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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/1377/2025

ACST/23/2025 du 02.06.2025 ( ELEVOT ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1377/2025-ELEVOT ACST/23/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 2 juin 2025

 

dans la cause

 

Nicolas AUBERT, El Hachmi BENMANSOUR, Djawed SANGDEL et ASSOCIATION LIBERTÉS ET JUSTICE SOCIALE recourants
représentés par Me Stéphane GRODECKI, avocat

contre

CONSEIL D'ÉTAT intimé



EN FAIT

A. a. L'association Libertés et justice sociale (ci-après : LJS) est un mouvement politique créé le 15 mai 2023 et dont le siège se trouve à Genève.

b. Nicolas AUBERT, El Hachmi BENMANSOUR et Djawed SANGDEL, tous de nationalité suisse, sont domiciliés à Vernier.

B. a. Le 23 mars 2025 s'est déroulée l'élection des conseils municipaux et administratifs des communes genevoises.

b. À Vernier, les résultats du premier tour de l'élection du conseil administratif (trois sièges à pourvoir) étaient les suivants :

-          Martin STAUB de la liste n° 3 « Socialistes-Vert.e.s » (3'462 suffrages) ;

-          Mathias BUSCHBECK de la liste n° 3 « Socialistes-Vert.e.s » (2'944 suffrages) ;

-          Thierry CERUTTI de la liste n° 5 « MCG Vernier d'abord » (2'337 suffrages) ;

-          Gian-Reto AGRAMUNT de la liste n° 6 « PLR Vernier » (2'278 suffrages) ;

-          Djawed SANGDEL de la liste n° 4 « LJS » (2'089 suffrages) ;

-          Leila MÜLLER de la liste n° 2 « Le Centre-Vert'libé » (1'502 suffrages) ;

-          Howard NOBS de la liste n° 1 « UDC » (1'426 suffrages).

Aucun candidat n'a été élu au premier tour et 7'581 bulletins valables ont été enregistrés.

c. Par arrêté du 26 mars 2025, publié dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 28 mars 2025, le Conseil d'État a constaté les résultats du premier tour de l'élection des exécutifs communaux.

d. Par arrêté du 26 mars 2025, déclaré exécutoire nonobstant recours et publié dans la FAO du 28 mars 2025, le Conseil d'État a constaté les résultats de l'élection des conseils municipaux.

e. Deux recours ont été déposés auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre le résultat de l'élection du conseil municipal de Vernier.

C. a. Le 9 avril 2025, la chancellerie d'État (ci-après : la chancellerie) a déposé auprès du Ministère public (ci-après : MP) une dénonciation portant sur des faits rapportés par les personnes ayant recouru contre le résultat de l'élection du conseil municipal de Vernier, soit qu'un individu se serait présenté chez un candidat en lui proposant de l'argent et en affirmant pouvoir garantir son élection et qu'un électeur aurait raconté à un autre électeur avoir donné sa carte de vote signée à un « copain de la même origine ».

b. Entre le premier et le second tour de l'élection des conseils administratifs, qui a eu lieu le 13 avril 2025, plusieurs articles de presse ont fait état de circonstances litigieuses ayant entouré l'élection du conseil municipal de Vernier. Certains articles ont indiqué que la validité du scrutin était remise en cause et que des bulletins panachés de LJS présentaient des anomalies.

c. Les 11, 12 et 13 avril 2025 ont été publiés par le Temps, la Tribune de Genève et Léman Bleu des articles dont les titres étaient les suivants :

-          « De l'Afghanistan aux élections genevoises, l'intrigant parcours de Djawed SANGDEL » (11 avril 2025, 17h23) ;

-          « Les élections à Vernier réveillent d'anciens soupçons de fraude électorale » (11 avril 2025, 20h05) ;

-          « Élections municipales à Vernier : l'État saisit à son tour la justice pénale » (12 avril 2025, 14h42) ;

-          « La Chancellerie lance une dénonciation pénale pour irrégularités à Vernier » (13 avril 2025, 9h34).

d. À Vernier, ont été élus au second tour de l'élection du conseil administratif Martin STAUB (3'707 suffrages), Mathias BUSCHBECK (3'303 suffrages) et Gian‑Reto AGRAMUNT (3'234 suffrages). N'ont ainsi pas été élus Thierry CERUTTI (2'324 suffrages) et Djawed SANGDEL (1'672 suffrages), ainsi que Leila MÜLLER et Howard NOBS, ces deux derniers ne s'étant pas présentés au second tour.

6'360 bulletins valables ont été enregistrés.

e. Par arrêté du 16 avril 2025, déclaré exécutoire nonobstant recours et publié dans la FAO du lendemain, le Conseil d'État a constaté les résultats du second tour de l'élection des exécutifs communaux du 13 avril 2025.

D. a. Par acte remis à la poste le 17 avril 2025, LJS, Nicolas AUBERT, El Hachmi BENMANSOUR et Djawed SANGDEL ont interjeté recours auprès de la chambre constitutionnelle contre « les publications par voie de presse des 11, 12 et 13 avril 2025 relatives aux élections à Vernier » et « le résultat du second tour de l'élection des conseils administratifs à Vernier du 13 avril 2025 », concluant principalement à l'annulation du second tour de l'élection des conseillers administratifs à Vernier du 13 avril 2025. Préalablement, ils ont sollicité un délai pour compléter leur recours ainsi que la production par l'État de Genève des taux de participation journaliers respectifs entre les 9 et 13 avril 2025 à Vernier.

La garantie de leurs droits politiques avait été violée. Les informations communiquées par voie de presse étaient diffamatoires et fausses. Même la chancellerie avait dû démentir les informations trompeuses alléguées.

Ces informations avaient été diffusées la veille et l'avant‑veille du scrutin, soit dans des circonstances telles que les électeurs n'étaient plus en mesure de se renseigner de manière fiable auprès d'autres sources. Ce délai ne permettait en outre plus à la chancellerie de rétablir la vérité, en communiquant sur l'absence de dénonciation pénale. Cette temporalité rendait également illusoire l'exercice de tout droit de réponse.

En outre, ces informations ne représentaient nullement de simples exagérations mais portaient sur des faits propres à mettre en doute la probité et l'intégrité des personnes concernées, les faisant passer pour des criminels et des trafiquants de votes, en particulier Djawed SANGDEL. Elles étaient de surcroît graves, dans la mesure où elles faisaient mention d'une dénonciation pénale inexistante.

Le conseiller administratif « le moins bien élu » l'avait été avec 3'303 suffrages, et ce à l'occasion d'un scrutin ayant rencontré un faible taux de participation de 25.49%. Compte tenu du nombre important de suffrages enregistrés après les publications litigieuses, l'écart de 1'631 suffrages paraissait minime. Djawed SANGDEL avait en outre vu son nombre de voix fondre de 400 entre le premier et le deuxième tour et il était le seul candidat dans ce cas. Les publications en cause jetaient une suspicion grave sur le candidat de LJS sans qu'il puisse y répondre.

Seule une annulation entrait en ligne de compte au vu de la gravité et de l'incidence de la dissémination d'informations erronées et diffamatoires, ce d'autant plus que 13'578 votes avaient été enregistrés entre les publications problématiques et le résultat du scrutin.

b. Le Conseil d'État a conclu au rejet du recours.

Il a produit les taux de participation journaliers du corps électoral verniolan entre les 4 et 13 avril 2025. Il y a eu 755 votes enregistrés le 11 avril 2025, 873 votes enregistrés le 12 avril 2025 et 412 votes enregistrés le 13 avril 2025.

c. Le 16 mai 2025, LJS, Nicolas AUBERT, El Hachmi BENMANSOUR et Djawed SANGDEL ont persisté dans leurs conclusions. Ils ont relevé que la chancellerie n'avait indiqué qu'après le scrutin s'être limitée à « communiquer » avec le Ministère public. Elle avait laissé des informations erronées se répandre dans la presse, qui avaient dégradé l'image du candidat de LJS sans qu'il ait eu le temps d'y répondre. Par ailleurs, les chiffres démontraient que les accusations pénales avaient une influence sur le vote. En effet, les 2'040 cartes de vote enregistrées entre les 11 et 13 avril 2025 avaient pu influencer de manière décisive le résultat de l'élection.

d. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1.             La chambre constitutionnelle est compétente pour connaître du recours – qui est un recours pour violation des droits politiques – en vertu de l’art. 124 let. b de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst‑GE - A 2 00), concrétisé en cette matière notamment par l’art. 130B al. 1 let. b de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) et par l’art. 180 de la loi sur l’exercice des droits politiques du 15 octobre 1982 (LEDP - A 5 05).

1.1 Entrent dans le cadre des opérations électorales, et sont donc sujets à recours au sens de cette dernière disposition, tous les actes destinés au corps électoral, de nature à influencer la libre formation et expression du droit de vote telle qu’elle est garantie par les art. 34 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 44 Cst-GE (ACST/15/2025 du 24 mars 2025 consid. 1.1). La notion d’opérations électorales figurant à l’art. 180 LEDP est conçue largement : elle ne se réduit pas aux seules élections mais vise également les votations et englobe aussi bien les scrutins populaires eux-mêmes que les actes préparant ces derniers (ACST/15/2025 précité consid. 1.1). La constatation du résultat exact d’une élection, de même que le respect de la procédure en matière électorale, font partie de la liberté de vote (ATF 140 I 394 consid. 8.2).

1.2 En l'espèce, le recours est formellement dirigé contre les résultats de l'élection du conseil administratif de la commune de Vernier du 13 avril 2025, constatés par arrêté du 16 avril 2025, contre lesquels un recours est ouvert en vertu de l'art. 76 al. 3 LEDP. Par ailleurs, de jurisprudence constante, les résultats des élections entrent dans le cadre des opérations électorales et sont donc des actes sujets à recours (ACST/15/2025 précité consid. 1.2 ; ACST/21/2023 du 17 mai 2023 consid. 1.2)

2.             En matière de droits politiques, la qualité pour recourir appartient à toute personne disposant du droit de vote dans l’affaire en cause, indépendamment d’un intérêt juridique ou digne de protection à l’annulation de l’acte attaqué (ACST/15/2025 précité consid. 2). La qualité pour recourir est également reconnue notamment aux partis politiques, pour autant qu’ils soient constitués en personnes morales, qu’ils exercent leurs activités dans la collectivité publique concernée pour la votation en cause et qu’ils recrutent principalement leurs membres en fonction de leur qualité d’électeur (arrêt du Tribunal fédéral 1C_424/2009 du 6 septembre 2009 consid. 1.2 non publié de l’ATF 136 I 404 ; ACST/24/2024 du 19 novembre 2024 consid. 1.2).

En l'espèce, LJS est un parti politique constitué en association au sens des art. 60 ss du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) et exerçant ses activités sur le territoire cantonal. Il a, dès lors, qualité pour recourir, tout comme les autres recourants, en tant que ressortissants suisses domiciliés dans la commune de Vernier et y exerçant ainsi leurs droits politiques (art. 48 al. 2 Cst-GE et 3 LEDP).

3.             Les recours en matière de votations et d’élections doivent être formés dans les six jours (art. 62 al. 1 let. c LPA), délai non susceptible d’être suspendu (art. 63 al. 2 let. a LPA). Ce délai court, en principe, dès le lendemain du jour où, en faisant montre de la diligence commandée par les circonstances, le recourant a pris connaissance de l’irrégularité entachant, selon lui, les opérations électorales (ACST/15/2025 précité consid. 4).

3.1 L'art. 76 al. 3 LEDP prévoit que la publication des résultats mentionne qu’un recours est ouvert contre les résultats de l’opération électorale. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il convient, en droit genevois, de nier aux interventions de particuliers toute dimension d'acte attaquable dans le contentieux de droits politiques. De même, on ne saurait imposer au citoyen de dénoncer sans attendre les interventions de tiers, à l'instar des irrégularités des opérations électorales que les autorités sont susceptibles de corriger elles-mêmes (ATF 145 I 282 consid. 3). Au-delà du canton de Genève, la doctrine largement majoritaire partage cette approche et considère que les interventions de personnes privées, contrairement aux actes préparatoires des autorités, ne peuvent pas faire directement l'objet d'un recours pour violation des droits politiques. Ainsi, celui qui entend faire valoir que de telles interventions auraient exercé une influence inadmissible sur la libre formation de la volonté des électeurs doit recourir contre la communication officielle du résultat de la votation ou de l'élection (ATF 150 I 204 consid. 6.4).

3.2 En l'espèce, les recourants dénoncent des irrégularités qui émaneraient non pas des autorités mais de particuliers, des articles de presse erronés ayant, selon eux, faussé les résultats du second tour de l'élection des exécutifs communaux du 13 avril 2025.

Dès lors, et en l'absence d'acte attaquable provenant des autorités, les recourants pouvaient attendre la publication des résultats du second tour de l'élection au conseil administratif pour contester les irrégularités dénoncées, comme le prévoit l'art. 76 al. 3 LEDP. Le recours ayant été déposé le 17 avril 2025, il l'a été dans le délai de six jours dès la publication, le jour même, de l'arrêté du 16 avril 2025 du Conseil d'État, par lequel ce dernier a constaté les résultats du second tour de l'élection des exécutifs communaux du 13 avril 2025. Il a donc été interjeté en temps utile.

Le recours satisfait par ailleurs aux exigences de forme et de contenu posées par la loi (art. 64 et 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA - E 5 10).

Au vu de ce qui précède, le recours est recevable.

4.             Les recourants se plaignent d'une violation de la garantie de leurs droits politiques.

4.1 L'art. 34 al. 1 Cst. garantit de manière générale et abstraite les droits politiques, que ce soit sur le plan fédéral, cantonal ou communal. L'art. 34 al. 2 Cst. protège la libre formation de l'opinion des citoyens et des citoyennes et leur garantit qu'aucun résultat de vote ne soit reconnu s'il ne traduit pas de façon fidèle et sûre l'expression de leur volonté. Chaque citoyen doit pouvoir se déterminer en élaborant son opinion de la façon la plus libre et complète possible et exprimer son choix en conséquence (ATF 150 I 204 consid. 7.1 ; 146 I 129 consid. 5.1). L'art. 44 Cst-GE garantit les droits politiques en des termes similaires (ACST/15/2025 précité consid. 6.1).

4.2 Le Tribunal fédéral a déduit de la garantie des droits politiques le droit pour chaque citoyen de participer à une élection, comme électeur ou candidat, avec les mêmes chances de succès, pour autant qu’il remplisse les exigences requises (ATF 125 I 441 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_160/2021 précité consid. 4.1). En d’autres termes, les élections ne doivent pas se résumer à une confirmation des forces politiques en présence, les électeurs devant, au contraire, pouvoir se former une opinion sur la base la plus libre et la plus complète possible (ATF 129 I 185 consid. 5). Ainsi, les autorités publiques doivent en principe s’abstenir de toute intervention lors d’élections, faute de quoi elles violent le droit à la libre formation de l’opinion contenu dans l’art. 34 al. 2 Cst. (ATF 124 I 55 consid. 2). Elles peuvent toutefois rectifier des informations manifestement fausses à condition de s’abstenir de toute propagande électorale ou de critiques à l’égard d’un candidat (ATF 117 Ia 452 consid. 3c) sans pour autant s’attribuer un rôle de conseiller du citoyen, l’État ne devant pas être assimilé à un groupe ou à des opinions particulières (ATF 124 I 55 consid. 2 ; ACST/21/2023 précité consid. 3.1.1).

4.3 Selon la jurisprudence, il n'est pas exclu que des informations données par des particuliers avant une votation puissent nuire de manière inadmissible à la formation de la volonté des citoyens et porter ainsi atteinte à la liberté de vote (ATF 135 I 292 consid. 2). Ces considérations sont aussi valables pour les élections (ATF 117 Ia 452 consid. 5 ; 102 Ia 264 consid. 3).

Il ne se justifie toutefois qu'exceptionnellement d'annuler un scrutin lorsque de telles interventions sont en cause. En effet, l'usage, par les tiers, d'arguments inexacts ou fallacieux, bien que répréhensible, ne peut être totalement exclu, dès lors qu'ils peuvent participer librement à la campagne et se prévaloir à cet égard de la liberté d'expression et de la liberté de la presse. Il appartient, en principe, aux citoyens d'opérer les distinctions nécessaires entre les différentes opinions exprimées, de reconnaître les exagérations manifestes et, ensuite, de forger leur propre conviction. L'annulation d'un scrutin ne doit être envisagée que dans des cas exceptionnels et avec une grande retenue : il faut d'abord que ces informations induisent gravement en erreur sur des points essentiels de la votation ; il faut ensuite qu'elles aient été diffusées à une date si proche du scrutin que les citoyens ne soient plus en mesure de se renseigner de manière fiable à d'autres sources (ATF 135 I 292 consid. 4.1) ; lorsque les sources d'information sont nombreuses, en particulier sur Internet, il ne faut admettre que de manière particulièrement restrictive une intervention illicite avant un scrutin. Il faut enfin que l'influence des informations dénoncées sur le résultat de l'élection soit manifeste ou à tout le moins très vraisemblable (ATF 119 Ia 271 consid. 3c). Les conditions d'annulation du scrutin sont ainsi plus strictes qu'en cas d'atteinte à la liberté de vote commise par les autorités (ATF 150 I 204 consid. 7.2).

4.4 En l'espèce, il doit être examiné si les articles publiés les 11, 12 et 13 avril 2025 par Le Temps, la Tribune de Genève et Léman Bleu, dont les recourants se plaignent, ont influencé de manière inadmissible la formation de l'opinion des citoyens, selon la jurisprudence susmentionnée, qui n'admet une telle situation que de manière restrictive s'agissant de la diffusion d'informations émanant, comme en l'espèce, de particuliers.

Il convient de déterminer dans un premier temps si ces articles contenaient des informations erronées ou fallacieuses.

Les recourants n'indiquent pas quels éléments de fait, à leur sens « diffamatoires et faux », les articles de presse qu'ils citent contiendraient, et se limitent à se plaindre de façon générale d'informations portant sur des « soupçons de manipulation de bulletins et de dénonciations pénales ». Or, sur ce dernier point, un recours a bien été déposé devant la chambre constitutionnelle contre l'élection du conseil municipal de Vernier et la justice pénale a bien été saisie d'une dénonciation pour des faits pouvant être constitutifs de manipulation de bulletins. Dans ces circonstances, les informations qui ont été données en lien avec des soupçons de manipulation de bulletins et le dépôt d'une dénonciation pénale ne sauraient être considérées comme erronées. Il importe d'ailleurs peu que certains médias aient confondu les termes de « plainte pénale » et « dénonciation pénale », dès lors que la distinction n'est pas déterminante dans l'esprit des électeurs. De même, il est sans importance que la chancellerie ait déposé une dénonciation pénale ou « communiqu[é] avec le Ministère public ». On ne voit pas, au demeurant, ce que la chancellerie aurait dû clarifier au sujet de sa dénonciation pénale du 9 avril 2025.

En outre, nonobstant les doutes relayés par les médias quant à la validité du scrutin verniolan, les articles précisaient également que la chancellerie avait procédé à des contrôles et n'avait relevé aucune irrégularité dans le scrutin. Cet élément était de nature à permettre aux citoyens de réaliser le caractère en l'état incertain et spéculatif de ces doutes.

Il ne peut non plus être retenu que les faits amenés à la connaissance du public auraient été diffusés à un moment si tardif qu'il était impossible pour les citoyens de se renseigner auprès d'autres sources fiables. En effet, les informations publiées par la presse ayant suscité débat autour de la validité des résultats de l'élection du conseil municipal du 23 mars 2025 l'ont été à tout le moins dès le 28 mars 2025, avec un article de la Tribune de Genève intitulé « À Vernier, ces étonnants bulletins de LJS aux élections municipales ». Or, il restait alors plus de deux semaines, soit un délai suffisant, au corps électoral pour se renseigner à d'autres sources au sujet des éléments portés à sa connaissance par la presse, de manière à maintenir un équilibre dans le débat politique de l'« entre-deux-tours », et ainsi de prendre une décision en connaissance de cause avant le scrutin du 13 avril 2025. Pour le surplus, les recourants n'expliquent pas quels éléments supplémentaires déterminants – et inexacts – les articles litigieux des 11, 12 et 13 avril 2025 auraient apportés. Rien ne permet ainsi de retenir que les informations contenues dans ces articles auraient modifié « au dernier moment » le choix des électeurs.

Concernant les articles consacrés à Djawed SANGDEL, ce dernier a été contacté et a pu exprimer sa position à tout le moins le 1er avril 2025 déjà. Dans un article du Temps intitulé « La justice genevoise appelée à déterminer si l'élection municipale à Vernier est entachée d'irrégularités », l'intéressé a contesté toute irrégularité dans les votes et a précisé que la réussite de LJS devait être attribuée à un travail de terrain « acharné ». Outre que l'article du Temps du 11 avril 2025, dont les recourants se plaignent, a repris les déclarations précitées, il a également retranscrit le témoignage d'un citoyen ayant voté pour lui sur les raisons de son soutien au candidat. Les informations données dans les articles litigieux provenaient ainsi de sources diverses, de sorte que la lecture de ces derniers permettait aux électeurs de se former leur propre opinion. Comme exposé ci-avant, les recourants n'indiquent pour le surplus pas quel élément de fait rapporté dans ces articles serait faux.

En conséquence, aucune violation de la garantie des droits politiques ne peut être retenue.

4.5 Même à retenir par hypothèse le contraire, il n'y aurait pas lieu d'annuler le scrutin. Rien ne permet de retenir que les informations communiquées par la presse l'auraient influencé, et encore moins que cette influence aurait eu une incidence déterminante sur le résultat de l'élection.

D'une part, les recourants se plaignent de ce que Djawed SANGDEL a été le seul candidat à voir ses voix chuter au second tour à hauteur de 400 voix. Or, les circonstances ont changé entre les deux tours de l'élection. En effet, les candidats en sixième et septième positions à l'issue du premier tour ne se sont pas représentés et une nouvelle alliance s'est formée entre les trois conseillers administratifs sortants. De surcroît, la participation au second tour a été moindre. Contrairement à ce que les recourants affirment, ce dernier constat ne révèle pas nécessairement une anomalie. Une baisse du taux de participation de 5.09% n'apparaît pas inhabituelle au regard de ce qui a été constaté en 2020 pour l'élection du conseil administratif à Vernier (‑4.52%), ainsi que le même jour à Genève (‑4.94%), à Lancy (-6.44%), à Meyrin (‑5.71%), à Onex (-2.70%) ou encore à Thônex (-7.41%). Comme la chancellerie le relève à juste titre, le premier tour est généralement porté par l'élection simultanée du conseil municipal. L'on ne saurait, par conséquent, voir dans le score obtenu par le candidat de LJS lors du second tour le signe d'une influence manifeste ou très vraisemblable exercée par les publications contestées sur la formation de la volonté des citoyens.

D'autre part, Djawed SANGDEL a conservé au second tour la cinquième position qu'il avait occupée à l'issue du premier tour. Ayant recueilli 1'672 suffrages, il a seulement obtenu un peu plus de la moitié des suffrages du troisième et dernier candidat élu – avec 3'234 voix. Quoi qu'en disent les recourants, l'écart de voix ne paraît pas « minime », mais au contraire important, se montant à 1'562 voix sur un total de 6'360 bulletins valables enregistrés à Vernier durant le second tour. Il manquait ainsi au candidat de LJS près d'un quart de l'ensemble des bulletins valables, étant précisé que les recourants ne peuvent rien déduire pour Vernier du fait que 13'578 votes ont été enregistrés à l'échelle du canton entre les publications problématiques et le scrutin. Même si un lien de causalité avait existé entre, d'une part, les articles de presse parus la veille et l'avant‑veille du second tour et, d'autre part, les votes des électeurs verniolans à la même période, et même si l'ensemble de ces derniers avait voté pour le candidat de LJS – à savoir 873 voix additionnelles le 12 avril 2025 et 412 voix additionnelles le 13 avril 2025 –, l'intéressé n'aurait néanmoins pas réuni suffisamment de voix pour atteindre le nombre de suffrages du troisième et dernier candidat élu. En particulier, dès lors que les articles litigieux du 11 avril 2025 ont été publiés en fin de journée, voire dans la soirée – à 17h23 et à 20h05 –, il ne peut nullement être considéré que les 755 votes enregistrés le 11 avril 2025 auraient déjà pu être influencés par ces articles.

Mal fondé, le recours sera rejeté.

5.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge solidaire des recourants (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 17 avril 2025 par Nicolas AUBERT, El Hachmi BENMANSOUR, Djawed SANGDEL et ASSOCIATION LIBERTÉS ET JUSTICE SOCIALE contre « les publications par voie de presse des 11, 12 et 13 avril 2025 relatives aux élections à Vernier » et « le résultat du second tour de l'élection des conseils administratifs à Vernier du 13 avril 2025 » ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge solidaire de Nicolas AUBERT, El Hachmi BENMANSOUR, Djawed SANGDEL et ASSOCIATION LIBERTÉS ET JUSTICE SOCIALE ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature des recourants ou de leur mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession des recourants, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Stéphane GRODECKI, avocat des recourants, ainsi qu'au Conseil d'État.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Philippe KNUPFER, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

la greffière-juriste :

 

 

T. DANG

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le  la greffière :