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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/97/2024

JTAPI/609/2024 du 24.06.2024 ( ICCIFD ) , REJETE

Descripteurs : ACTIVITÉ LUCRATIVE INDÉPENDANTE;IMPUTATION DES PERTES;ÉTAT ÉTRANGER;CALCUL DE L'IMPÔT;CHOSE JUGÉE;ÉTANCHÉITÉ;AMORTISSEMENT(DROIT FISCAL);CONVENTION DE DOUBLE IMPOSITION
Normes : LIFD.27; LIFD.31.al1; LIPP.30; LIFD.6; LIPP.5; LIFD.28.al1; LIPP.30.letd
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/97/2024 ICCIFD

JTAPI/609/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 24 juin 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______ et Madame B______, représentés par Me Per PROD’HOM, avocat, avec élection de domicile

 

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             Le litige porte sur la taxation 2021 de Monsieur A______ et de Madame B______ (ci-après : les contribuables ou les recourants).

2.             La contribuable a exploité de 2015 à 2021 une entreprise individuelle de taxi à C______ (Espagne), ville dans laquelle elle a été domiciliée jusqu’au 1er août 2021 avant de se domicilier à Genève. Elle y a également eu une activité dépendante jusqu’en 2020.

3.             A teneur de l’avis de répartition internationale joint à la taxation ICC 2016 des recourants, la contribuable a perçu, cette année-là, un revenu d’activité dépendante de CHF 38'153.- en Espagne, dont ont été soustraits des déductions d’activité dépendante de CHF 5'879.- et une perte commerciale de CHF 67'652.- relative à son activité indépendante, soit un solde négatif de CHF  35'380.-. Le revenu imposable en CHF 358'965.- réalisé par les contribuables à Genève a dès lors été imposé au même taux qu’un revenu de CHF 323'585.-.

4.             A teneur de l’avis de répartition internationale joint à la taxation ICC 2017 des recourants, la contribuable a perçu, cette année-là, un revenu d’activité dépendante de CHF 38'906.- en Espagne, dont ont été soustraits des déductions d’activité dépendante de CHF 6'342.- et une perte commerciale de CHF 40'772.- relative à son activité indépendante, soit un solde négatif de CHF 8'214.-. Le revenu imposable en CHF 53'120.- réalisé par les contribuables à Genève a dès lors été imposé au même taux qu’un revenu de CHF 44'906.-.

5.             A teneur de l’avis de répartition internationale joint à la taxation 2018 des recourants, la contribuable a notamment perçu, cette année-là, un revenu d’activité dépendante de CHF 40'421.- en Espagne, dont ont été soustraits des déductions d’activité dépendante de CHF 6'569.- et une perte commerciale de CHF 51'560.- relative à son activité indépendante, soit un solde négatif de CHF 6'575.-. Le revenu imposable en CHF 61'914.- réalisé par les contribuables à Genève a dès lors été imposé au même taux qu’un revenu de CHF 55'339.-.

6.             Dans leur déclaration fiscale 2019, les contribuables ont notamment fait valoir, s’agissant de l’activité indépendante de l’épouse à C______, une perte commerciale de CHF 33'638.- et des « pertes non compensées » de CHF 159'984.- correspondant aux pertes reportées des exercices précédents. L’AFC-GE a refusé de prendre ces pertes en compte au motif que l’activité indépendante de l’épouse était déficitaire depuis 2015 et ne pouvait pas être qualifiée de lucrative. Les dépenses y relatives n’étaient dès lors pas déductibles.

7.             Le contribuable a formé réclamation puis recours à l’encontre de la décision de l’AFC-GE. Il a fait valoir, en substance, que l’activité de son épouse en Espagne constituait une activité lucrative indépendante. Il revendiquait dès lors la déduction d’une perte commerciale pour l’exercice 2019 de CHF 33'638.- et d’une perte des exercices antérieurs à hauteur de CHF 6'575.-, soit la perte « non utilisée » admise par l’AFC-GE en 2018.

8.             Par jugement JTAPI/852/2021 du 30 août 2021, le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) a rejeté le recours du contribuable au motif que le caractère lucratif de l’activité indépendante de l’épouse devait être nié.

9.             Sur recours du contribuable, la chambre administrative de la Cour de justice a annulé le jugement du tribunal et les décisions de l’AFC-GE en tant qu’ils portaient sur la déduction des pertes commerciales et renvoyé la cause à l’AFC-GE pour nouvelle décision au sens des considérants (ATA/1203/2021 du 9 novembre 2021). Elle a considéré, en substance, que le caractère lucratif de l'activité indépendante de l'épouse devait être admis et qu’il en allait de même de la déductibilité des pertes qui y étaient liées.

10.         Suite à l’arrêt susmentionné, l’AFC-GE a rendu, le 21 mars 2022, de nouvelles décisions de taxation pour l’année 2019. A teneur de l’avis de répartition internationale joint à ces décisions, la contribuable avait perçu, en 2019, un revenu d’activité dépendante en Espagne de CHF 55'624.- dont avaient été soustraits des déductions d’activité dépendante de CHF 2'168.- et une perte commerciale de CHF 40'213.- relative à son activité indépendante. Ce dernier montant correspondait à l’addition de la perte commerciale 2019 en CHF 33'638.- et de la perte « non utilisée » de CHF 6'575.- revendiquée par le contribuable dans le cadre de son recours.

Après prise en compte des déductions sociales de la contribuable, il subsistait un solde positif de CHF 10'603.-. Le revenu imposable en CHF 66'012.- réalisé par le contribuable à Genève a dès lors été imposé au taux de CHF 76'615.-.

11.         A teneur de ses comptes de pertes et profits 2020, l’activité indépendante de la contribuable en Espagne a généré, cette année-là, un bénéfice net avant amortissement de CHF 3'620.-. Après un amortissement de CHF 26'925.- correspondant à la dépréciation des taxis et des licences d’exploitation, l’exercice s’est soldé par une perte commerciale de CHF 23'305.-. Cet amortissement n’a toutefois pas été pris en compte dans les décisions de taxation ICC et IFD 2020, lesquelles ont arrêté le bénéfice net de la contribuable à CHF 3'620.-.

L’avis de répartition internationale joint à la taxation 2020 faisait ainsi état, pour la contribuable, d’un revenu d’activité dépendante de CHF 53'523.- et d’un revenu d’activité indépendante de CHF 3'620.- en Espagne. Une fois les déductions sociales et d’activité dépendante opérées, il subsistait un gain de CHF 31'742.-. Le revenu imposable en CHF 76'980.- réalisé par le contribuable à Genève était dès lors imposé au même taux qu’un revenu de CHF 108'722.-.

Cette taxation n’a pas été contestée et est entrée en force.

12.         En 2021, les contribuables ont déclaré, s’agissant de l’activité indépendante de l’épouse en Espagne, un chiffre d’affaires brut de CHF 273'032.- provenant principalement de la vente des taxis et des licences y afférentes. Ils ont également déclaré, en rapport avec cette activité, des charges commerciales de CHF 65'831.- ne comportant aucun amortissement. Il en résultait un bénéfice net de l’activité indépendante de CHF 207'201.- et de CHF 164'145.- une fois les déductions sociales opérées. Des pertes commerciales non compensées de CHF 216'928.- étaient également annoncées.

13.         Par bordereaux ICC et IFD du 20 octobre 2023, les contribuables ont été taxés, pour l’ICC 2021, sur un revenu de CHF 167'816 - au taux de CHF 331'961.- (compte tenu du revenu imposable de CHF 164'145.- réalisé en Espagne), respectivement sur un revenu de CHF 181'600.- au taux de CHF 370'900.- pour l’IFD 2021.

Ils ont également été taxés sur une fortune de CHF 3'060'220.- au taux de CHF 3'069'797.-, compte tenu des actifs bruts qu’ils possédaient en Espagne.

14.         Le 14 novembre 2023, les contribuables ont formé une réclamation à l’encontre de leurs taxations ICC et IFD 2021.

S’agissant du seul élément encore litigieux à ce stade de la procédure, ils ont fait valoir que leur activité indépendante de gestion de taxis en Espagne avait été déficitaire pendant plusieurs années, raison pour laquelle ils avaient débattu avec l’AFC-GE de la possibilité de déduire les pertes y relatives. L’AFC-GE avait finalement accepté « le principe de la déduction », notamment dans les bordereaux corrigés 2019 qui avaient été émis en 2022. Dans l’intervalle, ils avaient réalisé un bénéfice de CHF 207'202.- en 2021 grâce à la vente de leurs taxis. Considérant que le principe de la déduction était désormais acquis, ils pouvaient encore se prévaloir des pertes passées qu’ils n’avaient pas pu déduire à ce jour. Celles-ci s’élevaient à CHF 70'519.- (soit CHF 35'380.- en 2016, CHF 8'214.- en 2017, CHF 0.- 2018, compensé en 2019, CHF 0.- en 2019 et CHF 26'925.- en 2020).

Ils précisaient à cet égard avoir sollicité, dans leur déclaration fiscale 2021, une déduction des pertes liées aux exercices précédents à hauteur de CHF 216'928.-. Considérant qu’une partie des pertes avait déjà été utilisée pour calculer leur taux d’imposition, ils limitaient toutefois leur prétention « à voir les pertes passées compensées pour le montant susmentionné de CHF 70'519.- ».

L’amortissement de CHF 26'925.-, auquel ils avaient procédé en 2020 mais que l’AFC-GE n’avait pas pris en considération, devait également être déduit de leurs revenus 2021. Les taxis avaient en effet été vendus en 2021. Il subsistait dès lors « un prix d’achat résiduel d’un point de vue fiscal de CHF 26'925.- », lequel devait être déduit du prix de vente pour fixer le bénéfice.

15.         Par décisions sur réclamation du 6 décembre 2023, l’AFC-GE a rejeté les prétentions des recourants relatives à la déduction des pertes mentionnées ci-dessus.

Les pertes commerciales des années 2016 et 2017 avaient bien été prises en considération dans les taxations des années concernées. L’art. 5 al. 4 de la loi genevoise sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08) prévoyait que les pertes subies à l’étranger ne devaient être prises en considération en Suisse que pour le calcul du taux de l’impôt. Les excédents négatifs de source étrangère qui ne pouvaient être compensés par d’autres revenus positifs de source étrangère n’influençaient dès lors que le taux d’imposition. Les pertes dont les contribuables demandaient la déduction étaient des pertes de répartition et non des pertes commerciales non compensées. De plus, la décision rendue le 21 mars 2022 ne pouvait avoir valeur de précédent. L’amortissement de CHF 26'925.- ne pouvait en outre être pris en considération en raison de l’étanchéité des exercices.

16.         Par bordereau ICC et IFD du 6 décembre 2023, les contribuables ont été taxés sur un revenu imposable de CHF 164'983.- au taux de CHF 328'807.- pour l’ICC 2021, respectivement sur un revenu imposable de CHF 178'600.- au taux de CHF 367'800.- pour l’IFD 2021.

17.         Les contribuables ont recouru contre ces décisions auprès du tribunal le 29 décembre 2023. Ils ont conclu à l’annulation desdites décisions et au renvoi de la cause à l’AFC-GE afin que celle-ci émette de nouveaux bordereaux dans le sens des considérants.

Les pertes non compensées durant les sept exercices précédents ainsi que les amortissements justifiés par l’usage commercial pouvaient être déduits du revenu de l’activité indépendante. En l’espèce, les pertes « non prises en compte dans le passé » s’élevaient à CHF 35'380.- en 2016 et à CHF 8'214.- en 2017. Ces pertes remontant à moins de sept ans et n’ayant pas encore été compensées, elles pouvaient être « déduites pour le calcul du taux d’impôt et pour le calcul de la répartition des déductions ».

L’amortissement de CHF 26'926.- qu’ils avaient comptabilisé en 2020 n’avait en outre pas été déduit du revenu imposable de l’année en question. Ils ne contestaient plus que ce montant « n’était pas reportable à titre de perte non compensée en raison de l’étanchéité des périodes ». Ils considéraient en revanche que lorsque leurs deux taxis avaient été vendus en 2021, les états financiers fiscaux devaient refléter un amortissement de CHF 26'926.- correspondant à leur valeur résiduelle. Ce montant pouvait être déduit des recettes de CHF 273'032.- provenant de la vente des taxis et des licences d’exploitation.

18.         Dans sa réponse du 2 avril 2024, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Conformément aux art. 5 al. 4 LIPP et 6 al. 3 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11), les pertes subies à l'étranger ne devaient être prises en considération en Suisse que lors de la détermination du taux d'imposition. Les recourants reconnaissaient d’ailleurs ce point dès lors qu’ils indiquaient dans leur recours que ces pertes pouvaient être déduites pour le calcul du taux d'impôt et pour la répartition des déductions. Or, dans le cas d’espèce, il découlait des avis de répartition internationale que ces pertes avaient bien été prises en compte pour fixer le taux d’imposition des recourants. En 2021, il n’y avait dès lors plus aucune perte à reporter. Le premier grief devait donc être écarté.

Les recourants ne pouvaient en outre prétendre à ce que l’amortissement de CHF 26'925.- comptabilisé en 2020 soit admis durant la période fiscale 2021. Celui-ci n’avait pas été retenu dans les taxations ICC et IFD 2020 du 1er mars 2023, lesquelles étaient entrées en force. Une prise en compte de cet amortissement dans les taxations 2021 serait dès lors contraire aux principes d’étanchéité des exercices et de périodicité de l’impôt.

19.         Les contribuables n’ont pas répliqué.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’AFC-GE (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 LIFD).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             Le litige porte sur la déductibilité des pertes « non compensées » de l’activité indépendante de la recourante des années 2016 et 2017 dans le cadre de la taxation IFD et ICC 2021.

4.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il n’est lié ni par les motifs invoqués par les parties (cf. art. 69 al. 1 LPA cum art. 2 al. 2 LPFisc ; cf. également art. 51 al. 1 LPFisc), ni par leur argumentation juridique (cf. ATA/585/2015 du 9 juin 2015 ; ATA/285/2013 du 7 mai 2013 ; ATA/402/2012 du 26 juin 2012).

5.             La question étant traitée de manière semblable en droit fédéral et en droit cantonal, le présent arrêt traite simultanément des deux impôts, comme cela est admis par la jurisprudence (ATF 135 II 260 consid. 1.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_662/2014 du 25 avril 2015 consid. 1 et 2C_394/2013 du 24 octobre 2013 consid. 1.1).

6.             Les recourants font en substance valoir qu’ils ont subi des pertes de CHF 35'380.- en 2016 et de CHF 8'214.- en 2017 qui n’ont pas encore été compensées. L’AFC-GE aurait dès lors dû prendre ces pertes en considération pour déterminer leur taux d’imposition en 2021.

7.             L’art. 3 al. 1 LIFD dispose que les personnes physiques sont assujetties à l'impôt à raison du rattachement personnel lorsque, au regard du droit fiscal, elles sont domiciliées ou séjournent en Suisse.

Cette disposition a son pendant, en droit cantonal, à l'art. 2 al. 1 à 3 de la loi du 27 septembre 2009 sur l'imposition des personnes physiques (LIPP - RS D 3 08).

8.             L'impôt sur le revenu des personnes physiques a pour objet tous les revenus du contribuable, qu'ils soient uniques ou périodiques (art. 16 al. 1 LIFD ; art. 17 LIPP). Est notamment imposable le produit de l'activité lucrative indépendante (art. 18 LIFD ; art. 19 al. 1 LIPP).

Le revenu net se calcule en défalquant du total des revenus imposables les déductions générales et les frais mentionnés aux art. 26 à 33a LIFD (art. 25 LIFD). Dans le cadre de l'imposition du revenu d'une activité lucrative indépendante, peuvent être déduits les frais qui sont justifiés par l'usage commercial ou professionnel (art. 27 al. 1 LIFD). Font notamment partie de ces frais, les pertes effectives sur des éléments de la fortune commerciale, à condition qu'elles aient été comptabilisées (art. 27 al. 2 let. b LIFD). À ce propos, l'art. 31 al. 1 LIFD (anciennement l’art. 211 LIFD) dispose que les pertes des sept exercices précédant la période fiscale (art. 40 LIFD) peuvent être déduites pour autant qu'elles n'aient pas pu être prises en considération lors du calcul du revenu imposable des années concernées. Ces dispositions ont leur pendant en droit cantonal à l’art. 30 LIPP.

9.             Les pertes dont le report est demandé ne peuvent être déduites du revenu (ou du bénéfice) imposable du contribuable que si elles n'ont pas pu être compensées avec des revenus (ou des bénéfices) les années précédentes. Le contribuable ne peut pas choisir à son bon vouloir le moment du report de pertes ; celles-ci doivent venir en déduction du revenu (ou du bénéfice) dès que possible (arrêt du Tribunal fédéral 2C_189/2016 et 2C_190/2016 du 13 février 2017 consid. 6.4.3 et les références citées).

10.         Selon l’art. 6 al. 1 LIFD, l’assujettissement fondé sur un rattachement personnel est illimité; il ne s’étend toutefois pas aux entreprises, aux établissements stables et aux immeubles situés à l'étranger.

En vertu de l’alinéa 3 de cette disposition, l'étendue de l'assujettissement pour une entreprise, un établissement stable ou un immeuble est définie, dans les relations internationales, conformément aux règles du droit fédéral concernant l'interdiction de la double imposition intercantonale (1ère phrase). Si une entreprise suisse compense, sur la base du droit interne, les pertes subies à l'étranger par un établissement stable avec des revenus obtenus en Suisse et que cet établissement stable enregistre des gains au cours des sept années qui suivent, il faut procéder à une révision de la taxation initiale, à concurrence du montant des gains compensés auprès de l'établissement stable; dans ce cas, la perte subie par l'établissement stable à l'étranger ne devra être prise en considération, a posteriori, que pour déterminer le taux de l'impôt en Suisse (2ème phrase). Dans toutes les autres hypothèses, les pertes subies à l'étranger ne doivent être prises en considération en Suisse que lors de la détermination du taux de l'impôt (3ème phrase). Les dispositions prévues dans les conventions visant à éviter la double imposition sont réservées (4ème phrase).

L’art. 6 al. 1 et 3 LIFD a son pendant en droit cantonal à l’art. 5 al. 1, 3 et 4 LIPP.

11.         L’art. 6 al. 3 LIFD concerne les personnes assujetties de manière illimitée en Suisse à raison du rattachement personnel fondé sur le domicile ou le séjour, lorsque l’étendue de leur assujettissement n’est que partielle, ne s’étend pas aux entreprises, aux établissements stables et aux immeubles situés à l’étranger (Jean-Blaise PASCHOUD/Daniel DE VRIES REILINGH, in Commentaire romand Impôt fédéral direct, 2ème éd. 2017, n. 22 s. ad art. 6 LIFD).

Selon l’art. 6 al. 3, 1ère phrase, l’étendue de l’assujettissement pour une entreprise, un établissement stable ou un immeuble est définie, dans les relations internationales, conformément aux règles de droit fédéral concernant l’interdiction de la double imposition intercantonale. L’art. 6, al. 3, 2ème phrase pose le principe d’une prise en compte provisoire par l’entreprise suisse d’une perte d’un établissement stable à l’étranger et de la révision de la taxation en cas d’imputation de cette perte sur les bénéfices ultérieurs de cet établissement. La troisième phrase de l’art. 6 al. 3 exclut toute autre prise en considération de pertes étrangères, si ce n’est pour le taux d’imposition du revenu imposable en Suisse. Enfin, l’art. 6 al. 3, dernière phrase, réserve les dispositions des conventions de double imposition (PASCHOUD/DE VRIES REILINGH, op. cit., n. 22 s. ad art. 6 LIFD).

L’art. 6 al. 3, 3ème phrase, prescrit que dans toutes les autres hypothèses que celle visée à l’art. 6 al. 3, 2ème phrase, les pertes subies à l’étranger ne doivent être prises en considération en Suisse que pour la détermination du taux de l’impôt. Le montant de ces pertes est fixé selon le droit suisse. Selon la doctrine majoritaire, la notion de « pertes subies à l’étranger » de l’art. 6 al. 3, 3ème phrase, englobe tous les résultats négatifs réalisés à l’étranger autres que les pertes subies par un établissement stable d’une entreprise suisse, lesquelles sont envisagées par la 2ème phrase de l’art. 6 al. 3 (PASCHOUD/DE VRIES REILINGH, op. cit., n. 35 s. ad art. 6 LIFD et les références citées).

12.         Dans un arrêt publié du 28 mars 2014, le Tribunal fédéral a précisé quelles étaient les possibilités de report d’une perte encourue à l’étranger (ATF 140 II 248, RDAF 2014 II 537).

La question d'espèce était la compensation de pertes encourues en 2006 par les recourants dans l'exploitation de deux sociétés de personnes en Allemagne. Pour la période fiscale suivante, les contribuables revendiquaient la déduction de ces pertes pour le taux (et pas pour l'assiette), étant précisé que ces pertes étaient attestées et n'avaient pas été compensées par un gain ultérieur. Le fisc refusait ce report de pertes en indiquant que seule une compensation durant l'exercice était possible. Il estimait en effet que les exploitations allemandes ne constituaient pas des établissements stables d'une entreprise suisse, que c'était par conséquent une « autre hypothèse » (art. 6 al. 3 in fine LIFD) et que la compensation des pertes était exclue, sauf pour le taux durant l'année où elles étaient encourues (Raphaël GANI, Déductions sur plusieurs périodes fiscales de pertes subies à l'étranger – ATF 140 II 248 du 28 mars 2014, RDAF 2015 II 73).

Le Tribunal fédéral a toutefois considéré que l'art. 6 al. 3 LIFD reconnaissait expressément, en principe également dans les relations internationales, la compensation d'une perte lors de la détermination du taux de l'impôt, sans limiter la compensation de cette perte à une seule période fiscale. Il n'en allait pas différemment dans les relations internationales que dans les rapports intercantonaux; par conséquent, au sens de l'art. 211 LIFD (remplacé dans l’intervalle par l’art. 31 LIFD), les pertes des sept exercices précédant la période fiscale pouvaient être déduites, à condition qu'elles n'aient pas été prises en considération lors du calcul du revenu imposable (respectivement du taux de l'impôt) de ces années (ibid.).

13.         Selon l'art. 7 ch.1 de la convention entre la Suisse et l’Espagne en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune du 26 avril 1966 (RS 0.672.933.21), les bénéfices d'une entreprise d'un État contractant ne sont imposables que dans cet État, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre État contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre État, mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables audit établissement stable.

14.         Une taxation en matière d’impôts directs n’acquiert l'autorité de la chose jugée que pour la période fiscale concernée ; les circonstances de fait et celles de droit peuvent être appréciées différemment lors d'une période de taxation ultérieure (ATF 140 I 114 consid. 2.4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_249/2019 du 6 mai 2019 consid. 5).

En matière fiscale, en application du principe de l'étanchéité (ou de l'indépendance) des exercices comptables et des périodes fiscales, l'autorité n'est pas liée pour l'avenir par une taxation notifiée pour une période fiscale déterminée; à défaut, elle risquerait de se trouver indéfiniment liée par une erreur ou une omission qu'elle aurait pu commettre initialement (arrêt du Tribunal fédéral 2C_383/2011 du 31 octobre 2011 consid. 3.3).

15.         En l’espèce, il est acquis que les recourants étaient domiciliés en Suisse au 31 décembre 2021, de sorte qu’ils y étaient imposables sur l’intégralité de leurs revenus, y compris ceux de source étrangère, puisque l'assujettissement fondé sur un rattachement personnel est illimité. Faisaient toutefois exception les revenus provenant du service de taxis exploité par la recourante en Espagne. Celui-ci constituait une entreprise située à l’étranger au sens de l’art. 6 al. 1 LIFD, de sorte que les revenus en découlant n’étaient pas imposés en Suisse. La convention de double imposition conclue entre la Suisse et l’Espagne n’aboutit pas à une autre solution dans le cas présent.

Est en revanche litigieuse la question de savoir si, et cas échéant dans quelle mesure, les pertes engendrées par l’activité indépendante susmentionnée pouvaient être prises en considération dans le cadre de l’imposition du couple à Genève.

A cet égard, les précités ne prétendent pas qu’il y aurait lieu de prendre en compte les pertes subies à l’étranger par l’entreprise individuelle de la recourante dans le calcul de leur revenu imposable. Ils revendiquent uniquement la prise en considération desdites pertes pour la détermination de leur taux d’imposition conformément à l’art. 6 al. 3 3ème phr. LIFD, plus précisément celle des pertes qui n’auraient pas été prises en compte dans le passé, à savoir lors des exercices 2016 et 2017.

Il résulte toutefois des avis de répartition internationale produits par l’AFC-GE que les pertes commerciales de CHF 67'652.- et CHF 40'772.- subies par la recourante en 2016 et 2017 ont tout d’abord été déduites des revenus d’activité dépendante qu’elle a réalisés durant ces années. Les soldes en résultant, à savoir CHF 35'380.- en 2016 et de CHF 8'214.-, ont ensuite été déduits des revenus réalisés par le recourant en Suisse afin de déterminer le taux d’imposition du couple pour les années concernées, ainsi que le prévoit l’art. 6 al. 3, 3ème phrase LIFD.

En sollicitant la déduction des montants précités de leurs revenus d’activité indépendante en Espagne pour la détermination de leur taux d’imposition 2021, les recourants tentent dès lors de se prévaloir de pertes déjà prises en considération pour la détermination de leur taux d’imposition dans le passé. Or, si la jurisprudence admet la prise en compte de pertes commerciales reportées pendant une période de sept ans dans le cadre de l’application de l’art. 6 al. 3, 3ème phrase LIFD, elle prévoit expressément qu’une telle prise en considération n’est possible qu’à condition que ces pertes n’aient pas encore été prises en considération pour la détermination du taux de l’impôt de ces années, ce qui est précisément advenu dans le cas d’espèce. C’est par conséquent à bon droit que l’AFC-GE a refusé de prendre en compte les pertes en question pour déterminer le taux d’imposition 2021 des recourants.

Les recourants ne sauraient au surplus prétendre à une telle prise en compte au motif que l’AFC-GE avait « admis le principe de la déduction pour 2019 ». Il résulte certes du dossier qu’à la suite du recours qu’ils ont interjeté contre leur taxation 2019, la Chambre administrative a admis le caractère lucratif de l’activité indépendante de la recourante en Espagne, annulé ladite taxation et renvoyé la cause à l’AFC-GE pour prise en compte des pertes liées à cette activité. Lorsqu’elle a repris la taxation 2019 des recourants, l’AFC-GE a cependant inféré à tort de cet arrêt qu’elle devait déduire du revenu d’activité indépendante de la recourante non seulement la perte commerciale de CHF 33'638.- essuyée en 2019, mais également la perte de répartition – selon les termes employés par l’AFC-GE dans sa réponse du 2 avril 2024 – en CHF 6'575.- de l’année 2018. Rien de tel ne résultait en effet de l’arrêt de la chambre. Un tel procédé était en outre contraire aux principes rappelés ci-dessus qui excluent précisément la prise en compte des mêmes pertes d’une année à l’autre. Leur taxation 2019 n’ayant force de chose décidée que pour l’année en question, les recourants ne sauraient dès lors déduire un quelconque droit de ce précédent erroné.

Le recours sera par conséquent rejeté en tant qu’il sollicite la prise en considération des pertes de répartition des années 2016 et 2017 pour la détermination du taux d’imposition 2021 des recourants.

16.         Les recourants font valoir en second lieu que la valeur résiduelle de CHF 26'926.- des deux taxis vendus en 2021 pouvait être déduite du chiffre d’affaires de CHF 272'032.- réalisé durant l’année en question.

17.         À teneur de l’art. 27 al. 1er LIFD, les contribuables exerçant une activité lucrative indépendante peuvent déduire les frais qui sont justifiés par l’usage commercial ou professionnel. Font notamment partie de ces frais les amortissements et les provisions au sens des art. 28 et 29 LIFD (art. 27 al. 2 let. a LIFD). L’art. 28 al. 1 LIFD prévoit que les amortissements des actifs justifiés par l’usage commercial sont autorisés, à condition qu’ils soient comptabilisés ou, en cas de tenue d’une comptabilité simplifiée en vertu de l’art. 957, al. 2, CO, qu’ils apparaissent dans un plan spécial d’amortissements. Il en va de même en droit cantonal (cf. art. 30 let. d LIPP).

18.         En vertu des principes de l'étanchéité des exercices et de la périodicité de l'impôt, chaque exercice est considéré comme un tout autonome, sans que le résultat d'un exercice puisse avoir une influence sur les suivants, et le contribuable ne saurait choisir au cours de quelle année fiscale il fait valoir les déductions autorisées. Les déductions doivent être demandées dans la déclaration d'impôts de l'année au cours de laquelle les faits justifiant l'octroi des déductions se sont produits (ATA/1637/2019 du 5 novembre 2019 consid. 8a ; ATA/1470/2017 du 14 novembre 2017 consid. 5d ; ATA/547/2012 du 21 août 2012 consid. 6) ; plus généralement, les deux principes précités impliquent que tous les revenus effectivement réalisés ainsi que tous les frais engagés durant la période fiscale en cause sont déterminants pour la taxation de cette période (arrêt du Tribunal fédéral 2C_87/2015 du 23 octobre 2015 consid. 8.1.2 et les références citées ; Message concernant les lois fédérales sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes ainsi que sur l'impôt fédéral du 25 mai 1983, FF 1983 III p. 177).

19.         En l’espèce, l’amortissement que la recourante souhaite déduire de son revenu d’activité indépendante 2021 se rapporte à l’année 2020 et la précitée en avait déjà demandé la déduction à ce moment, déduction qui n’a toutefois pas été admise par l’AFC-GE dans le cadre de la taxation 2020, sans que l’on sache pourquoi. Les principes d’étanchéité et de périodicité s’opposent toutefois à ce que la recourante porte à nouveau en déduction de ses revenus 2021 un amortissement se rapportant à l’exercice fiscal précédent. Si elle souhaitait qu’il soit tenu compte de cet amortissement, il lui incombait en réalité de former réclamation à l’encontre de sa taxation 2020, ce qu’elle n’a pas fait.

Indépendamment de ce qui précède, une déduction de la valeur résiduelle des taxis des revenus réalisés par la recourante en 2021 n’entre pas non plus en considération dès lors qu’elle ne figure pas dans les comptes de l’année en question.

Au vu de ce qui précède, c’est à bon droit que l’AFC-GE a refusé de déduire la somme de CHF 26'926.- des revenus d’activité indépendante 2021 de la recourante. Le recours sera par conséquent également rejeté sur ce point.

20.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, pris conjointement et solidairement, qui succombent, sont condamnés au paiement d’un émolument s’élevant à CHF 700.-, lequel est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 3 janvier 2024 par Monsieur A______ et Madame B______ contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale du 6 décembre 2023 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l’avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Laetitia MEIER DROZ, président, Pascal DE LUCIA et Philippe FONTAINE, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Laetitia MEIER DROZ

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière