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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/13037/2017

CAPH/117/2023 du 06.11.2023 sur JTPH/130/2022 ( OO ) , CONFIRME

Recours TF déposé le 03.01.2024, 4A_1/2024
Normes : CC.16; CO.319; CO.335
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/13037/2017-4 CAPH/117/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU LUNDI 6 NOVEMBRE 2023

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ [GE], appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 3 mai 2022 (JTPH/130/2022), représenté par Me Laurent NEPHTALI, avocat, rue du Mont-de-Sion 8, 1206 Genève,

et

B______, sise ______ [GE], intimée, représentée par Me Emma LOMBARDINI RYAN, avocate, Poncet Turrettini, rue de Hesse 8, Case postale, 1211 Genève 4.


EN FAIT

A.           Par jugement JTPH/130/2022 du 3 mai 2022, reçu le 4 mai 2022 par les parties, le Tribunal des prud'hommes (ci-après: le Tribunal), statuant par voie de procédure ordinaire, a, à la forme, déclaré irrecevables les conclusions en constatation formées le 30 octobre 2017 par A______ contre B______ (chiffre 1 du dispositif) et recevable pour le surplus sa demande du même jour contre la précitée (ch. 2).

Au fond, il a débouté A______ de ses conclusions (ch. 3), débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 4), arrêté les frais de la procédure à 10'080 fr., les a entièrement mis à la charge de A______ (ch. 5) et partiellement compensés avec l'avance de frais de 5'080 fr. effectuée par ce dernier, laquelle restait acquise à l'Etat de Genève (ch. 6), l'a condamné à verser la somme nette de 5'000 fr. aux services financiers du Pouvoir judiciaire (ch. 7), dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 8) et débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 9).

B.            a. Par acte déposé au greffe du guichet universel le 2 juin 2022, A______ appelle de ce jugement, dont il sollicite l'annulation.

Il conclut principalement à ce que la Cour condamne B______ à lui verser la somme de 508'458 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 23 janvier 2012 et prononce la mainlevée définitive de l'opposition totale formée par cette dernière au commandement de payer, poursuite n° 2______, notifié le 28 février 2017, avec suite de frais et dépens.

b. Dans sa réponse du 16 août 2022, B______ conclut à l'irrecevabilité de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris, avec suite de frais judiciaires.

c. Dans leurs réplique et duplique des 16 septembre et 20 octobre 2022, les parties persistent dans leurs conclusions respectives.

A______ produit une pièce à l'appui de sa réplique, soit un courrier recommandé du 7 janvier 2013 de son ancien conseil au Tribunal, déjà produit en première instance.

d. Par avis du 8 novembre 2022, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure:

a. B______ est une société anonyme ayant son siège à Genève et dont le but est l'exploitation d'une banque, y compris l'exercice à titre professionnel du commerce de valeurs mobilières.

b. Par contrat du 20 août 2003, A______ a été engagé par B______ en qualité de "Foreign Exchange Sales Dealer" à compter du 1er septembre 2003 pour un salaire annuel brut de 110'006 fr., payable en treize mensualités de 8'462 fr.

Son dernier salaire mensuel brut s'est élevé à 12'152 fr. en février 2011.

c. Durant les rapports de travail, A______ a reçu les bonus et les actions bloquées suivants :

- pour l'année 2007: un bonus de 141'000 fr. bruts ainsi que des actions bloquées d'une valeur de 49'000 fr., lesquelles devaient être libérées à hauteur de 33% en mars 2009, 33% en mars 2010 et 34% en mars 2011;

- pour l'année 2008: un bonus de 162'000 fr. bruts ainsi que des actions bloquées d'une valeur de 54'000 fr., lesquelles devaient être entièrement libérées en mars 2012;

- pour l'année 2009: un bonus de 142'400 fr. bruts ainsi que des actions bloquées d'une valeur de 35'600 fr., lesquelles devaient être libérées à hauteur de 50% en mars 2012 et 50% en mars 2013.

Lors de chaque paiement de bonus, B______ indiquait par écrit que celui-ci était payé à la fin du mois de février ou immédiatement avant, à la condition d'être toujours employé et non pas en préavis de congé au moment du paiement. Le même type de condition était mentionné pour la libération des actions bloquées, qui était une promesse conditionnelle.

Lors de l'attribution des bonus, B______ rappelait que le versement d'un bonus discrétionnaire et d'actions bloquées ne donnait aucun droit à l'employé d'en recevoir les années suivantes.

Durant toute l'année 2010, A______ a reçu la somme brute totale de 358'287 fr., montant comprenant son salaire contractuel, les bonus en espèces et la libération d'actions bloquées.

d. A la fin de l'année 2010, A______ a sollicité de son employeur un congé sans solde pour la période du 19 novembre 2010 au 31 janvier 2011, ce que B______ lui a octroyé.

Son retour au travail était prévu le 1er février 2011.

e. Par courriel du 6 décembre 2010, A______ a invité C______, un cadre dirigeant de B______, à aller consulter son blog, créé cinq jours plus tôt, afin de partager son expérience unique. Il lui assurait qu'il ne citerait à aucun moment le nom de la banque, ajoutant: "je ne mords pas la main qui me nourrit[t] depuis maintenant plus de 7 ans".

f. Par courrier du 26 décembre 2010 envoyé par [l'entreprise de transport] D______ depuis E______ (F______, Indonésie), A______ a résilié le contrat de travail qui le liait à B______.

A cette occasion, il a exprimé sa volonté de quitter Genève, de ne plus jamais travailler dans une salle des marchés et de créer une entreprise. Il a de plus émis le souhait de pouvoir récupérer ses actions bloquées afin de lui permettre de réaliser et concrétiser son nouveau départ. Il a terminé son courrier par ce qui suit: "Je rentre donc le 26 janvier normalement, dites[-]moi comment vous voulez procéder pour la suite. Je serai à votre service comme je suis lié contractuellement durant deux mois si je ne m'abuse et ne jouerai pas la carte de la maladie ou de l'abandon de poste. Cependant je vous propose de me laisser travailler depuis chez moi (faire de l'analyse technique ou fondamentale). Je vous offre aussi la possibilité de vous enseigner ce que j'ai appris jusqu'à maintenant et vais encore apprendre durant un mois sur le yoga chez moi en one-to-one ou dans une salle…".

g. Par courrier du 30 décembre 2010, B______ a accusé réception de la lettre précitée et a pris acte de la résiliation du contrat de travail pour le 28 février 2011.

h. Par courrier du 18 janvier 2011 remis en mains propres, elle a libéré A______ de son obligation de travailler et lui a indiqué que les actions bloquées étaient perdues.

i. Le 4 février 2011, A______ a publié un article intitulé "My previous job" sur son blog, dont le contenu, en traduction libre, est le suivant:

"J'ai rencontré la cheffe des RH. Elle est très gentille, je l'aime bien. Après mes anciens collègues, j'ai vraiment apprécié. Ce sont des gens bien, ils me manqueront… […] J'ai des actions que j'ai reçues quand je travaillais pour la société. Elles sont bloquées mais je les ai reçues en 2008, 2009 et 2010. La société ne veut pas me les donner, ok. Je pense que je les mérite, j'ai travaillé beaucoup pour les avoir. Je n'ai pas marchandé pour 2010 alors que j'ai travaillé de janvier à novembre. Mais ils pourraient me dire « Nous avons été gentils, nous vous avons offert un congé sabbatique » donc je ne vais rien demander pour 2010. […] J'aurais pu être incorrect et attendre jusqu'à février pour recevoir le bonus en cash et après j'aurais pu démissionner ou tomber malade (ce que la plupart des gens font). En général dans ce secteur, les gens attendent leur bonus et après ils quittent. Je suis une exception, parce que je ne suis pas un menteur ou faux. Non j'ai été honnête donc je pense que je mérite ces actions."

j. Dans une publication postée le 24 février 2011 sur son blog, A______ a notamment expliqué souffrir d'un trouble de l'humeur bipolaire de type 2, évoqué sa découverte de la spiritualité à F______ [Indonésie], laquelle avait complétement changé sa façon de penser, et porté un regard critique sur la société actuelle.

k. Par courrier du 18 novembre 2011 à B______, A______, par le biais de son ancien conseil Me G______, s'est référé à sa démission et a réclamé sa participation au plan d'intéressement.

B______ lui a répondu le 23 novembre 2011, refusant d'entrer en matière sur cette demande.

l. Du 28 décembre 2011 au 16 avril 2012, A______ a séjourné au [centre] H______ des HUG suite à un rapatriement sanitaire pour un épisode dépressif depuis septembre 2011. Il souffrait d'un trouble affectif bipolaire avec épisode de dépression sévère sans symptômes psychotiques, en rémission partielle à la fin du suivi.

m. Par courrier du 23 janvier 2012, A______, par le biais de Me I______, a indiqué à B______ qu'il était privé de sa capacité de discernement lors de la rédaction de sa lettre de démission du 26 décembre 2010. Il lui a par conséquent demandé de constater la nullité de cette résiliation et de soumettre le cas à l'assureur perte de gains maladie.

n. Le 1er février 2012, B______ a intégralement contesté le courrier précité.

o. Par attestation du 16 janvier 2012, le Dr J______, psychiatre, a notamment indiqué que A______ avait présenté une diminution de sa capacité de discernement depuis la fin de l'année 2010 jusqu'à l'automne 2011 en raison d'un trouble psychiatrique. C'était dans ce contexte qu'il avait quitté son travail et était parti en Asie, prenant des décisions administratives et sociales inadéquates et contraires à ses intérêts élémentaires. Au cours de son séjour en Asie, son trouble s'était encore aggravé et A______ avait adopté des comportements risqués pour son intégrité physique qui l'auraient mené de façon certaine à une hospitalisation sous contrainte légale à fin d'assistance s'il s'était trouvé en Suisse à ce moment-là.

Le 16 février 2012, le Dr K______, psychiatre, a attesté avoir constaté une modification de l'état psychique de A______ à l'automne 2010. En novembre 2010, celui-ci présentait des symptômes d'hypomanie qui avaient ensuite évolué en trouble maniaque avéré, et en décembre 2010 il présentait les signes caractéristiques d'un état de manie, conforme aux critères de ICD-10 (classification internationale des troubles mentaux). Il avait constaté ces troubles en lisant le blog de A______, en consultant les vidéos et les courriels de celui-ci, ainsi qu'au cours de conversations téléphoniques. Sa lettre de démission avait été rédigée en pleine phase maniaque.

Par certificat médical du 28 février 2012, le Dr J______ a attesté que l'état de santé de A______ nécessitait un arrêt de travail à 100% du 1er décembre 2010 au 31 mars 2012.

Le 21 août 2012, la L______, spécialisée dans la prise en charge médico-psycho-sociale des personnes présentant des problèmes d'addiction, a notamment attesté, sous la signature de M______ et de N______, suivre A______ depuis le mois de septembre 2007, avec une interruption entre novembre 2010 et avril 2012, pour un trouble bipolaire associé à des excès d'alcool. Son état s'était rapidement dégradé à la fin de l'année 2010 suite à une rupture sentimentale; il s'était convaincu que son travail ne lui convenait plus et qu'il devait changer de vie. Il avait alors pris des décisions regrettables dans un état d'excitation et de souffrance psychique où il était difficile de l'aider et de le raisonner. Les courriels que A______ leur avait envoyés après son départ en Asie traduisaient les premières manifestations d'une décompensation maniaque.

Le 12 septembre 2012, le docteur O______, médecin interne, a attesté qu'il était vraisemblable, étant donné la maladie de A______, que ce dernier avait rédigé la lettre de démission du 26 décembre 2010 à un moment où il n'avait pas la capacité de discernement.

p. Par décision du 25 juillet 2012, l'Office AI a octroyé à A______ des indemnités journalières à partir du 9 juillet 2012.

q.a. Le 22 octobre 2012, A______ a formé une requête de conciliation à l'encontre de B______, laquelle a fait l'objet de la procédure C/1______/2012.

Suite à l'échec de la conciliation, A______ a introduit le 4 décembre 2012 une action en constatation de droit à l'encontre de B______, concluant à ce que le Tribunal des prud'hommes dise et constate que le courrier envoyé depuis E______ (F______) le 26 décembre 2010 était nul et sans portée juridique, que le contrat de travail n'avait pas été valablement résilié au 28 février 2011 et que les parties étaient toujours liées par un tel contrat.

q.b. Dans le cadre de cette procédure, le Tribunal a entendu les parties ainsi que plusieurs témoins. Les faits pertinents suivants ressortent de leurs déclarations:

A______ a notamment déclaré qu'il avait retiré l'ensemble de son deuxième pilier en pleine phase maniaque avant de se rendre à F______. Il lui restait 40'000 fr. à son retour. Il avait ensuite dû utiliser le reste de son deuxième pilier, car il ne bénéficiait ni de l'aide de l'hospice général ni du chômage. Durant les quatorze années précédant son courrier du 26 décembre 2010, il n'avait jamais eu de telles phases maniaques, ni de blog, ni proféré de menace. Il avait été un employé modèle, puis avait "pété les plombs" et perdu tous ses amis. Il était persuadé qu'il démissionnait pour son bien. Dans cette phase, il n'écoutait personne. Au moment de sa demande de congé sans solde, il n'était pas conscient de ce qu'il faisait, même si sur le moment il pensait que c'était la meilleure chose à faire. Durant cette phase, il avait arrêté son traitement de lithium et il était persuadé de ne pas être malade. Il n'avait jamais informé son employeur de sa maladie. Il avait été en incapacité de discernement jusqu'à son retour à Genève en décembre 2011.

K______, psychiatre et un ami de la famille de A______, a expliqué qu'il connaissait la situation du précité, son évolution et son départ pour F______. Avant le départ de A______, il l'avait vu à titre informel, avait constaté qu'il commençait à avoir des projets particuliers et qu'il était en état d'humeur exaltée, presque hyper thymique. Il n'avait toutefois pas encore de symptôme de délire. Cela aurait pu s'apparenter initialement à une crise existentielle, mais il s'agissait en réalité des premiers signes d’hypomanie. La mère de A______ l'avait rendu attentif à la particularité du blog, de sorte qu'il en avait pris connaissance et l'avait suivi. Il avait eu A______ à une reprise au téléphone depuis F______ et avait été frappé par le discours que celui-ci tenait. En effet, il était en état de toute puissance, disait avoir des contacts avec une force supérieure et connaître la physique quantique. Ce symptôme de délire s'inscrivait dans la phase maniaque. La durée de cette phase était très variable selon les cas. S'agissant de A______, elle avait duré plusieurs mois. D'une manière générale, celui-ci n'avait aucune perception de l'état de maladie dans lequel il se trouvait. Il se croyait tout puissant et ne reconnaissait pas sa maladie.

J______, médecin psychiatre, a expliqué avoir suivi A______ de 2002 ou 2004 à 2012. Ce dernier souffrait d'un trouble bipolaire qui se caractérisait par une succession d'humeur basse (perte d'énergie et état suicidaire) et d'humeur haute (surcroît d'énergie, perte de sommeil, sentiment de fatigue presque inexistant suite à des nuits blanches et pensées qui s'accéléraient dans leur débit, optimisme excessif). Cela pouvait mener à de la désorganisation puis à des symptômes psychotiques qui conduisaient à ce moment-là à une hospitalisation. Dans le cas d'existence de phases extrêmement hautes, il s'agissait de trouble bipolaire de type 1, et lorsqu'il n'y avait que des phases hypomaniaques, il s'agissait de trouble bipolaire de type 2. Au regard des symptômes de A______, il aurait semblé qu'il était atteint de 2002 à 2010 du type 2, alors que les symptômes étaient plutôt du type 1 lors du séjour à F______. Il avait vu A______ le 23 novembre 2010, avant son départ pour F______. Celui-ci avait connu des conflits sentimentaux et des ruptures qu'il avait très mal vécus par le passé. Cette fois-ci, A______ avait souhaité affronter différemment la situation en changeant de mode de vie. Il était d'abord parti deux ou trois semaines, puis à son retour le 23 novembre 2010, il s'était convaincu que c'était cette vie-là qu'il souhaitait. Son patient lui avait alors affirmé ne souhaiter que des médicaments en réserve et ne plus vouloir prendre de traitement régulier. Il l'avait revu en mars 2011 et, à cette occasion, ce dernier l'avait informé de sa démission. Il tenait un discours structuré, était excessivement positif et convaincu de son changement spirituel. Il était calme et ses phrases étaient construites et logiques, même si le projet qu'il relatait était déraisonnable. Le témoin avait ensuite eu un échange de courriel avec A______, lors duquel celui-ci se trouvait dans un moment de dépression, soit dans sa phase descendante. Il prenait conscience de ce qu'il avait gâché pendant dix mois, soit son travail, son argent et ses amitiés. Lorsqu'il l'avait revu suite à son retour en décembre 2011, il lui avait montré la lettre de démission du 26 décembre 2010. A sa lecture, le témoin avait constaté que le contenu était moins cohérant que la lettre adressée à la banque concernant la demande de congé sans solde. S'agissant de son attestation médicale du 16 janvier 2012 quant à la diminution de la capacité de discernement de A______ depuis la fin de l'année 2010 jusqu'à l'automne 2011, il s'était basé uniquement sur des courriels envoyés par celui-ci entre février et mai 2011 afin de visionner des vidéos sur son expérience mystique ou métaphysique, ainsi que sur ce qu'il lui avait rapporté à son retour de F______. En octobre 2011, A______ avait fait un bilan des derniers mois qui semblait beaucoup plus réaliste que les propos tenus précédemment.

M______, psychologue, a déclaré qu'il connaissait A______ depuis le mois de septembre 2007. Il l'avait suivi pour des problèmes d'alcool, alors que les HUG le suivaient pour un trouble bipolaire. En automne 2010, A______ avait vécu une rupture sentimentale qui avait engendré un brusque changement de comportement. La manière dont celui-ci avait pris sa décision de partir en Asie et s'exprimait, de même que son agitation, montraient qu'il était fortement perturbé. Il l'avait vu avant son départ en octobre 2010. Il ne l'avait ensuite plus vu jusqu'en avril 2012, mais avait reçu des courriels de sa part avant son départ et également depuis l'Asie. Jusqu'en 2010, la bipolarité de A______ se traduisait plutôt par une succession de phases de déprime interrompues par des phases de rémission. Durant ces phases, ce dernier conservait toujours le contact avec la réalité, contrairement à ce qui se passait dans les phases maniaques. Depuis le mois d’octobre 2010, A______ avait eu une perte de contact avec la réalité, appelée décompensation. Celui-ci avait eu une rapide montée en octobre-novembre 2010 où il était entré en phase maniaque. Cette phase était vraisemblablement allée crescendo en Asie, ce qu'il pouvait déduire des courriels qu'il recevait de A______, ainsi que des faits que celui-ci lui avait rapportés à son retour.

O______, médecin psychiatre, avait suivi A______ de mai 2012 à octobre 2013. Il s'était rendu compte que celui-ci était atteint de trouble bipolaire de type 1 et de trouble de la personnalité émotionnellement labile, de type borderline. Le trouble bipolaire de type 1 était le type de bipolarité le plus grave, qui engendrait des phases maniaques et des phases dépressives. Il avait observé A______ surtout dans ses phases dépressives, mais également dans ses phases mixtes. Ce dernier lui avait montré la lettre de démission adressée à son employeuse. Certains éléments de cette lettre lui faisaient penser que A______ était dans une phase maniaque.

P______, employée au sein du département des ressources humaines de B______ d'octobre 2004 jusqu'à la fin du mois de mars 2014, avait eu un entretien avec A______ au retour de ce dernier. Elle l'avait vu avant le congé sabbatique et l'avait perçu comme quelqu'un qui souhaitait changer d'orientation et qui voulait mener sa vie différemment. Elle avait eu le même sentiment à son retour et avait l'impression qu'il avait rencontré un groupe de personnes qui avait une philosophie de vie différente. Durant cet entretien, elle avait l'impression que A______ comprenait ce qu'elle disait. Elle l'avait senti très enthousiaste de son voyage et enchanté par plein de projets, notamment celui de retourner en Asie. A la lecture de la lettre de démission, elle avait eu le sentiment qu'il avait rencontré un groupe de personne sur place et qu'il prenait la décision de changer d'orientation. Cette lettre lui avait paru cohérente même si ce type de lettre n'était pas courant, car avant le congé sabbatique, elle avait déjeuné avec A______ et celui-ci lui avait parlé de son projet de voyage. Sa démission était donc une suite logique.

q.c. Sur requête de A______, le Tribunal a ordonné une expertise portant sur l'évaluation de sa capacité de discernement au moment de la rédaction de sa lettre de démission du 26 décembre 2010 et nommé le Dr Q______ à cette fin. Il lui a été demandé de répondre aux questions suivantes :

1. A______ était-il incapable de discernement lors de la rédaction de sa lettre de démission du 26 décembre 2010 postée depuis F______ [si oui, veuillez indiquer si ladite incapacité de discernement peut être considérée comme possible (25% de probabilité), probable (50% de probabilité), hautement vraisemblable (75% de probabilité) ou certaine (100% de probabilité)] ?

2. Est-il dans le cours ordinaire des choses qu'une personne incapable de discernement puisse manifester un comportement social et professionnel inadéquat pouvant aller à l'encontre de ses intérêts ?

3. Dans le cas où l'incapacité de discernement de A______ est retenue, veuillez indiquer si celle-ci est en lien de causalité avec la rédaction de sa lettre de démission du 26 décembre 2010 ?

q.d. Le 6 mai 2015, le Dr Q______ a rendu son rapport d'expertise. Pour rendre celle-ci, il s'est basé sur un entretien avec l'expertisé le 8 avril 2015 au Centre médical universitaire de Genève, ainsi qu'un autre à la Clinique R______ le 4 mai 2015, un entretien téléphonique avec le Dr J______ le 21 avril 2015, la lecture du rapport du 28 avril 2015 de la Dresse N______, l'étude du dossier de l'expertisé au Département de psychiatrie des Hôpitaux universitaires de Genève, et enfin, l'étude du dossier transmis par le Tribunal des prud'hommes.

Selon l'expert, le courrier du 26 décembre 2010 apparaissait clairement comme une production pathologique, motivée et rédigée sous l'influence d'une maladie psychique. Les caractéristiques d'euphorie, de mégalomanie et d'infantilisme étaient significatives d'un trouble mental de type maniaque. En outre, les extraits du blog de A______ datés des 4 février et 10 mars 2011 étaient également caractéristiques d'un fonctionnement psychique marqué par une décompensation de type maniaque.

Concernant l'état mental de A______ lors de son voyage à F______ et au moment de la rédaction de sa lettre de démission, l'expert a expliqué ceci : « M. A______ était donc un homme âgé de 34 ans au moment où il a rédigé sa lettre de démission du 26 décembre 2010. Il souffre de troubles de l'humeur depuis environ 2003, soit depuis 7 ans lors de la rédaction de cette lettre. Il avait été identifié comme souffrant d'un trouble bipolaire de type 2, c'est-à-dire constitué d'épisodes de dépression et de périodes d’hypomanie. Il apparaît cependant de façon très claire qu'il a présenté une décompensation de type maniaque entre la fin 2010 et la fin 2011. Cet état a été constaté par son psychiatre, le Dr J______, de visu en mars 2011, puis à travers les courriels que lui a adressés son patient depuis l'Indonésie. »

En réponse aux questions posées par le Tribunal, l'expert a répondu à la première question de la manière suivante : "Oui, M. A______ était incapable de discernement lors de la rédaction de sa lettre de démission du 26 décembre 2010 postée depuis F______. Cette incapacité de discernement est certaine (100% de probabilité)."

Concernant la deuxième question, l'expert a indiqué : "Le comportement d'une personne incapable de discernement dépend non pas de l'incapacité de discernement elle-même, mais de la cause de cette incapacité de discernement. Il est dans le cours ordinaire des choses qu'une personne incapable de discernement en raison d'un épisode maniaque manifeste un comportement social et/ou professionnel inadéquat, pouvant aller à l'encontre de ses intérêts."

Enfin, s'agissant de la troisième question, l'expert a répondu : "La rédaction de la lettre de démission du 26 décembre 2010 est en lien de causalité direct avec la cause de l'incapacité de discernement, à savoir un épisode de décompensation maniaque."

Entendu en audience, l'expert a précisé qu'il n'y avait aucun doute quant à l'incapacité de discernement de A______ lors de sa démission. Il n'y avait pas d'élément en particulier qui l'avait conduit à cette conclusion, mais plutôt un faisceau d'arguments. La lecture de la lettre de démission avait été en particulier un élément déterminant.

q.e. Par jugement JTPH/38/2016 du 20 janvier 2016, le Tribunal a notamment déclaré recevable la demande du 4 décembre 2012 et constaté que le courrier envoyé par A______ à B______ le 26 décembre 2010 était nul et sans portée juridique et que le contrat de travail liant les précités n'avait pas été valablement résilié au 28 février 2011.

La Chambre des prud'hommes de la Cour de justice a, par arrêt CAPH/188/2016 du 1er novembre 2016, annulé ce jugement et déclaré la demande irrecevable.

Cet arrêt a par la suite été confirmé par le Tribunal fédéral dans son arrêt ______/2016 du 5 avril 2017.

r. Le 25 novembre 2016, A______ a fait parvenir à l'Office des poursuites du canton de Genève une réquisition de poursuite datée du 24 novembre 2016 à l'encontre de B______, portant sur le montant de 560'211 fr. dû à titre de salaire pour la période du 1er décembre 2010 au 30 juin 2012.

Le commandement de payer correspondant, poursuite n° 2______, a été notifié le 28 février 2017 à B______, laquelle a formé opposition.

D.           a. Le 8 juin 2017, A______ a saisi l'Autorité de conciliation du Tribunal des prud'hommes d'une demande dirigée contre B______ en paiement de la somme totale de 560'211 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 23 janvier 2012.

b. Au bénéfice d'une autorisation de procéder du 21 août 2017, il a introduit sa demande en paiement auprès du Tribunal des prud'hommes le 30 octobre 2017, concluant à ce que B______ soit condamnée à lui payer la somme totale de 508'458 fr. avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 23 janvier 2012, décomposée comme suit:

-          16'660 fr. à titre de contrevaleur des actions devant être libérées en mars 2011;

-          54'000 fr. à titre de contrevaleur des actions devant être libérées en mars 2012;

-          35'600 fr. à titre de contrevaleur des actions devant être libérées à 50% en mars 2012 et à 50% en mars 2013;

-          178'000 fr. à titre de bonus et d'actions pour l'année 2010;

-          60'146 fr. à titre de salaire dû pour la période de décembre 2010 à fin mai 2011;

-          97'216 fr. à titre d'indemnités dues par l'assureur perte de gain maladie de B______ pour la période de juin 2011 au 31 mars 2012;

-          48'608 fr. à titre de salaire dû jusqu'à sa prise en charge par l'AI le 9 juillet 2012;

-          12'152 fr. à titre de treizième salaire pour l'année 2011;

-          6'076 fr. à titre de treizième salaire pour les six premiers mois de l'année 2012.

A______ a également conclu, d'une part, à ce que le Tribunal constate que le courrier envoyé depuis F______ le 26 décembre 2010 était nul et sans portée juridique, et que le contrat de travail le liant à B______ n'avait pas été valablement résilié au 28 février 2011 et, d'autre part, prononce la mainlevée définitive de l'opposition totale formée par cette dernière au commandement de payer, poursuite n° 2______, notifié le 28 février 2017. Préalablement, il a sollicité l'apport de la procédure C/1______/2012.

A l'appui de ses conclusions, il a expliqué que sa lettre de démission du
26 décembre 2010, bien que rédigée en apparence en des termes plutôt cohérents, laissait transparaître son état psychique qui avait empiré depuis son départ pour F______. Les médecins entendus lors de la première procédure prud'homale ainsi que l'expertise réalisée par le Dr Q______ avaient tous confirmé qu'il était en incapacité de discernement le 26 décembre 2010, laquelle était certaine à 100%, et qu'il n'avait dès lors pas pu percevoir la portée de son acte en exprimant sa volonté de mettre fin au contrat de travail. La résiliation dudit contrat était par conséquent nulle et sans portée juridique.

Afin de préserver ses créances à l'encontre de B______, il avait interrompu à deux reprises la prescription, soit la première fois par le dépôt de sa requête en conciliation du 22 octobre 2012, puis une seconde fois par le dépôt de la réquisition de poursuite du 24 novembre 2016.

c. Par mémoire de réponse déposé le 31 janvier 2018, B______ a conclu à l'irrecevabilité des deux conclusions en constatation et au déboutement de A______ pour le surplus.

Elle a notamment allégué que la plupart des créances réclamées par ce dernier étaient d'ores et déjà prescrites puisque le premier acte interruptif de prescription était la réquisition de poursuite du 25 novembre 2016, et non pas la requête en conciliation du 22 octobre 2012, à teneur de laquelle A______ n'avait pas fait valoir ses droits, mais avait uniquement pris des conclusions en constatation.

Tout au long des rapports de travail, A______ n'avait jamais évoqué ses problèmes de santé à son employeur, soit son trouble bipolaire. La lettre de démission datée du 26 décembre 2010 avait été rédigée en des termes cohérents. Il en ressortait notamment qu'il savait qu'il avait un délai de congé de deux mois et qu'il bénéficiait d'actions bloquées qu'il allait perdre. A______ avait même pris la peine d'envoyer son courrier par D______, ce qui démontrait qu'il était conscient de l'importance de cette communication.

d. Par ordonnance de preuves du 24 avril 2018, le Tribunal a notamment ordonné l'apport de la procédure n° C/1______/2012 à la présente procédure, dont les éléments pertinents ont été repris ci-avant.

e.a. Par jugement JTPH/284/2018 du 18 septembre 2018, le Tribunal a débouté A______ de ses conclusions.

e.b. La Chambre des prud'hommes de la Cour de justice a, par arrêt CAPH/134/2019 du 26 août 2019, annulé le jugement précité et renvoyé la cause au Tribunal pour qu'il rende une nouvelle décision après avoir ordonné une nouvelle expertise.

Elle a notamment retenu que l'expertise du Dr Q______ faisait état de nombreuses digressions inadéquates, d'affirmations de nature euphorique et d'un ton marqué par un certain infantilisme sans toutefois relever les termes cohérant adoptés par l'expertisé, laissant subsister certains doutes quant à l'incapacité de discernement de A______. Le Dr Q______ était par ailleurs allé au-delà de la mission d'expertise prévue dans l'ordonnance d'instruction du 6 mars 2015, en violation de l'article 186 al. 1 CPC, en procédant à des investigations sans autorisation du Tribunal et en fondant ainsi son expertise sur des documents ne faisant pas partie de la procédure et sur lesquels B______ n'avait pas pu se prononcer.

Concernant la question de la prescription, la Cour a relevé que le point de départ du délai de prescription quinquennale devait être fixé au 28 février 2011 dans l'hypothèse où il devait être considéré que A______ était capable de discernement lorsqu'il avait rédigé sa lettre de démission. Suite au prononcé d'irrecevabilité de sa demande, ce dernier aurait dû la réintroduire devant le Tribunal ou l'autorité de conciliation compétent dans un délai d'un mois, conformément à l'article 63 al. 2 CPC, pour sauvegarder la litispendance et, a fortiori, l'interruption de la prescription. A______ avait toutefois agi tardivement en déposant sa requête de conciliation au greffe du Tribunal le 8 juin 2017, de même qu'en déposant sa réquisition de poursuite du 24 novembre 2016, de sorte que la prescription n'avait pas été valablement interrompue.

e.c. Par arrêt ______/2019 du 30 octobre 2019, le Tribunal fédéral a déclaré irrecevable le recours formé par B______ contre l'arrêt précité.

f. Par ordonnance du 4 décembre 2020, le Tribunal a désigné le Dr S______, psychiatre, en qualité d'expert et lui a confié la même mission d'expertise que celle confiée au Dr Q______.

g. Le 23 juillet 2021, le Dr S______ a rendu son rapport d'expertise.

L'expert a notamment relevé que A______ avait présenté, au cours de sa vie, plusieurs épisodes de type maniaque, notamment lorsqu'il se trouvait à F______. Celui-ci lui a expliqué qu'une fois arrivé là-bas, fin novembre 2010, il avait ressenti une élévation de l'humeur, un sentiment de force physique et de pleine santé.

S'agissant du courrier du 26 décembre 2010, l'expert a indiqué que cet écrit, bien que cohérent dans sa forme et dans sa présentation, contenait des éléments de nature mégalomaniaque et euphorique. Il décrivait également une réduction du besoin de sommeil, une augmentation de l'activité orientée vers un but de rencontres et d'investissements financiers, une agitation comme par exemple lorsqu'il avait escaladé une statue sacrée et enfin un engagement excessif dans des activités comportant un potentiel élevé de conséquences dommageables, comme des achats inconsidérés et des investissements commerciaux inadéquats et déraisonnables. A ce titre, l'achat d'un terrain et de différents matériels à F______, ainsi que la dilapidation de son deuxième pilier étaient tout à fait représentatifs.

L'expert a finalement conclu que A______ ne disposait pas de sa capacité de discernement lorsque, en décembre 2010, durant un épisode maniaque s'inscrivant dans l'évolution d'un trouble bipolaire de type I, il avait rédigé et posté sa lettre de démission, et ceci bien que la composante de compréhension de la capacité de discernement n'était pas gravement altérée.

En réponse aux questions posées par le Tribunal, l'expert a répondu à la première question de la manière suivante: "Oui, Monsieur A______ était incapable de discernement lors de la rédaction de sa lettre de démission du 26/12/2010 postée depuis F______. Cette incapacité de discernement est certaine (100% de probabilité)."

Concernant la deuxième question, l'expert a indiqué : "Dans le cadre d'un épisode maniaque ceci est fréquent. Les biais cognitifs associés à la manie, tels que le biais d'optimisme et le rapport perturbé à la temporalité permettent de l'expliquer."

Enfin, s'agissant de la troisième question, l'expert a donné la réponse suivante: "Oui, ce lien de causalité est présent. L'épisode maniaque dont souffrait l'intéressé à cette période permet de rendre compte de cette causalité. "

h. Par déterminations du 29 septembre 2021, B______ a notamment relevé que l'expert s'était basé en grande partie sur des documents postérieurs aux faits de la cause, soit après la lettre de démission du 26 décembre 2010, et sur le propre récit de A______ réalisé pour les besoins de l'expertise.

i. Les parties ont plaidé lors de l'audience de débats principaux du 10 février 2022, à l'issue de laquelle la cause a été gardée à juger.

E.            Dans le jugement querellé, le Tribunal a notamment retenu que A______ souffrait depuis plusieurs années d'un trouble bipolaire, soit d'une maladie mentale, que son état psychique avait subi un changement brusque en automne 2010 et qu'il présentait en décembre 2010 un trouble maniaque avec perte de contact avec la réalité, ce qui permettait de conclure à une présomption d'incapacité de discernement. Il convenait d'examiner si le courrier du
26 décembre 2010 avait été rédigé lors d'une période de lucidité.

A cet égard, aucun médecin n'avait exclu que A______ pouvait recouvrer une certaine lucidité à un moment donné et aucun témoin entendu n'était en contact direct avec lui au moment de la rédaction de la lettre de démission, le seul "témoin direct" étant justement ce document. La capacité de discernement du précité devait ainsi être déterminée à la seule lecture de cette lettre, son état psychique avant et après la rédaction de celle-ci n'étant pas déterminant. En l'occurrence, A______ l'avait écrite de manière cohérente, avait notamment mentionné le délai de congé et évoqué ses actions bloquées, dont il savait qu'il ne pourrait pas bénéficier en raison de sa démission. Si certains termes du courrier n'étaient pas conventionnels, cela ne suffisait pas pour admettre que A______ était incapable de discernement. De plus, afin de s'assurer de la notification du courrier, le précité avait pris la peine de l'envoyer par le biais d'un transporteur professionnel de colis. En outre, alors que les avis médicaux recueillis semblaient indiquer l'état psychique de A______ s'était aggravé depuis son départ pour F______, P______, qui l'avait rencontré à son retour à Genève, n'avait pas remarqué qu'il adoptait une attitude étrange pouvant indiquer qu'il n'avait pas compris le sens de sa démission, de sorte qu'il était probable qu'il avait également été lucide à cet autre moment, ce qui tendait à confirmer que la lettre de démission avait bien été écrite dans un moment de lucidité.

Le second expert avait, à l'instar du premier, conclu à l'incapacité de discernement de A______. Cela était pour le moins étonnant qu'il ait été aussi catégorique alors qu'il n'avait jamais rencontré A______ avant le début de la procédure opposant les parties, ce qui suffisait à douter de ses conclusions. En outre, une analyse plus juridique du contenu du courrier de démission démontrait bien que A______ agissait en fonction d'une compréhension raisonnable de sa situation. Par ailleurs, l'expert avait lui-même admis que la forme et la présentation du courrier du 26 décembre 2010 étaient cohérentes et que la composante de compréhension de la capacité de discernement n'était pas gravement altérée, ce qui permettait également de s'écarter des conclusions de l'expertise.

A______ était ainsi capable de discernement lorsqu'il avait rédigé sa lettre de démission du 26 décembre 2010, de sorte que les rapports de travail avaient valablement pris fin au 28 février 2011. A______ n'était ainsi pas fondé à réclamer son salaire après cette date.

Les prétentions en paiement d'un bonus pour l'année 2010 ainsi que de la contrevaleur des actions bloquées étaient par ailleurs prescrites, de même que toutes les créances de salaire jusqu'à la fin des rapports de travail. Conformément à l'analyse effectuée par la Cour dans son arrêt CAPH/134/2019 du 26 août 2019, le premier acte interruptif de la prescription n'était pas intervenu lors du dépôt de la première requête de conciliation du 22 octobre 2012, le seul acte susceptible de l'interrompre étant le dépôt de la réquisition de poursuite du 25 novembre 2016. Or, la prétention en paiement du bonus et des actions pour l'année 2010 était prescrite depuis février 2016 dès lors que leur éventuel paiement devait intervenir en février 2011. S'agissant des actions bloquées devant encore être libérées, les prétentions y relatives étaient devenues exigibles à l'issue des rapports de travail, soit dès le 1er mars 2011, et étaient donc prescrites depuis mars 2016. Même en retenant que ces créances étaient exigibles ultérieurement et n'étaient pas prescrites, A______ ne pouvait pas prétendre au paiement de la contrevaleur des actions bloquées, dès lors qu'elles revêtaient la qualité de gratification facultative et que le précité n'était plus employé de B______ au moment où elles auraient dû être versées, condition nécessaire à leur versement.

EN DROIT

1.             1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et incidentes de première instance lorsque, dans les affaires patrimoniales, la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC).

En l'espèce, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.2 L'intimée soutient que l'appel serait irrecevable au motif qu'il ne remplirait pas les conditions de motivation et de critique du jugement.

1.2.1 Conformément à l'art. 311 al. 1 CPC, l'appel doit être motivé. Pour satisfaire à cette obligation de motivation, l'appelant doit démontrer le caractère erroné de la motivation de la décision attaquée et son argumentation doit être suffisamment explicite pour que l'instance d'appel puisse la comprendre, ce qui suppose une désignation précise des passages de la décision qu'il attaque et des pièces du dossier sur lesquelles repose sa critique. L'appelant doit tenter de démontrer que sa thèse l'emporte sur celle de la décision attaquée. Il ne saurait se borner simplement à reprendre des allégués de fait ou des arguments de droit présentés en première instance, mais il doit s'efforcer d'établir que, sur les faits constatés ou sur les conclusions juridiques qui en ont été tirées, la décision attaquée est entachée d'erreurs. Il ne peut le faire qu'en reprenant la démarche du premier juge et en mettant le doigt sur les failles de son raisonnement. Si la motivation de l'appel est identique aux moyens qui avaient déjà été présentés en première instance, si elle ne contient que des critiques toutes générales de la décision attaquée ou encore si elle ne fait que renvoyer aux moyens soulevés en première instance, elle ne satisfait pas aux exigences de l'art. 311 al. 1 CPC et l'instance d'appel ne peut entrer en matière (arrêts du Tribunal fédéral 4A_624/2021 du
8 avril 2022 consid. 5.1 et les arrêts cités; 5A_577/2020 du 16 décembre 2020 consid. 5).

Si une décision comporte une double motivation (i.e deux motivations indépendantes, alternatives ou subsidiaires), il incombe au recourant, sous peine d'irrecevabilité, de démontrer que chacune d'elles est contraire au droit (arrêts du Tribunal fédéral 4D_9/2021 du 19 août 2021 consid. 3.3.1; 4A_614/2018 du
8 octobre 2019 consid. 3.2).

1.2.2 En l'espèce, bien que la motivation de l'appelant soit succincte, l'on comprend aisément qu'il reproche au Tribunal d'avoir retenu qu'il était capable de discernement lorsqu'il a rédigé sa lettre de démission du 26 décembre 2010, en s'écartant – sans motifs déterminants selon lui et donc de manière arbitraire – des conclusions des experts et des médecins. Cette motivation est suffisante, au regard de l'art. 311 CPC, pour déclarer l'appel recevable dans son ensemble, sauf à faire preuve de formalisme excessif. S'agissant des deux autres points faisant l'objet de l'appel, à savoir la prescription ainsi que la question du bonus et des actions bloquées, la recevabilité des griefs y relatifs sera examinée ci-après dans les considérants concernés (cf. infra consid. 4).

1.3 Pour le surplus, l'appel a été déposé dans le délai utile de trente jours et selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 311 CPC), de sorte qu'il est recevable.

1.4 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen en fait et en droit (art. 310 CPC), mais uniquement dans la limite des griefs suffisamment motivés qui sont formulés (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4 et les références citées), étant précisé que la motivation d'un acte d'appel doit être entièrement contenue dans le mémoire d'appel lui-même et ne saurait être complétée ou corrigée ultérieurement (arrêts du Tribunal fédéral 5A_356/2020 du 9 juillet 2020 consid. 3.3; 5A_206/2016 du 1er juin 2016 consid. 4.2.2).

1.5 Dans la mesure où la valeur litigieuse est supérieure à 30'000 fr., la procédure ordinaire est applicable (art. 243 al. 1 et 2 a contrario CPC) et celle-ci est soumise aux maximes des débats (art. 55 al. 1 et 247 al. 2 let. b ch. 2 a contrario CPC) et de disposition (art. 58 al. 1 CPC).

2.             L'appel contient une partie "en fait", dans laquelle l'appelant résume les faits qu'il estime pertinents pour la résolution du litige. Il ne remet toutefois pas expressément en cause les faits tels qu'établis par le premier juge, de sorte qu'il n'y a pas lieu de s'en écarter, faute de grief sur ce point. Ils ont ainsi été repris ci-dessus, dans la mesure utile à la résolution du litige.

3.             L'appelant reproche au Tribunal d'avoir retenu qu'il était capable de discernement lorsqu'il a rédigé sa lettre de démission du 26 décembre 2010, en s'écartant sans motif déterminant et donc de manière arbitraire des expertises.

3.1 La lettre de l'art. 16 CC, entré en vigueur le 1er janvier 2013, diffère légèrement de l'art. 16 aCC, applicable au moment des faits litigieux. La portée matérielle des deux dispositions est néanmoins identique (arrêts du Tribunal fédéral 5A_951/2016 du 14 septembre 2017 consid. 3.1.1; 5A_859/2014 du
17 mars 2015 consid. 3).

3.1.1 Est capable de discernement, au sens de l'art. 16 CC, toute personne qui n'est pas privée de la faculté d'agir raisonnablement en raison de son jeune âge, de déficience mentale, de troubles psychiques, d'ivresse ou d'autres causes semblables. Sous réserve des exceptions prévues par la loi, les actes de celui qui est incapable de discernement n'ont pas d'effet juridique (art. 18 CC). Les conditions de l'incapacité de discernement constituent des faits dirimants qui entraînent l'inefficacité de l'acte (arrêts du Tribunal fédéral 5A_926/2021 du
19 mai 2022 consid. 3.1.1; 5A_951/2016 du 14 septembre 2017 consid. 3.1.2).

Afin de protéger la confiance et la sécurité des transactions, le législateur part néanmoins du principe qu'une personne adulte est capable d'agir raisonnablement, sans qu'il soit nécessaire d'apporter d'autre preuve. Celui qui invoque l'inefficacité d'un acte pour cause d'incapacité de discernement doit ainsi prouver l'un des états de faiblesse décrits à l'art. 16 CC et l'altération de la capacité d'agir raisonnablement qui en est la conséquence (preuve principale). Cette preuve n'est soumise à aucune prescription particulière, mais son degré est abaissé à la vraisemblance prépondérante lorsqu'il s'agit d'apprécier la capacité d'une personne décédée, une preuve absolue de l'état mental de cette personne étant, par la nature même des choses, impossible à rapporter (arrêts du Tribunal fédéral 5A_465/2019 du 4 octobre 2019 consid. 4.1; 5A_951/2016 du 14 septembre 2017 consid. 3.1.2 et les références citées).

La capacité de discernement comporte deux éléments: un élément intellectuel, la capacité d'apprécier le sens, l'opportunité et les effets d'un acte déterminé, et un élément volontaire ou caractériel, la faculté d'agir en fonction de cette compréhension raisonnable, selon sa libre volonté. Elle est par ailleurs relative en ce sens qu'elle ne doit pas être appréciée dans l'abstrait, mais concrètement, par rapport à un acte déterminé, en fonction de sa nature et de son importance, les facultés requises devant exister au moment de l'acte (ATF 144 III 264 consid. 6.1.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_926/2021 du 19 mai 2022 consid. 3.1.1).

3.1.2 Lorsqu'il est avéré qu'au moment d'accomplir l'acte litigieux, une personne se trouve durablement dans un état de faiblesse d'esprit au sens de l'art. 16 CC, qui, selon l'expérience générale de la vie, la prive d'agir raisonnablement, elle est alors présumée dépourvue de la capacité d'agir raisonnablement en rapport avec l'acte litigieux. Cette présomption de fait concerne les personnes, qui, au moment de l'acte, se trouvent dans un état durable d'altération mentale liée à l'âge ou à la maladie (ATF 144 III 264 consid. 6.1.3; arrêts du Tribunal fédéral 5A_926/2021 du 19 mai 2022 consid. 3.1.1.1; 5A_951/2016 du 14 septembre 2017 consid. 3.1.3.1).

La présomption d'incapacité liée à un état général d'altération mentale peut néanmoins être renversée en établissant que la personne intéressée a accompli l'acte litigieux dans un moment de lucidité; elle peut également l'être en démontrant que, dans le cas concret, à savoir en fonction de la nature et de l'importance de l'acte déterminé, la personne était en mesure d'agir raisonnablement (caractère relatif de la capacité de discernement; ATF 144 III précité consid. 6.1.3; arrêts du Tribunal fédéral 5A_926/2021 du 19 mai 2022 consid. 3.1.1.1; 5A_951/2016 du 14 septembre 2017 consid. 3.1.3.2).

Les constatations relatives à l'état de santé mentale d'une personne, la nature et l'importance d'éventuels troubles de l'activité de l'esprit, le fait que la personne concernée pouvait se rendre compte des conséquences de ses actes et pouvait opposer sa propre volonté aux personnes cherchant à l'influencer, relèvent de l'établissement des faits. En revanche, la conclusion que le juge en a tirée quant à la capacité, ou non, d'agir raisonnablement relève du droit (arrêts du Tribunal fédéral 5A_926/2021 du 19 mai 2022 consid. 3.1.1.2; 5A_951/2016 du
14 septembre 2017 consid. 3.1.4).

3.1.3 L'expertise médicale ordonnée durant une procédure fournit au juge les connaissances professionnelles dont celui-ci a besoin pour saisir certains faits juridiquement pertinents et/ou pour pouvoir juger. L'expertise ordonnée doit donc contenir en particulier un avis sur l'état de santé mentale de la personne intéressée ainsi que sur les effets que d'éventuels troubles de la santé mentale pourraient avoir sur la capacité intellectuelle et volontaire de celle-ci de gérer ses affaires. Sur la base de l'expertise, le juge doit être à même de répondre aux questions juridiques découlant de l'art. 16 CC, notamment dire si la personne souffre d'une maladie mentale ou d'une cause semblable la rendant dépourvue de la faculté d'agir raisonnablement en lien avec un acte donné. On ne peut soumettre à un expert que des questions de fait, non des questions de droit, dont la réponse incombe impérativement au juge, qui ne peut pas déléguer cet examen à un tiers. Il s'ensuit que celui-ci ne saurait se fonder sur l'opinion exprimée par un expert lorsqu'elle répond à une question de droit (arrêts du Tribunal fédéral 5A_859/2014 du 17 mars 2015 consid. 4.1.3.1; 5A_501/2013 du 13 janvier 2014 consid. 6.1.3.1).

Le juge apprécie librement la force probante d'une expertise. Dans le domaine des connaissances professionnelles particulières, il ne peut toutefois s'écarter de l'opinion de l'expert que pour des motifs importants qu'il lui incombe d'indiquer, par exemple lorsque le rapport d'expertise présente des contradictions ou attribue un sens ou une portée inexacts aux documents et déclarations auxquels il se réfère (arrêts du Tribunal fédéral 4A_300/2019 du 17 avril 2020 consid. 2.1; 4A_535/2018 du 3 juin 2019 consid. 1.2). Il doit donc examiner si, sur la base des autres preuves et des observations formulées par les parties, des objections sérieuses viennent ébranler le caractère concluant des constatations de l'expertise. Il est même tenu, pour dissiper ses doutes, de recueillir des preuves complémentaires lorsque les conclusions de l'expertise judiciaire se révèlent douteuses sur des points essentiels. En se fondant sur une expertise non concluante ou en renonçant à procéder aux enquêtes complémentaires requises, le juge pourrait commettre une appréciation arbitraire des preuves et violer
l'art. 9 Cst. (arrêts du Tribunal fédéral 5A_859/2014 précité consid. 4.1.3.2; 5A_501/2013 précité consid. 6.1.3.2).

3.1.4 Le juge n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à ceux qui, sans arbitraire, peuvent être tenus pour pertinents (ATF 142 II 154 consid. 4.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_69/2022 du 17 mai 2023 consid. 3.1).

3.2 En l'espèce, le Tribunal a retenu que les éléments recueillis durant la procédure avaient permis d'établir que l'appelant souffrait d'une maladie mentale durant la période litigieuse, ce qui faisait présumer de son incapacité de discernement. Il avait toutefois rédigé sa lettre de démission dans un moment de lucidité. A cet égard, aucun médecin n'avait exclu qu'il puisse recouvrer une certaine lucidité à un moment donné et aucun des témoins entendus n'était en contact direct avec lui au moment de la rédaction de sa lettre de démission, de sorte que sa capacité de discernement à ce moment-là devait être déterminée à la lumière du seul contenu de celle-ci, seule "témoin direct" de la situation. En l'occurrence, il en ressortait qu'en dépit de certains termes peu conventionnels utilisés, le courrier était écrit de manière cohérente et l'appelant était conscient des implications de sa démission, au vu de la mention du délai de congé et des actions bloquées, dont il savait qu'il ne pourrait en bénéficier en raison de sa démission. De plus, il avait envoyé son pli par le biais d'un transporteur professionnel de colis afin de s'assurer de la notification du courrier. Ces éléments permettaient de retenir que la lettre de démission avait été écrite dans un moment de lucidité.

L'appelant ne critique pas ce raisonnement. Il reproche au Tribunal de s'être écarté des conclusions de l'expert et des avis médicaux exprimés par les médecins entendus dans la procédure en avançant pour seule motivation qu'une analyse plus juridique du contenu du courrier de démission démontrait qu'il agissait en fonction d'une compréhension raisonnable de sa situation. Selon lui, l'autorité précédente ne pouvait pas, sans commettre d'arbitraire, s'écarter des conclusions de la dernière expertise judiciaire ainsi que des faits établis par pièces et par témoignages sans motifs déterminants.

Son grief est infondé. En effet et contrairement à ce que soutient l'appelant, le Tribunal a expressément indiqué les raisons qui venaient selon lui ébranler le caractère concluant des constatations de l'expert, soit, d'une part, qu'il était surprenant que celui-ci puisse être aussi catégorique au sujet de l'incapacité de discernement de l'appelant au moment de la rédaction de la lettre de démission alors qu'il ne l'avait jamais rencontré avant le début de la procédure et, d'autre part, que l'expert avait retenu une incapacité de discernement alors qu'il avait admis dans le même temps – et donc de manière contradictoire – que la composante de compréhension de la capacité de discernement de l'appelant n'était pas gravement altérée et que son courrier était cohérent. Or, l'existence de contradictions dans un rapport d'expertise constitue un des motifs permettant au juge de s'écarter de l'opinion de l'expert, selon le Tribunal fédéral. L'appelant ne critique aucunement l'appréciation du Tribunal sur ce point, se contentant d'indiquer de manière toute générale que l'expertise du Dr S______ était "détaillée et non contradictoire" sans autre explication. L'appelant échoue ainsi à démontrer que le Tribunal aurait fait preuve d'arbitraire en s'écartant de cette expertise.

S'agissant de la première expertise, sa validité a été remise en cause par arrêt CAPH/134/2019 du 26 août 2019 de la Cour de céans et le Tribunal a rappelé qu'elle était sujette à caution en raison du fait que le Dr Q______ avait outrepassé sa mission d'expertise, ce que l'appelant ne critique pas. De plus et comme l'a relevé la Cour de céans dans l'arrêt précité, le Dr Q______ a uniquement relevé les digressions inadéquates ainsi que les affirmations de nature euphorique et d'un ton marqué par un certain infantilisme, sans toutefois se prononcer sur l'aspect cohérent du courrier de démission et le fait que l'appelant était conscient des conséquences de celui-ci, ce qui permet également de douter des conclusions de cet expert.

Contrairement à ce qu'insinue l'appelant, le Tribunal n'était pas tenu d'administrer des preuves complémentaires afin de lever ou de confirmer ses doutes quant au caractère concluant des expertises judiciaires, s'il estimait que les autres moyens de preuve, soit en particulier la lettre de démission du 26 décembre 2010, lui permettaient de lever lesdits doutes, étant relevé qu'aucune preuve supplémentaire n'a été proposée par les parties.

Il convient par ailleurs de rappeler qu'un expert ne peut répondre qu'à des questions de fait, soit notamment sur l'état de santé mentale de la personne intéressée ainsi que sur les effets que d'éventuels troubles de la santé mentale pourraient avoir sur la capacité intellectuelle et volontaire de celle-ci de gérer ses affaires, étant rappelé que l'examen des conséquences de ce qui précède sur sa faculté d'agir raisonnablement en lien avec un acte donné revient au juge, qui applique le droit. Il ne peut ainsi être reproché au Tribunal d'avoir substitué son appréciation juridique à celle des médecins et experts.

S'agissant des avis médicaux exprimés par les médecins entendus durant la procédure en qualité de témoins, l'appelant n'expose pas quel(s) témoignage(s) en particulier n'aurai(en)t – à tort – pas été pris en compte par le Tribunal, de sorte que la motivation de son appel apparaît insuffisante sur ce point, étant rappelé que les premiers juges n'avaient pas l'obligation de discuter chacun des moyens de preuve invoqués. En tout état, l'on relève qu'à l'exception des Drs K______ et O______, aucun témoin ne s'est prononcé sur la capacité de discernement de l'appelant sur la base de sa lettre de démission en tant que telle, alors que seul son contenu est décisif pour déterminer si l'appelant était lucide au moment de sa rédaction, comme l'a justement relevé le Tribunal sans être critiqué sur ce point, dans la mesure où aucun témoin n'étant en contact direct avec l'appelant à ce moment-là. Or, l'avis du Dr K______, qui a indiqué que la lettre de démission litigieuse avait été rédigée en pleine phase maniaque, est sujet à caution dès lors qu'il est un ami de la famille de l'appelant. Quant au Dr O______, il a émis un avis incertain et circonstanciel, à savoir qu'il était uniquement vraisemblable que l'appelant était incapable de discernement à ce moment-là compte tenu de sa maladie mentale. S'il a déclaré que certains éléments de cette lettre laissaient penser que l'appelant était dans une phase maniaque, il ne s'est pas prononcé sur les aspects cohérents de cette même lettre, de sorte que son analyse est incomplète. Au vu de ce qui précède, il ne peut être reproché au Tribunal de s'être écarté des avis des médecins entendus comme témoins.

Pour le surplus et contrairement à ce que soutient l'appelant, le raisonnement tenu par le Tribunal dans son jugement du 20 janvier 2016 est irrelevant, dès lors qu'il a été annulé par arrêt de la Cour CAPH/188/2016 du 1er novembre 2016, lequel a été confirmé par le Tribunal fédéral.

En définitive, le grief de l'appelant est infondé et le jugement entrepris sera confirmé en tant qu'il retient qu'il était capable de discernement lorsqu'il a rédigé sa lettre de démission du 26 décembre 2010. Il s'ensuit que le contrat de travail liant les parties a valablement pris fin au 28 février 2011, de sorte que le Tribunal a débouté à bon droit l'appelant de ses prétentions en paiement du salaire pour la période postérieure à cette date.

4.             Le Tribunal a également débouté l'appelant de ses prétentions en paiement de la contrevaleur des actions devant être libérées en mars 2011, mars 2012 et mars 2013, de son bonus et des actions pour l'années 2010, au motif que ces prétentions étaient prescrites, de même que toutes les créances de salaire jusqu'à la fin des rapports de travail.

L'appelant ne formule aucun grief à cet égard, se contentant de renvoyer à l'arrêt de la Chambre de céans du 26 août 2019. La Cour n'est ainsi pas en mesure de comprendre ce que l'appelant reproche aux premiers juges, lesquels ont du reste respecté l'arrêt précité, auquel ils se sont expressément référés. Dans ces conditions, l'appel est irrecevable sur ce point, faute de respecter l'exigence de motivation posée par l'art. 311 al. 1 CPC. Les développements de l'appelant au sujet de la prescription qui figurent dans sa réplique ne sauraient être pris en considération, dès lors que la motivation de l'appel doit être entièrement contenue dans l'acte d'appel et ne saurait être complétée ou corrigée ultérieurement.

Ce qui précède suffit à sceller le sort de la cause, de sorte qu'il n'est pas utile d'examiner les griefs de l'appelant en lien avec le bonus et les actions bloquées, la motivation du Tribunal sur ce point étant subsidiaire à celle relative à la prescription.

5.             Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 4'000 fr. (art. 95, 96, 104 al. 1
et 105 al. 1 CPC; art. 19 al. 3 let. c LaCC; art. 5 et 71 RTFMC), mis à la charge de l'appelant qui succombe (art. 106 al. 1 CPC) et entièrement compensés avec l'avance de frais de même montant fournie par lui, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Il n'est pas alloué de dépens (art. 22 al. 2 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes, groupe 4 :

A la forme :

Déclare recevable l'appel formé le 2 juin 2022 par A______ contre le jugement JTPH/130/2022 rendu le 3 mai 2022 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/13037/2017.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais d'appel :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 4'000 fr., les met à la charge de A______ et les compense entièrement avec l'avance de frais fournie par lui, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Monsieur Jean REYMOND, président; Madame Nadia FAVRE, juge employeur; Madame Ana ROUX, juge salarié; Madame Fabia CURTI, greffière.

 

Le président :

Jean REYMOND

 

La greffière :

Fabia CURTI

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.