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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/2055/2012

AARP/32/2024 du 11.01.2024 sur JTCO/26/2020 ( PENAL ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : FRAIS JUDICIAIRES;INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL)
Normes : CPP.426.al1; CPP.429.al1.leta; CPP.433.al1
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/2055/2012 AARP/32/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 11 janvier 2024

 

A______ LLC, partie plaignante, comparant par Me Saverio LEMBO, avocat, BÄR & KARRER SA, quai de la Poste 12, case postale 5056, 1211 Genève 3,

appelante,

 

contre le jugement JTCO/26/2020 rendu le 9 mars 2020 par le Tribunal correctionnel,

et

B______, domicilié ______, TUNISIE, comparant par Me C______, avocat,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 1,

intimés.

 

statuant à la suite de l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_74/2022 du 4 mai 2023 admettant le recours de B______ contre l'arrêt de la Chambre pénale d'appel et de révision AARP/366/2021 du 15 novembre 2021.

 

 

EN FAIT :

A. a.a. Selon l'acte d'accusation du 25 juillet 2019, il était reproché à B______ des faits qualifiés d'escroquerie au sens de l'art. 146 al. 1 du Code pénal (CP) commise au préjudice de A______ LLC, ainsi qu'une infraction de faux dans les titres au sens de l'art. 251 ch. 1 CP.

D______ et E______ étaient, dans le cadre de cette procédure, prévenus d'infractions connexes.

a.b. B______, D______ et E______ ont été acquittés par le Tribunal correctionnel (TCO) le 9 mars 2020 pour l'ensemble des faits qui leur étaient reprochés. Les frais de la procédure de première instance ont été laissés à la charge de l'État et le TCO leur a accordé une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de leurs droits de procédure (art. 429 al. 1 let. a du Code de procédure pénale [CPP]), soit une indemnité de CHF 140'024.30 pour B______. Les prétentions en indemnisation de A______ ont été rejetées.

a.c.a. A______ a formé appel auprès de la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR) contre ce jugement, concluant à la condamnation des trois prévenus, à ce qu'ils soient astreints au paiement des frais de justice et au paiement d'une juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure.

a.c.b. Par arrêt AARP/366/2021 du 15 novembre 2021, la CPAR a très partiellement admis l'appel de A______. L'acquittement des trois prévenus a été confirmé. B______ a toutefois été condamné à sa part des frais de la procédure de première instance (CHF 5'121.15) et au paiement d'un montant de CHF 63'644.40 à A______ à titre d'indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure de première instance. Ses propres prétentions en indemnisation au sens de l'art. 429 al. 1 let. a CPP pour cette même procédure ont été rejetées.

La CPAR a en substance considéré que le comportement de B______ avait entraîné l'ouverture de la procédure pénale à son encontre au sens de l'art. 426 al. 2 CPP, dès lors qu'il était employé par l'appelante et avait des intérêts dans la société, sur le compte bancaire de laquelle la majeure partie de la rémunération versée par celle-ci pour un projet immobilier d'envergure avait été transférée.

En omettant d'informer l'appelante de ces éléments, B______ avait violé une règle civile élémentaire, soit son obligation de fidélité et de diligence envers son employeur, voire celle de restitution des montants qui lui étaient destinés, indubitablement perçus dans l'exercice de son activité contractuelle, étant rappelé qu'il avait l'obligation d'informer spontanément son employeur de la réception de ces montants. En contrevenant à ses obligations envers l'appelante, B______ avait créé l'apparence de la commission d'une infraction pénale.

Les prétentions en indemnisation de B______ pour la procédure de première instance ont été rejetées pour les mêmes motifs (art. 430 al. 1 let. a CPP) et A______ a été indemnisée au sens de l'art. 433 al. 1 let. b CPP.

a.c.c. B______ a recouru contre cet arrêt auprès du Tribunal fédéral s'agissant de la question des frais et dépens.

a.d. Par arrêt du 17 mars 2022, la CPAR a constaté l'entrée en force partielle de l'arrêt AARP/366/2021 du 15 novembre 2021 s'agissant des points de son dispositif qui n'étaient pas contestés auprès du Tribunal fédéral, soit notamment l'acquittement des trois prévenus et les frais et indemnités concernant D______ et E______.

a.e. Statuant sur recours de B______ par arrêt 6B_74/2022 du 4 mai 2023, le Tribunal fédéral (TF) a annulé l'arrêt AARP/366/2021 du 15 novembre 2021 de la CPAR et lui a renvoyé la cause pour nouvelle décision.

La CPAR s'était fondée à tort sur des normes suisses de droit du travail pour mettre les frais de la procédure à la charge de B______ et accorder une indemnité à A______, alors que le contrat de travail les liant n'avait pas de relation avec ce pays. En outre, le comportement immoral ou contraire au principe de la bonne foi au sens de l'art. 2 CC de B______ ne suffisait pas pour justifier l'intervention des autorités répressives et, partant, entraîner l'imputation des frais au prévenu acquitté. Au demeurant, la création d'une société offshore n'était pas particulièrement insolite et la Cour cantonale n'avait pas mentionné d'autres normes de comportement résultant de l'ordre juridique suisse qui auraient été violées et qui seraient en rapport de causalité naturelle et adéquate avec l'ouverture de la procédure.

Il n'y avait dès lors pas matière à mettre les frais de la procédure à la charge de B______, ni à lui refuser l'allocation d'une indemnité au sens de l'art. 429 CPP. De même, celui-ci ne devait pas être astreint au paiement d'une indemnité en faveur de A______.

B. a. Suite au renvoi de la cause par le TF pour nouvelle décision, la CPAR a ordonné, avec l'accord de B______, la poursuite de la procédure par la voie écrite.

b. B______ conclut à ce que les frais de la procédure de première instance soient mis à la charge de l'État et à l'allocation en sa faveur d'une indemnité de CHF 140'024.30 pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits pour cette phase de la procédure. Il conclut également à ce que A______ soit déboutée de sa requête en indemnisation pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure de première instance. Les frais et dépens de la procédure devaient être mis à la charge de l'État, le MP et A______ devaient être déboutés de toute autre ou contraire conclusion.

c. A______ et le MP s'en sont rapportés à justice.

EN DROIT :

1. 1.1. Un arrêt de renvoi du Tribunal fédéral lie l'autorité cantonale à qui la cause est renvoyée, laquelle voit sa cognition limitée par les motifs dudit arrêt, en ce sens qu'elle est liée par ce qui a déjà été définitivement tranché par le Tribunal fédéral (ATF 104 IV 276 consid. 3b ; 103 IV 73 consid. 1) et par les constatations de fait qui n'ont pas été attaquées devant lui ou l'ont été sans succès (ATF 143 IV 214 consid. 5.2.1 ; 131 III 91 consid. 5.2). Il n'est pas possible de remettre en cause ce qui a été admis, même implicitement, par le Tribunal fédéral. L'examen juridique se limite donc aux questions laissées ouvertes par l'arrêt de renvoi, ainsi qu'aux conséquences qui en découlent ou aux problèmes qui leur sont liés (ATF 135 III 334 consid. 2 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_588/2012 du 11 février 2013 consid. 3.1 et 6B_534/2011 du 5 janvier 2012 consid. 1.2).

La motivation de l'arrêt de renvoi détermine dans quelle mesure la cour cantonale est liée à la première décision, décision de renvoi qui fixe aussi bien le cadre du nouvel état de fait que celui de la nouvelle motivation juridique (ATF 135 III 334 consid. 2).

1.2. En l'espèce, selon les considérants de l'arrêt de renvoi, la saisine de la CPAR est circonscrite à la question des frais et dépens de la procédure de première instance.

Il en découle que sous cette réserve, l'entier du dispositif de l'arrêt cantonal non attaqué, respectivement dont l'entrée en force partielle a été constatée en date du 17 mars 2022, est désormais définitif.

2. 2.1. Selon l'art. 426 al. 1 CPP, le prévenu supporte les frais de procédure s'il est condamné. La répartition des frais de procédure repose sur le principe selon lequel celui qui a causé les frais doit les supporter (ATF 138 IV 248 consid. 4.4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_108/2018 du 12 juin 2018 consid. 3.1).

2.2. L'art. 429 al. 1 let. a CPP prévoit que, s'il est acquitté, le prévenu a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure. L'indemnité concerne les dépenses pour un avocat de choix. Cette disposition s'applique aux voies de recours (y inclus l'appel) en vertu de l'art. 436 al. 1 CPP (ATF 138 IV 205 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_74/2017 du 21 avril 2017 consid. 2.1).

La question de l'indemnisation du prévenu (art. 429 CPP) doit être traitée en relation avec celle des frais (art. 426 CPP). Si le prévenu supporte les frais en application de l'art. 426 al. 1 ou 2 CPP, une indemnité est en règle générale exclue (ATF 137 IV 352 consid. 2.4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_187/2015 du 28 avril 2015 consid. 6.1.2). En revanche, si l'État supporte les frais de la procédure pénale, le prévenu dispose d'un droit à une indemnité pour ses frais de défense et son dommage économique ou à la réparation de son tort moral selon l'art. 429 CPP. Dans ce cas, il ne peut être dérogé au principe du droit à l'indemnisation qu'à titre exceptionnel. La question de l'indemnisation doit dès lors être tranchée après celle des frais, la décision sur les frais préjugeant de la question de l'indemnisation (ATF 137 IV 352 consid. 2.4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_548/2018 du 18 juillet 2018 consid. 1.1.2).

2.3. Les honoraires d'avocat se calculent selon le tarif local, à condition qu'ils restent proportionnés (N. SCHMID / D. JOSITSCH, Schweizerische Strafprozessordnung : Praxiskommentar, 3ème éd, Zurich 2017, N 7 ad art. 429). Le juge dispose d'une marge d'appréciation à cet égard, mais ne devrait pas se montrer trop exigeant dans l'appréciation rétrospective qu'il porte sur les actes nécessaires à la défense du prévenu (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER [éds], Strafprozessordnung – Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2ème éd., Bâle 2014, N 19 ad art. 429). Le Tribunal fédéral considère, avec la doctrine majoritaire, que l'indemnité visée par l'art. 429 al. 1 let. a CPP doit correspondre au tarif usuel du barreau applicable dans le canton où la procédure se déroule et englober la totalité des coûts de défense (ATF 142 IV 163 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_392/2013 du 4 novembre 2013 consid. 2.3). En effet, l'indemnisation prévue à l'art. 429 al. 1 let. a CPP tend à ce que l'État répare la totalité du dommage en relation avec la procédure pénale (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1057 ss, p. 1313). Bien que le canton de Genève ne connaisse pas de tarif officiel des avocats, il n'en a pas moins posé, à l'art. 34 de la loi sur la profession d'avocat du 26 avril 2002 (LPAv), les principes généraux devant présider à la fixation des honoraires, qui doivent en particulier être arrêtés compte tenu du travail effectué, de la complexité et de l'importance de l'affaire, de la responsabilité assumée, du résultat obtenu et de la situation du client.

La CPAR applique au chef d'étude un tarif horaire de CHF 450.- (arrêt du Tribunal fédéral 2C_725/2010 du 31 octobre 2011 ; ACPR/279/2014 du 27 mai 2014) ou de CHF 400.- (ACPR/282/2014 du 30 mai 2014), notamment si l'avocat concerné avait lui-même calculé sa prétention à ce taux-là (ACPR/377/2013 du 13 août 2013). Elle retient un taux horaire de CHF 350.- pour les collaborateurs (AARP/65/2017 du 23 février 2017) et de CHF 150.- pour les avocats stagiaires (ACPR/89/2017 du 23 février 2017). En cas d'assujettissement, l'équivalent de la TVA est versé en sus. L'avocat mandaté par un client domicilié à l'étranger ne peut pas facturer de montant au titre de la TVA (ACPR/402/2012 du 27 septembre 2012 consid. 3).

2.4. L'art. 433 al. 1 CPP permet à la partie plaignante de demander au prévenu une juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure lorsqu'elle obtient gain de cause (let. a) ou lorsque le prévenu est astreint au paiement des frais conformément à l'art. 426 al. 2 CPP (let. b). L'al. 2 prévoit que la partie plaignante adresse ses prétentions à l'autorité pénale ; elle doit les chiffrer et les justifier. Si elle ne s'acquitte pas de cette obligation, l'autorité pénale n'entre pas en matière sur la demande.

2.5. En l'espèce, au vu de l'admission, par le Tribunal fédéral, du recours de B______ s'agissant des frais et dépens de la procédure de première instance, il convient de revoir ceux-ci comme suit.

2.5.1. B______ ayant été acquitté de l'ensemble des infractions reprochées et ne pouvant être tenu pour responsable de l'ouverture de la procédure pénale à son encontre au sens de l'art. 426 al. 2 CPP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_74/2022 consid. 1.6.1), il se justifie de mettre les frais de la procédure de première instance à la charge de l'État, au sens de l'art. 426 al. 1 CPP.

2.5.2. Pour les mêmes raisons, il y a lieu d'entrer en matière sur l'allocation en sa faveur d'une indemnité au sens de l'art. 429 al. 1 CPP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_74/2022 consid. 1.6.2).

Le montant de CHF 140'024.30 – adéquat au sens des considérants rappelés ci-avant – sollicité par B______, qui lui avait à l'origine été alloué par le TCO, lui sera ainsi accordé, à la charge de l'État.

2.5.3. Enfin, B______ ne sera pas astreint au paiement d'une indemnité en faveur de A______ au sens de l'art. 433 al. 1 let. b CPP pour la procédure de première instance, dès lors qu'il n'est pas condamné au paiement des frais de cette procédure (arrêt du Tribunal fédéral 6B_74/2022 consid. 1.6.3).

3. 3.1. Vu l'issue de la procédure, les frais du présent arrêt seront laissés à la charge de l'État.

3.2. Le conseil de B______ n'a pas déposé de note d'honoraires pour cette phase de la procédure, faisant suite à l'arrêt de renvoi rendu par le Tribunal fédéral.

Les observations de sept pages qu'il a déposées sont essentiellement constituées d'un résumé de la procédure, soit d'une copie de ses différentes conclusions et d'un passage de l'arrêt du Tribunal fédéral du 4 mai 2023. La CPAR estime que la rédaction de ce document n'a pas demandé plus d'une heure de travail.

L'indemnité due à B______ pour les dépenses occasionnées par la procédure d'appel faisant suite à l'arrêt de renvoi du Tribunal fédéral (art. 429 CPP) sera ainsi arrêtée à CHF 450.- correspondant à une heure d'activité au tarif de CHF 450.-/heure, hors TVA, au vu du domicile de celui-ci à l'étranger.

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Prend acte de l'arrêt du Tribunal fédéral 6B/74/2022 du 4 mai 2023 annulant l′arrêt de la Chambre pénale d′appel et de révision AARP/366/2021 du 15 novembre 2021 au sens des considérants.

Constate l'entrée en force de l'arrêt AARP/366/2021 du 15 novembre 2021 rendu par la Chambre pénale d'appel et de révision, sous réserve de la question des frais et indemnités concernant B______ pour la procédure de première instance.

Et statuant à nouveau :

Prend acte de ce que les frais de la procédure de première instance ont été arrêtés à CHF 20'328.96, lesquels sont intégralement laissés à la charge de l'État.

Condamne l'État de Genève à verser à B______ CHF 140'024.30 à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure pour la procédure de première instance (art. 429 al. 1 let. a CPP).

Rejette les conclusions en indemnisation de A______ LLC pour la procédure de première instance (art. 433 CPP).

***

Laisse les frais de la procédure d'appel postérieure au jugement du Tribunal fédéral à la charge de l'État.

Condamne l'État à verser à B______ CHF 450.- à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure pour la procédure d'appel postérieure au jugement du Tribunal fédéral (art. 429 al. 1 let. a CPP).

***

Notifie le présent arrêt aux parties.

 

 

 

Le communique, pour information, au Tribunal correctionnel ainsi qu'à E______ et D______ par l'intermédiaire de leurs conseils.

 

La greffière :

Anne-Sophie RICCI

 

Le président :

Vincent FOURNIER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.