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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/3254/2024

DCSO/195/2025 du 11.04.2025 ( PLAINT ) , REJETE

En fait
En droit

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3254/2024-CS DCSO/195/25

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 10 AVRIL 2025

 

Plainte 17 LP (A/3254/2024-CS) formée en date du 3 octobre 2024 par A______ SÀRL.

* * * * *

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du 14 avril 2025
à :

-       A______ SÀRL

______

______.

- C______

c/o Me SALAMIAN Afshin

Salamian Bosterli & Associés

Rampe de la Treille 5

Case postale 3339

1211 Genève 3.

- Office cantonal des poursuites.

 


EN FAIT

A. a. D______ SA est une société anonyme ayant son siège à Genève, inscrite au Registre du commerce le ______ 2022 et dont le but est toutes activités dans le domaine de la santé, notamment le développement, la mise à disposition de cabinets médicaux équipés et de structures médicales, l'exploitation d'un groupe médical et l'exploitation d'un ou de plusieurs cabinets dans le domaine médical, notamment en psychiatrie, psychothérapie, ainsi que dans le domaine des soins, de l'esthétique, de la santé du sport et du bien-être.

D______ SA est autorisée à facturer à la charge de l'assurance-maladie obligatoire.

Le médecin responsable de D______ SA est la Dresse C______, psychiatre.

b. Le capital-actions de 100'000 fr. de D______ SA est réparti entre A______ SARL et C______, la première à raison de 75 % et la seconde à raison de 25 %.

c. A______ SARL est une société à responsabilité limitée dont E______, [médecin] ______, et F______, secrétaire médicale, sont les ayants droit économiques.

d. A______ SARL et C______ ont signé une convention d'actionnaires le 25 mai 2023. Elle prévoyait notamment le type d'activité et le temps de présence fournis par C______, E______ et F______, la répartition des frais de fonctionnement, les objectifs en termes d'acquisition de patientèle et de chiffre d'affaires, les rémunérations versées, les limitations du droit de céder les actions, le droit d'emption des actionnaires, l'organisation des flux financiers et la répartition des bénéfices. Les actionnaires s'engageaient également à fournir à D______ SA des locaux dont elles étaient cotitulaires du bail.

La convention prévoyait également que la représentation de D______ SA s'effectuerait par la signature collective à trois de ses trois administrateurs, E______, C______ et F______.

e. Un avenant à la convention d'actionnaires, signé le même jour, précisait que C______ exploitait en parallèle un cabinet médical, G______ SARL, et qu'un contrat de mandat devait être conclu entre D______ SA et G______ SARL.

Il préexistait de tels contrats de mandat, signés le 27 avril 2023, entre D______ SA, d'une part, et, d'autre part, A______ SARL et C______, à titre personnel.

f. Par courrier du 24 mai 2024 adressé à A______ SARL, ainsi qu'à E______ et F______ à titre personnel, C______ a partiellement invalidé la convention d'actionnaires pour vice du consentement. Elle reprochait en substance aux art. 4 et 11 de la convention d'instaurer un système qui la privait des honoraires pour ses prestations personnelles qui étaient facturés aux patients par D______ SA, laquelle les conservait, sans contrepartie. Elle exigeait ainsi la restitution de la totalité des montants versés sur la base de la facturation de ses prestations. Elle demandait également une révision à la hausse de sa rémunération. Elle réclamait un montant de 138'400 fr. à D______ SA, correspondant à sa rémunération pour l'activité de supervision liée à sa qualité de médecin répondante (à raison de 1'000 fr. par semaine pendant 36 semaines, puis, dès janvier 2023, à raison de 1'600 fr. par semaine pendant 74 semaines, sous déduction de 15'000 fr. déjà versés).

C______ soulevait également le fait que F______ et son mari, H______, qui était actif dans D______ SA, lui avaient dissimulé un important endettement ainsi que des échecs entrepreneuriaux. Elle demandait par conséquent que les précités soient écartés de la gestion de la société.

g. Suite à ce courrier, les relations entre C______, F______ et H______ se sont brutalement dégradées au point que la première a déposé une plainte pénale pour des violences subies dans les locaux de D______ SA.

h. C______ a déposé le 24 juin 2024 une requête de mesures provisionnelles et superprovisionnelles en prévision d'une assemblée générale de D______ SA, convoquée le 1er juillet 2024 par F______ et E______, dont l'ordre du jour contenait des objets visant à destituer C______ de son mandat d'administratrice et à la remplacer par H______. Elle concluait notamment à l'interdiction de la tenue de cette assemblée.

i. A______ SARL a, de son côté, déposé le 14 août 2024 une requête en désignation d'un commissaire à D______ SA en raison de carences organisationnelles et en convocation d'une assemblée générale extraordinaire dont l'objet devait être la révocation du mandat d'administratrice de C______ et son remplacement par H______.

j. C______ a requis, le 10 septembre 2024, la poursuite de A______ SARL pour un montant de 165'600 fr. plus intérêts à 5 % l'an dès le 1er janvier 2024. La cause de l'obligation mentionnée était "interpellation du 24 mai 2024 (rémunération contractuelle)".

L'Office cantonal des poursuites (ci-après l'Office) a notifié le 23 septembre 2024 à A______ SARL un commandement de payer, poursuite n° 1______, auquel la débitrice a fait opposition.

k. A______ SARL ayant requis que la créancière produise les titres de sa créance auprès de l'Office, ce dernier a interpellé C______ en ce sens le 25 septembre 2024.

Celle-ci a répondu le 10 octobre 2024 que "sa créance se fonde sur des conclusions civiles dans le cadre d'une procédure pénale qu'elle a engagée contre la société débitrice, ainsi que contre les associés et les gérants de cette dernière".

l. C______ a déposé le 25 octobre 2024 un complément de plainte pénale contre E______, F______ et H______ pour escroquerie, abus de confiance, usure, gestion déloyale, diffamation et contrainte.

Elle a formé le 15 janvier et complété le 6 février 2025 des conclusions civiles dans le cadre de cette procédure pénale dont la teneur est la suivante :

-     Condamner conjointement et solidairement F______, E______, H______ et A______ SARL au paiement de 165'600 fr., avec intérêts à 5 % dès le 1er janvier 2024, en mains de C______.

-     Prononcer la mainlevée définitive de l'opposition formée par A______ SARL au commandement de payer notifié le 23 septembre 2024 dans la poursuite n° 1______ de l'Office des poursuites de Genève, à concurrence de 165'600 fr., avec intérêts à 5 % dès le 1er janvier 2024.

B. a. Par acte expédié le 3 octobre 2024 à la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et faillites (ci-après la Chambre de surveillance), A______ SARL a formé une plainte contre la poursuite n° 1______, concluant à la constatation de sa nullité en raison de son caractère abusif et à ce qu'il soit fait interdiction à l'Office de porter la poursuite à la connaissance de tiers en raison de sa nullité (art. 8a al. 3 let. a LP).

A l'appui de sa plainte, A______ SARL a relevé que dans son courrier du 24 mai 2024, C______ avait réclamé le montant de 138'400 fr. à D______ SA et non pas à elle-même. Elle contestait ainsi être débitrice de la poursuivante et reprochait à cette dernière de la poursuivre uniquement dans un but de détruire sa réputation et de lui nuire. En réalité, il s'agissait de représailles à la démarche entreprise par A______ SARL en vue de révoquer le mandat d'administratrice de D______ SA de C______, fonction dans laquelle elle avait conduit une gestion délétère.

b. Dans ses observations du 30 octobre 2024, C______ a conclu au rejet de la plainte. Elle a justifié la poursuite à l'encontre de A______ SARL par le fait que cette dernière devait être considérée comme un organe de fait de D______ SA – elle est désignée comme "gestionnaire du D______ SA" dans la convention d'actionnaire – qui devait répondre de tout dommage direct causé par la convention léonine du 25 mai 2023, dont elle était la rédactrice. Il ne s'agissait donc pas d'une démarche visant à nuire, mais destinée à recouvrer un montant qu'elle estimait dû par la poursuivie.

c. L'Office s'en est rapporté à justice dans ses déterminations du 12 novembre 2024.

d. A______ SARL a répliqué, puis est intervenue à de nombreuses reprises à la procédure, exposant des circonstances nouvelles et exigeant l'apport à la procédure de la procédure pénale ouverte suite aux plaintes déposées par C______.

La Chambre de surveillance a écarté cette mesure d'instruction par ordonnance du 5 décembre 2024 et gardé à la cause à juger.

A______ SARL n'en a pas moins continué à écrire régulièrement à la Chambre de céans.

e. Par avis du 6 mars 2025, la Chambre de surveillance a informé les parties que la cause était gardée à juger et que toute nouvelle écriture serait ignorée.

C. Par acte déposé le 8 octobre 2024 auprès du Tribunal de première instance, A______ SARL a ouvert à l'encontre de C______ une action en constatation de l'inexistence de la dette et en annulation de la poursuite n° 1______, en application de l'art. 85a LP.

EN DROIT

1.             1.1 La Chambre de surveillance est compétente pour statuer sur les plaintes formées par écrit dans les dix jours suivant la connaissance de l'acte entrepris en application de l'article 17 al. 1 et 2 LP (art. 13 LP; art. 125 et 126 al. 2 let. c LOJ; art. 6 al. 1 et 3 et 7 al. 1 LaLP) contre les mesures de l'Office ne pouvant être contestées par la voie judiciaire. L'autorité de surveillance doit par ailleurs constater, indépendamment de toute plainte et en tout temps (ATF 136 III 572 consid. 4), la nullité des mesures de l'Office contraires à des dispositions édictées dans l'intérêt public ou dans l'intérêt de personnes qui ne sont pas parties à la procédure (art. 22 al. 1 LP).

1.2 En l'occurrence, la plaignante invoque le caractère abusif de la poursuite entreprise, grief conduisant au constat de la nullité de la poursuite (ATF
140 III 481 consid. 2.3.1), de sorte qu'il est recevable en tout temps et sans respect des formes requises pour une plainte, dans la mesure où l'abus est avéré. Il est dès lors inutile d'examiner la recevabilité formelle de la plainte : en cas d'abus, la plainte sera en tout état recevable; si l'abus ne devait pas être retenu, elle sera en tout état rejetée et la question de sa recevabilité sera sans intérêt.

2. La plaignante conclut au constat du caractère abusif de la poursuite du fait qu'elle ne serait pas débitrice du montant réclamé et que ce dernier serait infondé. Elle invoque également le contexte dans lequel la poursuite intervient et le fait qu'elle constitue des représailles contre sa volonté d'évincer C______ du conseil d'administration de D______ SA. Elle en déduit que la poursuite ne doit pas être portée à la connaissance de tiers.

2.1.1 La nullité d'une poursuite pour abus de droit ne peut être admise par les autorités de surveillance que dans des cas exceptionnels, notamment lorsqu'il est manifeste que le poursuivant agit dans un but n'ayant pas le moindre rapport avec la procédure de poursuite ou pour tourmenter délibérément le poursuivi; une telle éventualité est, par exemple, réalisée lorsque le poursuivant fait notifier plusieurs commandements de payer fondés sur la même cause et pour des sommes importantes, sans jamais requérir la mainlevée de l'opposition, ni la reconnaissance judiciaire de sa prétention, lorsqu'il procède par voie de poursuite contre une personne dans l'unique but de détruire sa bonne réputation, lorsque par esprit de chicane il requiert une poursuite pour un montant manifestement trop élevé, lorsqu'il reconnaît, devant l'Office des poursuites ou le poursuivi lui-même, qu'il n'agit pas envers le véritable débiteur, ou encore lorsqu'il requiert la poursuite en contradiction avec des attentes suscitées chez l'autre partie, par exemple en introduisant une nouvelle poursuite alors que des pourparlers sont sur le point d'aboutir en vue du retrait d'une poursuite précédente portant sur la même créance (venire contra factum proprium). L'existence d'un abus ne peut donc être reconnue que sur la base d'éléments ou d'un ensemble d'indices démontrant de façon patente que l'institution du droit de l'exécution forcée est détournée de sa finalité (ATF 140 III 481 consid. 2.3.1, JdT 2015 II 298; 130 II 270 consid. 3.2.2; 115 III 18 consid. 3b, JdT 1991 II 76; arrêts du Tribunal fédéral 5A_1020/2018 du 11 février 2019, 5A_317/2015 du 13 octobre 2015 consid. 2.1, 5A_218/2015 du 30 novembre 2015 consid. 3; décision de la Chambre de surveillance DCSO/321/10 du 8 juillet 2010 consid. 3.b).

La procédure de plainte des art. 17 ss LP ne permet pas d'obtenir l'annulation de la poursuite en se prévalant de l'art. 2 al. 2 CC, dans la mesure où le grief pris de l'abus de droit est invoqué à l'encontre de la créance litigieuse. L'autorité de surveillance – tout comme l'Office – n'est en effet pas compétente pour statuer sur le bienfondé matériel des prétentions du créancier déduites en poursuite qui relèvent de la compétence du juge ordinaire. Elle n'est notamment pas compétente pour déterminer si le poursuivi est bien le débiteur du montant qui lui est réclamé. Ce dernier doit utiliser les moyens que lui offre la procédure de poursuite, soit notamment l'opposition au commandement de payer, l'action en libération de dette, l'annulation de la poursuite, l'action en constatation de l'inexistence de la dette ou l'action en répétition de l'indu. Saisi d'une réquisition de poursuite répondant aux exigences de l'art. 67 LP, l'Office est tenu d'y donner suite par la notification d'un commandement de payer (art. 71 al. 1 LP), sans avoir à se soucier de la réalité de la créance indiquée dans la réquisition de poursuite. L'Office ne peut ainsi exiger des explications sur la nature de la prétention ni refuser d'émettre un commandement de payer, même si la cause de la créance semble peu plausible voire imaginaire. Il est donc pratiquement exclu que le créancier obtienne de manière abusive l'émission d'un commandement de payer (ATF 136 III 365 consid. 2.1, avec la jurisprudence citée; 115 III 18 consid. 3b, JdT 1991 II 76; 113 III 2 consid. 2b, JdT 1989 II 120; arrêts du Tribunal fédéral 5A_250-252/2015 du 10 septembre 2015 consid. 4.1, 5A_76/2013 du 15 mars 2013 consid. 3.1, 5A_890/2012 du 5 mars 2013 consid. 5.3, 5A_595/2012 du 24 octobre 2012 consid. 5).

2.1.2 Toute personne peut consulter les procès-verbaux et les registres des offices des poursuites et s'en faire délivrer des extraits à conditions qu'elle rende son intérêt vraisemblable. En revanche, les offices ne doivent pas porter à la connaissance de tiers les poursuites nulles ainsi que celles qui ont été annulées sur plainte ou à la suite d'un jugement (art. 8a al. 1 et al. 3 let. a LP).

2.2 En l'occurrence, la créancière a notifié un unique commandement de payer à la plaignante, portant sur un montant précis, certes élevé, mais dont le calcul a été explicité dans un courrier antérieur au commandement de payer adressé à D______ SA. Si ce courrier imputait la dette a une autre entité que la plaignante, la créancière a expliqué ultérieurement les motifs pour lesquels elle l'imputait également à cette dernière. Elle a requis le prononcé de la mainlevée de l'opposition formée au commandement de payer dans le cadre de conclusions civiles. Il découle de ces circonstances que la poursuite tend a priori au recouvrement d'un montant que la créancière estime dû et ne consiste pas en une démarche destinée uniquement à nuire, même si elle s'inscrit dans le cadre d'un intense litige entre les parties et intervient à un moment où elle pourrait être considérée comme une mesure de rétorsion. Aucune autre circonstance visée par la jurisprudence susmentionnée n'est alléguée ni établie permettant de discerner un détournement de la finalité de la poursuite par l'intimée.

Les conditions très restrictives permettant d'admettre l'existence d'une poursuite abusive ne sont par conséquent pas réunies en l'espèce et il n'y a pas lieu d'en prononcer la nullité.

Il en résulte de ce qui précède que le motif de non-communication de la poursuite à des tiers au sens de l'art. 8a al. 3 let. a LP n'est pas réalisé en l'état.

L'examen de la créance en poursuite relève désormais du juge, que la plaignante a d'ailleurs saisi.

La plainte sera partant intégralement rejetée.

3. La procédure devant l'autorité de surveillance est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP; art. 61 al. 2 let. a OELP) et ne donne pas lieu à l'allocation de dépens (art. 62 al. 2 OELP).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :


A la forme :

Déclare recevable la plainte formée le 3 octobre 2024 par A______ SARL contre la poursuite n° 1______.

Au fond :

La rejette.

Siégeant :

Monsieur Jean REYMOND, président; Messieurs Alexandre BÖHLER et
Anthony HUGUENIN, juges assesseurs; Madame Elise CAIRUS, greffière.

 

Le président :

Jean REYMOND

 

La greffière :

Elise CAIRUS

 

 

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.