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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3503/2023

JTAPI/338/2025 du 31.03.2025 ( ICC ) , ADMIS PARTIELLEMENT

Descripteurs : MANDATAIRE;NOTIFICATION DE LA DÉCISION;DOMICILE ÉLU;NOTIFICATION IRRÉGULIÈRE
Normes : LPFisc.19.al1; LPFisc.20.al1
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3503/2023 ICC

JTAPI/338/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 31 mars 2025

 

dans la cause

 

A______ SA, représentée par Me Antoine BERTHOUD, avocat, avec élection de domicile

 

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 


 

EN FAIT

1.             Le litige concerne les taxations cantonales 2010 à 2015 d’A______ SA (ci-après : la société), qui, en 2008, a transféré son siège à B______ dans le canton de Schwyz. Son conseil d’administration comprend un seul membre, à savoir Monsieur C______.

2.             Un litige est également pendant devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative), qui porte sur la problématique de l’assujettissement de la société à Genève en 2016 (cause A/2003/2022).

3.             Le 26 novembre 2020, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC‑GE) a informé la contribuable de l’ouverture à son encontre de procédures en rappel et en soustraction d’impôts pour les années 2010 à 2014 et d’une procédure en tentative de soustraction pour les années 2015 à 2018. Selon les informations dont elle disposait, la contribuable exerçait, à tout le moins depuis 2010, une partie de ses activités commerciales dans ses locaux de D______. De ce fait, l’AFC-GE entendait l’assujettir aux impôts à Genève de manière limitée.

4.             Le 1er juin 2023, l’AFC-GE, après avoir mené une instruction, a notifié à la société des bordereaux de rappels d’impôt, de taxation et d’amende pour les années 2010 à 2015.

5.             Par pli du 3 juillet 2023, la société a élevé réclamation à l’encontre des bordereaux du 1er juin précédent. Ce courrier a été rédigé par Me Antoine BERTHOUD, qui a précisé être le conseil de la contribuable.

6.             Le 6 juillet 2023, l’AFC-GE a accusé réception de la réclamation. Cette lettre a été adressée « c/o Étude de Me Antoine BERTHOUD ».

7.             Par décision datée du 1er septembre 2023 envoyée en recommandé au siège de la société, l’AFC-GE a statué sur sa réclamation formée « par le biais de son mandataire ». Elle a confirmé son assujettissement aux impôt genevois à raison d’un rattachement économique et maintenu les bordereaux entrepris.

Selon le système du suivi des envois (« Track & Trace ») mis en place par la Poste, ce prononcé, déposé le 1er septembre 2023, est arrivé à l’office de retrait le 4 du même mois. En raison d’un ordre déclenché par le destinataire, il n’a été distribué au guichet que le 23 septembre suivant.

8.             Par acte posté le 25 octobre 2023, la société, sous la plume de son mandataire, a interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) en sollicitant, préalablement, la suspension de l’instruction de l’instance jusqu’à droit jugé dans la procédure relative à la période fiscale 2016. Principalement, elle a conclu à l’annulation de la décision du 1er septembre précédent, ainsi que des bordereaux du 1er juin 2023, le tout sous suite de frais et dépens. Ce recours a été ouvert sous le numéro de cause A/3503/2023.

Le 20 octobre 2023, lors d’une réunion de travail, M. C______ s’était inquiété de la suite qui avait été donnée à la procédure relative aux impôts des périodes 2010 à 2015 et il avait remis copie de la décision attaquée au mandataire de la société.

L’autorité intimée avait adressé la décision sur réclamation au siège de la recourante. Cette notification était irrégulière, puisqu’un avocat avait été régulièrement constitué. Il importait peu qu’elle n’ait été remise à ce dernier que le 20 octobre 2023. Elle aurait dû lui être communiquée au plus tard trente jours après sa notification à la recourante, soit dans les premiers jours d’octobre, ce qui faisait courir un délai de recours à compter de cette date, à savoir au minimum jusqu’au 3 novembre 2023. Formé le 25 octobre 2023, le recours devait être déclaré recevable.

Quant au fond, la décision entreprise reprenait mot pour mot celle portant sur la période 2016. Dès lors, par économie de procédure, il convenait de suspendre l’instruction de la présente cause jusqu’à droit jugé dans la procédure 2016.

9.             Par pli du 3 novembre 2023, l’autorité intimée a fait part au tribunal qu’elle s’opposait à la suspension en raison du risque de prescription.

10.         Dans sa réponse du 26 juillet 2024, l’AFC-GE a conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à la jonction de la présente procédure avec la cause A/2003/2022 et, dans ce dernier cas, à l’octroi d’un délai pour qu’elle puisse se prononcer sur le fond.

La décision attaquée avait été régulièrement notifiée. Le fait d’attendre un mois pour transmettre ce prononcé à son mandataire contrevenait aux règles de la bonne foi. La société n’avait jamais communiqué à l’AFC-GE que Me BERTHOUD était son représentant. La réclamation à l’encontre des bordereaux 2010 à 2015 ne faisait pas état d’une élection de domicile. Elle ne comportait pas de procuration. Une désignation d’un mandataire ne résultait pas non plus des circonstances du cas d’espèce. Le délai de trente jours pour recourir devant le tribunal devait ainsi être compté à partir du dernier jour du délai de garde de la Poste, le 11 septembre 2023. Élevé le 25 octobre 2023, le recours devait être considéré comme tardif.

11.         Par réplique et duplique des 2 et 30 septembre 2024, la société et l’AFC-GE ont campé sur leurs positions respectives.

 

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17).

2.             Le recours a été interjeté dans les formes prescrites et devant la juridiction compétente au sens de l’art. 49 LPFisc. Il convient à présent d’examiner s’il a été déposé en temps utile.

3.             Aux termes de l’art. 49 al. 1 LPFisc, le contribuable peut s'opposer à la décision sur réclamation de l'autorité de taxation en s'adressant au tribunal dans les trente jours à compter de la notification de la décision attaquée. Ce délai commence à courir le lendemain de la notification. Il est considéré comme respecté si le recours est remis à l'autorité de recours, à un office de poste suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse à l'étranger le dernier jour ouvrable du délai au plus tard (art. 41 al. 1 LPFisc).

4.             Les décisions de taxation sont notifiées au contribuable par écrit et indiquent les voies de droit (art. 19 al. 1, 1ère phr. LPFisc). Le contribuable peut se faire représenter contractuellement devant les autorités chargées de l’application de la législation fiscale, dans la mesure où sa collaboration personnelle n’est pas nécessaire (art. 20 al. 1 LPFisc).

5.             Selon la jurisprudence (ATF 141 II 429 consid. 3.1), lorsque le destinataire d'un envoi recommandé n'est pas atteint et qu'un avis de retrait est déposé dans sa boîte aux lettres ou dans sa case postale, cet envoi est considéré comme notifié au moment où il est retiré. Si le retrait n'a pas lieu dans le délai de garde de sept jours, l'envoi est réputé notifié le dernier jour de ce délai (fiction de la notification). Ce délai n’est pas prolongé lorsque la Poste conserve l'envoi pendant un délai plus long que sept jours, en raison notamment d'un ordre donné en ce sens par le destinataire.

6.             Celui qui se sait partie à une procédure judiciaire et qui doit dès lors s'attendre à recevoir des actes du juge, condition en principe réalisée pendant toute la durée d'un procès, est tenu de relever son courrier ou, s'il s'absente de son domicile, de prendre des dispositions pour que celui-ci lui parvienne néanmoins, notamment en faisant suivre son courrier. À défaut, il est réputé avoir eu, à l'échéance du délai de garde, connaissance du contenu des plis recommandés que le juge ou l'autorité lui adresse (arrêt du Tribunal fédéral 2C_729/2019 du 7 juillet 2020 consid. 1.4).

7.             Lorsque le contribuable a un mandataire connu de l'autorité, celle-ci ne peut pas notifier directement et uniquement la décision à l'administré ; elle doit adresser la décision au mandataire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1021/2018 du 26 juin 2019 consid. 4.1). Lorsqu’un administré a désigné un mandataire, cela entraîne la création d’un domicile de notification à son adresse. Si l’administré ou le mandataire veulent qu’il en soit autrement, il leur appartient alors de l’indiquer clairement à l’autorité administrative (ATA/370/2024 du 12 mars 2024 consid. 2.5 ; ATA/224/2020 du 25 février 2020 consid. 3b).

8.             Le Tribunal fédéral précise encore (arrêt 2C_1021/2018 du 26 juin 2019 consid. 4.2) qu’une décision irrégulièrement notifiée n'est pas nulle, mais simplement inopposable à ceux qui auraient dû en être les destinataires ; une telle décision ne peut donc pas les lier, mais la protection des parties est suffisamment garantie lorsque la notification irrégulière atteint son but malgré cette irrégularité. Il y a lieu d'examiner, d'après les circonstances du cas concret, si les parties intéressées ont réellement été induites en erreur par l'irrégularité de la notification et ont, de ce fait, subi un préjudice. Il convient à cet égard de s'en tenir aux règles de la bonne foi qui imposent une limite à l'invocation du vice de forme. Ainsi, l'intéressé doit agir dans un délai raisonnable dès qu'il a connaissance de quelque manière que ce soit de l'existence de la décision qu'il entend contester.

En cas de notification irrégulière, c'est le critère de la connaissance effective de la décision par son destinataire et non pas celui de la connaissance virtuelle de la décision dès son entrée dans la sphère d'influence de son destinataire qui est déterminant pour faire partir le délai à partir duquel l'intéressé est réputé devoir agir, sous réserve d'un comportement contraire à la bonne foi (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1021/2018 du 26 juillet 2019 consid. 4.3).

9.             Selon le Tribunal fédéral (arrêt 1C_15/2016 du 1er septembre 2016 consid. 2.2), contrevient évidemment aux règles de la bonne foi celui qui omet de se renseigner pendant plusieurs années ; il en va de même pour celui qui reste inactif pendant deux mois. En revanche, on ne peut reprocher aucun retard à celui qui consulte son dossier auprès de l'autorité quelques jours après avoir eu connaissance de l'existence d'une condamnation pénale ; sont de même irréprochables celui qui réagit le jour même où il constate le début de travaux dont l'autorisation de les exécuter ne lui a pas été notifiée et celui qui agit dans le mois pour obtenir tous les éléments nécessaires à la sauvegarde de ses droits.

Dans l'hypothèse particulière où la partie représentée par avocat reçoit seule l'acte, il lui appartient de se renseigner auprès de son mandataire de la suite donnée à son affaire, au plus tard le dernier jour du délai de recours depuis la notification (irrégulière) de la décision litigieuse ; le délai de recours lui-même court dès cette date (ibid.).  

10.         En l’espèce, le 3 juillet 2023, la société a élevé réclamation à l’encontre des bordereaux du 1er juin précédent. Elle a agi sous la plume de son avocat, qui a précisé être son conseil. La mention non équivoque d’une représentation par ce mandataire emporte élection de domicile à l’adresse de ce dernier. L’AFC-GE l’a d’ailleurs bien compris puisqu’elle a envoyé audit avocat l’accusé de réception de cette réclamation et que la décision entreprise indique que celle-ci a été formée par le biais du mandataire de la société. Cependant, l’autorité intimée a adressé ce prononcé à la contribuable, à son siège social et uniquement à elle. Ce mode de procéder contrevient manifestement à la jurisprudence. En d’autres termes et quoi qu’en dise l’AFC-GE, la notification de la décision du 1er septembre 2023 se révèle irrégulière.

11.         Selon le système du suivi des envois (« Track & Trace ») mis en place par la Poste, ce prononcé, posté en recommandé, est arrivé à l’office de retrait le 4 septembre 2023. En raison d’un ordre déclenché par la recourante, il n’a été distribué au guichet que le 23 septembre suivant.

La société avait constitué un mandataire afin que celui-ci se charge de ses affaires pour les années 2010 à 2015, ce qui, comme on l’a vu, emportait élection de domicile auprès de ce dernier. Dès lors, elle ne devait pas s’attendre à recevoir des communications de la part de l’autorité intimée en ce qui concerne ces périodes fiscales.

Comme exposé supra, la décision attaquée ne lui a pas été régulièrement notifiée. Ainsi, s’agissant de déterminer à partir de quand la recourante devait se renseigner quant à la suite à donner à ses affaires fiscales, il convient de se fonder, non sur l’échéance du délai de garde de sept jours, mais sur le moment où elle a effectivement pris connaissance de ce prononcé, à savoir lors de sa distribution au guichet le 23 septembre 2023. Son administrateur a remis cette décision au mandataire de la recourante le 20 octobre 2023, soit moins d’un mois plus tard. Conformément à la jurisprudence, elle a agi dans un délai raisonnable. Par ailleurs, le tribunal a été saisi le 25 octobre 2023, à savoir dans un délai de cinq jours au plus.

Au vu de ce qui précède, le recours a été interjeté en temps utile.

12.         L’AFC-GE sollicite la jonction des causes A/3503/2023 et A/2003/2022.

L’autorité peut, d’office ou sur requête, joindre en une même procédure des affaires qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune (art. 70 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985
(LPA-- E 5 10).

En l’espèce, les deux procédures ne peuvent être jointes dès lors que la seconde n’est pas pendante devant le tribunal, mais devant la chambre administrative.

13.         Dans son recours, la société sollicite la suspension de l’instruction de l’instance jusqu’à droit jugé dans la procédure relative à la période fiscale 2016.

14.         La suspension de l’instruction de la cause ne se justifie pas sous l’angle de
l’art. 78 let. a LPA, dès lors que l’AFC-GE s’y est opposée dans sa lettre du 3 novembre 2023.

Il n’y a pas non plus lieu de suspendre la cause en application de l’art. 14 LPA. En effet, quand bien même les litiges ouverts sous les numéros de causes A/3503/2023 et A/2003/2022 concernent des problématiques proches, le sort de la présente procédure ne dépend pas de l’issue de celle pendante devant la chambre administrative (ATA/880/2024 du 23 juillet 2024 consid. 3.2).

15.         Au vu de ce qui précède, le recours doit être admis partiellement et le dossier, renvoyé à l’AFC-GE pour qu’elle se prononce sur le fond du litige.

16.         En application des art. 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 LPA, ainsi que 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante est dispensée du paiement d’un émolument. L’avance de frais de CHF 700.-, versée à la suite du dépôt du recours, lui sera restituée.

Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l'État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, sera allouée à la recourante (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 25 octobre 2023 par A______ SA contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 1er septembre 2023 ;

2.             l'admet partiellement et renvoie le dossier à l’administration fiscale cantonale pour qu’elle se prononce sur le fond du litige ;

3.             renonce à percevoir un émolument et ordonne la restitution à la recourante de l’avance de frais de CHF 700.- ;

4.             condamne l'État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, à verser à la recourante une indemnité de procédure de CHF 1'000.- ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. b et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 10 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Gwénaëlle GATTONI, présidente, Laurence DEMATRAZ et Giedre LIDEIKYTE HUBER, juges assesseures.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier