Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision
AARP/120/2025 du 21.03.2025 sur JTDP/1106/2024 ( PENAL ) , REJETE
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE P/23388/2020 AARP/120/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale d'appel et de révision Arrêt du 21 mars 2025 |
Entre
A______, domicilié ______ [BE], comparant par Me Elizaveta ROCHAT, avocate, place de la Taconnerie 5, 1204 Genève,
appelant,
contre le jugement JTDP/1106/2024 rendu le 17 septembre 2024 par le Tribunal de police,
et
B______, partie plaignante, comparant par Me C______, avocate,
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimés.
EN FAIT :
A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement JTDP/1106/2024 du
17 septembre 2024, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnu coupable de diffamation (art. 173 ch. 1 du Code pénal [CP]), à l'instar de D______, et condamné à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à CHF 90.- l'unité, avec sursis durant trois ans, à verser à B______ CHF 300.- à titre de réparation du tort moral et CHF 700.- à titre de juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure, ainsi qu'au tiers des frais de la procédure arrêtés à CHF 1'800.-, les deux tiers ayant été mis à la charge de D______. Les conclusions en indemnisation de A______ ont par ailleurs été rejetées.
A______ entreprend partiellement ce jugement, concluant à son acquittement et à son indemnisation à hauteur de CHF 6'000.- (CHF 1'500.- à titre de dommage économique subi et CHF 4'500.- à titre de juste indemnité pour ses dépenses obligatoires occasionnées par la procédure), avec suite de frais et dépens.
b. Selon l'ordonnance pénale du Ministère public (MP) du 2 février 2024, il est reproché à A______ d'avoir, à Genève, à tout le moins entre le
25 novembre 2020 et le mois de mars 2021, de concert avec D______, publié des vidéos, dont une intitulée "______" sur une chaîne YouTube, dans laquelle ils accusaient B______ d'avoir kidnappé E______, la fille que ce dernier avait eue avec D______, cette vidéo ayant été vue par 400 personnes en deux jours, jetant de la sorte sur lui le soupçon de tenir une conduite contraire à l’honneur et portant ainsi atteinte à sa considération, étant précisé que les faits postérieurs au 27 novembre 2020 ont été classés, faute de plainte dans le délai de trois mois, et que D______ a été reconnue coupable de diffamation pour ces faits, ce qui n'est pas contesté en appel.
B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :
a.a. Le 27 novembre 2020, B______, suisso-turc, alors domicilié à F______ (ZH), s'est présenté au poste de police G______ de Genève pour déposer plainte pénale contre D______ et A______.
Le ______ 2019, à H______, il avait épousé D______, citoyenne I______. D______ avait quitté le domicile conjugal en lui laissant leur fille, E______, alors âgée de 18 mois, avant de lui indiquer qu'elle voulait rentrer définitivement en I______ [pays] avec leur enfant, de sorte qu'il estimait qu'un risque d'enlèvement existait. Une audience devait avoir lieu le 7 décembre 2020 devant le Tribunal de F______ en lien avec la garde de E______.
Son épouse avait publié sur son compte Instagram "D_______" – suivi par 839 personnes – des articles dans lesquels elle essayait de salir sa
réputation ; elle y expliquait notamment qu'il aurait kidnappé leur fille.
Le 25 novembre 2020, sa tante l'avait averti qu'une vidéo le concernant circulait sur YouTube. On y voyait un certain A______ l'accusant d'avoir délibérément et de manière planifiée enlevé sa fille, ce que le précité qualifiait d'acte "sale". Celui-ci mentionnait également le nom, la date de naissance, la ville natale et la nationalité de E______. Il interviewait ensuite D______, qui divulguait des données privées le concernant, à savoir sa profession ainsi que des détails sur leur séparation. A______ donnait enfin la date et le lieu de l'audience à venir devant le tribunal. Il promettait de tenir les abonnés de sa chaîne informés, annonçant plusieurs autres vidéos. Cette vidéo avait été visionnée plus de 400 fois en deux jours.
a.b. À l'appui de sa plainte, B______ a notamment versé des captures d'écran d'extraits de la vidéo litigieuse, d'une durée de 13 minutes et 58 secondes, diffusée sur YouTube le 25 novembre 2020, ainsi qu'une traduction libre de sa retranscription, minute par minute. Des sous-titres en anglais sont visibles sur ces extraits, notamment ceux-ci :
- "a deliberate, well-planned and dirty action to abduct a child" [01:44 ; A______ apparaît seul] ;
- "E______ was born in H______ on ______, 2019 from a Swiss citizen" [02:42 ; A______ apparaît seul] ;
- "now even because he writes to the court that he wants to work 80 percent" [03:38 ; A______ apparaît avec D______] ;
- "he worked for an audit company after a year of his will then he worked…" [04:52 ; A______ apparaît avec D______] ;
- "private lawyer the court hearing is scheduled for December 7 in advance" [A______ apparaît seul] ;
- "friends the second part of the interview is being prepared and will be released (...) Saturday everything is under control" [13:06 ; A______ apparaît seul].
b. Dans un courrier du 14 octobre 2021 adressé au MP, B______ a précisé que la vidéo diffamatoire était toujours visible sur YouTube et plusieurs nouvelles vidéos avaient été ajoutées depuis sa plainte. D______ et A______ y maintenaient qu'il aurait prétendument kidnappé sa fille. D______ avait activement propagé les vidéos au sein de la communauté I______ de Genève, ce qui avait permis à certaines personnes de l'identifier facilement, ainsi que sa fille.
Ces vidéos avaient eu un impact négatif sur sa vie, son image et sa fille. En effet, alors qu'il se trouvait dans un parc à Genève avec E______ alors âgée de deux ans, il avait été interpellé par des femmes d'origine I______ qui l'avaient interrogé sur le prétendu kidnapping de son enfant. Il avait ainsi été forcé de quitter le parc. À une autre reprise, alors que sa fille se trouvait avec des membres de sa famille, une femme [de langue] I______ avait suivi E______ jusqu'à l'intérieur d'un magasin du centre-ville et l'avait prise en photo, vraisemblablement car elle pensait avoir trouvé l'enfant "kidnappé".
Il n'avait pas enlevé sa fille ; il avait d'ailleurs obtenu sa garde dans le cadre de mesures protectrices de l'union conjugale (MPUC). Il souhaitait obtenir la suppression de ces vidéos, des excuses publiques de la part de D______ et A______, ainsi qu'une réparation financière.
c. Devant le MP, B______ a expliqué qu'au moment du dépôt de sa plainte, seules deux ou trois vidéos avaient été publiées et d'autres l'avaient été par la suite ; il était question de six vidéos d'une vingtaine de minutes chacune, dont celle intitulée "______". Plusieurs mois après le dépôt de la plainte, A______ avait modifié l'accès à ces vidéos en visionnage privé, de sorte qu'un mot de passe était nécessaire, mais, après l'ordonnance de non-entrée en matière du 15 décembre 2021 (voir infra let. B.f), il les avait remises en accès libre. Ces vidéos avaient été diffusées par A______ sur sa chaîne YouTube et sur son compte Facebook [ndr : il ressort d'une capture d'écran que A______ avait partagé la vidéo, le 25 novembre 2020, sur son compte Facebook, avec le message suivant : "Les amis, j'ai vraiment besoin de votre aide", ainsi que sur son blog "J______.com", le 27 mars 2021]. L'intéressé les avait également préparées et éditées, puis D______ les avait partagées sur son compte Instagram. Au moment de la diffusion des vidéos, en novembre 2020, la procédure de MPUC était en cours. Il disposait du droit de garde et son épouse bénéficiait d'un droit de visite à raison d'un week-end sur deux [ndr : tel que cela ressort du jugement du 17 juin 2021 du Tribunal de F______]. À cause de ces vidéos, il était méfiant envers les personnes de son entourage, se demandant si elles les avaient visionnées, étant précisé que la communauté [de langue] I______ était très importante dans son quartier. Il était depuis suivi par une psychiatre.
d. Devant la police, D______, domiciliée à F______, a expliqué n'avoir jamais mentionné le nom de son époux dans ses publications ni fourni d'autres détails. Elle avait diffusé la vidéo litigieuse sur YouTube pour donner des conseils à d'autres femmes susceptibles de vivre la même situation qu'elle, à savoir "se faire voler son enfant à Istanbul". Il s'agissait de montrer que malgré une bonne éducation et une situation professionnelle (comptable), un "européen standard" pouvait devenir un "tyran". Elle avait raconté l'histoire telle qu'elle était. Elle avait rencontré A______ grâce au blog qu'il tenait sur la Suisse. Il avait été d'un grand soutien psychologique alors qu'elle voulait quitter la Turquie où son époux avait tenté d'enlever leur fille en prenant son passeport. Elle avait communiqué à A______ la date de l'audience à venir concernant la garde de sa fille.
e. A______, domicilié à K______ (BE), a déclaré à la police qu'il connaissait D______ en sa qualité de ressortissante [de] I______, mais pas comme l'épouse de B______, qu'il ne connaissait pas personnellement. Celle-ci l'avait trouvé grâce à YouTube et l'avait contacté via Facebook le 15 septembre 2020, afin d'obtenir de l'aide et des conseils. Alors qu'elle se trouvait à Istanbul, elle lui avait écrit qu'elle avait de gros problèmes. Il avait envoyé un message à B______, dans le but de trouver un accord. Il y avait plusieurs vidéos sur YouTube, mais nulle part ne figuraient le nom de B______, son adresse ou sa photographie. De plus, l'interview avec D______ avait été effectuée en langue I______ pour un public I______ et n'avait pas été traduite. Le I______ était une langue compliquée et un mot pouvait avoir trois ou quatre significations différentes. D______ avait été très blessée par cette affaire et voulait la publier. Il n'avait pas reproché à B______ d'avoir enlevé son enfant. En Suisse, la publication n'avait pas suscité de réaction et, sur Internet, pas tant que ça. La chaîne n'avait qu'un millier d'abonnés et les vidéos n'avaient été vues qu'entre 900 et 1'100 fois en six mois, ce qui n'était rien. Il était disposé à effacer les vidéos et à s'excuser.
À la question de savoir pour quelle raison il avait estimé bon de croire D______, A______ a répondu qu'il n'était pas juge et n'avait pas besoin de preuves ("ich brauche keine Beweise") ; il avait confiance en elle et le cas l'avait choqué. Il était convaincu que la place d'un enfant était auprès de sa mère ou de ses deux parents.
f. B______ a recouru, par acte du 27 décembre 2021, contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue par le MP le 15 décembre 2021. Par arrêt ACPR/278/2022 du 27 avril 2022, la Chambre pénale de recours (CPR) a admis le recours, annulé l'ordonnance querellée et renvoyé la cause au MP pour l'ouverture d'une instruction, considérant que le MP ne pouvait considérer que les déclarations litigieuses n'étaient manifestement pas punissables, faute d'intention. En particulier, l'audition de A______, qui n'était pas lui-même partie prenante au conflit opposant les époux, permettait de constater qu'il avait agi dans le but avoué de rendre l'affaire publique, ce qui ne permettait pas non plus de nier tout caractère intentionnel à ses actes (consid. 2.2).
g. Le 2 février 2024, une ordonnance pénale a été rendue à l'encontre de A______, respectivement de D______ (voir supra let. A.b).
h.a. D______ a formé opposition par courrier du 19 février 2024. L'interview avait été réalisée en I______, langue que son époux ne maîtrisait pas. Elle n'avait jamais eu l'intention de l'insulter.
h.b. D______ a précisé au MP que la vidéo, dans laquelle elle s'était présentée sous son nom de jeune fille, soit D______, était avant tout destinée à son entourage [de langue] I______.
i.a. A______ a formé opposition par courrier du 16 février 2024. Entre novembre 2020 et le 8 février 2021, plusieurs vidéos avaient été diffusées sur la chaîne YouTube de L______, laquelle déterminait la politique de la chaîne et mettait les vidéos à disposition du public. Les tâches d'édition, l'ajout de commentaires ou encore la rédaction de textes avaient été effectués par un ingénieur vidéo I______. Il avait quant à lui œuvré comme journaliste, en réalisant des interviews, sans participer au placement des vidéos. Il ne pouvait ainsi pas être tenu pour responsable de leur distribution. Selon les statistiques fournies par la propriétaire de la chaîne, les vues avaient été minimes, en particulier sur les 400 vues en deux jours, 46 seulement concernaient la Suisse. Les vidéos incriminées avaient été retirées à la demande de l'avocat de D______, mais elles demeuraient disponibles, dans leur version originale. Lui-même ne savait pas comment les choses s'étaient "vraiment passées" et tout était présenté avec les mots de D______. B______ n'avait d'ailleurs jamais réfuté les propos de son épouse, laquelle n'avait mentionné son nom de famille [de] I______ qu'à une seule reprise. Il n'avait quant à lui jamais divulgué le nom de B______ ni même d'autres informations, telles que sa profession, son lieu de travail, ni le lieu ou encore l'heure de l'audience. Le visage de l'enfant était flouté sur la photographie et son nom avait été changé. Il n'était ainsi pas possible d'identifier les membres de la famille B______/D______/E______. La vidéo originale en [langue] I______ ne contenait aucun propos offensant à l'égard du plaignant, qui l'avait traduite de manière incorrecte à partir de sous-titres automatiques générés pas des algorithmes. Il n'avait eu aucune intention de l'insulter et les injures citées dans l'accusation soit ne se trouvaient pas dans la vidéo originale soit avaient été mal comprises ou encore sorties de leur contexte.
i.b. A______ a déclaré au MP avoir été contacté par D______ alors qu'elle se trouvait à Istanbul et lui avoir fourni de l'aide en vue de son retour en Suisse. Ensemble, ils avaient voulu aider d'autres femmes qui pourraient vivre la même situation. Il était une personne neutre dans cette affaire et n'avait aucun intérêt financier à faire valoir. Son premier but avait été d'aider D______ et son second de venir au secours d'autres femmes. Il était vrai que l'accent avait été mis sur le fait que le problème de D______ devrait être examiné par un tribunal, mais le lieu de l'audience n'avait pas été évoqué. Il admettait avoir dit à plusieurs reprises que B______ avait "pris" sa fille, mais ce ne lui était pas personnellement adressé. Il avait en effet appris l'identité de ce dernier seulement lors de son audition à la police, à la suite de laquelle la vidéo n'avait plus été diffusée.
Il avait remis la vidéo au propriétaire d'une chaîne YouTube. Il ne savait pas qu'elle serait diffusée. L'idée était de trouver un sujet pour un documentaire.
j.a. En début d'audience de jugement, B______ a déposé une clé USB contenant une copie de la vidéo du 25 novembre 2020, dont le Tribunal a visionné certains passages, l'interprète présente ayant été priée de bien vouloir procéder à leur traduction :
- "Tout ce qui se passe actuellement confirme encore une fois, ce que je constate de mon point de vue, qu'il s'agit d'une action intentionnelle bien planifiée et sale visant l'enlèvement de l'enfant" [01:38 ; A______ apparaît seul] ;
- "Faisons connaissance, je vous présente Mme D______, trente ans, lieu de travail, médecin dans la policlinique centrale sous gestion du Président de I______. Sa première fille M______ de 9 ans et sa deuxième fille E______ (des photos de E______ dont le visage est flouté sont montrées dans la vidéo). E______ qui est née à H______ le ______ 2019" [02:30 ; A______ apparaît seul] ;
- "oui, kidnapper un enfant et ne pas travailler. Oui, c'est exact, il me semble que c'est ça, en fait je ne sais pas, j'ai dans ma tête plusieurs versions" [03:25 ; A______ apparaît avec D______] ;
- "Comment tu peux le décrire en bref ? Oh je ne sais pas (D______ rigole), une personne avec le psychique instable, faible et instable. Il a travaillé comme qui ? Je sais qu'il a une très bonne formation (propos de A______). A vrai dire je ne sais même pas quelle est sa formation, je sais qu'il a travaillé un moment dans une société d'audit" [04:32 ; A______ apparaît avec D______].
j.b. D______ a expliqué avoir voulu partager cette terrible situation avec ses amis, car elle ne savait pas quoi faire. Elle avait effectivement dit que son mari avait enlevé leur fille, soit qu'il la lui avait prise à l'aéroport d'Istanbul. Elle avait déposé une plainte auprès du MP en Turquie et dénoncé les faits lors de sa venue à l'ambassade de Suisse en Turquie, mais le Département suisse de la justice lui avait dit que l'enfant était considérée comme citoyenne [de] I______, de sorte qu'elle devait en premier lieu s'adresser aux autorités judiciaires [de] I______. Sa plainte avait bien été réceptionnée par les autorités turques mais elle ne savait pas ce qu'il s'était passé ensuite ; elle n'avait pas reçu de document, tels un rapport de police ou une décision judiciaire.
Interpellée sur son éventuel souhait d'apporter des preuves libératoires, D______ a déclaré que son avocat possédait tous les documents nécessaires, y compris la plainte déposée auprès des autorités turques et souhaitait qu'ils soient versés à la procédure. Le Tribunal a autorisé D______ à apporter la preuve libératoire mais rejeté celle proposée, faute de caractère pertinent.
j.c. A______ a indiqué qu'il exerçait le métier de journaliste en Biélorussie. Il était membre de l'union des journalistes de ce pays depuis plus de 20 ans. Avant la publication de la vidéo, il avait tout fait pour aider D______ à rentrer en Suisse, à obtenir l'aide sociale, à contacter un avocat et à ouvrir une procédure auprès de la justice suisse. Il n'avait pas eu l'intention de favoriser la position de D______ dans sa procédure de séparation avec B______. C'était la propriétaire de la chaîne, à savoir sa compagne, qui avait décidé de poster les vidéos. Il ne se rappelait pas de tous les détails, ni de ses propos tenus dans la vidéo litigieuse. En rapport avec les conclusions civiles, c'était lui qui devait être dédommagé et il refusait de payer quoi que ce soit.
À la question de savoir s'il souhaitait apporter des preuves libératoires, soit prouver que ses allégations étaient conformes à la vérité ou qu'il avait des raisons sérieuses de les tenir de bonne foi pour vraies, A______ a répondu que toutes les preuves étaient déjà incluses dans sa plainte.
j.d. B______ a déclaré qu'il était encore actuellement affecté par les vidéos YouTube, car lorsqu'il rencontrait des personnes, il ignorait si elles les avaient vues ou non. À ce jour, il bénéficiait toujours d'un suivi psychologique, mais la prise en charge était plus large et concernait sa séparation. D______ et lui étaient désormais divorcés, mais les effets accessoires n'étaient pas encore réglés. Il était au bénéfice de la garde provisoire de leur fille et cela depuis quatre ans. D______ avait déposé plainte en Turquie pour enlèvement et il avait été interrogé par la police, mais il n'y avait pas eu de suite, de décision judiciaire en particulier. Jamais il n'avait été jugé coupable.
B______ a pris des conclusions civiles, concluant à ce que D______ et A______ soient condamnés à lui verser, chacun, CHF 1'000.- à titre de réparation de son tort moral et CHF 976.58 à titre de juste indemnité pour ses dépenses obligatoires occasionnées par la procédure.
C. a. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite avec l'accord des parties.
b. Selon son mémoire d'appel, A______ persiste dans ses conclusions.
Il n'était pas responsable des publications de D______, lesquelles avaient permis d'identifier le plaignant. Pour juger de sa culpabilité, il convenait d'examiner exclusivement la vidéo incriminée, qui s'adressait à un public [de langue] I______, sans jamais mentionner l'intimé. Ainsi, seul l'entourage proche des époux B______/D______, déjà averti de leurs difficultés, avait pu accéder à cette vidéo, dans laquelle il n'avait fait que donner son avis, soit émettre un jugement de valeur non attentatoire à l'honneur, sur les évènements dont il avait été partiellement témoin. Il n'avait pas agi intentionnellement, n'ayant pas conscience que son avis pût être attentatoire à l'honneur. Il n'était pas assisté d'un avocat durant l'audience de jugement, de sorte qu'il n'avait pas compris la portée de la question de la preuve libératoire. En violation de l'art. 173 CP, le TP "avait décidé de ne pas examiner [cette] question", ce qui le privait de son droit d'être entendu. Or il aurait dû être admis à apporter la preuve libératoire de la bonne foi et, partant, être acquitté. Il convenait de relever, s'agissant de cette preuve, qu'il pensait de bonne foi que les paroles de D______ étaient vraies, ayant été le témoin de son retour en Suisse, depuis la Turquie, sans son bébé. Ayant agi avec la volonté de lui venir en aide, il avait toutes les raisons de tenir les paroles de celle-ci pour vraies.
À l'appui de son appel, il a notamment produit :
- une copie de sa carte de journaliste biélorusse ;
- des échanges WhatsApp (prétendument) entre D______ et L______, non datés pour certains et datés du 28 septembre 2020 pour d'autres, dont il ressort en substance que la seconde a fourni des contacts, informations et conseils à la première ;
- des messages (vraisemblablement) de B______ à D______ du 17 octobre 2019, dans lesquels il écrit en particulier : "I will just steal E______ from you".
c. Selon son mémoire réponse, B______ conclut au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement, ainsi qu'à la condamnation de l'appelant à lui verser
CHF 2'000.- (5h19 x CHF 350.- + TVA 8.1%) à titre de juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure d'appel.
Plusieurs éléments cités dans la vidéo litigieuse, publiée sur une plateforme YouTube, permettaient de l'identifier. L'appelant avait par ailleurs partagé cette vidéo sur sa page Facebook et invité ses abonnés à la partager à leur tour. Le prévenu s'était exprimé sur un prétendu enlèvement d'enfant, soit un comportement concret et non un jugement de valeur. Il s'agissait d'une infraction pénale, ce que ne pouvait ignorer l'appelant, assisté d'un interprète durant l'audience de jugement. Celui-ci s'était limité à relayer les propos de D______, n'ayant jamais agi en qualité de journaliste ou même vérifié les déclarations de cette dernière, de sorte qu'il n'existait aucun intérêt public. Il ne pouvait ainsi être admis à faire la preuve libératoire. Dans tous les cas, il ne fournissait aucun élément allant dans le sens d'une éventuelle vérification.
d. Le MP conclut au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement, tandis que le TP se réfère intégralement au jugement rendu.
D. A______, ressortissant biélorusse, est né le ______ 1971. Marié, il est père d'un enfant mineur. Il est titulaire d'un permis C et vit en Suisse depuis 2004. Au bénéfice d'une formation universitaire en droit et en histoire, il a travaillé en dernier lieu en tant que chef de sécurité. Actuellement sans emploi, il perçoit des indemnités du chômage à raison de CHF 4'800.- brut par mois environ, y compris les allocations familiales. Sa prime d'assurance-maladie mensuelle se monte à CHF 390.-. Il est
co-propriétaire d'un appartement avec sa partenaire et a une dette hypothécaire de
CHF 150'000.-.
EN DROIT :
1. 1.1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).
La Chambre n'examine que les points attaqués du jugement de première instance
(art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404
al. 2 CPP), sans être liée par les motifs invoqués par les parties ni par leurs conclusions, à moins qu'elle ne statue sur une action civile (art. 391 al. 1 CPP).
1.2.1. Lorsqu'une infraction a été commise et consommée sous forme de publication par un média, l'auteur est seul punissable (art. 28 al. 1 CP).
Il faut que l'infraction soit commise au moyen d'un média de communication, comme les réseaux sociaux (par ex. Facebook), les microblogs (par ex. Twitter), les groupes de discussion (forums), les services de messagerie instantanée (par ex. WhatsApp), les sites de médias audiovisuels (par ex. YouTube) ou les formes hybrides correspondantes (par ex. Instagram), et que la publication elle-même suffise à consommer juridiquement l'infraction, ce qui est le cas des atteintes à l'honneur. Cette disposition privilégie toutes les personnes actives dans la chaîne de production et de distribution typique du média. Le diffuseur est couvert par l'art. 28 CP
(ATF 147 IV 65 consid. 5.1 à 5.6 = JdT 2021 IV 243 ; 128 IV 53 consid. 5c ;
125 IV 206 consid. 3b ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_645/2007 du 2 mai 2008 consid. 6.2).
1.2.2. Selon l'art. 35 CPP, l'autorité du lieu où l'entreprise de médias a son siège est compétente pour poursuivre les infractions au sens de l'art. 28 CP commises en Suisse (al. 1). Si l'auteur est connu et qu'il est domicilié ou réside habituellement en Suisse, l'autorité du lieu où il a son domicile ou sa résidence habituelle est également compétente. Dans ce cas, l'infraction est poursuivie au lieu où les premiers actes de poursuite ont été entrepris. En cas d'infraction poursuivie sur plainte, le plaignant peut choisir entre les deux fors (al. 2). Si le for ne peut pas être déterminé conformément aux al. 1 et 2, l'autorité compétente est celle du lieu où le produit a été diffusé. Si la diffusion a eu lieu en plusieurs endroits, l'autorité compétente est celle du lieu où les premiers actes de poursuite ont été entrepris (al. 3).
1.2.3. Les autorités pénales vérifient d'office si elles sont compétentes et, le cas échéant, transmettent l'affaire à l'autorité compétente (art. 39 al. 1 CPP).
Lorsqu'une partie entend contester la compétence de l'autorité en charge de la procédure pénale, elle doit immédiatement demander à cette dernière de transmettre l'affaire à l'autorité pénale compétente (art. 41 al. 1 CPP).
La compétence d'une autorité de poursuite pénale peut être déterminée par actes concluants, à l'image d'une autorité cantonale qui procède à des actes d'enquête durant une période relativement longue. En pareil cas, seuls des motifs pertinents peuvent justifier la modification du for (ATF 119 IV 102 consid. 4b et 5 = JdT 1995 IV 123).
1.3. En l'occurrence, à titre liminaire, il convient de constater, d'office, sous l'angle du for, que la compétence des autorités genevoises semble donnée.
La vidéo litigieuse, dont le prévenu est à l'origine (voir infra ch. 2.2.1), a été publiée depuis la Suisse sur un média social, savoir YouTube, avant d'être partagée par celui-ci sur d'autres médias de communication, soit Facebook, ainsi que son blog, si bien que sa responsabilité pénale est engagée au sens de l'art. 28 al. 1 CP.
Bien qu'un rattachement genevois soit a priori douteux compte tenu des domiciles bernois et zurichois des prévenus (art. 35 al. 2 CPP), la vidéo litigieuse a été diffusée en différents lieux en Suisse, en particulier à Genève, où les premiers actes de poursuite pénale ont été entrepris et la procédure préliminaire et de première instance s'est poursuivie, de sorte qu'il peut être retenu que les autorités genevoises ont implicitement reconnu leur compétence, laquelle n'a au demeurant été contestée par aucune des parties.
2. 2.1. En application de l'art. 173 ch. 1 CP, quiconque, en s'adressant à un tiers, accuse une personne ou jette sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l'honneur, ou de tout autre fait propre à porter atteinte à sa considération, quiconque propage une telle accusation ou un tel soupçon, est, sur plainte, puni d'une peine pécuniaire.
2.1.1. Cette disposition protège la réputation d'être un individu honorable, c'est-à-dire de se comporter comme une personne digne a coutume de le faire selon les conceptions généralement reçues. Il faut donc que l'atteinte fasse apparaître la personne visée comme méprisable. L'honneur protégé par le droit pénal est conçu de façon générale comme un droit au respect, qui est lésé par toute assertion propre à exposer la personne visée au mépris en sa qualité d'être humain (ATF 148 IV 409 consid. 2.3 ; 137 IV 313 consid. 2.1.1 ; 132 IV 112 consid. 2.1).
La diffamation suppose une allégation de fait, et non pas un simple jugement de valeur (ATF 137 IV 313 consid. 2.1.2 ; 117 IV 27 consid. 2c).
Le fait d'accuser une personne d'avoir commis un crime ou un délit intentionnel entre dans les prévisions de l'art. 173 ch. 1 CP (ATF 132 IV 112 consid. 2.2 ; 118 IV 248 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_138/2008 du 22 janvier 2009 consid. 3.1).
Pour apprécier si une déclaration est attentatoire à l'honneur, il faut se fonder non pas sur le sens que lui donne la personne visée, mais sur une interprétation objective selon la signification qu'un destinataire non prévenu doit, dans les circonstances d'espèce, lui attribuer (ATF 137 IV 313 consid. 2.1.3 ; 128 IV 53 consid. 1a). La personne visée par l'atteinte ne doit pas forcément être nommée. Il suffit qu'elle soit reconnaissable, respectivement identifiable (ATF 124 IV 262 consid. 2a = SJ 1999 I 177). Il n'est pas nécessaire que plusieurs personnes la reconnaissent. Il suffit que l'un des destinataires de la déclaration le puisse ("un tiers", art. 173 ch. 1 CP ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_491/2013 du 4 février 2014 consid. 5.2.1 ; B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. II, 3ème éd., Berne 2010, n. 39 ad art. 173). Cette question est examinée en tenant compte non seulement des informations contenues dans la déclaration litigieuse, mais également des circonstances connues ou à disposition du tiers qui la reçoit (ATF 117 IV 27 consid. 2d ; 99 IV 148 consid. 1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_491/2013 du 4 février 2014 consid. 5.2.1 ; 6S.504/2005 du 28 février 2006 consid. 1.2 ; 6S.862/2000 du 20 mars 2001 consid. 1b).
Du point de vue subjectif, il suffit que l'auteur ait eu conscience du caractère attentatoire à l'honneur de ses propos et qu'il les ait néanmoins proférés ; il n'est pas nécessaire qu'il ait eu la volonté de blesser la personne visée ou porter atteinte à sa réputation (ATF 119 IV 44 consid. 2a). Le dol éventuel suffit. Peu importe que l'auteur tienne l'allégation pour vraie ou qu'il ait exprimé des doutes (M. DUPUIS /
L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI [éds], Code pénal - Petit commentaire, 2ème éd., Bâle 2017, n. 22 ad art. 173).
2.1.2. Indépendamment de la preuve de la vérité et de la bonne foi (voir infra ch. 2.1.3), les règles générales concernant les faits justificatifs s'appliquent à la diffamation. L'analyse d'un fait justificatif se fait avant celle de la preuve libératoire (art. 14 CP ; M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU /
V. RODIGARI, op. cit., n. 49-51 ad art. 173).
Le journaliste ne jouit d'aucun privilège lorsqu'il porte atteinte à l'honneur d'autrui, hormis le cas de l'art. 28 al. 4 CP, qui exempte l'auteur lorsqu'il a reproduit des délibérations publiques d'une autorité dans leur totalité ou en substance (ATF 106 IV 161 consid. 4a ; M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER /
M. MAZOU / V. RODIGARI [éds], op. cit., n. 53 ad art. 173).
2.1.3. Conformément à l'art. 173 CP, même si le caractère diffamatoire des propos est établi, l'inculpé n'encourra aucune peine s'il prouve que les allégations qu'il a articulées ou propagées sont conformes à la vérité ou qu'il avait des raisons sérieuses de les tenir de bonne foi pour vraies (ch. 2). En revanche, l'inculpé ne sera pas admis à faire ces preuves et il sera punissable si ses allégations ont été articulées ou propagées sans égard à l'intérêt public ou sans autre motif suffisant, principalement dans le dessein de dire du mal d'autrui, notamment lorsqu'elles ont trait à la vie privée ou à la vie de famille (ch. 3).
La jurisprudence et la doctrine interprètent de manière restrictive les conditions énoncées à l'art. 173 ch. 3 CP. En principe, l'accusé doit être admis à faire les preuves libératoires et ce n'est qu'exceptionnellement que cette possibilité doit lui être refusée. Pour que les preuves libératoires soient exclues, il faut, d'une part, que l'accusé ait tenu les propos attentatoires à l'honneur sans motif suffisant (d'intérêt public ou privé) et, d'autre part, qu'il ait agi principalement dans le dessein de dire du mal d'autrui. Ces deux conditions doivent être réalisées cumulativement pour refuser les preuves libératoires. Ainsi, l'accusé sera admis aux preuves libératoires s'il a agi pour un motif suffisant (et ce, même s'il a agi principalement pour dire du mal d'autrui ;
ATF 132 IV 112 consid. 3.1 ; 116 IV 31 consid. 3).
La preuve de la vérité est apportée lorsque les allégations attentatoires à l'honneur correspondent, pour l'essentiel, à la vérité (ATF 71 IV 187 consid. 2 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_333/2008 du 9 mars 2009 consid. 1.3. ; 6B_461/2008 du 4 septembre 2008 consid. 3.3.2.). Si les propos diffamants ont pour objet la commission d'une infraction, la preuve de la vérité ne peut, sauf exception, être apportée que par la condamnation de la personne visée (ATF 132 IV 112 consid. 4.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1461/2021 du 29 août 2022 consid. 2.1.4 ; 6B_1225/2014 du 18 janvier 2016 consid. 1.1). Que l'auteur ait été ou non dans l'erreur ne joue pas de rôle : le seul objet de la preuve est de savoir si le fait attentatoire à l'honneur est vrai ou non
(M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU /
V. RODIGARI, op. cit., n. 33 ad art. 173 ; B. CORBOZ, op. cit., n. 69 ad art. 173).
L'auteur est de bonne foi s'il a cru à la véracité de ce qu'il disait. La bonne foi ne suffit pas ; il faut encore que l'auteur établisse qu'il avait des raisons sérieuses de croire à ce qu'il disait. Un devoir de prudence incombe à celui qui porte atteinte à l'honneur d'autrui ; il ne saurait s'avancer à la légère. Pour échapper à la sanction pénale, l'auteur de bonne foi doit démontrer qu'il a accompli les actes que l'on pouvait exiger de lui, selon les circonstances et sa situation personnelle, pour contrôler la véracité de ses allégations et la considérer comme établie. L'auteur doit prouver qu'il a cru à la véracité de ses allégations après avoir fait consciencieusement tout ce que l'on pouvait attendre de lui pour s'assurer de leur exactitude.
Une prudence particulière doit être exigée de celui qui donne une large diffusion à ses allégations, notamment par la voie d'un média (ATF 128 IV 53 consid. 2a ; 116 IV 205 consid. 3 et 3b).
L'accusé ne saurait se fier aveuglément aux déclarations d'un tiers (ATF 124 IV 149 consid. 3b).
Pour dire si l'auteur avait des raisons sérieuses de tenir de bonne foi pour vrai ce qu'il a dit, il faut se fonder exclusivement sur les éléments dont il avait connaissance à l'époque de sa déclaration ; il n'est pas question de prendre en compte des moyens de preuve découverts ou des faits survenus postérieurement. Il faut donc que l'auteur établisse les éléments dont il disposait à l'époque ; sur cette base, le juge doit apprécier si ces éléments étaient suffisants pour croire à la véracité du propos (ATF 124 IV 149 consid. 3b ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_777/2022 du 16 mars 2023 consid. 3.2 ; 6B_1296/2021 du 30 juin 2022consid. 5.1.2 ; 6B_1452/2020 du 18 mars 2021 consid. 4.1).
2.2.1. En l'espèce, l'appelant admet avoir réalisé la vidéo litigieuse en compagnie de D______, qu'il interviewe, mais prétend ne pas être à l'origine de son montage ni de sa diffusion sur la chaîne YouTube d'un tiers.
Il ressort cependant de ses propres déclarations que cette vidéo a été enregistrée à son initiative dans le but de la rendre publique. Il l'a personnellement remise à la propriétaire de la chaîne YouTube, qui n'est autre que sa compagne, L______, l'idée étant d'en faire un documentaire et d'alerter l'opinion publique. Après sa publication, il l'a par ailleurs partagée immédiatement sur son propre compte Facebook puis sur son blog. L'annotation "Les amis, j'ai vraiment besoin de votre aide…" montre qu'il était d'emblée prévu que cette vidéo soit publiée et impacte le plus grand nombre.
Il est retenu, partant, que le prévenu a bien participé à la diffusion des images incriminées.
2.2.2. Ce film a été publié sur internet, via différents réseaux sociaux, à l'attention d'un nombre indéterminé de tiers au sens de l'art. 173 CP. Quand bien même il était destiné à un public exclusivement [de langue] I______, il est notoire que les vidéos postées sur YouTube peuvent être automatiquement traduites selon la langue ou la zone géographique de l'auditeur.
2.2.3. Les propos de l'appelant, qu'il convient d'examiner à l'aune de la seule vidéo incriminée, intitulée "______" – "il s'agit d'une action intentionnelle bien planifiée et sale visant l'enlèvement de l'enfant", termes traduits par une interprète assermentée, évoquent, dans l'esprit d'un spectateur non prévenu, l'accusation d'enlèvement d'enfant, ce que le prévenu a d'ailleurs fini par admettre. Cette accusation est renforcée par les déclarations de D______, qui se présente comme la victime d'"une personne avec le psychique instable, faible et instable", qui aurait "kidnappé" leur fille.
Ces éléments pris dans leur ensemble font objectivement comprendre que l'intimé contreviendrait aux lois pénales [les faits seraient punissables, au sens du droit suisse, du chef de l'art. 220 CP (enlèvement de mineur)] et qu'il serait, partant, dépourvu de sens moral, ce qui le rend méprisable comme être humain.
À cet égard, soutenir qu'il a volé/enlevé/"pris" l'enfant à sa mère est une allégation de fait et non un jugement de valeur, dès lors que cette accusation ne contient pas d'invective et n'est pas non plus un terme grossier dont il conviendrait de déterminer s'il est propre à attaquer la victime dans son honneur.
2.2.4. Les nom et prénom du plaignant ne sont pas cités dans le film querellé. On ne saurait toutefois suivre l'appelant lorsqu'il soutient qu'il ne contiendrait aucune indication permettant d'identifier le précité. La vidéo fournit au contraire de nombreux éléments, à savoir la profession et la nationalité de l'intimé, l'existence d'un important conflit conjugal entre lui et son épouse, laquelle témoigne à visage découvert sous son nom de jeune fille, le fait que ceux-ci sont parents d'une jeune enfant, dont les noms, la date et le lieu de naissance sont divulgués et des photographies floutées dévoilées, enfin des informations (date et lieu de l'audience à venir) sur le procès civil en cours à F______.
Il n'est ainsi pas exclu qu'une personne connaissant l'un ou l'autre des membres de la famille B______/D______/E______ ou ayant connaissance du conflit traversé par les époux ait reconnu, tout au moins pu reconnaître, au vu de toutes ces informations, le plaignant. C'est d'ailleurs par sa tante, laquelle l'avait identifié le jour même de la diffusion de la vidéo, qu'il a été informé de son existence.
À cet égard, on ne saurait retirer à l'intimé la protection offerte par l'art. 173 CP au motif que seul son entourage proche, "déjà averti de leurs difficultés", pouvait avoir accès aux images. La jurisprudence admet la diffamation même si le destinataire connaissait déjà le fait allégué (ATF 118 IV 153 consid. 4 ; 73 IV 27 consid. 1).
2.2.5. L'appelant ne pouvait ignorer qu'accuser une personne de la commission d'une infraction pénale était propre à attenter à son honneur, peu importe qu'il ait eu ou non la volonté de la blesser. Il qualifie lui-même ce comportement de "sale".
L'élément subjectif est réalisé.
2.2.6. En conclusion, les propos litigieux sont attentatoires à l'honneur. Les conditions d'application de l'art. 173 ch. 1 CP sont réunies.
2.2.7. Aucun fait justificatif n'apparaît susceptible d'entrer en ligne de compte, la nécessité des propos attentatoires à l'honneur tenus par l'appelant à l'encontre du plaignant dans la vidéo incriminée ne pouvant être reconnue, ce quand bien même il aurait agi en qualité de journaliste. L'exercice de sa profession ne commandait pas qu'il tînt de tels propos et ne l'autorisait pas à se comporter de manière illicite, le journaliste ne jouissant au demeurant d'aucun privilège.
2.2.8. L'appelant doit être admis à la preuve libératoire.
La procédure tend à démontrer que, sensible à la cause de D______, il entendait la soutenir, comme il l'avait fait jusque-là en l'appuyant dans son rapatriement en Suisse et, une fois de retour, dans ses démarches personnelles, l'idée étant de dénoncer les faits survenus en Turquie et de sensibiliser d'autres femmes, susceptibles de se retrouver dans la même situation que sa protégée. Du moins ne peut-on pas exclure une telle explication, répétée (art. 10 al. 3 CPP). Il existait donc un motif suffisant, d'ordre privé, voire relevant de l'intérêt public, pour l'intéressé d'agir comme il l'a fait, à l'aune de l'art. 173 ch. 3 CP.
Déterminer s'il a agi principalement dans le but de dire du mal de l'intimé est une question qui peut, partant, rester ouverte, les deux conditions visées par cette disposition étant cumulatives (ATF 132 IV 116 consid. 3.1).
Contrairement à ce que soutient l'appelant, le TP ne l'a pas privé de la preuve libératoire. Sur question, il y a expressément renoncé. Quoi qu'il en soit, le TP a examiné les conditions d'application de l'art. 173 ch. 2 CP et écarté leur réalisation (ch. 2.2.2 in fine du jugement entrepris), ce qui démontre que l'appelant a bien été admis à la preuve libératoire.
2.2.9. Les accusations portées contre le plaignant d'avoir commis une infraction impliquent que la preuve de la vérité ne peut être apportée que par sa condamnation. Or l'appelant échoue dans cette preuve, la procédure pénale diligentée en Turquie, bien qu'initiée, n'ayant vraisemblablement pas porté.
2.2.10. Reste à déterminer si, comme l'appelant le soutient, il pouvait tenir ses allégations de bonne foi pour vraies.
À l'appui de son raisonnement, l'appelant se réfère à des messages échangés autour du 28 septembre 2020 dans lesquels sa compagne apporterait son aide et son soutien à D______, ainsi qu'à un SMS de B______ à son épouse, où il mentionnerait, plus d'un an avant les faits litigieux, vouloir lui enlever E______. Outre le fait que ces pièces sont très peu explicites (les dates et les noms des interlocuteurs sont parfois manquants, les messages sortis de leur contexte, etc.), elles ne permettent pas de retenir, à elles seules, que le prévenu aurait eu des raisons sérieuses de croire que le plaignant avait enlevé sa fille. Il ne soutient pas non plus avoir entrepris de quelconque démarche, sinon avoir écrit à l'intimé pour trouver un accord, afin de s'assurer de l'exactitude des soupçons avant de les diffuser sous la forme d'une affirmation.
Au contraire, il confesse n'avoir rien accompli pour vérifier la véracité de ce que D______ lui rapportait, la croyant sur parole, précisant ne pas avoir besoin de preuves. Force est de constater qu'il n'a donc pas fait consciencieusement tout ce que l'on pouvait attendre de lui pour s'assurer de l'exactitude du propos de sa co-prévenue, étant rappelé qu'une prudence particulière est exigée de celui qui, comme lui, donne une large diffusion à ses allégations.
En tout état, l'appelant a admis qu'il ne savait pas lui-même comment les choses s'étaient "vraiment passées".
Ainsi, même à supposer qu'il ait été de bonne foi, il n'est pas en mesure d'établir qu'il avait des raisons sérieuses au sens de la jurisprudence de croire à ce qu'il disait.
Sans preuve de ce qu'il alléguait, il devait s'abstenir.
2.2.10. Compte tenu de ce qui précède, l'appelant échouant dans la preuve de la vérité et de la bonne foi, le verdict de culpabilité du chef de diffamation, rendu à son encontre, doit être confirmé.
2.3.1. À teneur de l'art. 173 ch. 5 CP, si l'auteur ne fait pas la preuve de la vérité de ses allégations ou si elles sont contraires à la vérité, le juge le constate dans le jugement ou dans un autre acte écrit.
2.3.2. En l'occurrence, A______ ne fait la preuve de la vérité de ses allégations. La CPAR doit le constater formellement. C'est chose faite ici. Il n'y a pas lieu de le constater dans le dispositif de surcroît : d'abord, l'intimé n'indique pas qu'il entend obtenir un constat selon l'art. 173 ch. 5 CP ; ensuite, la constatation dans les motifs de l'arrêt suffit (ATF 80 IV 250).
3. 3.1. La peine sera fixée d'après la culpabilité de l'auteur. La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures. Il sera tenu compte des antécédents de l'auteur, de sa situation personnelle ainsi que de l'effet de la peine sur son avenir (art. 47 CP).
3.2. L'appelant ne conteste pas la nature de la peine dans l'hypothèse d'une confirmation du verdict de culpabilité. La fixation de la peine dans le jugement rendu par le TP consacre une application correcte des critères fixés à l'art. 47 CP, en particulier la gravité de la faute et la situation personnelle, de sorte qu'il peut être renvoyé à son exposé des motifs, que la CPAR fait sien (art. 82 al. 4 CPP ;
ATF 141 IV 244 consid. 1.2.3).
Malgré les charges pesant sur lui, l'appelant a tenté de convaincre que la vidéo litigieuse avec été publiée à son insu, se présentant comme la victime des agissements de sa propre compagne. Il a par ailleurs tardé à la retirer d'Internet.
La peine de 30 jours-amende est appropriée, tout comme le montant de CHF 90.- l'unité qui est adéquat. Le bénéfice du sursis est enfin acquis à l'appelant (art. 391
al. 2 CPP).
Le jugement entrepris sera par conséquent entièrement confirmé.
4. 4.1.1. Selon l'art. 122 CPP, en sa qualité de partie plaignante, le lésé peut déposer des conclusions civiles déduites de l'infraction, par adhésion à l'action pénale.
Les conclusions civiles consistent notamment en des prétentions en réparation du tort moral (art. 47 et 49 de la loi fédérale complétant le code civil suisse [CO]) dirigées contre le prévenu. La preuve du dommage incombe au demandeur (art. 42 al. 1 CO).
4.1.2. En vertu de l'art. 126 al. 1 let. a CPP, le tribunal statue sur les prétentions civiles présentées lorsqu'il rend un verdict de culpabilité à l'encontre du prévenu.
4.2. Le premier juge a condamné l'appelant à verser à titre de réparation du tort moral la somme de CHF 300.-. Sa culpabilité en lien avec les faits en cause étant confirmée, la somme allouée le sera également, étant précisé qu'il ne soulève aucun grief s'agissant du montant alloué au plaignant qui apparaît adéquat.
5. L'appelant, qui succombe, supportera, les frais de la procédure d'appel envers l'État, lesquels comprennent un émolument de CHF 2'000.- (art. 428 CPP et art. 14 let. e du règlement fixant le tarif des frais en matière pénale [RTFMP]).
6. Au vu de l'issue de la procédure, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de l'appelant portant sur une indemnité pour les dépenses occasionnées par sa défense ni pour le dommage économique subi (art. 429 al. 1 let. a et b CPP a contrario).
7. 7.1. L'art. 433 al. 1 let. a CPP, applicable par renvoi de l'art. 436 al. 1 CPP, permet notamment à la partie plaignante de demander au prévenu une juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure lorsqu'elle obtient gain de cause.
La partie plaignante obtient gain de cause au sens de l'art. 433 al. 1 CPP si les prétentions civiles sont admises et/ou lorsque le prévenu est condamné. Dans ce dernier cas, la partie plaignante peut être indemnisée pour les frais de défense privée en relation avec la plainte pénale (ATF 139 IV 102 consid. 4.1 et 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_549/2015 du 16 mars 2016 consid. 2.3).
7.2.1. L'indemnité accordée à l'intimé pour ses frais de défense afférents à la procédure préliminaire et de première instance sera confirmée, étant relevé que le prévenu ne l'a pas contestée en appel.
7.2.2. En appel, le plaignant, qui obtient intégralement gain de cause, peut demander une indemnité au prévenu.
L'appelant sera partant condamné à payer à celui-ci les honoraires facturés par son conseil, dont il n'a discuté aucun poste. Ainsi, l'indemnité due à l'intimé sera arrêtée à CHF 2'000.-, correspondant à 5 heures et 19 minutes au tarif horaire de CHF 350.- (CHF 1'860.80) et la TVA à 8.1% en CHF 150.70.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/1106/2024 rendu le 17 septembre 2024 par le Tribunal de police dans la procédure P/23388/2020.
Le rejette.
Condamne A______ aux frais de la procédure d'appel en CHF 2'225.-, qui comprennent un émolument de CHF 2'000.-.
Rejette ses conclusions en indemnisation (art. 429 al. 1 let. a et b CPP).
Condamne A______ à verser à B______ la somme de CHF 2'000.- à titre de juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par le procédure d'appel (art. 433 al. 1 let. a et 436 al. 1 CPP).
Confirme le jugement entrepris, dont le dispositif est le suivant, en ce qui le concerne :
"Classe la procédure s'agissant des faits de diffamation, voire d'injure, postérieurs au
27 novembre 2020 (art. 329 al. 5 CPP et 31 CP).
* * *
Déclare A______ coupable de diffamation (art. 173 ch. 1 CP).
Condamne A______ à une peine pécuniaire de 30 jours-amende (art. 34 CP).
Fixe le montant du jour-amende à CHF 90.-.
Met A______ au bénéfice du sursis et fixe la durée du délai d'épreuve à 3 ans (art. 42 et 44 CP).
Avertit A______ que s'il devait commettre de nouvelles infractions durant le délai d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et la peine suspendue exécutée, cela sans préjudice d'une nouvelle peine (art. 44 al. 3 CP).
Condamne A______ à payer à B______ CHF 300.-, à titre de réparation du tort moral (art. 49 CO).
Condamne A______ à verser à B______ CHF 700.-, à titre de juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure (art. 433 al. 1 CPP).
Rejette les conclusions en indemnisation de A______ (art. 429 CPP).
* * *
Condamne D______, à raison de 2/3, et A______, à raison de 1/3, aux frais de la procédure arrêtés à CHF 1'800.- (art. 426 al. 1 CPP)."
Notifie le présent arrêt aux parties.
Le communique, pour information, à l'Office cantonal de la population et des migrations et au Tribunal de police.
La greffière : Linda TAGHARIST |
| Le président : Fabrice ROCH |
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.
| ETAT DE FRAIS |
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| COUR DE JUSTICE |
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Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).
Total des frais de procédure du Tribunal de police : | CHF | 1'800.00 |
Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision |
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Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c) | CHF | 00.00 |
Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i) | CHF | 180.00 |
Procès-verbal (let. f) | CHF | 00.00 |
Etat de frais | CHF | 75.00 |
Emolument de décision | CHF | 2'000.00 |
Total des frais de la procédure d'appel : | CHF | 2'255.00 |
Total général (première instance + appel) : | CHF | 4'055.00 |