Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/648/2025 du 16.06.2025 ( ICC ) , REJETE
En droit
Par ces motifs
| république et | canton de genève | |||
| POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 16 juin 2025
| ||||
dans la cause
Monsieur A______
contre
ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE
1. Dans sa déclaration fiscale 2022, Monsieur A______ a notamment indiqué être propriétaire d’un immeuble locatif situé en France (B______), dont la valeur fiscale s’élevait à CHF 142'397.-, précisant que les loyers et les frais d’entretien y relatifs étaient nuls.
2. Le 9 octobre 2023, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) l’a invité à lui communiquer les montants des loyers et des frais d’entretien de son immeuble.
3. Le 27 octobre 2023, le contribuable a remis à l'AFC-GE divers documents dont il ressortait que son locataire ne lui avait pas versé les loyers dus pour l’occupation de son bien en 2022.
4. Par bordereaux du 6 mars 2024, l'AFC-GE a pris en compte, pour le taux du revenu imposable, un montant de CHF 9'646.- à titre de loyers.
5. Le 28 mars 2024, le contribuable a formé réclamation contre ces bordereaux, faisant valoir que son locataire ne lui versait pas les loyers dus « depuis de nombreux mois » et qu’il avait entrepris une procédure à son encontre afin de l’évacuer. Par ailleurs, il avait subi un « déficit de [EUR] 13'232.- et fiscal de [EUR] 18'096.- » en lien avec son immeuble.
6. Le 15 mai 2024, l'AFC-GE a invité le contribuable à lui remettre des justificatifs relatifs aux frais d’entretien de son immeuble, pour un montant de EUR 13'232.-.
7. Le 18 juin 2024, le contribuable a remis divers justificatifs pour des dépenses encourues en lien avec son immeuble, dont notamment des honoraires d’huissiers et d’avocat.
8. Par décisions du 18 septembre 2024, l'AFC-GE a admis partiellement la réclamation.
Un montant de CHF 2'730.-, correspondant à des factures datant de 2022, était admis au titre de frais d’entretien de l’immeuble. Les autres factures n’étaient pas déductibles parce qu’elles concernaient d’autres périodes fiscales.
9. Par acte du 18 octobre 2024, le contribuable a recouru contre ces décisions auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant implicitement à leur annulation.
L’exploitation de son immeuble constituait une activité indépendante basée en France. Les frais d’entretien relatifs à son bien avaient été pris en compte par le fisc français.
S’agissant des loyers, il ne comprenait pas pourquoi ils étaient imposés en Suisse alors qu’ils ne l’étaient pas en France. Le locataire était demeuré dans l’appartement sans avoir versé les loyers dus et sans qu’il fût possible de le déloger. Pour ces motifs, sa taxation 2022 devait être corrigée conformément à la convention du 9 septembre 1966 entre la Suisse et la France en vue d’éliminer les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (RS 0.672.934.91 ; ci-après: CDI-F).
10. Dans sa réponse du 4 février 2025, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.
S’agissant de l’existence d’une activité indépendante que le recourant alléguait exercer en louant son immeuble, elle n’était pas tenue par les conclusions de l'administration fiscale française à cet égard. En outre, la gestion et la location d'un unique bien immobilier relevaient de l'administration de la fortune privée, et non d’une activité lucrative indépendante, ne nécessitant ni une organisation professionnelle ni une infrastructure particulière. Dans ce cas, le propriétaire se limitait à percevoir des revenus générés par son patrimoine, sans offrir de produit ou de service. Contrairement à une activité indépendante, ces revenus ne résultaient ni d'un travail personnel ni de la fourniture d'une prestation, mais de la simple mise à disposition d'un bien constituant un capital. Par ailleurs, il n'existait aucune démarche active de prospection ou organisation visant à développer un chiffre d'affaires, ce qui était une condition essentielle pour reconnaitre une activité d'indépendante. Par conséquent, le recourant n'exerçait pas une telle activité. Les rendements générés par son bien immobilier devaient donc être qualifiés de revenus de sa fortune privée, et non d'une activité lucrative indépendante. Partant, les frais liés à ce bien ne pouvaient pas être considérés comme des charges justifiées par un usage commercial.
Elle avait admis en déduction les frais d'avocat et d'huissiers engagés dans le cadre de la procédure d'évacuation du locataire. En revanche, elle avait refusé les charges et frais d'entretien facturés en 2021 et 2023.
Enfin, s’agissant des loyers, ceux-ci faisaient l'objet d'un litige judiciaire depuis 2021. À chaque échéance contractuelle de loyer survenue au cours de l'année 2022, le recourant disposait d'une créance exigible, lui conférant ainsi un droit ferme à l'encontre de son locataire. Rien au dossier ne permettait de conclure que ce dernier aurait été définitivement insolvable. En effet, le recourant n'avait pas mené à terme l'ensemble de la procédure de recouvrement des loyers. À ce jour, il n'avait atteint que le stade d’un commandement de payer les loyers dus pour les mois d'août à décembre 2021. Partant, les loyers s’élevant à CHF 9'646.- devaient être pris en compte en tant que revenu immobilier. Cela étant, le recourant pourrait demander une révision de la taxation 2022, si à l'issue de la procédure de recouvrement engagée à l'encontre de son locataire il parvenait à démontrer l'insolvabilité de ce dernier. Dans une telle hypothèse, dite taxation pourrait être rectifiée en conséquence.
11. Le recourant n’a pas donné suite au courrier du tribunal du 5 février 2025 qui l’invitait à déposer son éventuelle réplique.
1. Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l'AFC-GE (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).
2. Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.
3. À titre préalable, il convient de préciser que la CDI-F autorise la Suisse à tenir compte d’un revenu réalisé en France pour déterminer le taux de l’imposition (cf. art. 25 par. 2 let. B ch. 1).
De même, les frais liés à un immeuble sis à l’étranger sont pris en compte pour le taux de l’imposition en Suisse (art. 6 al. 3 3ème phr. LIFD ; art. 5 al. 4 de la loi sur l’imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 [LIPP - D 3 08] ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_137/2019 du 23 janvier 2020 consid. 5.1 ; 2C_585/2012 du 6 mars 2014 consid. 3 et les arrêts cités, non publié in ATF 140 II 157).
En l’occurrence, sous l’angle des dispositions précitées, les taxations contestées sont exemptes de toute reproche dès lors que le loyer et les frais litigieux n’y sont pris en compte que pour le taux.
4. Le recourant prétend, pour la première fois au stade du recours, que la location de son immeuble français constituerait son activité indépendante et que, partant, un « déficit » de EUR 13'232.-, lequel comprendrait les frais d’entretien litigieux, serait déductible de ses revenus imposables.
5. Aux termes des art. 27 al. 1 LIFD et 30 let. a LIPP, les contribuables exerçant une activité indépendante peuvent déduire de leurs revenus les frais qui sont justifiés par l’usage commercial ou professionnel, dont notamment les dépenses faites pour l’exploitation d’un commerce, d’une industrie ou d’une entreprise et celles qui sont nécessaires pour l’exercice d’une profession ou d’un métier.
D’après la jurisprudence, on entend par activité lucrative indépendante toute activité entreprise par une personne à ses propres risques, avec la mise en œuvre de travail et de capital, dans une organisation librement choisie dans le but d'obtenir un gain. Pour déterminer si l'on se trouve en présence d'une activité lucrative indépendante, il convient de se fonder sur l'ensemble des circonstances du cas (arrêt du Tribunal fédéral 2C_501/2020 du 15 mars 2021 consid. 7.1.1).
Le Tribunal fédéral a par ailleurs jugé qu’il n'y avait pas d’activité professionnelle lorsque le contribuable se contente de gérer sa propre fortune, en particulier en louant ses propres immeubles. Le fait que sa fortune soit importante, qu’elle soit gérée de manière professionnelle et qu’une comptabilité commerciale soit tenue n’y change rien (cf. arrêt 2C_643/2021 du 13 octobre 2022 consid. 2.3).
6. En l’espèce, il faut tout d’abord relever que dans sa déclaration fiscale 2022, le recourant n’a pas fait valoir l’existence de sa prétendue activité indépendante, se limitant à y mentionner son immeuble français en tant qu’immeuble locatif. Quoi qu’il en soit, dans la mesure où il est établi que son activité s’est limitée à la location d’un seul appartement et à l’encaissement du loyer y relatif, on ne saurait la qualifier d’indépendante. Peu importe la qualification retenue par le fisc français à l’égard de la location de son bien, étant par ailleurs relevé qu’il a fourni uniquement la formule de sa déclaration fiscale française 2022, et non le bordereau de taxation y relatif. Du reste, dans cette déclaration, il a lui-même indiqué le prétendu « déficit » de EUR 13'232.- sous la rubrique « Autres locations meublées non professionnelles ». Dans ces conditions, il faut admettre que son activité de location relève de la gestion de sa fortune privée.
Il s’ensuit que les frais immobiliers litigieux ne sauraient être appréhendés sous l’angle de charges commerciales, mais sous celui de frais privés au sens des art. 32 al. 2 1ère phr. LIFD et 34 let. d LIPP.
7. Aux termes de ces dispositions, le contribuable qui possède des immeubles privés peut déduire les frais nécessaires à leur entretien, les frais de remise en état d'immeubles acquis récemment, les primes d'assurances relatives à ces immeubles et les frais d'administration par des tiers.
L'information fiscale n° 1/2021 « déductibilité des frais d'entretien des immeubles privés » établie par l'AFC-GE le 1er février 2021 (ci-après : l'information) précise quels frais engagés par le propriétaire sur un bien immobilier appartenant à sa fortune privée peuvent être déduits et la période de déductibilité. Cette information, qui annule et remplace l'information n° 1/2011 du 1er février 2011, s'applique sur le plan de l'ICC et de l’IFD, à compter de la période fiscale 2020.
Selon son point 4.1, les frais sont déductibles pour l'année fiscale correspondant à la date de la facture (cf. aussi ATA/855/2018 du 21 août 2028 consid. 4c).
Les frais d'entretien au sens étroit, soit les frais engagés par le propriétaire pour maintenir la valeur de l'immeuble dans l'état dans lequel il se trouvait au moment de son acquisition sont qualifiés de dépenses de réparation et de rénovation (art. 1 al. 1 lit. a ch. 1 de l’ordonnance sur les frais relatifs aux immeubles privés déductibles dans le cadre de l'impôt fédéral direct ; OFIP – RS 642.116.2 ; cf. point 2.1.1), ne sont déductibles que durant l'année au cours de laquelle ils ont été facturés. Aucun report sur une période fiscale subséquente ne sera autorisé (point 4.2).
8. En l’espèce, l'AFC-GE a admis en déduction toutes les factures datant de 2022, soit :
- la facture d’huissier du 10 mars 2022 (EUR 176,15) ;
- la facture d’avocat du 31 mars 2022 (EUR 585,84) ;
- la taxe foncière du 9 août 2022 (EUR 709.-) ;
- la facture d’huissier du 9 septembre 2022 (EUR 70,48).
Elle a par ailleurs admis un montant EUR 1'276.- à titre de « charges PPE 2022 ». Quant aux autres factures produites par le recourant, c’est à bon droit qu’elle les a écartées, dès lors qu’elles datent de 2021 et de 2023. En vertu du principe de l’étanchéité des périodes fiscales, elle devait en effet refuser de les prendre en considération.
Ce grief est ainsi écarté.
9. En dernier lieu, le recourant soutient que le revenu relatif au loyer (CHF 9'646.-) ne serait pas imposable dès lors qu’il ne l’a pas encaissé.
10. Est imposable le rendement de la fortune immobilière, en particulier tous les revenus provenant de la location (art. 21 al. 1 let. a LIFD et 24 al. 1 let. a LIPP).
De tels revenus sont réalisés lors de l’acquisition du droit, dans la mesure où celle-ci n’est pas incertaine. Dans la règle, l’échéance détermine le moment de la réalisation des revenus locatifs (Peter LOCHER, Kommentar zum Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer, I. Teil, 2019, art. 21, § 19, p. 659 et les réf. citées). Les revenus locatifs ne sont pas imposables au moment où ils sont encaissés, mais dès que l’on acquiert un droit ferme au paiement de ces créances, c’est-à-dire lors de leur échéance (cf. JTAPI/794/2024 du 19 août 2024, consid. 7, entré en force).
11. Les critères posés par la jurisprudence pour juger de la difficulté de recouvrer une créance sont restrictifs : il faut que le débiteur apparaisse comme définitivement insolvable pour que la créance ne soit pas imposable. La perte est certaine lorsque le contribuable démontre qu’il a mis en œuvre les procédures et démarches que l’on peut raisonnablement attendre d’un créancier ou d’un porteur de droit à l’égard de son bien. Les pertes sur créances deviennent effectives au moment où l'insolvabilité est constatée officiellement par un acte de défaut de biens (ATA/1023/2024 du 27 août 2024 consid. 2.3.1 et les arrêts cités).
S’agissant de l’insolvabilité, la jurisprudence de la chambre administrative de la Cour de justice a posé des critères restrictifs : il faut que le débiteur apparaisse comme définitivement insolvable pour que la créance ne soit pas imposable (ATA/103/2024 du 30 janvier 2024 consid. 3.2 et les arrêts cités).
Il y a insolvabilité notamment en cas de faillite, concordat ou saisie infructueuse (ATA/1387/2023 du 21 décembre 2023 consid. 3.5 les références citées). En revanche, la remise au poursuivant d'un procès-verbal de saisie valant acte de défaut de biens provisoire ne constate pas à titre définitif l'insolvabilité du poursuivi (ATA/758/2004 du 28 septembre 2004 ; JTAPI/351/2017 du 3 avril 2017 consid. 16).
12. En matière fiscale, de manière générale, le contribuable doit supporter le fardeau de la preuve des éléments qui réduisent ou éteignent son obligation d'impôts ; il lui appartient non seulement de les alléguer, mais encore d'en apporter la preuve et de supporter les conséquences de l'échec de cette preuve, ces règles s'appliquant également à la procédure devant les autorités de recours (ATF 146 II 6 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_32/2020 du 8 juin 2020 consid. 3.5 ; ATA/513/2021 du 11 mai 2021 consid. 5b).
13. En l’espèce, le recourant ne conteste pas qu'au 31 décembre 2022, période faisant l'objet du litige, il détenait une prétention ferme contre son locataire à percevoir le paiement de CHF 9'646.- à titre de loyer. Pour le surplus, s’il a certes établi que cette somme ne lui a pas été versée à cette date, il n’a en revanche produit aucun document permettant de retenir l’insolvabilité définitive de son locataire à l’égard de cette créance. Le seul commandement de payer qu’il a fourni à cet effet est manifestement insuffisant, ce d’autant qu’il concerne les loyers dus pour l’année 2021.
Dans ces conditions, le débiteur du recourant ne pouvant pas être considéré comme définitivement insolvable au 31 décembre 2022, la créance de loyer en cause doit être imposée en revenu de cette période-là.
Ainsi, ce grief est également écarté.
14. Partant, le recours, entièrement mal fondé, sera rejeté.
15. En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), le recourant qui succombe, est condamné au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable le recours interjeté le 18 octobre 2024 par Monsieur A______ contre les décisions sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 18 septembre 2024 ;
2. le rejette ;
3. met à la charge du recourant un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;
4. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Siégeant: Marielle TONOSSI, présidente, Laurence DEMATRAZ et Giedre LIDEIKYTE HUBER, juges assesseurs.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Marielle TONOSSI
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.
| Genève, le |
| La greffière |