Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/55/2025 du 20.01.2025 ( OCPM ) , REJETE
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 20 janvier 2025
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dans la cause
Madame A______ et Monsieur B______
contre
OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS
1. Monsieur B______, né le ______ 1996, est ressortissant du Kosovo. Son épouse, Madame A______, née le ______ 1989, est ressortissante d’Albanie.
2. Par décision du 22 novembre 2021, l’office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM) a constaté la caducité de l’autorisation d’établissement de M. B______ avec effet au 12 juin 1997 soit six mois après son arrivée en Suisse, refusé de lui délivrer une nouvelle autorisation de séjour, révoqué l’autorisation de séjour pour regroupement familial de Mme A______ et prononcé leur renvoi de Suisse et de l’espace Schengen.
Cette décision a été confirmée en dernière instance par arrêt de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) du 3 octobre 2023 (ATA/1081/2023), qui a également retenu que les précités ne remplissaient pas les conditions pour se voir délivrer une autorisation de séjour pour cas de rigueur.
Celle-ci a notamment retenu que M. B______ résidait au mieux en Suisse depuis dix ans, ce qui constituait certes une durée pouvant être qualifiée de longue au sens de la jurisprudence, mais dont la longueur devait cependant être relativisée du fait que son autorisation d’établissement était devenue caduque par l’effet de la loi en juin 1997, de sorte qu’il ne disposait pas de titre de séjour. Mme A______ était arrivée en Suisse et n’avait bénéficié d’une autorisation de séjour que depuis 2018, après qu’elle avait épousé M. B______. La durée de son séjour en Suisse, fût-ce au bénéfice d’un titre, ne pouvait être qualifiée de longue.
L’intégration professionnelle des époux ne pouvait être considérée comme exceptionnelle.
Le fait qu’ils ne dépendent pas de l’aide sociale, n’aient ni dettes, ni actes de défaut de biens, ni poursuites ni casier judiciaire et maîtrisent la langue française au niveau requis, pouvait être attendu de tout candidat à la régularisation de ses conditions de séjour. En outre, bien qu’ils aient allégué qu’un renvoi de Suisse les séparerait en raison de leur nationalité différente, ils n’avaient ni soutenu, ni établi que l’Albanie et le Kosovo refuseraient d’accorder aux conjoints de leurs ressortissants à tout le moins un droit de séjour.
3. Par courrier du 19 décembre 2023, l’OCPM a imparti aux époux un délai de départ au 19 mars 2024 pour quitter le territoire.
4. Par lettres des 16 janvier, 22 février et 6 mars 2024, M. B______ a sollicité auprès de l’OCPM la reconsidération de la décision du 22 novembre 2021, faisant valoir l’existence d’éléments nouveaux, soit la modification de l’ordonnance sur l’entrée et l’octroi de visas (OEV – RS 142.204), entrée en vigueur le 1er janvier 2024, qui mettait fin à l’obligation de visa de court séjour pour les ressortissants du Kosovo.
5. Par lettre du 6 mars 2024, Mme A______ a sollicité son appel en cause dans le cadre de la demande de reconsidération adressée par son conjoint à l’OCPM, afin que la décision à rendre sur reconsidération lui devienne opposable et que les droits qui seraient conférés à son époux lui soient également attribués. En effet, si la décision du 22 novembre 2021 était révisée, elle pourrait également obtenir le droit de rester sur le territoire suisse et dans l’espace Schengen.
6. Par courrier du 12 mars 2024, les époux ont mis en demeure l’OCPM de statuer sur leurs demandes d’ici au 15 mars 2024.
7. Par courriers séparés du 14 mars 2024, ils ont adressé à l’OCPM de nouvelles demandes de reconsidération, faisant valoir l’existence de nouveaux motifs de révision, soit le fait qu’ils géraient chacun une entreprise suisse employant chacune quatre personnes, lesquelles perdraient leur emploi s’ils étaient renvoyés.
Ils ont imparti un délai au 15 mars 2014 à l’OCPM pour se prononcer.
8. Par actes séparés remis à la poste le 18 mars 2024, intitulés « Requête de mesures provisionnelles », les époux (ci-après : les recourants) ont formé recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : le tribunal) pour déni de justice. Ces procédures ont été enregistrées sous les numéros de cause A/948/2024 et A/949/2024.
9. Par décision du 21 mars 2024, déclarée exécutoire nonobstant recours, l’OCPM a refusé d’entrer en matière sur les demandes de reconsidération de sa décision du 22 novembre 2021 formées par les recourants.
La modification liée aux procédures d’entrée et aux séjours de courte durée dans l’espace Schengen n’avait aucun lien avec l’état de fait et les conclusions de la décision dont la reconsidération était demandée, et n’ouvrait par ailleurs aucun droit à une autorisation de séjour en Suisse.
Concernant la problématique du maintien de l’entreprise de M. B______ et de l’engagement de son personnel, il ne s’agissait pas d’un élément nouveau, cet argument ayant déjà été porté auprès de la chambre administrative qui avait pris en compte cette information dans sa décision. D’autre part, l’embauche de personnes qui semblaient a priori dépourvues d’autorisation de séjour et de travail en Suisse n’était pas un élément favorable pour la situation de M. B______. Au contraire, elle constituait une violation au sens de l’art. 117 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et la situation allait être dénoncée au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.
Enfin, le fait que Mme A______ était également responsable d’une entreprise n’était pas un fait nouveau, cet élément ayant déjà été porté devant les instances de recours précédentes.
Force était ainsi de constater qu’aucun élément nouveau et important n’était survenu et que la situation des intéressés ne s’était pas modifiée de manière notable depuis sa décision du 22 novembre 2021 et son entrée en force en octobre 2023. Les conditions de l’art. 48 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) n’étaient en conséquence pas remplies et les intéressés étaient tenus de quitter la Suisse et l’espace Schengen sans délai.
10. Par jugements séparés du 2 avril 2024, le tribunal a déclaré sans objet les recours pour déni de justice interjetés le 18 mars 2024 par M. B______ (JTAPI/290/2024) et Mme A______ (JTAPI/289/2024).
11. Par acte du 22 avril 2024, les recourants ont déféré la décision de l’OCPM du 21 mars 2024 au tribunal, concluant, sous suite de frais et dépens, à ce qu’il soit dit qu’ils disposaient de « vrais novas », à ce qu’il soit constaté que l’OCPM avait violé l’OEV, le droit international ainsi que l’art. 48 al. 1 let. b LPA en refusant d’entrer en matière sur leur demande de reconsidération et en maintenant leur renvoi, à ce qu’il soit dit que l’OCPM avait violé l’art. 48 al. 1 let. b LPA en omettant d’expliquer pourquoi M. B______ ne disposait pas de faits nouveaux, à ce qu’il soit constaté que l’OCPM avait omis de se prononcer sur le fait nouveau que Mme A______ avait fait valoir, à savoir la perte d’emploi des deux nouveaux employés de sa société, à ce qu’il soit dit que l’OCPM avait commis un déni de justice, à ce qu’il soit constaté que la décision querellée violait le principe de la proportionnalité, était arbitraire et constituait un formalisme excessif et, cela fait, au renvoi de la cause à l’OCPM et à ce qu’il lui soit ordonné de statuer à nouveau sur la demande de reconsidération et de se prononcer sur les faits nouveaux présentés en motivant sa décision. Ils sollicitaient également la restitution de l’effet suspensif s’agissant de leur renvoi, ainsi que la jonction de la cause avec celle concernant les parents et le frère cadet de M. B______ (ouverte sous le numéro de cause A/1363/2024).
La décision querellée ayant été déclarée exécutoire nonobstant recours, ils courraient le risque d’être renvoyés de 29 pays, ce qui les exposeraient à un dommage colossal. Mme A______ risquait également de perdre la gestion de sa société qui employait ordinairement quatre personnes. Dans ces conditions et en l’absence d’intérêt public ou privé prépondérant qui s’y opposerait, il convenait de restituer l’effet suspensif au recours.
Au fond, le maintien de leur renvoi constituait une violation des art. 8 al. 3 OEV et du droit international, puisque depuis le 1er janvier 2024, ils avaient accès à tous les pays de l’espace Schengen pour des séjours de courte durée sans devoir obtenir de visa.
Ce changement législatif constituait un fait nouveau « nouveaux » ayant modifié de manière importante leur situation et qui justifiait ainsi la remise en cause de la décision de renvoi prononcée à leur encontre. Partant, l’OCPM avait violé l’art. 48 al. 1 let. b LPA en refusant d’entrer en matière sur leur demande de reconsidération, commettant par ailleurs un déni de justice sur ce point.
L’OCPM n’expliquait pas en quoi les nouvelles possibilités offertes aux ressortissants kosovars de séjourner dans l’espace Schengen et la Suisse sans obligation de visa pour une courte durée ne constituaient pas des faits nouveaux « nouveaux », ni pourquoi ils n’étaient pas importants. Il ne s’était pas non plus prononcé sur le fait nouveau invoqué par Mme A______, à savoir la perte d’emploi des deux nouveaux employés de sa société. Ce faisant, l’OCPM avait commis un déni de justice.
Le maintien de la décision de renvoi de Suisse et de l’espace Schengen les exposerait à un dommage irréparable, était disproportionné et violait gravement leur liberté de mouvement. L’intérêt public à les renvoyer faisait défaut, dès lors que leur renvoi découlait d’une faute commise par le père de M. B______, et d’autres mesures moins incisives étaient envisageables et préférables. Mme A______ risquait également de perdre la gestion de sa société ainsi que ses engagements au sein de celle-ci.
La décision querellée était également arbitraire et relevait du formalisme excessif, compte tenu de la sévérité de la mesure.
12. Dans ses observations du 6 mai 2024, l’OCPM s’est opposé à la restitution de l’effet suspensif et à l’octroi de mesures provisionnelles, et conclu au rejet du recours.
Les recourants faisaient l’objet d’une décision de renvoi de Suisse et de l’espace Schengen, définitive et exécutoire, suite au refus de leur délivrer une autorisation de séjour en application de la LEI (RS 142.20). Ils ne bénéficiaient donc actuellement d’aucun statut légal en Suisse. La modification de l’OEV, suite à la reprise d’un développement de l’acquis de Schengen exonérant les ressortissants kosovars de l’obligation de visa pour y séjourner jusqu’à 90 jours (soit un visa touristique) n’avait aucune conséquence sur leur situation administrative à ce stade. L’intérêt public à l’établissement d’une situation conforme au droit paraissait ainsi l’emporter sur l’intérêt privé des recourants à demeurer en Suisse jusqu’à l’issue de la procédure.
Au fond, les intéressés perdaient de vue que le renvoi prononcé à leur endroit l’avait été suite au refus de délivrance d’un titre de séjour, prononcé en application de la LEI. L’OEV, qui traitait de la délivrance des visas, ne pouvait fonder un droit à un long séjour. Une fois qu’ils seraient retournés au Kosovo ou en Albanie, la décision de renvoi prononcée en 2021 serait considérée comme exécutée. Ils pourraient ainsi voyager, sans visa, sur tout le territoire Schengen en qualité de touristes, soit jusqu’à 90 jours par période de 180 jours, étant rappelé qu’aucune décision d’interdiction d’entrée en Suisse et sur l’espace Schengen n’avait été prononcée.
13. Par réplique du 15 mai 2024, les recourants ont persisté dans leurs conclusions sur effet suspensif.
La décision querellée avait à la fois un contenu négatif, dès lors qu’elle refusait d’entrer en matière sur leur demande de reconsidération, et positif, puisqu’elle maintenait leur renvoi. La restitution de l’effet suspensif était possible sur ce deuxième aspect, mais également sur le premier, dès lors que, depuis le 1er janvier 2024, grâce au développement de l’acquis Schengen et à la modification de l’OEV, ils bénéficiaient d’un nouveau statut légal en Suisse, qui leur avait été retiré par la décision du 21 mars 2024.
Leur renvoi de l’ensemble des pays de l’espace Schengen constituait un dommage important, si bien que leurs intérêts étaient gravement menacés. La condition de l’urgence était également donnée. Ils disposaient par ailleurs d’un intérêt légitime à ne pas se voir privés de la possibilité d’être sur le territoire de pays auquel ils avaient accès sans obtenir d’explications concrètes de l’OCPM, à ne pas perdre la gestion de société de la recourante et à ne pas subir l’ensemble des dommages auxquels ils s’exposeraient suite à l’exécution d’une décision notoirement disproportionnée et arbitraire. Ils avaient également un intérêt à ce que l’OCPM expliquât pourquoi les faits nouveaux invoqués n’étaient pas recevables. Avant que l’OCPM ne prononce leur renvoi, ils disposaient d’une autorisation d’établissement, respectivement d’une autorisation de séjour pour regroupement familial, ce qui justifiait d’autant plus la restitution de l’effet suspensif. Au surplus, un sursis à l’exécution du renvoi constituait un « aliud » admissible au regard de la jurisprudence.
Enfin, le traitement séparé des recours des différents membres de la famille était problématique tant il était important d’éviter de mettre à mal la vie familiale en séparant la famille et ainsi d’empêcher la survenant de dommages considérables pour certains membres de la famille pendant la procédure. Il était donc préférable de traiter tous les membres de la famille comme une unité familiale.
14. Par décision du 24 mai 2024 (DITAI/320/2024), le tribunal a rejeté la demande de jonction, d’effet suspensif et de mesures provisionnelles, ainsi que celle formée par les parents et le frère cadet de M. B______ (DITAI/318/2024, dans le cadre de la cause A/1363/2024).
15. Dans leur réplique du 1er juillet 2024, les recourants se sont prévalus de la modification de l’OEV au 1er janvier qui leur permettait de séjourner dans l’espace Schengen durant 90 jours sans visa. Il convenait que le tribunal tranche la question de savoir si ce changement constituait un fait nouveau.
Outre le fait de renvoyer de Suisse des personnes bien intégrées, actives et qui n’avaient commis aucune infraction, la décision de l’OCPM les séparait en les renvoyant dans des pays différents, ce qui posait de graves questions concernant le respect de leur vie familiale. Conformément à l’art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), celle-ci devait être protégée et toute décision d’expulsion devait procéder à une pesée des intérêts. Il en résultait que leur intérêt privé à maintenir leur unité familiale l’emportait sur l’intérêt public à leur expulsion.
16. Dans sa duplique du 16 juillet 2024, l’OCPM a fait part au tribunal qu’il n’avait pas d’observations complémentaires à formuler.
17. Par arrêts du 12 novembre 2024 (ATA/1331/2024 et ATA/1332/2024), en force, la chambre administrative a rejeté les recours interjetés à l’encontre de la DITAI/318/2024 et de la DITAI/320/2024 susmentionnées.
18. Le détail des pièces et des arguments des parties sera repris, ci-après, dans la mesure utile.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).
2. Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).
3. Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.
Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3).
4. Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b).
5. Selon l'art. 48 al. 1 LPA, les demandes en reconsidération de décisions prises par les autorités administratives sont recevables lorsqu'un motif de révision au sens de l'art. 80 let. a et b LPA existe (let. a) ou, alternativement, lorsque les circonstances se sont modifiées dans une mesure notable depuis la première décision (let. b). À teneur de l'al. 2, les demandes n'entraînent ni interruption de délai ni effet suspensif.
6. En l’occurrence, par décision du 22 novembre 2021, l’OCPM a constaté la caducité de l’autorisation d’établissement de M. B______, refusé de lui délivrer une nouvelle autorisation de séjour, révoqué l’autorisation de séjour pour regroupement familial de Mme A______ et prononcé leur renvoi de Suisse, ainsi que de l’espace Schengen. Cette décision a été confirmée en dernière instance par l’ATA/1081/2023 du 3 octobre 2023.
En conséquence, l’objet du litige devant le tribunal se limite à la question de savoir si les circonstances alléguées par les précités doivent contraindre l’autorité intimée à réexaminer leur situation.
7. L'autorité administrative qui a pris une décision entrée en force n'est obligée de la reconsidérer que si sont réalisées les conditions de l'art. 48 al. 1 LPA.
Une telle obligation existe lorsque la décision dont la reconsidération est demandée a été prise sous l'influence d'un crime ou d'un délit (art. 80 let. a LPA) ou que des faits ou des moyens de preuve nouveaux et importants existent, que le recourant ne pouvait connaître ou invoquer dans la procédure précédente (art. 80 let. b LPA ; faits nouveaux « anciens » ; ATA/539/2020 du 29 mai 2020 consid. 5b).
Elle existe également lorsque la situation du destinataire de la décision s'est notablement modifiée depuis la première décision (art. 48 al. 1 let. b LPA). Il faut entendre par là des faits nouveaux « nouveaux », c'est-à-dire survenus après la prise de la décision litigieuse, qui modifient de manière importante l'état de fait ou les bases juridiques sur lesquels l'autorité a fondé sa décision, justifiant par là sa remise en cause (ATA/347/2021 du 23 mars 2021 consid. 2). Pour qu'une telle condition soit réalisée, il faut que survienne une modification importante de l'état de fait ou des bases juridiques, ayant pour conséquence, malgré l'autorité de la chose jugée rattachée à la décision en force, que cette dernière doit être remise en question (ATA/539/2020 précité consid. 4b).
Bien que l'écoulement du temps et la poursuite d'une intégration socio-professionnelle constituent des modifications des circonstances, ces éléments ne peuvent pas être qualifiés de notables au sens de l'art. 48 let. b LPA lorsqu'ils résultent uniquement du fait que l'étranger ne s'est pas conformé à une décision initiale malgré son entrée en force (ATA/1239/2020 du 8 décembre 2020.
8. Une demande en reconsidération n'est pas un moyen de droit destiné à remettre indéfiniment en question les décisions administratives, ni à éluder les dispositions légales sur les délais de recours, de sorte qu'il y a lieu d'exclure le réexamen d'une décision de première instance entrée en force lorsqu'il tend à obtenir une nouvelle appréciation de faits déjà connus en procédure ordinaire ou lorsque le requérant le sollicite en se fondant sur des faits ou des moyens de preuve qui auraient pu et dû être invoqués dans la procédure ordinaire (ATF 136 II 177 consid. 2.1).
L'autorité doit seulement procéder à un nouvel examen si la loi le lui impose. Au-delà de cela, l'auteur de la demande de réexamen n'a aucun droit à obtenir une nouvelle décision, ni à exiger de l'autorité qu'elle procède à un nouvel examen (ATA/539/2020 du 29 mai 2020 consid. 5c).
9. La jurisprudence a déduit de l'art. 29 al. 1 et 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) l'obligation pour l'autorité administrative d'entrer en matière sur une demande en reconsidération, notamment lorsque, en cas de décision déployant des effets durables, les circonstances se sont modifiées dans une mesure notable depuis le prononcé de la décision matérielle mettant fin à la procédure ordinaire (« vrais nova » ; en droit genevois : art. 48 al. 1 let. b LPA), mais aussi si la situation juridique a changé de manière telle que l'on peut sérieusement s'attendre à ce qu'un résultat différent puisse se réaliser, étant précisé que l'état de fait déterminant doit essentiellement s'être modifié après le changement législatif (ATF 136 II 177 consid. 2.1 et 2.2.1).
10. Saisie d'une demande de réexamen, l'autorité doit procéder en deux étapes : elle examine d'abord la pertinence du fait nouveau invoqué, sans ouvrir d'instruction sur le fond du litige, et décide ou non d'entrer en matière. Un recours contre cette décision est ouvert, le contentieux étant limité uniquement à la question de savoir si le fait nouveau allégué doit contraindre l'autorité à réexaminer la situation (ATF 136 II 177 consid. 2.1). Si la juridiction de recours retient la survenance d'une modification des circonstances, elle doit renvoyer le dossier à l'intimé afin que celui-ci le reconsidère (Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, n. 2148), ce qui n'impliquera pas nécessairement que la décision d'origine sera modifiée (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 1429).
11. En droit des étrangers, le résultat est identique que l'on parle de demande de réexamen ou de nouvelle demande d'autorisation : l'autorité administrative, laquelle se base sur l'état de fait actuel, qui traiterait une requête comme une nouvelle demande, n'octroiera pas une autorisation de séjour dans un cas où elle l'a refusée auparavant si la situation n'a pas changé ; et si la situation a changé, les conditions posées au réexamen seront en principe remplies (arrêt du Tribunal fédéral 2C_715/2011 du 2 mai 2012 consid. 4.2).
12. Selon le Tribunal fédéral (arrêt 2C_1010/2011 du 31 janvier 2012 consid. 2.2), une modification ultérieure de la pratique ou de la jurisprudence ne constitue en règle générale pas une raison suffisante pour réexaminer une décision. Exceptionnellement, un changement de jurisprudence peut entraîner la modification d'une décision entrée en force lorsque la nouvelle jurisprudence a une telle portée générale qu'il serait contraire au droit à l'égalité de ne pas l'appliquer dans tous les cas en maintenant une ancienne décision. Cependant, le recourant n'est en droit d'exiger un réexamen que dans la mesure où il démontre dans quelle mesure le nouveau droit doit conduire à un autre résultat.
13. Sous l'angle étroit de la protection de la vie privée, l'art. 8 CEDH ouvre le droit à une autorisation de séjour, mais à des conditions restrictives, l'étranger devant établir l'existence de liens sociaux et professionnels spécialement intenses avec la Suisse, notablement supérieurs à ceux qui résultent d'une intégration ordinaire (arrêt du Tribunal fédéral 6B_255/2020 du 6 mai 2020 consid. 1.2.2).
Lorsque l'étranger réside légalement depuis plus de dix ans en Suisse, il y a lieu de partir de l'idée que les liens sociaux qu'il y a développés sont suffisamment étroits pour qu'il bénéficie d'un droit au respect de sa vie privée ; lorsque la durée de la résidence est inférieure à dix ans, mais que l'étranger fait preuve d'une forte intégration en Suisse, le refus de prolonger ou la révocation de l'autorisation de rester en Suisse peut également porter atteinte au droit au respect de la vie privée (ATF 144 I 266). Les années passées en Suisse dans l'illégalité ou au bénéfice d'une simple tolérance – par exemple en raison de l'effet suspensif attaché à des procédures de recours – ne sont pas déterminantes (arrêt du Tribunal fédéral 2C_603/2019 du 16 décembre 2019 consid. 6.2).
14. En l’espèce, l’amélioration de l’intégration des recourants depuis que la décision du 22 novembre 2021 a été rendue ne constitue pas un fait nouveau, mais découle simplement du temps qui s’est écoulé depuis lors. Dès lors, ils ne s’auraient en tirer aucun avantage.
Dans son arrêt du 3 octobre 2023, la chambre administrative a déjà examiné – et écarté – leur grief relatif à l’absence de toute inscription dans leur casier judiciaire respectif, ainsi que celui ayant trait à une éventuelle séparation résultant de leur nationalité différente.
Le fait qu’en cas de renvoi, la recourante ne serait plus en mesure de gérer sa société, dont les employés se retrouveraient au chômage, ne constitue pas un fait nouveau, car une telle argumentation pouvait déjà être invoquée dans la procédure ordinaire de recours à l’encontre de la décision du 22 novembre 2021.
Les recourants se prévalent de la modification de l’OEV, entrée en vigueur au 1er janvier 2024. À partir de cette date, les ressortissants albanais et kosovars n’ont plus besoin de visa pour séjourner en Suisse et dans l’espace Schengen pour un séjour n’excédant pas 90 jours. Cette novelle ne leur est d’aucun secours. En effet, l’OCPM, dans sa décision du 22 novembre 2021, a constaté la caducité de l’autorisation d’établissement de M. B______ et a révoqué l’autorisation de séjour pour regroupement familial de Mme A______. En d’autres termes, l’autorité intimée n’a pas justifié leur renvoi au motif qu’ils étaient démunis d’un quelconque document – tel qu’un visa – leur permettant de résider en Suisse. Dès lors, même si à l’époque, ils avaient été autorisés à séjourner sans visa sur le territoire helvétique durant moins de 90 jours, l’OCPM n’aurait pas rendu une décision différente. Au surplus, même après le 1er janvier 2024, les Albanais et les Kosovars restent soumis à l’obligation de visa dès le premier jour où ils exercent une activité lucrative (OEV, annexe 2) ; il en va de même lorsqu’ils entendent séjourner en Suisse durant plus de 90 jours (art. 9 al. 1 OEV).
Enfin, les recourants ne peuvent tirer aucun bénéfice de l’art. 8 CEDH. En effet, il découle de l’arrêt de la chambre administrative du 3 octobre 2023 qu’aucun d’eux n’a résidé en toute légalité en Suisse durant plus de dix ans, pas plus qu’ils ne peuvent se prévaloir d’une intégration professionnelle exceptionnelle.
15. Ne reposant sur aucun motif valable, le recours doit être rejeté.
16. En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, pris conjointement et solidairement, qui succombent, sont condamnés au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est partiellement couvert par l’avance de frais versée de CHF 500.- à la suite du dépôt du recours. Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).
17. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d'État aux migrations.
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable le recours interjeté le 22 avril 2024 par Madame A______ et Monsieur B______ contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 21 mars 2024 ;
2. le rejette ;
3. met à la charge de Madame A______ et Monsieur B______, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 700.-, lequel est partiellement couvert par l'avance de frais de CHF 500.- ;
4. dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
5. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Sophie CORNIOLEY BERGER
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.
Genève, le |
| La greffière |