible, comme elle l'affirme, les intimés n'auraient pu ignorer qu'elle n'était pas consentante.

Les conditions des art. 189 et 190 CP pourraient donc être réunies.

4. Fondé, le recours doit être admis ; partant, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause sera renvoyée au Ministère public pour qu’il complète éventuellement l’instruction des faits, puis porte l'accusation devant le juge du fond.

Il sera loisible à la partie plaignante de solliciter, devant le Procureur et/ou le tribunal de première instance, l’administration des preuves qu’elle estimera utiles.

5. La recourante, au bénéfice de l'assistance judiciaire, sera exonérée des frais de la procédure (art. 136 al. 2 let. b CPP).

6. Il n’y a pas lieu de fixer à ce stade l’indemnité due au conseil juridique gratuit (art. 135 al. 2 et 138 al. 1 CPP).

7. Au vu de l'issue du litige, aucune indemnisation ne sera accordée aux prévenus (art. 429 CPP, a contrario, cum art. 436 CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule, en conséquence, l'ordonnance de classement déférée et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, à D______ et à F______, soit pour eux leurs conseils, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).